Turquie


Constitution de la République turque de 1924.

(promulguée le 20 avril 1340 / 16 ramazan 1342 / 20 avril 1924)
Chapitre premier. Dispositions fondamentales.
Chapitre II. Pouvoir législatif.
Chapitre III. Pouvoir exécutif.
Chapitre IV. Pouvoir judiciaire.
Chapitre V. Droit public des Turcs.
Chapitre VI. Dispositions diverses.
    A la suite de la défaite de ses armées en 1918, le sultan Mehmet VI doit accepter l'armistice de Moudros qui entraîne l'occupation et le démembrement de l'Empire ottoman. Mustafa Kémal pacha prend alors la tête d'un mouvement de résistance. Il réunit un Congrès à Sivas (septembre 1919), puis à Ankara, qui lui confie la présidence d'un comité exécutif, qui organise des élections générales. Le 23 avril 1920, se réunit à Ankara la Grande Assemblée nationale qui porte Kémal à la tête d'un Comité exécutif provisoire. Tandis que le Sultan accepte le traité de Sèvres, Kémal organise un soulèvement national contre les Alliés, qui se divisent. La France renonce au traité de Sèvres et les Grecs doivent se retirer de Thrace et d'Anatolie. Les Alliés organisent l'épuration ethnique et religieuse : 1.500.000 Grecs sont échangés contre 500.000 Turcs.
    Une première Constitution provisoire est alors établie par la loi organique du 20 janvier 1921. Le 30 octobre 1922, le sultanat est aboli. La République est proclamée le 29 octobre 1923 ; le 3 mars 1924, abolition du khalifat. Une nouvelle Constitution est promulguée le 20 avril 1924.
    La Constitution de 1924 a été modifiée par la loi n° 1222 du 10 avril 1928 qui a supprimé les dispositions faisant référence à la religion (art. 2, 16, 26, 38) ; quelques mois plus tôt, les tribunaux religieux et les écoles coraniques avaient été abolis, les couvents avaient été fermés, les ordres religieux dissous et les titres musulmans interdits. Le 29 août 1929, l'enseignement de l'arabe est interdit et l'alphabet latin est adopté en novembre. La loi du 5 décembre 1934 à accordé aux femmes le droit de suffrage et l'éligibilité.

Source de la traduction : Traduction du colonel Lamouche, publiée dans plusieurs recueils, notamment l'Annuaire de législation étrangère de 1924. Une traduction en anglais est au Political Science Quarterly, vol. 40, 1, 73-100 (Mars 1925).
Voir la Constitution de 1876.
Voir la Constitution de 1921.

Chapitre premier. Dispositions fondamentales.

Article premier.

L'État turc est une République (djumhouriet).

Article 2.

La religion de l'État turc est l'islamisme ; la langue officielle est le turc ; la capitale est la ville d'Angora.
[La disposition relative à la religion a été supprimée en 1928.]

Article 3.

Le pouvoir, sans réserves ni conditions, appartient à la nation.

Article 4.

La Grande Assemblée Nationale de Turquie (Beuyuk Millet Medjlissi) étant l'unique et véritable émanation de la nation, exerce en son nom le pouvoir (littéralement : le droit d'autorité).

Article 5.

La compétence législative et le pouvoir exécutif se concentrent et s'expriment dans la Grande Assemblée Nationale

Article 6.

L'Assemblée exerce directement le pouvoir législatif.

Article 7.

L'Assemblée exerce le pouvoir exécutif par l'intermédiaire d'un Président de la République (Réïs i Djumhour) et d'un conseil des ministres (i.jra Vekilleri Hiyeti), nommé par lui.

L'Assemblée peut, en tout temps, contrôler et faire tomber le gouvernement.

Article 8.

La justice est exercée au nom de la Nation, conformément aux principes et aux lois, par des tribunaux indépendants.

Chapitre II. Pouvoir législatif.

Article 9.

La Grande Assemblée Nationale de Turquie est composée de députés élus par la Nation conformément à la loi spéciale à ce sujet.

Article 10.

Tout Turc, de sexe masculin, ayant 18 ans accomplis, a le droit de prendre part à l'élection des députés.
[Tout Turc, femme et homme, âgé de 22 ans révolus, a le droit d'élection. Loi constitutionnelle du 5 décembre 1934.]

Article 11.

