Digithéque, Jean-Pierre Maury

Congo K


Régime militaire, 1965-1967.

Communiqué du haut-commandement de l'Armée nationale du Congo, 24 novembre 1965.
Message du président de la République au Congrès national, 25 novembre 1965.
    Dès la proclamation de l'indépendance, les Congolais sont aux prises avec rébellions militaires, gouvernements insurrectionnels et sécessions régionales, notamment celle du Katanga, ou tribales. Le 5 septembre 1960, le président de la République Kasa-Vubu, et le premier ministre, Patrice Lumumba se destituent réciproquement, et quelque jours plus tard, le 14 septembre, le premier coup d'État de Mobutu, alors chef de l'armée, tranche en faveur du président de la République.
    La loi fondamentale de 1960, est alors complétée, par les décrets-lois constitutionnels qui établissent un régime provisoire, dans un désordre persistant. En 1964,Moïse Tshombé, l'ancien président du Katanga, devient premier ministre du Congo, à l'issue d'une brève réconciliation avec Kasa-Vubu et le général Mobutu, ce qui permet l'adoption de la Constitution de Luluabourg en 1964. Mais, le 13 octobre 1965, Kasa-Vubu destitue Tshombé.
    Le 24 novembre 1965, le général Mobutu, appuyé par le haut-commandement de l'Armée, prend le pouvoir. Cependant le 24 juin 1967, une nouvelle Constitution est établie.

Source : Chronique de politique étrangère, JANVIER 1967, Vol. 20, No. 1, CONGO DE JANVIER 1965 A MARS 1966 (JANVIER 1967), p. 78-79 et 80-81. Egmont Institute. https://www.jstor.org/stable/44828596

Communiqué du haut-commandement de l'Armée nationale du Congo.

(24 novembre 1965)

A l'invitation du Lieutenant-général Mobutu, commandant en chef de l'Armée Nationale Congolaise, les autorités supérieures de l'armée se sont réunies ce 24 novembre en sa résidence. Ils ont fait un tour d'horizon de la situation politique et militaire dans le pays. Ils ont constaté que si la situation militaire était satisfaisante la faillite était complète dans le domaine politique.

Dès l'indépendance du pays I'ANC. n'a jamais ménagé ses efforts désintéressés pour assurer un sort meilleur à la population. Les dirigeants politiques, par contre, se sont cantonnés dans une lutte stérile pour accéder au pouvoir sans aucune considération pour le bien-être des citoyens de ce pays.

Depuis plus d'un an, I'ANC a lutté contre la rébellion qui à un moment donné a occupé près des 2/3 du territoire de la République alors qu'elle est presque vaincue.

Le Haut Commandement de l'Armée Nationale constate avec regret qu'aucun effort n'a été fait du côté des autorités politiques pour venir en aide aux populations éprouvées qui sortent maintenant en masse de brousse en faisant confiance à l'ANC. La course au pouvoir des politiciens risque à nouveau de faire couler le sang congolais et tous les chefs militaires de I'ANC réunis ce 24 novembre autour de leur commandant en chef ont pris en considération de ce qui précède les graves décisions suivantes :

1. M. Joseph Kasavubu est destitué de ses fonctions de Président de la République.

2. M. Evariste Kimba, Député national, est déchargé de ses fonctions de formateur du gouvernement.

3. Le Lieutenant-général Joseph-Désiré Mobutu assumera les prérogatives constitutionnelles du chef de l'État.

4. Les institutions démocratiques de la République, telles qu'elles sont prévues par la Constitution du 1.8.1964, continuent à fonctionner et à siéger en exerçant leurs prérogatives. Tel est notamment le cas de la Chambre des Députés, du Sénat et des institutions provinciales.

5. La République Démocratique du Congo proclame son adhésion à la Charte de l'Organisation des Nations Unies et de l'Organisation de l'Unité africaine.

