Convention entre la France et le Siam.
Convention conclue à Paris, le 13 février 1904, entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de S. M. le roi de Siam, et les ratifications de cet acte ayant été échangées à Paris, le 9 décembre 1904.
Alors que la France, déjà installée en Cochinchine (1862) et au Cambodge (1863), envisage d'étendre sa domination en Indochine, elle se heurte aux ambitions du Siam qui exerce son autorité sur certaines parties des pays Lao et du Cambodge. En 1866, le capitaine Ernest Doudart de Lagrée remonte le Mékong ; en 1886, l'explorateur et diplomate Auguste Pavie est envoyé à Luang Prabang, alors capitale d'une partie du Laos. Un bref conflit éclate en 1893 et permet à la France d'obtenir pour le Laos la restitution de la rive gauche du Mékong et d'établir son protectorat sur la région. Les Britanniques, installés en Birmanie, sont favorables au maintien de l'indépendance du Siam, qui constitue ainsi un espace neutre entre les deux empires coloniaux.
Le protectorat français sur le Cambodge et le Laos permet de fixer favorablement les frontières des deux pays avec le Siam : après le traité de 1893 qui fixe la frontière sur le Mékong, les autres parties de la frontière du Siam avec le Cambodge et le Laos sont déterminées par la convention du 13 février 1904, le traité du 23 mars 1907 et son protocole annexe. Les frontières ainsi établies sont remises en cause en 1940, lorsque le Siam, devenu la Thaïlande, profite de l'occupation de l'Indochine par le Japon pour annexer les territoires situés sur la rive droite du Mékong, mais doit les restituer après la Guerre mondiale, en application de la convention du 17 novembre 1946.
Pour mémoire, la Thaïlande, qui avait occupé en 1954, à la suite de la défaite française en Indochine, le temple de Préah Vihéar, à la frontière du Cambodge, a été condamnée à le restituer, par l'arrêt de la Cour internationale de justice du 15 juin 1962 (voir https://www.icj-cij.org/fr/affaire/45).
Source : JORF, 16 décembre 1904, p. 7494.
Convention.
Le Président de la République française et S. M. le roi de Siam, désireux de rendre plus étroites et plus confiantes les relations d'amitié qui existent entre leurs deux pays et de régler certaines difficultés qui s'étaient élevées sur l'interprétation du traité et de la convention du 3 octobre 1893, ont décidé de conclure une nouvelle convention et ont nommé à cet effet pour leurs plénipotentiaires, savoir :
Le Président de la République française, M. Théophile Delcassé, député, ministre des affaires étrangères, etc. ;
Et S. M. le roi de Siam, Phya Suriva Nuvatr, son envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire près le Président de la République française, décoré de la 1re classe de l'ordre royal de la couronne de Siam, grand officier de l'ordre national de la Légion d'honneur, etc. ;
Lesquels, après s'être communiqué leurs pleins pouvoirs, trouvés en bonne et due forme, sont convenus des dispositions suivantes :
Article premier.
La frontière entre le Siam et le Cambodge part, sur la rive gauche du Grand-Lac, de l'embouchure de la rivière Stung-Roluos ; elle suit le parallèle de ce point dans la direction de l'Est jusqu'à la rencontre de la rivière Prék-Kompong- Tiam, puis, remontant vers le Nord, elle se confond avec le méridien de ce point de rencontre jusqu'à la chaîne de montagnes Pnom-Dang-Rek. De là elle suit la ligne de partage des eaux entre les bassins du Nam-Sen et du Mékong, d'une part, et du Nam-Moun d'autre part, et rejoint la chaîne Pnom-Padang dont elle suit la crête vers l'Est jusqu'au Mékong. En amont de ce point, le Mékong reste la frontière du royaume de Siam, conformément à l'article 1er du traité du 3 octobre 1893.
Article 2.
Quant à la frontière entre le Luang-Prabang, rive droite, et les provinces de Muang-Phichaï et Muang-Nan, elle part du Mékong à son confluent avec le Xam-Huong et, suivant le thalweg de cette rivière jusqu'à son confluent avec le Nam-Tang, remontant ensuite le cours dudit Nam-Tang, elle atteint la ligne de partage des eaux entre les bassins du Mékong et celui de la Ménam en un point situé près de Pou-Dène-Dinc. A partir de ce point, elle remonte vers le Nord, suivant la ligne de faite entre les deux bassins jusqu'aux sources de la rivière Nam-Kop dont elle suit le cours jusqu'à sa rencontre avec le Mékong.Article 3.
