Empire Ottoman


Constitution ottomane

promulguée le 7 zilhidjé 1293 - 23 décembre 1876.
De l'Empire ottoman.
Du droit public des Ottomans.
Des ministres.
Des fonctionnaires publics.
De l'Assemblée générale.
Du Sénat.
De la Chambre des députés.
Du pouvoir judiciaire.
De la Haute Cour.
Des finances.
De l'administration provinciale.
Dispositions diverses.
    Le sultan Abdulmacid entame, à partir de 1839, avec le hatti-chérif de Gulhané, une politique de réforme (Tanzimat) qui ne parvient pas à enrayer le recul de l'Empire ottoman ni à empêcher les ingérences des puissances occidentales. Après les insurrections de 1875, le nouveau sultan Abdulhamid II promulgue, le 23 décembre 1876, une Constitution qui établit un Parlement dont l'une des deux chambres est élue. La Constitution établit l'égalité des droits entre les membres des différentes communautés religieuses et nationales, mais le pouvoir demeure entre les mains du Sultan dont les ministres ne sont pas politiquement responsables devant le Parlement. D'autant que la guerre éclate avec la Russie un moins à peine après la réunion du premier Parlement (19 mars 1877), qui est définitivement prorogé le 14 février 1878. Le traité de Berlin du 13 juillet 1878 reconnaît l'indépendance de la Roumanie, de la Serbie et du Monténégro, l'autonomie de la Bulgarie, et l'Empire perd encore d'autres territoires au profit de l'Autriche, de la Grèce  et de la Russie. Le Sultan adopte une politique autoritaire jusqu'au moment où, sous l'influence du mouvement des jeunes-turcs, le 2 août 1908, il remet en vigueur la Constitution de 1876. Le Sultan est déposé le 27 avril 1809 et la Constitution modifiée. Le nouvel article 30 établit alors la responsabilité politique du cabinet. En fait, les troubles et les guerres devaient justifier le maintien d'un régime autoritaire jusqu'à la fin de l'Empire ottoman.

    Source de la traduction : Annuaire de législation étrangère, publié par la Société de législation comparée, pour l'année 1876, Cottillon, Paris, 1877. Nous avons gardé l'orthographe utilisée à l'époque pour la transcription des institutions turques (par exemple : vézir)


De l'Empire ottoman.

Article premier.

L'Empire ottoman comprend les contrées et possessions actuelles et les provinces privilégiées.

Il forme un tout indivisible dont aucune partie ne peut jamais être détachée par quelque motif que ce soit.

Article 2.

Constantinople est la capitale de l'Empire ottoman.

Cette ville ne possède, à l'exclusion des autres villes de l'Empire, aucun privilège ni immunité qui lui soit propre.

Article 3.

La souveraineté ottomane, qui réunit dans la personne du Souverain le khalifat suprême de l'Islamisme, appartient à l'aîné des princes de la dynastie d'Osman, conformément aux règles établies ab antiquo.

Article 4.

Sa Majesté le Sultan est, à titre de khalife suprême, le protecteur de la religion musulmane.

Il est le Souverain et le Padichâh de tous les Ottomans.

Article 5.

Sa Majesté le Sultan est irresponsable ; sa personne est sacrée.

Article 6.

La liberté des membres de la dynastie impériale ottomane, leurs biens personnels, immobiliers et mobiliers, leur liste civile pendant toute leur vie, sont sous la garantie de tous.

Article 7.

Sa Majesté le Sultan compte au nombre des ses droits souverains les prérogatives suivantes :

Il nomme et révoque les ministres ; il confère les grades, les fonctions et les insignes de ses ordres ; il donne l'investiture aux chefs des provinces privilégiées, dans les formes déterminées par les privilèges qui leur ont été concédés ; il fait frapper la monnaie ; son nom est prononcé dans les mosquées pendant la prière publique ; il conclut les traités avec les puissances ; il déclare la guerre ; il fait la paix ; il commande les armées de terre et de mer ; il ordonne les mouvements militaires ; il fait exécuter les dispositions du Chéri (la loi sacrée) et des lois ; il fait les règlements d'administration publique ; il remet ou commue les peines prononcées par les tribunaux criminels ; il convoque et proroge l'Assemblée générale ; il dissout, s'il le juge nécessaire, la Chambre des députés, sauf à faire procéder à la réélection des députés.


Du droit public des Ottomans.

Article 8.

Tous les sujets de l'Empire sont indistinctement appelés Ottomans, quelle que soit la religion qu'ils professent.

La qualité d'Ottoman s'acquiert et se perd suivant les cas spécifiés par la loi.

Article 9.

Tous les Ottomans jouissent de la liberté individuelle, à la condition de ne pas porter atteinte à la liberté d'autrui.

Article 10.

