Acte du sénat qui nomme un gouvernement provisoire chargé de pourvoir aux besoins de l'administration, et de présenter an sénat un projet de constitution
A trois heures et demie, les membres du sénat se réunissent, en vertu d'une convocation extraordinaire, sous la présidence de S. A. S. le prince de Bénévent, vice-grand électeur. La séance est ouverte par la lecture du procès-verbal de celle du 28 mars dernier. Le sénat en adopte la rédaction. Acte du sénat
qui nomme un gouvernement provisoire
chargé de pourvoir aux besoins de l'administration,
et de présenter an sénat un projet de constitution.
1-2 avril 1814.
S. A. S. le prince vice-grand-électeur, président, prend ensuite la parole en ces termes : « Sénateurs, la lettre que j'ai eu l'honneur d'adresser à chacun de vous, pour le prévenir de cette convocation, lui en fait connaître l'objet. Il s'agit de vous transmettre des propositions. Ce seul mot suffit pour indiquer la liberté que chacun de vous apporte dans cette assemblée : elle vous donne les moyens de laisser prendre un généreux essor aux sentiments dont l'âme de chacun de vous est remplie, la volonté de sauver votre pays, et la résolution d'accourir au secours d'un peuple délaissé.
Sénateurs, les circonstances, quelque graves qu'elles soient, ne peuvent être au-dessus du patriotisme ferme et éclairé de tous les membres de cette assemblée, et vous avez sûrement senti tous également la nécessité d'une délibération qui ferme la porte à tout retard, et qui ne laisse pas écouler la journée sans rétablir l'action de l'administration, le premier de tous les besoins, pour la formation d'un gouvernement dont l'autorité, formée pour le besoin du moment, ne peut qu'être rassurante. »
Le prince vice-grand-électeur ayant cessé de parler, diverses propositions sont faites par plusieurs membres. La matière mise en délibération. le sénat arrête :
1° Qu'il sera établi un gouvernement provisoire, chargé de pourvoir aux besoins de l'administration, et de présenter au sénat un projet de constitution qui puisse convenir au peuple français ;
2° Que ce gouvernement sera composé de cinq membres.
Procédant de suite à leur nomination, le sénat élit pour membres du gouvernement provisoire : M. de Talleyrand, prince de Bénévent ; M. le sénateur comte de Beurnonville ; M. le sénateur comte de Jaucourt ; M. le duc de Dalberg, conseiller d'État ; M. de Montesquiou, ancien membre de l'assemblée constituante.
Ils sont proclamés en cette qualité par le prince vice-grand-électeur, président.
Décret du sénat conservateur
portant que Napoléon Bonaparte est déchu du trône,
et que le droit d'hérédité, établi dans sa famille, est aboli.
3- 4 avril 1814.Le sénat conservateur ;
Considérant que, dans une monarchie constitutionnelle, le monarque n'existe qu'en vertu de la constitution ou du pacte social ;
Que Napoléon Bonaparte, pendant quelque temps d'un gouvernement ferme et prudent, avait donné à la nation des sujets de compter pour l'avenir sur des actes de sagesse et de justice ; mais qu'ensuite il a déchiré le pacte qui l'unissait au peuple français, notamment en levant des impôts, en établissant des taxes autrement qu'en vertu de la loi, contre la teneur expresse du serment qu'il avait prêté à son avènement au trône, conformément à l'article 53 de l'acte des constitutions du 28 floréal, an 12.
Qu'il a commis cet attentat aux droits du peuple, lors même qu'il venait d'ajourner, sans nécessité, le corps législatif. et de faire supprimer comme criminel un rapport de ce corps, auquel il contestait son titre et sa part à la représentation nationale ;
Qu'il a entrepris une suite de guerres en violation de l'article 50 de l'acte des constitutions du 22 frimaire, an 8, qui veut que la déclaration de guerre soit proposée, discutée, décrétée et promulguée comme des lois ;
Qu'il a inconstitutionnellement rendu plusieurs décrets portant peine de mort, nommément les deux décrets du 5 mars dernier, tendant à faire considérer comme nationale une guerre qui n'avait lieu que dans l'intérêt de son ambition démesurée ;
Qu'il a violé les lois constitutionnelles, par ses décrets sur les prisons d'État ;
Qu'il a anéanti la responsabilité des ministres, confondu les pouvoirs, et détruit l'indépendance des corps judiciaires ;
Considérant que la liberté de la presse, établie et consacrée comme l'un des droits de la nation, a été constamment soumise à la censure arbitraire de sa police, et qu'en même temps il s'est toujours servi de la presse pour remplir la France et l'Europe de faits controuvés, de maximes fausses, de doctrines favorables au despotisme, et d'outrages contre les gouvernements étrangers ;
Que des actes et rapports entendus pat le sénat ont subi des altérations dans la publication qui en a été faite ;
Considérant qu'au lieu de régner dans la seule vue de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français, aux termes de son serment, Napoléon a mis le comble aux malheurs de la patrie par son refus de traiter à des conditions que l'intérêt national obligeait d'accepter, et qui ne compromettaient pas l'honneur français ;
Par l'abus qu'il a fait de tous les moyens qu'on lui a confiés en hommes et en argent ;
Par l'abandon des blessés sans pansement, sans secours, sans subsistances ;
Par différentes mesures dont les suites étaient la ruine des villes, la dépopulation des campagnes la famine et les maladies contagieuses ;
Considérant que, par toutes ces causes, le gouvernement impérial établi par le sénatus-consulte du 28 floréal, an 12, a cessé d'exister, et que le voeu manifeste de tous les Français appelle un ordre de choses dont le premier résultat soit le rétablissement de la paix générale, et qui soit aussi l'époque d'une réconciliation solennelle entre tous les États de la grande famille européenne ;Le sénat déclare et décrète ce qui suit :
Article premier.