Il sera procédé à la délimitation des frontières entre le royaume de Siam et les territoires formant l'indo-Chine française. Cette délimitation sera effectuée par des commissions mixtes composées d'officiers nommés par les deux pays contractants. Le travail portera sur la frontière déterminée par les articles 1er et 2, ainsi que sur la région comprise entre le Grand- Lac et la mer.
En vue de faciliter les travaux des commissions et en vue d'éviter toute possibilité de difficulté dans la délimitation de la région comprise entre le Grand-Lac et la mer, les deux gouvernements se mettront d'accord, avant la nomination des commissions mixtes, pour fixer les points principaux de la délimitation dans cette région, notamment le point où la frontière atteindra la mer.
Les commissions mixtes seront nommées et commenceront leurs travaux dans les quatre mois après la ratification de la présente convention.
Article 4.
Le gouvernement siamois renonce à toute prérogative de suzeraineté sur les territoires du Luang-Prabang situés sur la rive droite du Mékong.
Les bateaux de commerce et les trains de bois appartenant à des Siamois auront le droit de naviguer librement sur la partie du Mékong traversant le territoire du Luang-Prabang.
Article 5.
Aussitôt que l'accord prévu par l'article 3, paragraphe 2, et relatif à la délimitation de la frontière entre le Grand-Lac et la mer, aura été établi, et aussitôt qu'il sera officiellement notifié aux autorités françaises que les territoires résultant de cet accord et les territoires situés à l'est de la frontière, telle qu'elle est indiquée aux articles 1er et 2 du présent traité, se trouvent à leur disposition, les troupes françaises qui occupent provisoirement Chantaboun, en vertu de la convention du 3 octobre 1893, quitteront cette ville.Article 6.
Les dispositions de l'article 4 du traité du 3 octobre 1893 seront remplacées par celles qui suivent : S. M. le roi de Siam prend l'engagement que les troupes qu'elle enverra ou entretiendra dans tout le bassin siamois du Mékong seront toujours des troupes de nationalité siamoise, commandées par des officiers de cette nationalité.
Il n'est fait exception à cette règle qu'en faveur de la gendarmerie siamoise, actuellement commandée par des officiers danois. Dans le cas où le gouvernement siamois voudrait substituer à ces officiers des officiers étrangers appartenant à une autre nationalité, il devrait s'entendre au préalable avec le gouvernement français.
En ce qui concerne les provinces de Siem-Reap, de Battambang et de Sisophon, le gouvernement siamois s'engage à n'y entretenir que les contingents de police nécessaires pour le maintien de l'ordre. Ces contingents seront recrutés exclusivement sur place parmi les indigènes.
Article 7.
A l'avenir, dans la partie siamois du bassin du Mékong, le gouvernement royal s'il désire exécuter des ports, canaux, chemin
de fer (notamment des chemins de fer destinés à relier la capitale à un point quelconque de ce bassin), se mettra d'accord avec le Gouvernement français, dans le cas où ces travaux ne pourraient être exécutés exclusivement par un personnel et avec des capitaux siamois, il en serait naturellement de même pour l'exploitation desdites entreprises.
En ce qui concerne l'usage des ports, canaux, chemins de fer, aussi bien dans la partie siamoise du bassin du Mékong que dans le reste du royaume, il est entendu qu'aucun droit différentiel ne pourra être établi contrairement au principe de l'égalité commerciale inscrit dans les traités signés par le Siam.
Article 8.
En exécution de l'article 6 du traité du 3 octobre 1893, des terrains d'une superficie à déterminer seront concédés par le gouvernement siamois au Gouvernement de la République aux points suivants situés sur la rive droite du Mékong : Zieng-Khan, Non-Khay, Muong-Saniabouri, embouchure du Nam-Khan (rive droite ou rive gauche), Bang-Mouk-Dahan, Kemmarat et embouchure du Nam-Moun (rive droite ou rive gauche).