La liberté individuelle est absolument inviolable.

Nul ne peut, sous aucun prétexte, subir une peine quelconque, que dans les cas déterminés par la loi et suivant les formes qu'elle prescrit.

Article 11.

L'Islamisme est la religion de l'État.

Tout en sauvegardant ce principe, l'État protège le libre exercice de tous les cultes reconnus (1) dans l'Empire, et maintient les privilèges religieux accordés aux diverses communautés, à la condition qu'il ne soit pas porté atteinte à l'ordre public ou aux bonnes moeurs.

Article 12.

La presse est libre dans les limites tracées par la loi.

Article 13.

Les Ottomans ont la faculté de former des associations commerciales, industrielles ou agricoles, dans les limites déterminées par les lois et les règlements.

Article 14.

Une ou plusieurs personnes appartenant à la nationalité ottomane ont le droit de présenter des pétitions à l'autorité compétente au sujet d'infractions aux lois ou règlements, commises soit à leur préjudice personnel, soit au préjudice de l'intérêt public, et pourront également adresser, sous forme de réclamation, des pétitions signées à l'Assemblée générale ottomane pour se plaindre de la conduite des fonctionnaires ou employés de l'État.

Article 15.

L'enseignement est libre.

Chaque Ottoman peut faire des cours publics ou privés, à la condition de se conformer aux lois.

Article 16.

Toutes les écoles sont placées sous la surveillance de l'État.

Il sera avisé aux moyens propres à unifier et à régulariser l'enseignement donné à tous les Ottomans ; mais il ne pourra être porté atteinte à l'enseignement religieux des diverses communautés.

Article 17.

Tous les Ottomans sont égaux devant la loi.

Ils ont les mêmes droits et les mêmes devoirs envers le pays, sans préjudice de ce qui concerne la religion.

Article 18.

L'admission aux fonctions publiques a pour condition la connaissance du turc, qui est la langue officielle de l'État.

Article 19.

Tous les Ottomans sont admis aux fonctions publiques, suivant leur aptitude, leur mérite et leur capacité.

Article 20.

L'assiette et la répartition des impôts s'établissent conformément aux lois et aux règlements spéciaux, en proportion de la fortune de chaque contribuable.

Article 21.

La propriété, immobilière et mobilière, régulièrement établie, est garantie.

Aucune expropriation ne peut avoir lieu que pour cause d'utilité publique dûment constatée et contre payement préalable, conformément à la loi, de la valeur de l'immeuble à exproprier.

Article 22.

Le domicile est inviolable.

L'autorité ne peut pénétrer de force dans le domicile de qui que ce soit, que dans les cas déterminés par la loi.

Article 23.

Nul ne peut être astreint à comparaître devant un tribunal autre que le tribunal compétent, suivant la loi de procédure qui sera édictée.

Article 24.

La confiscation des biens, la corvée et le djérimé (exaction sous forme de pénalité pécuniaire) sont prohibés.

Toutefois, les contributions levées légalement en temps de guerre et les mesures nécessitées par l'état de guerre, sont exceptées de cette disposition.

Article 25.

Aucune somme d'argent ne peut être perçue à titre d'impôt ou de taxe, ou sous toute autre dénomination, qu'en vertu d'une loi.

Article 26.

La torture et la question, sous toutes les formes, sont complètement et absolument prohibées.

Des ministres.

Article 27.

Sa Majesté le Sultan investit de la charge de grand vezir et de celle de cheikh-ul-islam, les personnages que sa haute confiance croit devoir y appeler.

La nomination des autres ministres a lieu par iradèh (ordonnance) impérial.

Article 28.

Le Conseil des ministres se réunit sous la présidence du grand vezir.

Les attributions du Conseil des ministres comprennent toutes les affaires importantes, intérieures ou extérieures, de l'État.

Celles de ses délibérations qui doivent être soumises à la sanction de Sa-Majesté le Sultan, sont rendues exécutoires par iradèh impérial.

Article 29.

Chaque chef de département ministériel administre, dans la limite de ses attributions, les affaires qui ressortissent à son département.

Pour celles qui dépassent cette limite, il en réfère au grand vezir.

Le grand vezir donne suite aux rapports qui lui sont adressés par les chefs des divers départements, soit en les déférant, s'il y a lieu, au Conseil des ministres et ensuite en les présentant à la sanction impériale, soit, dans le cas contraire, en statuant lui-même ou en les soumettant à la décision de Sa Majesté le Sultan.

Un règlement spécial déterminera ces diverses catégories d'affaires pour chaque département ministériel.

Article 30.

Les ministres sont responsables des faits ou actes de leur gestion.

Article 31.