Tout Turc, de sexe masculin, ayant 30 ans accomplis, est éligible.
[Peut être élu député tout Turc, femme et homme, âgé de trente ans révolus. Loi constitutionnelle du 5 décembre 1934.]

Article 12.

Ne peuvent pas être élus députés, les personnes qui se trouvent au service officiel d'une puissance étrangère, celles qui ont été condamnées à des peines afflictives pour vol, faux, escroquerie, abus de confiance, banqueroute frauduleuse, les interdits, les personnes qui réclament une nationalité étrangère, les individus qui ont été privés de leurs droits civiques et ceux qui ne savent pas lire et écrire en turc.

Article 13.

L'élection des députés à la Grande Assemblée Nationale a lieu une fois tous les quatre ans. Les députés sortants sont rééligibles. L'Assemblée dont les pouvoirs sont expirés reste en fonctions jusqu'à la réunion de celle qui la remplace.

Dans le cas où il ne paraîtrait pas possible de procéder à de nouvelles élections, la durée des pouvoirs de l'Assemblée pourrait être prolongée d'une année.

Chaque député n'est pas le représentant seulement de la circonscription qui l'a élu, mais de la nation entière.

Article 14.

La Grande Assemblée Nationale se réunit chaque année, sans convocation, au commencement de novembre.

L'Assemblée, pour permettre à ses membres de faire des tournées dans le pays, d'exercer leur droit de contrôle, de procéder à des enquêtes et, de se reposer, peut interrompre ses travaux pendant une durée ne dépassant pas six mois par an.

Article 15.

Le droit d'initiative en matière législative appartient aux députés et au Conseil des ministres.

Article 16.

Les députés, en prenant séance à l'Assemblée, prêtent serment dans la forme suivante : « Je jure, par Dieu (v Allahi),  de ne rien entreprendre qui soit contraire au bonheur et au salut de la Patrie et de la Nation, ni à la souveraineté sans réserves et sans conditions du Peuple, et de rester fidèle aux principes de la République ».
[La référence à Dieu a été remplacée par « sur mon honneur » en 1928

Article 17.

Aucun député ne peut être rendu responsable de ses votes, de ses opinions ni de ses déclarations à l'intérieur de l'Assemblée, non plus que de l'exposé, en dehors de l'Assemblée, de ses votes, opinions ou déclarations.

L'interrogatoire préliminaire, l'arrestation, la mise en jugement d'un député, accusé d'un acte délictueux, avant ou après son élection, ne peuvent avoir lieu que sur la décision de l'Assemblée. Sont exceptés les cas de flagrant délit, mais en pareille circonstance, le bureau de l'Assemblée doit être immédiatement avisé.

L'exécution d'un jugement criminel prononcé contre un député, avant ou après son élection, est suspendue jusqu'à l'expiration de son mandat. Le délai de prescription ne court pas pendant ce temps.

Article 18.

Les indemnités annuelles allouées aux députés sont fixées par une loi spéciale.

Article 19.

Pendant les vacances parlementaires, si le Président de la République, ou le président de l'Assemblée le jugent nécessaire, l'Assemblée peut être convoquée ; elle est également convoquée par son président, si un cinquième de ses membres en font la demande.

Article 20.

Les délibérations de l'Assemblée sont publiques et sont publiées in extenso, mais, sous les conditions prévues par le règlement intérieur, l'Assemblée peut tenir des séances secrètes ; la publication des délibérations tenues au cours des séances secrètes dépend de la décision de l'Assemblée.

Article 21.

L'Assemblée dirige ses délibérations d'après son propre règlement intérieur

Article 22.

Les questions (souvval), les interpellations (istizah) et les enquêtes parlementaires rentrant dans l'entière compétence de l'Assemblée, la procédure y relative, est déterminée par le règlement intérieur.

Article 23.

La qualité de député est incompatible avec celle de fonctionnaire de l'État.

Article 24.

Chaque année, au commencement de novembre, la Grande Assemblée Nationale de Turquie, en séance plénière, élit pour un an un président et trois vice-présidents.

Article 25.

Si, avant l'expiration du mandat de l'Assemblée, elle a décidé, à la majorité absolue de tous ses membres, qu'il serait procédé à de nouvelles élections, le commencement de la nouvelle période législative compte du prochain mois de novembre (1).

Les séances qui ont eu lieu avant le mois de novembre sont considérées comme session extraordinaire.