Les deux gouvernements s'entendront pour dégager le cours du Nam-Moun, entre son confluent avec le Mékong et Pimoun des obstacles qui gênent la navigation. Dans le cas où ces travaux seraient reconnus inexécutables ou trop coûteux, les deux gouvernements se concerteraient pour l'établissement d'une voie terrestre de communication entre Pimoun et le Mékong.
Ils s'entendront également pour établir entre Bassac et la frontière du Luang-Prabang, telle qu'elle résulte de l'article 2 du présent traité les lignes ferrées qui seraient reconnues nécessaires pour suppléer au défaut de navigabilité du Mékong.
Article 9.
Dès à présent il est convenu que les deux gouvernements faciliteront l'établissement d'une voie ferrée reliant Pnom-Penh à Battambang, La construction et l'exploitation seront faites soit par les gouvernements eux-mêmes chacun d'eux se chargeant de la partie qui est sur son territoire, soit par une compagnie franco-siamoise agréée par les deux gouvernements.
Les deux gouvernements sont d'accord sur la nécessité de faire des travaux pour améliorer le cours de la rivière de Battambang entre le Grand-Lac et cette ville. A cet effet, le gouvernement français est prêt à mettre à la disposition du gouvernement siamois les agents techniques dont celui-ci pourrait avoir besoin tant en vue de l'exécution que de l'entretien desdits travaux.
Article 10.
Le gouvernement de Sa Majesté siamoise accepte les listes des protégés français telles qu'elles existent actuellement, a
l'exception des individus dont il serait reconnu, de part et d'autre, que l'inscription a été indûment obtenue. Copie de ces listes sera communiquée aux autorités siamoises par les autorités françaises.
Les descendants des protégés ainsi maintenus sous la juridiction française n'auront plus le droit de réclamer leur inscription, s'ils ne rentrent pas dans la catégorie des personnes visées à l'article suivant de la présente convention.
Article 11.
Les personnes d'origine asiatique nées sur un territoire soumis à la domination directe ou placées sous le protectorat de la France, sauf celles qui ont fixé leur résidence au Siam avant l'époque où le territoire dont elles sont originaires a été placé sous cette domination ou sous ce protectorat, auront droit à la protection française.
La protection française sera accordée aux enfants de ces personnes, mais ne s'étendra pas à leurs petits-enfants.
Article 12.
En ce qui concerne la juridiction à laquelle seront désormais soumis, sans aucune exception, tous les Français et protégés français au Siam, les deux gouvernements conviennent de substituer aux dispositions existantes les dispositions suivantes :
1° En matière pénale, les Français ou protégés français ne seront justiciables que de l'autorité judiciaire française ;
2° En matière civile, tout procès intenté par un Siamois contre un Français ou protégé français sera porté devant le tribunal consulaire français.
Tout procès, dans lequel le défendeur sera Siamois, sera porté devant la cour siamoise des causes étrangères instituée à Bangkok.
Par exception, dans les provinces de Xieng-Maï, Lakhon, Lampoun et Nan, tous les procès civils et criminels intéressant les ressortissants français seront portés devant la cour internationale siamoise.
Mais il est entendu que, dans tous ces procès, le consul de France aura le droit d'assister aux audiences ou de s'y faire représenter par un délégué dûment autorisé et de formuler toutes observations qui lui sembleront convenables dans l'intérêt de la justice.
Au cas où le défendeur serait Français ou protégé français, le consul de France pourra, à tout moment au cours de la procédure, s'il le juge opportun et moyennant une réquisition écrite, évoquer l'affaire en cause.
Celle-ci sera alors transférée au tribunal consulaire français, qui sera, à partir de ce moment, seul compétent et auquel les autorités siamoises seront tenues de prêter le concours de leurs bons offices.
Les appels des jugements rendus tant par la cour des causes étrangères que parla cour internationale, pour les quatre provinces susmentionnées, seront portés devant la cour d'appel de Bangkok.
Article 13.
En ce qui concerne, pour l'avenir, l'admission à la protection française des Asiatiques qui ne sont pas nés sur un territoire
soumis à l'autorité directe ou au protectorat de la France, ou qui ne se trouvent pas légalement naturalisés, le gouvernement de la République jouira de droits égaux à ceux que le Siam accorderait à toute autre puissance.
Article 14.
Les dispositions des anciens traités, accords et conventions entre la France et le Siam, non modifiées par la présente convention, restent en pleine vigueur.
Article 15.