6. Tous les accords conclus jusqu'ici avec les pays amis seront respectés.

7. Sauf si le Parlement en décide autrement, les accords concernant l'adhésion de la République Démocratique du Congo à la Charte de l'Organisation commune africaine et malgache seront respectés.

8. La politique internationale du Congo, pays africain, sera inspirée par les intérêts du continent africain tout entier. Dans cet ordre d'idée la politique d'entente entre le Congo et les pays africains sera poursuivie et continuée.

9. Aucune ingérence dans les affaires intérieures de l'État, de quelque nature que ce soit, ne sera tolérée.

10. Toutes les mesures d'interdiction qui ont frappé dernièrement certaines publications tant congolaises qu'étrangères sont levées à partir de ce jour. Le Haut Commandement de I'ANC invite les propriétaires des publications, dont les installations ont été saccagées, à se présenter au Quartier Général en vue d'obtenir dédommagement des dégâts causés par certains éléments irresponsables.

11. Les droits et les libertés garantis par la Constitution du 1.8.64 tels que prévus dans ses articles 24, 25, 26, 27 seront respectés. Il en est notamment ainsi de la liberté de pensée, de conscience, de religion, d'expression, de presse, de réunion et d'association.

12. L'Armée Nationale congolaise étant tenue en dehors et au-dessus des activités politiques, tous les détenus politiques seront libérés. Cette décision ne s'applique pas aux membres des bandes insurrectionnelles ayant commis une atteinte à la sûreté intérieure de l'État.

13. Il n'est pas besoin de préciser que I'ANC, gardienne de la sécurité des biens et des personnes tant congolaises qu'étrangères, continuera à la garantir.

En prenant ces graves décisions, le Haut Commandement de I'ANC espère que le peuple congolais lui en sera reconnaissant car son seul but est de lui assurer la paix, le calme, la tranquillité et la prospérité qui lui ont si cruellement fait défaut depuis l'accession du pays à l'indépendance. Le Haut Commandement de I'ANC souligne avec force que les décisions qu'il a prises n'auront pas pour conséquence une dictature militaire. Seul l'amour de la patrie et le sens des responsabilités vis-à-vis de la nation congolaise ont guidé le Haut Commandement à prendre ces mesures. Il en témoigne devant l'Histoire, l'Afrique et le Monde.

Le Haut Commandement de I'ANC demande à tous les Congolais de lui faire confiance. Il demande également que le fonctionnement régulier des institutions de l'Administration et de l'Economie du pays soit assuré par la présence de tous sur le lieu de leur travail.

Le Lieutenant-Général Joseph-Désiré Mobutu, assumant les prérogatives de président de la République, prend les décisions suivantes :

1) Le Colonel Léonard Mulamba assumera les fonctions de premier ministre ;

2) Le Colonel Mulamba est chargé de former un gouvernement représentatif d'union nationale dont fera partie au moins un membre de chacune des vingt et une provinces de la République Démocratique du Congo et de la ville de Léopoldville ;

3) Pendant toute la durée durant laquelle le Lieutenant-Général Mobutu exercera les prérogatives du président de la République, le Général-Major Louis Bobozo remplira les fonctions de Commandant en Chef de l'Armée Nationale Congolaise.

    Fait à Léopoldville, le 24 novembre 1965.

Sé : Haut Commandement de I'A.N.C.

Lieutenant-Général J.-D. Mobutu.    Général-Major L. Bobozo.
Colonel L. Masiala.                           Colonel L. Mulamba.
Colonel D. Nzoigba.                          Colonel F. Itambo.
Colonel A. Bangala.                          Lieutenant-Colonel P. Ingila.
Lt-Colonel J. Tshatshi.                      Lieutenant-Colonel A. Monyango.
Lt-Colonel A. Singa.                          Lieutenant-Colonel L. Basuki.
Lt-Colonel F. Malila.                          Lieutenant-Colonel A. Tukuzu.