Si un ou plusieurs membres de la Chambre des députés veulent porter plainte contre un ministre, à raison de sa responsabilité et à l'occasion de faits dont la Chambre a le droit de connaître, la demande contenant la plainte est remise au président, qui la renvoie, dans les trois jours, au bureau chargé, en vertu du règlement intérieur, d'examiner la plainte et de décider s'il y a lieu de la soumettre aux délibérations de la Chambre.

La décision du bureau est prise à la majorité des voix, après que les renseignements nécessaires ont été obtenus et que des explications ont été fournies par le ministre en cause.

Si le bureau est d'avis de soumettre la plainte à la Chambre, le rapport constatant cette décision est lu en séance publique, et la Chambre, après avoir entendu les explications du ministre en cause, appelé à assister à la séance, ou de son délégué, vote, à la majorité absolue des deux tiers des voix, sur les conclusions du rapport.

En cas d'adoption de ces conclusions, une adresse, demandant la mise en jugement du ministre en cause, est transmise au grand vezir qui la soumet à la sanction de Sa Majesté le Sultan, et le renvoi devant la Haute Cour a lieu en vertu d'un iradèh impérial.

Article 32.

Une loi spéciale déterminera la procédure à suivre pour le jugement des ministres.

Article 33.

Il n'existe aucune différence entre les ministres et les particuliers en ce qui concerne les procès privés et qui sont en dehors de leurs fonctions.

Les procès de ce genre sont déférés à la juridiction ordinaire.

Article 34.

Le ministre dont la mise en jugement a été prononcée par la Chambre d'accusation de la Haute Cour, est suspendu de ses fonctions jusqu'à ce qu'il ait été déchargé de l'accusation
portée contre lui.

Article 35.

En cas de rejet, par un vote motivé de la Chambre des députés, d'un projet de loi pour l'adoption duquel le ministère croit devoir insister, Sa Majesté le Sultan ordonne, dans l'exercice de sa souveraineté, soit le changement du ministère,
soit la dissolution de la Chambre, à charge de réélection des députés dans le délai fixé par la loi.

Article 36.

En cas de nécessité urgente, si l'Assemblée générale n'est pas réunie, le ministère peut prendre des dispositions en vue de prémunir l'État contre un danger ou de sauvegarder la
sécurité publique.

Ces dispositions, sanctionnées par iradèh impérial, ont provisoirement force de loi, si elles ne sont pas contraires à la Constitution.

Elles doivent être soumises à l'Assemblée générale dès que celle-ci est réunie.

Article 37.

Chaque ministre a le droit d'assister aux séances du Sénat et de la Chambre des députés ou de s'y faire représenter par un fonctionnaire supérieur de son département.

Il a également le droit d'être entendu avant tout membre de la Chambre qui aurait demandé la parole.

Article 38.

Lorsqu'à la suite d'une décision prise à la majorité des voix, un ministre est invité à se rendre à la Chambre des députés pour fournir des explications, il est tenu de répondre aux questions qui lui sont adressées, soit en se présentant personnellement, soit en déléguant un fonctionnaire supérieur de son département.

Néanmoins, il a le droit d'ajourner sa réponse, s'il le juge nécessaire, en prenant sur lui la responsabilité de cet ajournement.


Des fonctionnaires publics.

Article 39.

Toutes les nominations aux diverses fonctions publiques auront lieu conformément aux règlements, qui détermineront les conditions de mérite et de capacité exigées pour l'admission aux emplois de l'État.

Tout fonctionnaire nommé dans ces conditions ne pourra être révoqué ou changé :
- S'il n'est pas prouvé que sa conduite justifie légalement sa révocation ;
- S'il n'a pas donné sa démission, ou bien encore si sa révocation n'est pas jugée indispensable par le gouvernement.

Les fonctionnaires qui auront fait preuve de bonne conduite et d'honnêteté, ainsi que ceux dont la mise en disponibilité aura été jugée indispensable par le gouvernement, auront droit soit à l'avancement, soit à la pension de retraite, soit au traitement de disponibilité, conformément aux dispositions qui seront déterminées par un règlement spécial.

Article 40.

Les attributions des différentes fonctions seront fixées par des règlements spéciaux.

Chaque fonctionnaire est responsable dans la limite de ses attributions.

Article 41.

Tout fonctionnaire est tenu de respecter son supérieur ; mais l'obéissance n'est due qu'aux ordres donnés dans les limites tracées par la loi.

Pour les actes contraires à la loi, le fait d'avoir obéi à un supérieur ne peut dégager la responsabilité du fonctionnaire qui les a exécutés.


De l'Assemblée générale.

Article 42.

L'Assemblée générale se compose de deux Chambres : la Chambre des seigneurs ou Sénat et la Chambre des députés.

Article 43.

Les deux Chambres se réunissent le 1er novembre de chaque année ; l'ouverture a lieu par iradèh impérial.