(1) Le texte turc n'est pas clair. Il semble indiquer que l'Assemblée peut se dissoudre, par sa propre volonté exprimée à la majorité absolue de tous ses membres. La Constitution ne donne pas au Président de la République le droit de dissoudre l'Assemblée.

Article 26.

Rentrent directement et exclusivement dans les attributions de la Grande Assemblée Nationale, les actes suivants : mettre à exécution les dispositions de la loi sacrée, élaborer, modifier, compléter, abroger les lois, conclure avec les États étrangers, des conventions, des traités et des traités de paix, déclarer la guerre, examiner et voter le budget et l'arrêté des comptes de l'État, frapper monnaie, confirmer ou annuler les contrats relatifs à des monopoles, à des concessions et à des emprunts, accorder des amnisties particulières ou générales, commuer ou remettre les peines, ajourner les instructions judiciaires et l'exécution des condamnations, ordonner l'exécution des sentences capitales prononcées par les tribunaux et devenues définitives.
[La première disposition de la nomenclature « mettre à exécution les dispositions de la loi sacrée, » a été abrogée en 1928.]

Article 27.

Si un député est accusé de haute trahison ou de corruption commise au cours de son mandat, l'Assemblée Nationale décide de sa culpabilité, en séance plénière, à la majorité des deux tiers des membres présents. Si un député est condamné judiciairement pour un des crimes ou délits prévus à l'article 12 de la présente loi, il est aussi déchu de son mandat.

Article 28.

Le député démissionnaire, celui qui, pour des causes légales est frappé d'interdiction, celui qui, sans congé et sans excuse valable reste deux mois sans assister aux séances, enfin, celui qui accepte une fonction publique, perdent leur mandat.

Article 29.

Quand des députés, pour les causes énumérées plus haut, perdent leur mandat, ou viennent à mourir, d'autres députés sont élus à leur place.

Article 30.

La Grande Assemblée Nationale organise et dirige sa police par l'intermédiaire de son président.

Chapitre III. Pouvoir exécutif.

Article 31.

Le Président de la République de Turquie est élu pour la durée d'une législature par la Grande Assemblée Nationale, en séance plénière, et parmi les membres de celle-ci. Les pouvoirs du Président durent jusqu'à l'élection de son successeur. Le Président sortant est rééligible.

Article 32.

Le Président de la République est le chef de l'État. En cette qualité il préside l'Assemblée dans certaines cérémonies spéciales, et le Conseil des Ministres lorsque cela lui paraît nécessaire. Le Président de la République, pendant la durée de ses fonctions, ne peut pas prendre part aux délibérations ni aux votes de l'Assemblée Nationale.

Article 33.

Si le Président de la République est empêché de remplir ses fonctions pour cause de maladie ou pendant un voyage à l'étranger, ou si par suite de décès, démission ou toute autre cause, la présidence de la République se trouve vacante, le Président de l'Assemblée Nationale remplit, par intérim, les fondions de Président de la République.

Article 34.

Si, au moment où se produit la vacance de la Présidence de la République, l'Assemblée Nationale est en session, elle élit aussitôt un nouveau Président de la République. Si l'Assemblée n'est pas réunie, son président la convoque immédiatement et elle procède à l'élection du Président de la République.

Si l'Assemblée était arrivée à l'expiration de son mandat ou si la décision de procéder à de nouvelles élections avait été prise, ce serait la nouvelle Assemblée qui élirait le Président.

Article 35.

Le Président de la République promulgue et fait publier dans le délai de dix jours, les lois votées par l'Assemblée Nationale. A l'exception des lois constitutionnelles et du budget, si le Président de la République ne juge pas convenable de promulguer une loi, il doit, dans les dix jours, la retourner à l'Assemblée avec an exposé des motifs, en vue d'une nouvelle délibération. Si celte loi est votée de nouveau par l'Assemblée, le Président est tenu de la promulguer.

Article 36.

Chaque année, au mois de novembre, le Président de la République prononce devant l'Assemblée Nationale, ou fait lire par le Premier Ministre, un discours dans lequel il expose l'activité du gouvernement pendant l'année écoulée et les mesures qu'il croit utile de prévoir pour l'année en cours.

Article 37.

Le Président de la République nomme, les représentants diplomatiques de la République turque auprès des Étals étrangers, et reçoit les représentants accrédités par ces derniers.