Message du président de la République au Congrès national.

(25 novembre 1965)

Attendu que depuis cinq ans les politiciens n'ont pas su mettre fin à l'anarchie règne sur toute l'étendue de la République Démocratique du Congo.

Vu que cette situation est intentionnellement maintenue par les politiciens ;

Qu'elle est exploitée par certains étrangers ;

Que la mise en garde du Quartier Général de l'Armée Nationale Congolaise n'a pas pu réduire la course effrénée des civils au pouvoir ;

Attendu que le haut commandement militaire ne pouvait rester insensible à cette grave détérioration de la situation et aux misères de la nation congolaise tout entière ;

Que conscient de ses lourdes responsabilités le haut commandement militaire a pris la conduite ultime de la politique de l'État ;

En vue de permettre le fonctionnement normal et régulier des institutions nationales, le haut commandement militaire a pris les dispositions fondamentales suivantes :

Article premier.

Il est instauré sur toute l'étendue de la République Démocratique du Congo un régime d'exception à la date du 24 novembre 1965.

Il est mis fin à cette date au mandat du premier président de la République Démocratique du Congo.

Article 2.

La durée du régime est celle de la législature en cours.

Article 3.

Pendant cette période il sera sursis à l'application des articles 56, 64, 82, 83, alinéa 1er, 137 alinéas 1 et 2, 165 alinéas 3 et 4, 174 alinéa 2, 172 alinéa 3, 182, 189, 195 alinéas 1, 2 et 3, 197, 200 alinéas 1 et 2, de la Constitution du 1er août 1964, auxquels suppléent les dispositions ci-dessous.

Article 4.

L'actuel lieutenant-général commandant en chef de l'Armée Nationale Congolaise exerce à dater du 24 novembre 1965 les prérogatives constitutionnelles du Président de la République.

Article 5.

Le gouvernement central se compose du premier ministre et des ministres dont le nombre ne dépassera pas 22 (vingt-deux).

Article 6.

Le mandat des bureaux des Chambres législatives nationales actuellement en fonctions correspond à celui de la législature en cours.

Article 7.

Le Conseil de législation est un organe consultatif composé de vingt-quatre membres nommés pas le Président de la République sur proposition pour une moitié par les deux bureaux réunis des Chambres législatives nationales, et pour une autre moitié par le gouvernement central.

Article 8.

Les députés et sénateurs qui deviennent membres du gouvernement central gardent leur mandat. Dans ce cas ils ne jouissent pas de l'indemnité parlementaire.

Article 9.

Jusqu'à ce qu'elle soit constituée conformément aux dispositions de l'article 165 de la Constitution, la Cour constitutionnelle comprend 12 conseillers dont 9 au moins sont des Congolais. Le Président de la République nomme les membres de la Cour constitutionnelle sur présentation des candidats pour un tiers par les deux bureaux réunis des Chambres législatives nationales, par le gouvernement central pour un autre tiers et pour un dernier tiers par les deux Cours d'appel de la République Démocratique du Congo.

Nul ne peut être nommé conseiller s'il n'est détenteur d'un diplôme de droit ou s'il n'a pas exercé des fonctions judiciaires ou juridiques, s'il n'a pas suivi le barreau ou enseigné le droit dans une université ou dans un établissement supérieur.

La Cour élit son président parmi un de ses membres. Nul ne peut être président de la Cour constitutionnelle s'il ne remplit les conditions d'éligibilité au Sénat.

Article 10.

La Cour constitutionnelle comprend quatre membres désignés pour trois ans, quatre membres désignés pour 6 ans et quatre membres désignés pour 9 ans.

    Fait à Léopoldville, le 25 novembre 1965. -

Le lieutenant-général : (sé) Joseph- Désiré Mobutu, Président de la République.

Pour obtenir davantage d'informations sur le pays et sur le texte ci-dessus,
voir la fiche Congo (Kinshasa).