Napoléon Bonaparte est déchu du trône, et le droit d'hérédité établi dans sa famille, est aboli.Article 2.
Le peuple français et l'armée sont déliés du serment de fidélité envers Napoléon Bonaparte.Article 3.
Le présent décret sera transmis par un message au gouvernement provisoire de la France, envoyé de suite à tous les départements et aux armées, et proclamé incessamment dans tous les quartiers de la capitale.
Le corps législatif, réuni en son palais et dans la salle ordinaire de ses séances, en vertu de l'invitation que lui en ont fait faire ce jour MM. les membres composant le gouvernement provisoire, M. Félix Faulcon, vice-président, a occupé le fauteuil ; MM. Bois-Savary, Laborde et Faure, secrétaires. Acte par lequel le corps législatif,
adhérant à l'acte du sénat,
reconnaît et déclare la déchéance de Napoléon Bonaparte
et des membres de sa famille.
4-9 avril 1814.
M. le président a fait lecture d'un arrêté du gouvernement provisoire, en date du 2 de ce mois, par lequel il annonce que le sénat a prononcé la déchéance de Napoléon Bonaparte et de sa famille, et a déclaré que les Français sont dégagés envers lui de tous les liens civils et militaires et de toute obéissance.
A cet arrêté était jointe copie de la lettre écrite le même jour, soir, aux membres du gouvernement provisoire, par le président du sénat, pour lui annoncer cet acte.
Le corps législatif, après avoir délibéré en séance secrète et en la forme accoutumée sur cette importante communication, a rendu la séance publique et pris l'arrêté dont suit la teneur :Vu l'acte du sénat du 2 de ce mois, par lequel il prononce la déchéance de Napoléon Bonaparte et de sa famille, et déclare les Français dégagés envers lui de tous liens civils et militaires, et de toute obéissance ;
Vu l'arrêté du gouvernement provisoire du même jour, par lequel le corps législatif est invité à participer à cette importante opération ;Le corps législatif,
Considérant que Napoléon Bonaparte a violé le pacte constitutionnel ;
Adhérant à l'acte du sénat ;
Reconnaît et déclare la déchéance de Napoléon Bonaparte et des membres de sa famille.
Le présent sera transmis, par un message, au gouvernement provisoire et au sénat.
Constitution française
Le sénat conservateur, délibérant sur le projet de Constitution qui lui a été présenté par le gouvernement provisoire en exécution de l'acte du sénat du 1er de ce mois. (6-9 avril 1814)
Après avoir entendu le rapport d'une commission spéciale de sept membres,
Décrète ce qui suit :Article premier.
Le gouvernement français est monarchique et héréditaire de mâle en mâle, par ordre de primogéniture.Article 2.
Le peuple français appelle librement au trône de France Louis-Stanislas-Xavier de France, frère du dernier roi, et après lui les autres membres de la maison de Bourbon, dans l'ordre ancien.Article 3.
La noblesse ancienne reprend ses titres ; la nouvelle conserve les siens héréditairement. La Légion d'honneur est maintenue avec ses prérogatives ; le roi déterminera la décoration.Article 4.
Le pouvoir exécutif appartient au roi.Article 5.
Le roi, le sénat et le corps législatif concourent à la formation des lois.
Les projets de loi peuvent être également proposes dans le sénat et dans le corps législatif. Ceux relatifs aux contributions ne peuvent l'être que dans le corps législatif.
Le roi peut inviter également les deux corps à s'occuper des objets qu'il juge convenables.
La sanction du roi est nécessaire pour le complément de la loi.Article 6.
Il y a cent cinquante sénateurs au moins et deux cents au plus.
Leur dignité est inamovible et héréditaire de mâle en mâle, par primogéniture. Ils sont nommés par le roi.
Les sénateurs actuels, à l'exception de ceux qui renonceraient à la qualité de citoyen français, sont maintenus et font partie de ce nombre. La dotation actuelle du sénat et des sénatoreries leur appartient. Les revenus en sont partagés également entre eux et passent à leurs successeurs. Le cas échéant de la mort d'un sénateur sans postérité masculine directe, sa portion retourne an trésor public. Les sénateurs qui seront nommés à l'avenir ne peuvent avoir part à cette dotation.Article 7.
Les princes de la famille royale et les princes du sang sont, de droit, membres du sénat.
On ne peut remplir les fonctions de sénateur qu'après avoir atteint l'âge de majorité.Article 8.