La clôture, fixée au 1er mars suivant, a également lieu en vertu d'un iradèh impérial.

Aucune des deux Chambres ne peut se réunir hors le temps de session de l'autre Chambre.

Article 44.

Sa Majesté le Sultan peut, suivant l'exigence des circonstances, avancer l'époque de l'ouverture et abréger ou prolonger la session.

Article 45.

La solennité de l'ouverture a lieu en présence de Sa Majesté le Sultan, soit en personne, soit représenté par le grand vezir et en présence des ministres et des membres des deux Chambres.

Il est donné lecture d'un discours impérial exposant la situation intérieure de l'Empire et l'état de ses relations extérieures dans le cours de l'année écoulée, et indiquant les mesures dont l'adoption, pour l'année suivante, est jugée nécessaire.

Article 46.

Tous les membres de l'Assemblée générale, prêtent le serment d'être fidèles à Sa Majesté le Sultan et à la patrie, d'observer la Constitution, de remplir le mandat qui leur est confié et de s'abstenir de tout acte contraire à ces devoirs.

La prestation du serment a lieu pour les nouveaux membres à l'ouverture de la session, en présence du grand vezir et, après l'ouverture, en présence de leurs présidents respectifs et en séance publique de la Chambre dont ils font partie.

Article 47.

Les membres de l'Assemblée générale sont libres dans l'émission de leurs opinions ou de leurs votes.

Aucun d'eux ne peut être lié par des instructions ou promesses ni influencé par des menaces.

Il ne peut être poursuivi pour les opinions ou les votes émis par lui au cours des délibérations de la Chambre dont il fait partie, à moins qu'il n'ait contrevenu au règlement intérieur de cette Chambre, auquel cas les dispositions édictées par le règlement lui sont appliquées.

Article 48.

Tout membre de l'Assemblée générale qui, à la majorité absolue des deux tiers de la Chambre dont il fait partie, est accusé de trahison, de tentative de violation de la Constitution ou de concussion, ou qui a été frappé légalement d'une condamnation à l'emprisonnement ou à l'exil, est déchu de sa qualité de sénateur ou de député.

Le jugement et l'application de la peine appartiennent au tribunal compétent.

Article 49.

Chaque membre de l'Assemblée générale émet son vote en personne. Il a le droit de s'abstenir au moment du vote.

Article 50.

Nul ne peut être à la fois membre des deux Chambres.

Article 51.

Aucune délibération ne peut avoir lieu dans l'une ou l'autre Chambre, qu'autant que la moitié plus un de ses membres se trouvent réunis.

Hors le cas où la majorité des deux tiers est requise, toute résolution est prise à la majorité absolue des membres présents.

En cas de partage, la voix du président est prépondérante.

Article 52.

Toute pétition relative à des intérêts privés, présentée à l'une ou à l'autre Chambre, est rejetée si les recherches auxquelles elle donne lieu ont eu pour résultat de constater que le pétitionnaire ne s'est pas adressé en premier lieu aux fonctionnaires publics que la demande concerne, ou à l'autorité de laquelle relèvent ces fonctionnaires.

Article 53.

L'initiative de la proposition d'une loi ou de la modification d'une loi existante appartient au ministère.

Le Sénat et la Chambre des députés peuvent aussi demander une nouvelle loi ou la modification d'une loi existante sur des matières comprises dans leurs attributions.

Dans ce dernier cas, la demande est soumise par le grand vezir à Sa Majesté le Sultan, et, s'il y a lieu, le Conseil d'État est chargé, en vertu d'un iradèh impérial, de préparer le projet de loi qui fait l'objet de la proposition, sur les renseignements et éclaircissements fournis par les départements compétents.

Article 54.

Les projets de loi élaborés par le Conseil d'État sont soumis, en premier lieu, à la Chambre des députés, et, en second lieu, au Sénat.

Ces projets n'ont force de loi que si, après avoir été adoptés par les deux Chambres, ils sont sanctionnés par iradèh impérial.

Tout projet de loi définitivement rejeté par l'une des deux Chambres ne peut être soumis à une nouvelle délibération dans le cours de la même session.

Article 55.

Un projet de loi n'est pas considéré comme adopté s'il n'a été voté successivement par la Chambre des députés et le Sénat, à la majorité des voix, article par article, et si l'ensemble du projet n'a réuni la majorité des voix dans chacune des deux Chambres.

Article 56.

A l'exception des ministres, de leurs délégués et des fonctionnaires convoqués par une invitation spéciale, nul ne peut être introduit dans l'une ou l'autre Chambre, ni admis à faire une communication quelconque, soit qu'il se présente en son nom, soit comme représentant un groupe d'individus.

Article 57.

Les délibérations des Chambres ont lieu en langue turque.

