Télégramme du 25 août 1941.[Le général de Gaulle commente la signature de la Charte de l'Atlantique et énonce l'idée que le professeur Cassin va développer lors de la conférence de Londres : la guerre actuelle est une guerre commencée il y a trente ans, Hitler continue, plus brutalement, la politique de Guillaume II. Au contraire les Anglo-Saxons mettent en cause l'hitlérisme comme idéologie dans la Charte de l'Atlantique, comme dans la Déclaration des Nations unies.]
Compte rendu de la conférence interalliée du 24 septembre 1941.
Débat et Résolution sur la Charte de l'Atlantique
Déclaration du professeur Cassin
Débat et Résolution sur l'approvisionnement des pays libérés
Déclaration du professeur Cassin
Brazzaville, 25 août 1941. Télégramme à Délégation France libre à Londres
En ce qui concerne notre position par rapport à la déclaration Churchill - Roosevelt, intitulée « Charte de l'Atlantique », nous devons être, dans le fond et dans la forme, de la plus grande prudence sur l'article premier en ce qui concerne les « agrandissements ». Sans parler actuellement du Rhin, nous devons nous ménager la possibilité d'une extension de notre position dans les pays rhénans en cas d'écroulement du Reich. Car, dans le cas, étant donné les destructions matérielles et morales commencées en pays rhénans, des choses imprévues pourraient se produire.
Dire : Nous ne recherchons aucune extension de territoire mais nous ne renonçons pas expressément à tout agrandissement d'aucune sorte.
Quant à l'article 4, il doit comporter, de notre part, des réserves formelles. Nous ne pouvons pas accepter, après la guerre, l'accession de l'Allemagne et de l'Italie aux matières premières sur le même pied que la France qu'elles ont atrocement dépouillée.
D'une manière générale, nous devons répandre l'idée que la guerre actuelle n'est qu'un épisode de la guerre mondiale commencée en 1914. Le concours de la France à la cause commune de la liberté dans la guerre mondiale se mesure à partir de 1914. Il en est de même de ses sacrifices et, par suite, des réparations de toutes sortes auxquelles elle aurait droit.
Le 24 septembre 1941, à Londres, a été tenue une réunion interalliée, à laquelle participaient les représentants des pays alliés. Compte rendu de la conférence interalliée
du 24 septembre 1941.
Le général de Gaulle, Chef des Français libres, invité à cette réunion, était représenté par le professeur René Cassin, secrétaire permanent du Conseil de défense de l'Empire français et par M. Maurice Déjean, directeur des affaires politiques de la France libre.Débat sur la Charte de l'Atlantique
Après l'exposé inaugural de M. Eden, secrétaire d'État pour les affaires étrangères et une déclaration de l'ambassadeur de l'URSS, M. Eden présenta à la conférence un projet de résolution sur la déclaration faite par le président des États-Unis et M. Winston Churchill. Chacun des gouvernements a fait connaître son point de vue.La résolution suivante fut adoptée à l'unanimité :
Les gouvernements de Belgique, de Tchécoslovaquie, de Grèce, de Luxembourg, des Pays-Bas, de Norvège, de Pologne, de l'Union des républiques socialistes soviétiques et de Yougoslavie et les représentants du général de Gaulle, chef des Français libres,
Ayant pris connaissance de la déclaration récemment faite par le président des États-Unis et par le Premier ministre M. Churchill, au nom du gouvernement de Sa Majesté dans le Royaume-Uni,
Font connaître leur adhésion aux principes commune de politique posés par cette déclaration et leur intention de collaborer de leur mieux à leur mise en oeuvre.
Le professeur Cassin a fait la déclaration suivante :
Le général de Gaulle, chef des Français libres, est heureux de l'occasion qui lui est offerte d'apporter, avec les chefs des Gouvernements alliés, son approbation à la résolution proposée par le Gouvernement britannique.
Au moment où la nation française est soulevée par une immense volonté de résistance à la tyrannie, les Français libres ont la certitude d'être ses interprètes fidèles en donnant leur adhésion à la déclaration formulée par le président des États-Unis d'Amérique et le premier ministre britannique au nom des deux grands peuples américain et anglais.