Le sénat détermine le cas où la discussion des objets qu'il traite doit être publique ou secrète.Article 9.
Chaque département nommera au corps législatif le même nombre de députés qu'il y envoyait. Les députés qui siégeaient au corps législatif lors du dernier ajournement, continueront à y siéger jusqu'à leur remplacement. Tous conservent leur traitement.
A l'avenir ils seront choisis immédiatement par les collèges électoraux, lesquels sont conservés, sauf les changements qui pourraient être faits par une loi à leur organisation. La durée des fonctions des députés au corps législatif est fixée à cinq années. Les nouvelles élections auront lieu pour la session de 1816.Article 10.
Le corps législatif s'assemble de droit chaque année le 1er octobre. Le roi peut le convoquer extraordinairement. Il peut l'ajourner ; il peut aussi le dissoudre ; mais, dans ce dernier cas, un autre corps législatif doit être formé, an plus tard dans les trois mois, par les collèges électoraux.Article 11.
Le corps législatif a le droit de discussion. Les séances sont publiques, sauf le cas où il juge à propos de se former en comité général.Article 12.
Le sénat, le corps législatif, les collèges électoraux et les assemblées de canton élisent leur président dans leur sein.Article 13.
Aucun membre du sénat ou du corps législatif ne peut être arrêté sans une autorisation préalable du corps auquel il appartient.
Le jugement d'un membre du sénat ou du corps législatif, accusé, appartient exclusivement au sénat.Article 14.
Les ministres peuvent être membres soit du sénat soit du corps législatif.Article 15.
L'égalité de proportion dans l'impôt est de droit. Aucun impôt ne peut être établi ni perçu s'il n'a été librement consenti par le corps législatif et par le sénat. L'impôt foncier ne peut être établi que pour un an. Le budget de l'année suivante et les comptes de l'année précédente sont présentés chaque année, au corps législatif et au sénat, à l'ouverture de la session du corps législatif.Article 16.
La loi déterminera le mode et la quotité du recrutement de l'armée.Article 17.
L'indépendance du pouvoir judiciaire est garantie. Nul ne peut être distrait de ses juges naturels. L'institution des jurés est conservée ainsi que la publicité des débats en matière criminelle.
La peine de la confiscation des biens est abolie.
Le roi a le droit de faire grâce.Article 18.
Les cours et tribunaux ordinaires actuellement existants sont maintenus, leur nombre ne pourra être diminué ou augmenté qu'en vertu d'une loi. Les juges sont à vie et inamovibles, a l'exception des juges de paix et des juges de commerce.
Les commissions et les tribunaux extraordinaires sont supprimés et ne pourront être rétablis.Article 19.
La cour de cassation, les cours d'appel et les tribunaux de première instance proposent au roi trois candidats pour chaque place de juge vacante dans leur sein : le roi choisit l'un des trois. Le roi nomme les premiers présidents et le ministère public des cours et des tribunaux.Article 20.
Les militaires en activité, les officiers et soldats en retraite, les veuves et les officiers pensionnés, conservent leurs grades, leurs honneurs et leurs pensions.Article 21.
La personne du roi est inviolable et sacrée. Tous les actes du gouvernement sont signés par un ministre. Les ministres sont responsables de tout ce que ces actes contiendraient d'attentatoire aux lois, à la liberté publique et individuelle, et au droits des citoyens.Article 22.
La liberté des cultes et des consciences est garantie. Les ministres des cultes sont également traités et protégés.Article 23.
La liberté de la presse est entière, sauf la répression légale des délits qui pourraient résulter de l'abus de cette liberté. Les commissions sénatoriales de la liberté de la presse et de la liberté individuelle sont conservées.Article 24.
La dette publique est garantie.
Les ventes des domaines nationaux sont irrévocablement maintenues.Article 25.
Aucun Français ne peut être recherché pour les opinions ou les votes qu'il a pu émettre.Article 26.
Toute personne a le droit d'adresser des pétitions individuelles à toute autorité constituée.Article 27.
Tous les Français sont également admissibles à tous les emplois civils et militaires.Article 28.
Toutes les lois actuellement existantes restent en vigueur jusqu'à ce qu'il y soit légalement dérogé. Le code des lois civiles sera intitulé Code civil des Français.Article 29.
La présente constitution sera soumise à l'acceptation du peuple français dans la forme qui sera réglée. Louis-Stanislas-Xavier sera proclamé roi des Français, aussitôt qu'il aura juré et signé par un acte portant : J'accepte la Constitution ; je jure de l'observer et de la faire observer. Ce serment sera réitéré dans la solennité où il recevra le serment de fidélité des Français.
Acte d'abdication de l'empereur Napoléon.
11-13 avril 1814.
Les puissances alliées ayant proclamé que l'empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'empereur Napoléon, fidèle a son serment, déclare qu'il renonce, pour lui et ses héritiers aux trônes de France et d'Italie, et qu'il n'est aucun sacrifice personnel, même celui de la vie, qu'il ne soit prêt à faire à l'intérêt de la France.
Fait au palais de Fontainebleau, le 11 avril 1814.Signé Napoléon.
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