Les projets sont imprimés et distribués avant le jour fixé pour la discussion.

Article 58.

Les votes sont émis : par appel nominal ; par des signes de manifestation extérieure, ou par voie de scrutin secret.

Le vote au scrutin secret est subordonné à une décision de la Chambre, prise à la majorité des membres présents.

Article 59.

La police intérieure de chaque Chambre est exercée par son président.

Du Sénat.

Article 60.

Le président et les membres du Sénat sont nommés directement par Sa Majesté le Sultan.

Le nombre des sénateurs ne peut pas excéder le tiers des membres de la Chambre des députés.

Article 61.

Pour pouvoir être nommé sénateur, il faut :
- S'être rendu, par ses actes, digne de la confiance publique ou avoir rendu des services signalés à l'État ;
- Être âgé d'au moins quarante ans.

Article 62.

Les sénateurs sont nommés à vie.

La dignité de sénateur peut être conférée aux personnages en disponibilité ayant exercé les fonctions de ministre, gouverneur général (vali), commandant de corps d'armée, cazi-asker (grand juge), ambassadeur ou ministre plénipotentiaire, patriarche, khakham-bachi (grand rabbin), aux généraux de division des armées de terre et de mer, et, en général, aux personnes réunissant les conditions requises.

Les membres du Sénat appelés, sur leur demande, à d'autres fonctions, perdent leur qualité de sénateurs.

Article 63.

Le traitement de sénateur est fixé à la somme mensuelle de 10.000 piastres.

Le sénateur qui reçoit du Trésor un traitement ou des allocations à un autre titre, n'a droit qu'au complément, si leur montant est inférieur à 10.000 piastres.

Si ce chiffre est égal ou supérieur au traitement de sénateur, il continue à en toucher le montant.

Article 64.

Le Sénat examine les projets de loi ou de budget qui lui sont transmis par la Chambre des députés.

Si, dans lé cours de l'examen d'un projet de loi, le Sénat relève une disposition contraire aux droits souverains de Sa Majesté le Sultan, à la liberté, à la Constitution, à l'intégrité territoriale de l'Empire, à la sûreté intérieure du pays, à l'intérêt de la défense de la patrie ou aux bonnes moeurs, il le rejette définitivement par un vote motivé, ou il le renvoie, accompagné de ses observations, à la Chambre des députés, en demandant qu'il soit amendé ou modifié dans le sens de ses observations.

Les projets de loi adoptés par le Sénat sont revêtus de son approbation et transmis au grand vezir.

Le Sénat examine les pétitions qui lui sont présentées ; il transmet au grand vezir celles de ces pétitions qu'il croit mériter ce renvoi, en les accompagnant de ses observations.


De la Chambre des députés.

Article 65.

Le nombre des députés est fixé à raison d'un député par cinquante mille individus du sexe masculin appartenant à la nationalité ottomane.

Article 66.

L'élection a lieu au scrutin secret. Le mode d'élection sera déterminé par une loi spéciale.

Article 67.

Le mandat de député est incompatible avec les fonctions publiques, à l'exception de celles de ministre.

Tout autre fonctionnaire public élu à la députation, est libre de l'accepter ou de la refuser ; mais, en cas d'acceptation, il doit résigner ses fonctions.

Article 68.

Ne peuvent être élus députés :
1° Ceux qui n'appartiennent pas à la nationalité ottomane ;
2° Ceux qui, en vertu du règlement spécial en vigueur, jouissent des immunités attachées au service étranger qu'ils exercent ;
3° Ceux qui ne connaissent pas le turc ;
4° Ceux qui n'ont pas l'âge de trente ans révolus ;
5° Les gens attachés au service d'un particulier ;
6° Les faillis non réhabilités ;
7° Ceux qui sont notoirement déconsidérés par leur conduite ;
8° Les individus qui ont été frappés d'interdiction judiciaire, tant que cette interdiction n'est pas levée ;
9° Ceux qui ne jouissent pas de leurs droits civils ;
10° Ceux qui prétendent appartenir à une nationalité étrangère.

Après l'expiration d'une période de quatre années, l'une des conditions de l'éligibilité à la députation sera de savoir lire le turc et, autant que possible, écrire dans celte langue.

Article 69.

Les élections générales des députés ont lieu tous les quatre ans.

Le mandat de chaque député ne dure que quatre ans ; mais il est rééligible.

Article 70.

Les élections générales commencent, au plus tard, quatre mois avant le 1er novembre, qui est la date fixée pour la réunion de la Chambre.

Article 71.

Chaque membre de la Chambre des députés représente l'universalité des Ottomans, et non exclusivement la circonscription qui l'a élu.

Article 72.

Les électeurs sont tenus de choisir leurs députés parmi les habitants de la province à laquelle ils appartiennent.