L'affirmation par les Alliés de principes communs est particulièrement opportune. Le monde entier est ainsi mis en mesure d'apprécier l'irréductible opposition existant entre l'« Ordre nouveau » qu'Hitler prétend instaurer par la force brutale et les principes essentiels d'un véritable ordre humain tel que la Grande République des États-Unis aussi bien que les Alliés le conçoivent et s'efforcent de le réaliser. Si une tentative de ce genre a échoué après la guerre engagée depuis près de trente ans, n'est-ce pas surtout parce que la période qui a suivi n'a été qu'une trêve pendant laquelle l'Allemagne excitant chez d'autres des appétits insensés, n'a pensé qu'à la revanche ? Hitler n'a fait que reprendre, sous une forme plus monstrueuse et plus brutale, le rêve de domination mondiale de Guillaume II.
La France, qui est entrée dans la guerre actuelle sans rechercher aucun agrandissement territorial ou autre, entend, conformément au désir exprimé au nom de la Grande-Bretagne et des États-Unis d'Amérique, que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes si cruellement violé depuis des années par les puissances de l'Axe, soit restauré sous ses divers aspects : indépendance extérieure et liberté de choisir la forme du gouvernement en harmonie avec l'intérêt général, compte tenu également du devoir qui incombe aux nations civilisées de protéger les peuples moins avancés et de favoriser leur développement.
Trois fois envahie depuis moins d'un siècle par un adversaire acharné à tuer et à détruire, elle n'imagine pas de sauvegarde pour cette indépendance, pour cette liberté, et pour celle des communications maritimes, en dehors d'une organisation effective de la sécurité internationale, dont un élément essentiel est le désarmement préalable, la destruction de la machine militaire ainsi que la limitation du potentiel de guerre des pays qui n'ont pas cessé et restent susceptibles de la menacer.
Les Français considèrent aussi comme nécessaire à l'établissement d'une paix véritable la consécration pratique des libertés essentielles de l'homme et l'utilisation concertée, en vue de la sécurité économique et sociale des peuples, des progrès techniques créateurs de richesses nouvelles.
Le moment n'est pas encore venu où les directives contenues dans la déclaration commune du président Roosevelt et de M. Winston Churchill pourront se traduire en engagements juridiques et en applications concrètes. C'est pourquoi le général de Gaulle partage l'opinion de M. Winston Churchill qu'il serait vain de soulever dès maintenant des questions d'interprétation dont le caractère et la portée seraient difficiles à déterminer. Il pense que les représentants du peuple français, lorsqu'il sera libéré, seront à même, comme tous les autres intéressés, de faire valoir leur point de vue sur la nécessité d'éviter toute prime à l'agression, d'assurer le redressement des torts commis et d'obtenir des garanties effectives de sécurité, en tenant compte du passé.
Pour obtenir les grands résultats ici envisagés, tous les Français redevenus libres seront prêts à collaborer avec les autres nations du monde. Le respect constant de la loi de solidarité s'imposera en effet à tous, a paix venue. Seul il pourra dans l'avenir éviter la répétition de ces catastrophes qui mettent en pièce l'unité du genre humain.
