Messieurs les députés,
Tant que je n'ai été aux prises qu'avec les difficultés accumulées en ces derniers temps sur ma route : les attaques de la presse, l'abstention des hommes que la voix de la République appelait à mes côtés, l'impossibilité croissante de constituer un ministère, j'ai lutté et je suis resté où m'attachait mon devoir.
Mais au moment où l'opinion publique mieux éclairée accentuait son retour et me rendait l'espoir de former un gouvernement, le Sénat et la Chambre des députés viennent de voter une double résolution qui, sous la forme d'un ajournement à heure fixe pour attendre un message promis, équivaut à une mise en demeure au président de la République de résigner son pouvoir.
Mon devoir et mon droit seraient de résister ; mais, dans les circonstances où nous sommes, un conflit entre le pouvoir exécutif et le Parlement pourrait entraîner des conséquences qui m'arrêtent. La sagesse et le patriotisme me commandent de céder. Je laisse à ceux qui l'assument la responsabilité d'un tel précédent et des événements qui pourront le suivre.
Je descends donc sans regret, mais non sans tristesse, du pouvoir où j'ai été élevé deux fois sans le demander, et où j'ai la conscience d'avoir fait mon devoir.
J'en appelle à la France. Elle dira que, pendant neuf années, mon Gouvernement lui a assuré la paix, l'ordre et la liberté ; qu'il l'a fait respecter dans le monde, qu'il a travaillé sans relâche à son relèvement, et qu'au milieu de l'Europe armée, il la laisse en état de défendre son honeur et ses droits ; qu'enfin, à l'intérieur, il a su maintenir la République dans la voie sage que tracent devant elle l'intérêt et la volonté du pays.
Elle dira qu'en retour, j'ai été enlevé au poste où sa confiance m'avait placé.
En quittant la vie politique, je ne forme q'un voeu, c'est que la République ne soit pas atteinte par les coups dirigés contre moi et qu'elle sorte triomphante des dangers qu'on lui fit courir. Je dépose sur le bureau de la Chambre des députés ma démission des fonctions de président de la République française.
Jules Grévy
le 1er décembre
[Le gendre de Jules Grévy, Wilson, est compromis dans un trafic de décorations ; il se servait de la griffe présidentielle pour faie décorer ses amis. Le 17 novembre 1897, la Chambre des députés autorise des poursuites contre Wilson par 511 voix contre 1. Le ministère Rouvier démissionne le 19 novembre pour se désolidariser du président de la République et le pousser à la démission. Plusieurs personnalités refusent de former un nouveau gouvernement. Le 1er décembre, la Chambre, par 522 voix contre 3, et le Sénat, par 259 voix contre 3, approuvent des motions d'ajournement. Rouvier obtient alors la démission du président, dont la lettre de démission, datée du 1er décembre, est communiquée aux chambres le 2.]
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