Article 73.

En cas de dissolution de la Chambre par iradèh impérial, les élections générales doivent commencer en temps nécessaire pour que la Chambre puisse se réunir de nouveau, au plus tard, dans les six mois de la date de la dissolution.

Article 74.

En cas de décès, d'interdiction judiciaire, d'absence prolongée, de perte de la qualité de député résultant d'une condamnation ou de l'acceptation de fonctions publiques, il est procédé à un remplacement, conformément aux prescriptions de la loi électorale, et dans un délai tel que le nouveau député puisse exercer son mandat, au plus tard, dans la session suivante.

Article 75.

Le mandat des députés élus pour remplir une place vacante, ne dure que jusqu'aux prochaines élections générales.

Article 76.

Il est alloué par le Trésor, à chaque député, 20.000 piastres par session et ses frais de voyage pour l'aller et le retour.

Le chiffre de ces frais sera établi conformément aux dispositions du règlement qui régit les indemnités de route payées aux fonctionnaires civils de l'État, et calculé sur la base d'un traitement mensuel de 5.000 piastres.

Article 77.

Le président et les deux vice-présidents de la Chambre des députés sont choisis, par Sa Majesté le Sultan, sur une liste de neuf candidats élus par la Chambre, à la majorité des voix, dont trois pour la présidence, trois pour la première vice-présidence et trois pour la deuxième vice-présidence.

La nomination du président et des vice-présidents a lieu par iradèh impérial.

Article 78.

Les séances de la Chambre des députés sont publiques.

Toutefois, la Chambre pourra se former en comité secret si la proposition en est faite par les ministres, ou par le président, ou par quinze membres, et si cette proposition est votée en comité secret.

Article 79.

Aucun député ne peut, pendant la durée de la session, être arrêté ou poursuivi sauf le cas de flagrant délit, que sur une décision prise par la majorité de la Chambre accordant l'autorisation
de poursuivre.

Article 80.

La Chambre dés députés discute les projets de loi qui lui sont soumis.

Elle adopte, amende ou rejette les dispositions concernant lés finances ou la Constitution.

Elle examine en détail les dépenses générales de l'État comprises dans la loi du budget, et en arrête le montant avec les ministres.

Elle détermine également, d'accord avec les ministres, la nature, le montant et le mode de répartition et de réalisation des recettes destinées à faire face aux dépenses.


Du pouvoir judiciaire.

Article 81.

Les juges, nommés conformément à la loi spéciale sur cette matière et munis du brevet d'investiture (bérat), sont inamovibles ; mais ils peuvent donner leur démission.

L'avancement des juges, dans l'ordre hiérarchique, leur déplacement, leur mise à la retraite, leur révocation, en cas de condamnation judiciaire, sont soumis aux dispositions de la même loi.

Cette loi détermine les conditions et qualités requises pour exercer les fonctions de juge ou les autres fonctions de l'ordre judiciaire.

Article 82.

Les audiences de tous les tribunaux sont publiques.

La publication des jugements est autorisée.

Toutefois, dans les cas spécifiés par la loi, le tribunal peut tenir l'audience à huis clos.

Article 83.

Tout individu peut, dans l'intérêt de sa défense, faire usage devant le tribunal des moyens permis par la loi.

Article 84.

Aucun tribunal ne peut se refuser, sous quelque prétexte que ce soit, à juger une affaire qui est de sa compétence.

Il ne peut non plus en arrêter ou en ajourner le jugement, après qu'il a commencé à procéder à l'examen ou à l'instruction, à moins qu'il n'y ait désistement de la part du demandeur.

Toutefois, en matière pénale, l'action publique continue à s'exercer conformément à la loi, dans le cas même où le demandeur s'est désisté.

Article 85.

Chaque affaire est jugée par le tribunal auquel cette affaire ressortit.

Les procès entre les particuliers et l'État sont de la compétence des tribunaux ordinaires.

Article 86.

Aucune ingérence ne peut être exercée dans les tribunaux.

Article 87.

Les affaires concernant le chéri sont jugées par les tribunaux du chéri ; le jugement des affaires civiles appartient aux tribunaux civils.

Article 88.

Les diverses catégories de tribunaux, leur compétence, leurs attributions et les émoluments des juges, sont réglés par les lois.

Article 89.

En dehors des tribunaux ordinaires, il ne peut être institué, sous quelque dénomination que ce soit, de tribunaux extraordinaires, ni de commissions pour juger certaines affaires spéciales.

Toutefois, l'arbitrage (takkin) et la nomination de muvella (juge délégué) sont permis dans les formes déterminées par la loi.

Article 90.

Aucun juge ne peut cumuler ses fonctions avec d'autres fonctions rétribuées par l'État.

Article 91.

Il est institué des procureurs impériaux chargés d'exercer l'action publique.