Article 38.

Le Président de la République, lors de son élection, prête, en présence de l'Assemblée Nationale, le serment suivant :
« Je jure, par Dieu, en ma qualité de Président de la République, de respecter les lois de la République et les principes de la souveraineté du peuple, de les défendre, de travailler fidèlement et de toutes mes forces au bonheur du peuple turc, d'écarter, de tout mon pouvoir, tout péril qui pourrait menacer l'État turc, de tenir haut et ferme la gloire et l'honneur de la Turquie, et de me consacrer sans relâche aux devoirs de la charge que j'ai assumée. »
[L'expression « par Dieu » est remplacée par « sur mon honneur », révision de 1928.]

Article 39.

Toutes les décisions émanant du Président de la République doivent être contresignées par le Premier Ministre et par le ministre compétent.

Article 40.

Le commandement suprême de l'armée rentrant dans les attributions de la Grande Assemblée Nationale, en tant que personne morale, est personnifié par le Président de la République. Le commandement effectif des forces militaires est exercé, en temps de paix, conformément à une loi spéciale, par la direction de l'état-major général, et en temps de guerre, par une personne désignée par le Président de la République, sur la proposition du Conseil des Ministres.

Article 41.

Le Président de la République est responsable devant la Grande Assemblée Nationale, en cas de haute trahison.

La responsabilité découlant des décisions émanant du Président de la République, incombe, conformément à l'article 39, au Premier ministre et au ministre compétent qui ont contresigné lesdites décisions. En ce qui concerne les responsabilités qu'encourrait le Président de la République en raison d'actes privés, on se conformera aux dispositions de l'article 17 de la présente Constitution, relatif à l'inviolabilité parlementaire.

Article 42.

Le Président de la République peut, sur la proposition du gouvernement, et pour des causes personnelles telles qu'infirmités permanentes ou vieillesse, remettre ou commuer les peines prononcées par les tribunaux.

Il ne peut pas user de ce droit à l'égard des ministres qui auraient été condamnés après avoir été mis en accusation par l'Assemblée Nationale

Article 43.

La liste civile du Président de la République est fixée par une loi spéciale

Article 44.

Le premier ministre (bach vékit) est nommé par le Président de la République, et choisi parmi les membres de l'Assemblée.

Les autres ministres sont choisis par le premier ministre parmi les membres de l'Assemblée, et après avoir reçu la sanction du Président de la République, le Conseil des ministres au complet, se présente à l'Assemblée Nationale.

Si l'Assemblée n'est pas en session, la présentation du Conseil des Ministres est ajournée jusqu'à sa prochaine réunion.

Dans le délai d'une semaine, au plus, le Conseil des Ministres doit faire connaître la ligne de conduite du gouvernement et son point de vue politique et demander la confiance de l'Assemblée Nationale.

Article 45.

Les ministres (vékil-ler) forment le Conseil des Ministres (idjra vékilleri hiyeti) sous la présidence du premier ministre.

Article 46.

Le Conseil des Ministres est collectivement responsable de la politique générale du gouvernement. Chacun des ministres est personnellement responsable des actes rentrant dans sa compétence ainsi que des actes de ses subordonnés.

Article 47.

Les attributions et les responsabilités des ministres sont déterminées par une loi spéciale.

Article 48.

Le nombre des ministères est déterminé par la loi.

Article 49.

Si un ministre est en congé ou absent pour toute autre cause, un autre membre du Conseil des Ministres est désigné pour le remplacer temporairement. Cependant, un même ministre ne peut être chargé de l'intérim que d'un seul ministère.

Article 50.

La décision de la Grande Assemblée Nationale renvoyant l'un des ministres devant la Haute-Cour de Justice, entraîne sa révocation.

Article 51.

Il sera constitué un Conseil d'État (Choura i Devlet), ayant pour mission de juger les différends d'ordre administratif, de donner son avis sur les projets de loi qui seront présentés à son examen par le gouvernement, ainsi que sur les contrats et les cahiers des charges de concessions, et de remplir les fondions qui lui seront attribuées soit par sa propre loi organique, soit par les autres lois. Le président et les membres du Conseil d'État seront élus par la Grande Assemblée Nationale et choisis parmi les personnes ayant exercé des fonctions importantes et distinguées par leur science, leur capacité et leur expérience.

Article 52.