En cas de difficultés d'interprétation de la présente convention, rédigée en français et en siamois, le texte français fera
seul foi.
Article 16.
Le présent traité sera ratifié dans un délai de quatre mois à partir du jour de la signature, ou plus tôt si faire se peut.
En foi de quoi, les plénipotentiaires respectifs ont signé la présente convention et y ont apposé leurs cachets.
Fait à Paris, en double exemplaire, le 13 février 1904.
(L. S.) Signé: DELCASSÉ.
(L. S.) Signé: PHYA SURIYA.——————————
En exécution de l'article 3, paragraphe 2, de la convention du 13 février 1904, et désirant compléter et rectifier les articles 1er et 2 de ladite convention, le Gouvernement de la République française et le gouvernement de S. M. le roi de Siam sont convenus de ce qui suit :
I. Kratt.
La frontière, à partir du Grand-Lac, continuera le tronçon de la délimitation tracée en 1867, en suivant le fleuve Prec-Kompong-Prak jusqu'à sa source. De ce point, elle longera dans la direction de l'Ouest la ligne de faîtes qui sépare le bassin des affluents du Grand-Lac, vers la pointe septentrionale de celui-ci, du bassin du Stung-Krevanh ou rivière de Pursat jusqu'aux montagnes où cette dernière rivière prend sa source. Elle se dirigera ensuite vers la source de la rivière Barain ou Huay-Reng dont elle longera le cours jusqu'à son confluent avec le fleuve Tungyai, qui se jette dans l'estuaire de Kratt. Puis, elle suivra ledit fleuve jusqu'à son confluent avec la rivière Klong-Dja, Ce confluent se trouve environ à mi-chemin entre le confluent de la rivière Barain avec le fleuve Tungyai et l'embouchure de ce dernier. La frontière suivra ensuite le Klong-Dja jusqu'à sa source qu'on suppose être située sur la montagne appelée Kaomai-See. De ce point, elle suivra la chaîne de montagnes jusqu'à la montagne Kao-Knun et de ce point, la chaîne de montagnes jusqu'à la mer à l'extrémité du cap Lem-Ling.
Ce tracé établit une frontière naturelle d'après laquelle le port de Kratt et les territoires situés au Sud sont attribués à l'Indo-Chine française.
En conséquence, les îles situées à proximité de la côte à partir dudit cap Lem-Ling (telles que Koh-Chang et les suivantes), de même que les territoires au sud de la frontière ainsi déterminée appartiendront à l'Indo-Chine française ;
il restera bien entendu, en outre, que la délimitation susindiquée devra laisser à celle-ci les territoires qu'elle occuperait actuellement au nord de ladite ligne.
Dix jours après qu'il sera officiellement notifié aux autorités françaises que les territoires dont il s'agit, comme tous ceux auxquels ont trait la convention franco-siamoise du 13 février 1904 et le présent accord, se trouvent à leur disposition, les troupes françaises quitteront Chantaboun en exécution de l'article 5 de la convention susvisée.
II. Luang-Prabang.
En ce qui concerne la frontière du Luang-Prabang décrite à l'article 2 de la convention du 13 février, les deux puissances
signataires ont adopté d'un commun accord les modifications suivantes :
A) Frontière du Sud. — La frontière partira du confluent du Mékong et du Nam-Huong et, au lieu de suivre le Nam-Tang, elle suivra le thalweg du Nam-Huong, appelé dans sa partie supérieure Nam-Man jusqu'à la ligne de partage des eaux entre les bassins du Mékong et de la Ménam, au point où est située la source du Nam-Man.
De là, et suivant cette ligne, elle remontera vers le Nord, conformément à la convention du 13 février 1904.
B) Frontière du Nord. — Au lieu de suivre le cours du Nam-Kop, la frontière contournera les sources de ce fleuve pour suivre la première crête des montagnes sur la rive gauche du Nam-Kop.
En foi de quoi, les soussignés M.Th. Delcassé, député, ministre des affaires étrangères de la République française, et Phya Sunya, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de S. M. le roi de Siam près le Président de la République française, dûment autorisés à cet effet, ont dressé le présent protocole qu'ils ont revêtu de leurs cachets.
Fait à Paris, en double exemplaire, le 29 juin 1904.
(L. S.) Signé: DELCASSÉ.
(L. S.) Signé: PHYA SUIUYA.
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