Leurs attributions et leur hiérarchie seront fixées par la loi.


De la Haute Cour.

Article 92.

La Haute Cour est formée de trente membres, dont dix sénateurs, dix conseillers d'État et dix membres choisis parmi les présidents et les membres de la Cour de cassation et de la Cour
d'appel.

Tous les membres sont désignés par le sort.

La Haute Cour est convoquée, lorsqu'il y a lieu, par iradèh impérial et se réunit à l'hôtel du Sénat.

Ses attributions consistent à juger :
- Les ministres ;
- Le président et les membres de la Cour de cassation ;
- Et toutes autres personnes accusées de crimes de lèse-majesté ou d'attentat contre la sûreté de l'État.

Article 93.

La Haute Cour se compose de deux Chambres : la Chambre d'accusation et la Chambre de jugement.

La Chambre d'accusation est formée de neuf membres désignés par le sort parmi les membres de la Haute Cour, et dont trois sénateurs, trois conseillers d'État et trois membres de la Cour de cassation ou de la Cour d'appel.

Article 94.

Le renvoi devant la Chambre de jugement est prononcé par la Chambre d'accusation, à la majorité des deux tiers de ses membres.

Les membres appartenant à la Chambre d'accusation ne peuvent prendre part aux délibérations de la Chambre de jugement.

Article 95.

La Chambre de jugement est formée de vingt et un membres, dont sept sénateurs, sept conseillers d'État et sept membres de la Cour de cassation ou de la Cour d'appel.

Elle juge, à la majorité des deux tiers de ses membres et conformément aux lois en vigueur, les procès qui lui sont renvoyés par la Chambre d'accusation.

Ses jugements ne sont susceptibles ni d'appel, ni de recours en cassation.


Des finances.

Article 96.

Aucun impôt au profit de l'État ne peut être établi, réparti, ni perçu qu'en vertu d'une loi.

Article 97.

Le budget est la loi qui contient les prévisions des recettes et des dépenses de l'État.

Les impôts au profit de l'État, sont régis par cette loi, quant à leur assiette, leur répartition et leur perception.

Article 98.

L'examen et le vote, par l'Assemblée générale, de la loi du budget, a lieu par articles.

Les tableaux annexes comprenant le détail des recettes et dépenses, sont divisés en sections, chapitres et articles, conformément au modèle défini par les règlements.

Ces tableaux sont votés par chapitres.

Article 99.

Le projet de loi du budget est soumis à la Chambre des députés immédiatement après l'ouverture de la session, afin de rendre possible sa mise à exécution à partir du commencement de l'exercice auquel il se rapporte.

Article 100.

Aucune dépense extra-budgétaire ne peut être effectuée sur les fonds de l'État qu'en vertu d'une loi.

Article 101.

En cas d'urgence motivée par des circonstances extraordinaires, les ministres peuvent, pendant l'absence de l'Assemblée générale, créer, par iradèh impérial, les ressources nécessaires et effectuer une dépense non prévue an budget, à la condition d'en saisir l'Assemblée générale par un projet de loi, au début de sa plus prochaine réunion.

Article 102.

Le budget est voté pour un an ; il n'a force de loi que pour l'année à laquelle il se rapporte.

Toutefois, si par suite de circonstances exceptionnelles la Chambre des députés est dissoute avant le vote du budget, les ministres peuvent, par un arrêté pris en vertu d'un iradèh impérial, appliquer le budget de l'année précédente jusqu'à la session prochaine, sans que l'application provisoire de ce budget puisse dépasser le terme d'une année.

Article 103.

La loi de règlement définitif du budget indique le montant des recettes réalisées et des payements effectués sur les revenus et les dépenses de l'année à laquelle elle se rapporte.

Sa forme et ses divisions doivent être les mêmes que celles du budget.

Article 104.

Le projet de loi de règlement définitif est soumis à la Chambre des députés, au plus tard dans le terme de quatre ans, à partir de la fin de l'année à laquelle il se rapporte.

Article 105.

Il sera institué une Cour des comptes chargée de l'examen des opérations des comptables de finances, ainsi que des comptes annuels dressés par les divers départements ministériels.

Elle adressera chaque année à la Chambre des députés un rapport spécial comprenant le résultat de ses travaux, accompagné de ses observations.

A la fin de chaque trimestre, elle présentera à Sa Majesté le Sultan, par l'intermédiaire du grand vezir, un rapport contenant l'exposé de la situation financière.

Article 106.

La Cour des comptes sera composée de douze membres inamovibles, nommés par iradèh impérial.

Aucun d'eux ne pourra être révoqué sans que la proposition motivée de sa révocation ne soit approuvée par une décision de la Chambre des députés, prise à la majorité des voix.

Article 107.