Pour déterminer le mode d'application des lois et en préciser les détails, à condition, toutefois, de n'y pas introduire de nouvelles dispositions, le Conseil des Ministres élabore des règlements, qui doivent être soumis à l'examen du Conseil d'État.

Ces règlements entrent en vigueur après avoir été signés et promulgués par le Président de la République.

Au cas où l'un de ces règlements serait attaqué comme contraire à la loi, il appartiendrait à la Grande Assemblée Nationale de décider.


Chapitre IV. Pouvoir judiciaire.

Article 53.

L'organisation des tribunaux, leurs attributions et leur compétence, sont déterminées par la loi.

Article 54.

Dans l'accomplissement des procédures et le prononcé des jugements, les juges sont indépendants ; ils ne sont soumis à aucune intervention ; ils doivent seulement se conformer aux lois.

Ni la Grande Assemblée Nationale, ni le Conseil des Ministres n'ont le droit de modifier en aucune façon, ou d'ajourner les décisions des tribunaux, ni de s'opposer à l'exécution des arrêts de justice.

Article 55.

Les magistrats ne peuvent être destitués en dehors des cas et des conditions prévus par la loi.

Article 56.

Les qualités, les droits et les attributions des juges, leurs traitements, ainsi que les conditions de nomination et de révocation sont déterminées par une loi spéciale.

Article 57.

Les magistrats ne peuvent exercer aucune fonction publique ou privée, en dehors des attributions qui leur sont conférées par la loi.

Article 58.

La procédure devant les tribunaux est publique. C'est seulement dans les conditions prévues par le Code de procédure qu'un tribunal peut décider que les débats auront lieu à huis-clos.

Article 59.

Chacun est libre, devant un tribunal, d'user de tous les moyens légaux qu'il juge nécessaires pour la défense de ses droits.

Article 60.

Nul tribunal ne peut refuser de donner suite à des affaires qui rentrent dans sa compétence, mais il écarte par une décision, celles à l'égard desquelles il serait incompétent.

La Haute Cour.

Article 61.

Pour juger, en raison d'actes commis dans l'exercice de leurs fonctions, les ministres, les présidents et les membres du Conseil d'État et de la Cour de Cassation, ainsi que le procureur général près cette Cour, il est constitué une Haute Cour.

Article 62.

Pour former la Haute Cour on désigne vingt et un juges, dont onze pris parmi les présidents et membres de la Cour de Cassation, et dix parmi ceux du Conseil d'État ; ils sont élus au scrutin secret et à la majorité absolue des voix par l'assemblée générale des corps auxquels ils appartiennent. Ces vingt et une personnes choisissent dans leur sein, au scrutin secret et à la majorité absolue, un président et un vice-président.

Article 63.

La Haute Cour est composée d'un président et de quatorze juges et rend ses arrêts à la majorité absolue des voix.

Les six autres membres restent comme suppléants pour remplacer, en cas de besoin, les juges qui viendraient à manquer. Ils sont désignés par le sort, à raison de trois parmi les juges à la Cour de Cassation et trois parmi les conseillers d'État. Les membres élus comme président et vice-président ne sont pas soumis au tirage au sort.

Article 64.

Les fonctions de procureur près la Haute Cour sont remplies par le Procureur général près la Cour de Cassation.

Article 65.

Les arrêts de la Haute Cour sont définitifs.

Article 66.

La Haute Cour juge et rend ses arrêts conformément aux lois existantes.

Article 67.

La Haute Cour est constituée, quand il est besoin, par décision de la Grande Assemblée Nationale de Turquie.

Chapitre V. Droit public des Turcs.

Article 68.

Tout Turc naît libre et vit libre.

La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. La liberté de chacun, qui est un droit naturel, a pour limites celles de la liberté des autres. Ces limites ne peuvent être déterminées et fixées que par la loi.

Article 69.

Les Turcs sont égaux devant la loi et sont, sans exception, obligés de la respecter.

Tous privilèges de caste, de classe, de famille ou de personne sont supprimés et interdits.

Article 70.

Les droits naturels des Turcs sont : l'inviolabilité de la personne, la liberté de conscience, de pensée, de parole, de publication, de voyager, de contracter, de travailler, de posséder, la liberté de réunion et d'association, celle de former des sociétés commerciales.

Article 71.

La vie, les biens, l'honneur et le domicile sont garantis contre toute violation.

