J'ai défini, dans mon discours du 7 novembre 1919, la politique de progrès social, d'ordre, de travail et d'union qui se caractérise, à l'extérieur, par l'application intégrale du traité de Versailles et la défense des principes sur lesquels il repose, d'accord avec nos alliés ; à l'intérieur par le maintien des lois organiques de la République, la restauration et le développement de toutes nos forces économiques, la décentralisation et, le moment venu, l'amélioration -- que l'expérience a montrée nécessaire -- de nos lois constitutionnelles.Depuis 8 mois, soutenu par la confiance du Parlement, j'ai défendu et appliqué d'une manière méthodique et suivie cette politique. Je pense, et j'en ai donné les raisons que je ne puis la servir nulle part aussi utilement qu'à la présidence du Conseil.
Si, néanmoins, la majorité des deux chambres estime préférable ma présence à l'Élysée pour maintenir et poursuivre cette politique nationale ; si elle pense, comme moi, que le président de la République, s'il ne doit jamais être l'homme d'un parti, peut et doit être l'homme d'une politique arrêtée et appliquée en étroite collaboration avec ses ministres, je ne me déroberai pas à l'appel de la représentation nationale.
Messieurs les députés,Lorsque l'Assemblée nationale me fit l'honneur de m'appeler par 695 suffrages à la magistrature suprême, elle savait. par mes déclarations publiques, que je n'acceptais d'aller à l'Élysée que pour y défendre « une politique nationale de progrès social, d'ordre, de travail et d'union ».
L'engagement solennel que j'avais pris devant le pays, je l'ai fidèlement tenu.
La France a soif de paix, de labeur et de concorde.
Elle veut, au dehors, une politique qui lui assure, d'accord avec ses alliés, la sécurité, les réparations, l'application du traité de Versailles, le respect de tous les actes diplomatiques qui ont institué le nouvel ordre européen.
Cette politique extérieure appelle une politique Intérieure inspirée des enseignements de la guerre, fondée sur l'entente entre les Français, le respect des opinions et des croyances, le souci d'introduire dans les relations sociales toujours plus d'équité et de bonté, la volonté de sauvegarder le crédit de la France en maintenant entre les recettes et les dépenses publiques un rigoureux équilibre.
Ces idées ont toujours dirigé mon action.
Elles continueront de la guider.
En disposant que le président de la République n'est responsable devant les Chambres que dans le cas de haute trahison, la Constitution a voulu, dans un intérêt national de stabilité et de continuité, que le pouvoir présidentiel fût, pendant sept années, maintenu à l'abri des fluctuations politiques.
Vous respecterez la Constitution.
Si vous la méconnaissiez, s'il était entendu désormais que l'arbitraire d'une majorité peut obliger le président de la République à se retirer pour des motifs politiques, le président de la République ne serait plus qu'un jouet aux mains des partis.
Vous m'aiderez à écarter un si redoutable péril.
Je me suis refusé à déserter mon poste.
Ce n'est pas du Parlement, chargé de voter les lois et de veiller à leur respect, que peuvent venir le signal et l'exemple de leur violation.
De dangereux conseillers -s'efforcent, dans un intérêt de parti, d'obtenir que la nouvelle législature débute par un acte révolutionnaire.
La Chambre refusera de les suivre.
Fidèle à ses traditions, le Sénat voudra demeurer. comme il le fit dans les plus graves conjonctures, le défenseur de la Constitution.
Une question constitutionnelle aussi importante pour l'avenir des institutions républicaines que celle posée par la crise actuelle ne peut être réglée dans l'ombre par des décisions d'individualité ou de groupe.
Je fais avec confiance appel à la sagesse des deux chambres, à leur prudence, à leur amour de la France et de la République.
Conscient de mon devoir, j'ai assumé des responsabilités.
L'heure est venue pour le Parlement de prendre les siennes.
À mes offres ils ont répondu par un refus. Ils ont exigé ma démission, prétention injustifiable violemment opposée à l'esprit comme à la lettre de la loi constitutionnelle.
Si notre Constitution remet le choix du chef de l'État uniquement aux mains des parlementaires, elle a eu du moins la prudence de disposer qu'une fois élu, il n'aurait, sauf le cas de haute trahison, à rendre des comptes à personne pendant la durée de son septennat.
Une décision inspirée par l'esprit de parti à quelques meneurs vient de jeter bas cette garantie. Sous leur pression, des réunions extra-parlementaires ont déclaré que le président de la République ne plaisant pas à la majorité de la Chambre nouvelle devait se retirer immédiatement, sans attendre le terme légal de son mandat.
Précédent redoutable qui fait de la présidence de la République l'enjeu des luttes électorales, qui introduit par un détour le plébiscite dans nos moeurs politiques et qui arrache à la Constitution le seul élément de stabilité qu'elle renfermât.
J'aurais cru commettre une félonie en me faisant -- ne fut-ce que par mon inertie -- le complice d'une nouveauté si grosse de périls. J'ai résisté.
Je ne cède qu'après avoir épuisé tous les
moyens légaux en mon pouvoir.