Débat sur l'approvisionnement des pays libérés
Un second débat sur l'approvisionnement des pays libérés de l'oppression nazie fut ouvert par M. Eden, qui proposa un projet de résolution sur lequel chacun des gouvernements alliés a exposé son point de vue.La résolution suivante fut adoptée à l'unanimité :
Les gouvernements du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et de l'Irlande du Nord, du Canada, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et de l'Afrique du Sud, les gouvernements de Belgique, de Tchécoslovaquie, de Grèce, de Luxembourg, des Pays-Bas, de Norvège, de Pologne, de l'Union des républiques socialistes soviétiques et de Yougoslavie et les représentants du général de Gaulle, chef des Français libres,
déclarent d'un commun accord :
1° Que leur but commun est de prendre les mesures nécessaires pour constituer des approvisionnements de vivres, de matières premières et d'objets de première nécessité, destinés à couvrir, la guerre finie, les besoins des pays qui auront été délivrés de l'oppression nazie ;
2° Que, étant bien entendu que les gouvernements et les autorités alliés auront à s'occuper avant tout, chacun en ce qui le concerne, es besoins économiques de leurs peuples, ils devront toutefois mettre leurs pans respectifs en harmonie les uns avec les autres, dans un esprit de bonne collaboration entre alliés, afin d'assurer les succès de l'oeuvre commune ;
3° Qu'ils approuvent les mesures préparatoires qui sont déjà en cours d'exécution dans ce dessein et qu'ils sont prêts, dans toute la mesure de leurs moyens, à faire le nécessaire pour mener les choses à bonne fin ;
4° Qu'en conséquence chacun des gouvernements alliés et les services qui en dépendent devront préparer un état, nature et quantité, des vivres, matières premières et objets de première nécessité dont ils auront besoin et faire connaître l'ordre de priorité selon lequel ils désirent que les livraisons soient faites ;
5° Que le ravitaillement de l'Europe exigera l'utilisation à plein rendement des ressources en tonnage appartenant tant à chaque gouvernement qu'à l'ensemble des puissances alliées, ainsi qu'aux autres pays de l'Europe, et que les plans nécessaires devront être établis le plus tôt possible en collaboration par les différents gouvernements alliés et leurs services en consultation, le cas échéant, avec tout autre gouvernement intéressé ;
6° Que, à titre de mesures préliminaires, il devra être établi par le gouvernement de Sa Majesté dans le Royaume-Uni un bureau auquel les gouvernements et les autorités alliés prêteront leur collaboration pour établir un état de leurs besoins et qui, après avoir comparé et coordonné ces divers états, présentera des propositions à un Comité de représentants des alliés dont la présidence sera donnée à Sir Frédérick Leith-Ross.
Le professeur Cassin a fait la déclaration suivante :
Les représentants du général de Gaulle apportent leur adhésion entière au projet de résolution proposé par le représentant de Sa Majesté. Ils remercient le gouvernement de Sa Majesté de l'initiative qu'il a bien voulu prendre et qui représente à nos yeux une première application du cinquième point de la Charte de l'Atlantique.
La délégation française s'associe avec reconnaissance au plan dont les grandes lignes nous sont tracées par le gouvernement britannique étant entendu qu'il envisage de prévoir une priorité en faveur des pays qui auraient le plus souffert de l'occupation.
Nous avons donc au cours de nos travaux préparatoires, à répondre à quatre sortes de questions :
1) Il nous faut établir la liste et le montant de nos besoins. Problème difficile, en vérité, en raison de la pénurie des liaisons et des statistiques. Je sais que nous trouverons, auprès du Ministry of Economic Warfare, toute l'aide indispensable pour faciliter nos recherches.
Dès maintenant, en ce qui concerne la France, je puis indiquer que nous demandons à faire figurer en priorité : le lait concentré, les médicaments et vitamines pour les enfants.
2) La deuxième question est celle de l'achat, dans les meilleures conditions possibles, et du financement des stocks des produit correspondant à nos besoins
3) Nous devons nous préoccuper du problème capital du transport jusqu'en France de ces denrées et matières premières. Les tonnages disponibles devront, sans doute, pour un temps déterminé, faire après la guerre l'objet d'un pool interallié. Notre service de la Marine marchande a étudié la question et sera en mesure de faire, à cet égard, une proposition précise.
4) Enfin, il y a aussi à résoudre le problème de la distribution des aliments et matières premières à l'intérieur du pays bénéficiaire.
Je voudrais aussi m'associer au voeu qui a été exprimé par nos amis britanniques de voir le gouvernement des États-Unis apporter sa collaboration au projet envisagé. Je ne sais sous quelle forme le gouvernement de Washington pourra participer à une oeuvre dont le caractère humanitaire répond si exactement à la tradition du peuple américain. Dès maintenant, je suggère qu'un délégué de la Croix Rouge américaine, cette institution admirable dont les membres, au cours des derniers mois, se sont, avec tant d'abnégation, dévoués pour soulager les misères de nos compatriotes, soit invité, à titre de conseiller ou d'observateur, à prendre part à nos travaux.
Il me semble, enfin, utile d'insister sur la nécessité de donner à l'initiative interalliée la plus large publicité. Il faut que nos frères prisonniers sachent qu'au bout du long tunnel d'angoisse où ils sont plongés, luit l'espoir d'un jour meilleur, que nous songeons sans cesse à eux, que nous préparons de notre mieux cet avenir, qu'ils doivent avoir la force de résistance morale nécessaire pour vivre jusqu'à la délivrance.
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