Article 72.

Nul ne peut être arrêté ni retenu si ce n'est dans les cas et selon les formes déterminés par la loi.

Article 73.

Sont interdits les tortures, les violences, la confiscation des biens, les corvées.

Article 74.

Nul ne peut voir son bien réquisitionné ni ses immeubles expropriés, si ce n'est pour une cause d'utilité publique dûment constatée et après en avoir préalablement reçu le prix conformément, à une loi spéciale.

A l'exception des prestations en argent, en nature ou en travail qui peuvent être imposées dans des circonstances extraordinaires et en vertu de la loi, nul sacrifice ne peut être exigé de qui que ce soit.

Article 75.

Nul ne peut être inquiété au sujet de sa religion, de son culte ou de ses convictions philosophiques. Tous les rites qui ne sont pas contraires à l'ordre public, aux bonnes moeurs ou aux lois, sont libres.

Article 76.

En dehors des circonstances et des conditions prévues par la loi, on ne peut pénétrer dans le domicile de quelqu'un ni procéder à des perquisitions sur sa personne.

Article 77.

La presse est libre, dans les limites de la loi ; elle ne peut être soumise à aucun contrôle ou censure, préalablement à la publication.

Article 78.

A l'exception des dispositions résultant de la mobilisation, de la proclamation de l'état de siège ou des mesures prises conformément à la loi pour arrêter la propagation des maladies épidémiques, nulle restriction ne peut être apportée aux voyages.

Article 79.

Les limites fixées aux droits de contracter, de travailler, de posséder, de se réunir, de s'associer, de former des sociétés commerciales, sont déterminées par des lois.

Article 80.

L'instruction, de toute nature, est libre sous la surveillance et le contrôle de l'État et dans les limites de la loi.

Article 81.

Les papiers, lettres et objets de toute nature confiés à la poste, ne peuvent être ouverts, si ce n'est en vertu d'un mandat délivré par un juge d'instruction compétent, ou d'une décision d'un tribunal ; le secret des correspondances télégraphiques et téléphoniques est inviolable.

Article 82.

Les Turcs peuvent, soit individuellement, soit collectivement, adresser des pétitions ou des plaintes aux autorités compétentes ou à la Grande Assemblée Nationale, au sujet des actes les intéressant personnellement ou touchant à l'intérêt public et qui leur paraîtraient contraires aux lois. La suite donnée aux requêtes émanant de particuliers doit être portée par écrit à la connaissance des pétitionnaires.

Article 83.

Nul ne peut être traduit devant un tribunal autre que celui qui lui est assigné par la loi.

Article 84.

L'impôt est la participation du peuple aux dépenses générales de l'État. Il serait contraire à ce principe et il est, en conséquence, interdit à toutes personnes physiques ou morales ou à quiconque agit en leur nom, de percevoir aucune taxe, dîme ou autres contributions.

Article 85.

Les impôts ne peuvent être répartis et perçus qu'en vertu d'une loi. Jusqu'à ce que des lois aient déterminé les taxes et contributions que l'État, les administrations provinciales et les municipalités peuvent percevoir, leur perception continuera à s'opérer comme précédemment.

Article 86.

En cas de guerre ou de danger de guerre, d'insurrection ou de tentatives de violences contre la Patrie ou la République, le Conseil des ministres peut, pour une période ne dépassant pas un mois, proclamer l'état de siège (idaré i urfié) général ou partiel, en en avisant immédiatement, pour confirmation, l'Assemblée Nationale. Celle-ci peut, selon les circonstances, prolonger ou diminuer la durée de l'état de siège. Si l'Assemblée n'est pas réunie, elle est convoquée immédiatement. La prolongation de l'état de siège dépend de la décision de l'Assemblée.

L'état de siège consiste dans la restriction ou la suspension temporaires de l'inviolabilité des personnes et du domicile et des libertés de la presse, de correspondance, de réunion et d'association.

Une loi spéciale déterminera le rayon d'application de l'état de siège, ainsi que le mode d'exécution, dans ce rayon, des mesures spéciales qui devront être prises ; elle indiquera également dans quelles conditions les inviolabilités et les libertés seront restreintes ou suspendues en temps de guerre.

Article 87.

L'instruction primaire est obligatoire pour tous les Turcs ; elle est donnée gratuitement dans les écoles de l'État.

Article 88.