Les conditions et qualités exigées des membres de la Cour des comptes, le détail de leurs attributions, les règles applicables en cas de démission, de remplacement, d'avancement et de mise à la retraite, ainsi que celles relatives à l'organisation des bureaux de la Cour, seront déterminés par une loi spéciale.

De l'administration provinciale.

Article 108.

L'administration des provinces aura pour base le principe de là décentralisation.

Les détails de cette organisation seront fixés par une loi.

Article 109.

Une loi spéciale réglera sur des bases plus larges, l'élection des Conseils administratifs de province (vilaïet), de district (sandjak) et de canton (caza), ainsi que celle du Conseil général, qui se réunit annuellement au chef-lieu de chaque province.

Article 110.

Les attributions du Conseil général provincial seront fixées par la même loi spéciale, et elles comprendront :
    La faculté de délibérer sur les objets d'utilité publique, tels que l'établissement de voies de communication, l'organisation des Caisses de crédit agricole, le développement de l'industrie, du commerce et de l'agriculture et la propagation de l'instruction publique ;
    Le droit de porter plainte aux autorités compétentes pour obtenir le redressement des faits ou actes commis en contravention des lois et règlements, soit dans la répartition ou la perception des impôts, soit en toute autre matière.

Article 111.

Il y aura dans, chaque caza un Conseil afférent à chacune des différentes communautés.

Ce Conseil sera chargé de contrôler :
1° L'administration des revenus des immeubles et des fonds vakouf (fondations pieuses) dont la destination spéciale est fixée par les dispositions expresses des fondateurs ou par l'usage ;
2° L'emploi des fonds ou des biens affectés, par disposition testamentaire, à des actes de charité ou de bienfaisance ;
3° L'administration des fonds des orphelins, conformément au règlement spécial qui régit la matière.

Chaque Conseil sera composé de membres élus par la Communauté qu'il représente, conformément aux règlements spéciaux à établir.

Ces conseils relèveront des autorités locales ou des Conseils généraux de province.

Article 112.

Les affaires municipales seront administrées, à Constantinople et dans les provinces, par des conseils municipaux élus.

L'organisation des conseils municipaux, leurs attributions et le mode d'élection de leurs membres, seront déterminés par une loi spéciale.


Dispositions diverses.

Article 113.

En cas de constatation de faits ou d'indices de nature à faire prévoir des troubles sur un point du territoire de l'Empire, le gouvernement impérial a le droit d'y proclamer l'état de siège.

Les effets de l'état de siège consistent dans la suspension temporaire des lois civiles.

Le mode d'administration des localités soumises au régime de l'état de siège sera réglé par une loi spéciale.

A Sa Majesté le Sultan appartient le pouvoir exclusif d'expulser du territoire de l'Empire ceux qui, à la suite d'informations dignes de confiance recueillies par l'administration de la police, sont reconnus comme portant atteinte à la sûreté de l'État.

Article 114.

L'instruction primaire sera obligatoire pour tous les Ottomans.

Les détails d'application seront déterminés par une loi spéciale.

Article 115.

Aucune disposition de la Constitution ne peut, sous quelque prétexte que ce soit, être suspendue ou délaissée.

Article 116.

En cas de nécessité, dûment constatée, la Constitution peut être modifiée dans quelques-unes de ses dispositions.

Cette modification est subordonnée aux conditions suivantes :

Toute proposition de modification présentée, soit par le ministère, soit par l'une ou l'autre Chambre, devra être soumise, en premier lieu, aux délibérations de la Chambre des députés.

Si la proposition est approuvée à la majorité des deux tiers des membres de cette Chambre, elle sera transmise au Sénat.

Dans le cas où le Sénat adopterait également la modification proposée à la majorité des deux tiers des sénateurs, elle sera soumise à la sanction de Sa Majesté le Sultan.

Si elle est sanctionnée par iradèh impérial, elle aura force de loi.

Toute disposition de la Constitution faisant l'objet d'une proposition de modification reste en vigueur jusqu'au moment où la proposition, après avoir subi l'épreuve des délibérations des Chambres, a été sanctionnée par iradèh impérial.

Article 117.

L'interprétation des lois appartient :
- A la Cour de cassation pour les lois pénales ;
- Au Conseil d'État, pour les lois administratives ;
- Et au Sénat pour les dispositions de la Constitution.

Article 118.

Toutes les dispositions des lois, règlements, us et coutumes actuellement en vigueur, continueront à être appliquées, tant qu'elles n'auront pas été modifiées ou abrogées par des lois ou règlements.

Article 119.

L'instruction provisoire du 10 chewal 1293 (16-28 octobre 1876), concernant l'Assemblée générale, cessera d'avoir son effet à partir de la clôture de la présente session.
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Jean-Pierre Maury