Au point de vue de la nationalité, tous les habitants de la Turquie sans distinction de religion ou de race, sont qualifiés Turcs.

Est Turc tout individu né en Turquie ou à l'étranger d'un père Turc, celui qui, né en Turquie, d'un père étranger, y demeure et à sa majorité, choisit officiellement la nationalité turque, celui qui, conformément à la loi sur la nationalité, a été admis à la qualité de Turc. La qualité de Turc se perd dans les cas déterminés par la loi.


Chapitre VI. Dispositions diverses.

Les Vilayets.

Article 89.

Au point géographique et, au point de vue des relations économiques, la Turquie est divisée en vilayets, les vilayets en kazas (arrondissements) et les kazas en nahiés (cantons administratifs) ; les nahiés comprennent des petites villes ou bourgs (kassaba) et des villages (kieuy).

Article 90.

Les vilayets, les grandes villes (chéhir), les petites villes ou bourgs (kassaba) et les villages possèdent la qualité de personnes juridiques.

Article 91.

Les affaires des vilayets sont administrées d'après le principe de la décentralisation et de la séparation des pouvoirs.

Les fonctionnaires.

Article 92.

Tout Turc jouissant de ses droits politiques peut être employé au service de l'État, selon ses aptitudes et sa capacité.

Article 93.

D'une, manière générale, les qualifications, les droits, les attributions, les traitements et allocations des fonctionnaires, les conditions de nomination et de révocation, les règles d'avancement, sont déterminés par une loi spéciale.

Article 94.

La responsabilité d'un fonctionnaire dans un acte illégal n'est pas dégagée par l'ordre reçu de son supérieur.

Les finances.

Article 95.

Pour que la loi budgétaire puisse être remise, dès le commencement de l'année financière. (1er mars), aux autorités chargées de son exécution, le projet de loi de finances ainsi que les budgets et tableaux y annexés, doivent être présentés à l'Assemblée, au plus tard, au commencement de novembre.

Article 96.

Aucune dépense au compte du Trésor public n'est permise en dehors du budget.

Article 97.

La durée de la validité de la loi budgétaire est d'une année.

Article 98.

La loi d'arrêté des comptes d'un exercice, est une loi faisant ressortir le montant réel des recettes encaissées et des dépenses effectuées au cours dudit exercice. La disposition et les divisions de cette loi, doivent correspondre exactement à celles de la loi budgétaire.

Article 99.

Le projet de loi portant arrêté des comptes d'un exercice, doit être présenté à l'Assemblée Nationale, au plus tard au commencement de novembre de la deuxième année, à partir de la fin de l'exercice auquel se rapporte l'arrêté.

Article 100.

Il est institué une Cour des Comptes  dépendant de la Grande Assemblée Nationale, et chargée de la vérification des recettes et dépenses de l'État, conformément à une loi spéciale.

Article 101.

La Cour des Comptes présente à l'Assemblée Nationale sa déclaration générale de conformité dans les six mois qui suivent la date à laquelle la loi d'arrêté des comptes de l'exercice correspondant a été transmise à l'Assemblée par le ministère des finances.

Dispositions relatives à la Constitution.

Article 102.

La révision de la présente Constitution est soumise aux conditions suivantes :
La proposition de révision doit être signée par un tiers, au moins, des membres composant l'Assemblée.
Les modifications ne sont admises qu'à la majorité des deux tiers des membres composant l'Assemblée.
Il ne peut être présenté de projet tendant à changer, de quelque manière que ce soit, l'article 1er, prévoyant que la forme de l'État est la république.

Article 103.

Aucun article de la Constitution ne peut, pour aucun motif ou sous aucun prétexte être négligé ou suspendu.

Aucune loi ne peut être contraire à la Constitution.

Article 104.

La Constitution de 1293 (1876) et les modifications qui y ont été apportées ultérieurement, ainsi que la Constitution du 20 janvier 1337 (1921) avec ses adjonctions et modifications, sont abrogées.

Article 105.

La présente loi entre en vigueur du jour de sa publication.

Article provisoire.

Reste en vigueur la loi du 19 décembre 1339 (1923) relative aux conditions auxquelles sont, soumises, en général, les personnes appartenant à l'armée qui ont été ou seront élues à la Grande Assemblée Nationale de Turquie.

16 Ramazan 1342-20 avril 1340 (1924).
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Jean-Pierre Maury