Grands traités politiques


Guerre de Dévolution

Traité de paix entre les couronnes de France et d'Espagne.

(Aix-la-Chapelle, 2 mai 1668)

    Louis XIV, à la suite du décès du roi d'Espagne, Philippe IV, dont il était à la fois le gendre et le neveu, réclame la dot (500 000 écus d'or) de la reine, Marie-Thérèse, épousée à la suite du traité des Pyrénées, et non versée. Il invoque aussi les coutumes de Brabant, selon lesquelles les possessions du défunt reviennent aux enfants du premier lit, dont Marie-Thérèse est la seule survivante. La guerre sera ainsi désignée comme la guerre de Dévolution. Le roi de France attaque les Pays-Bas espagnols le 24 mai 1667. Pour disposer d'une monnaie d'échange en vue des négociations, il fait aussi occuper la France-Comté.
    La médiation du Pape permet aux belligérants de conclure rapidement un traité de paix à Aix-la-Chapelle, le 2 mai 1668.

Source : Dumont, Corps universel diplomatique du droit des gens, Amsterdam-La Haye, 1731, tome VII, partie I, p. 89-90. L'orthographe et la ponctuation de l'époque ont été respectées.



Louïs par la grâce de Dieu, Roy de France & de Navarre : A tous ceux qui ces presentes Lettres verront, Salut. Comme en vertu des Pouvoirs respectivement donnez par Nous à nostre cher & bien-amé Conseiller en nos Conseils d'Etat & Privé, Maistre des Requestes ordinaire de nostre Hostel, & nostre Ambassadeur extraordinaire, le Sieur Colbert : Et par très-haut, très-excellent, & tres-puissant Prince le Roy Catholique des Espagnes, nostre très-cher & tres-amé bon Frère, Beau - frère & Cousin; & par très - haute, très - excellente, & très- puissante Princesse la Reine Catholique des Espagnes, nôtre très -chère & tres-amée Soeur & Cousine, comme Tutrice, & Curatrice & Gouvernante des Royaumes & Estats dudit Roy nostre frère, au Marquis de Castelrodrigo, Capitaine & Gouverneur General pour nostredit frère aux Payx-Bas ; & par ledit Marquis de Castelrodrigo au Baron de Bergeik, qu'il auroit subdelegué en son lieu & place pour traiter la Paix : Lesdits Sieurs Colbert, & Baron de Bergeik, ayant dans la Ville Impériale d'Aix-la-Chapelle, le deuxième du present mois de May, conclu, arresté, & signé le Traité de Paix & de reconciliation, dont la teneur s'ensuit.

Au Nom de Dieu le Créateur : A tous presens & à venir soit notoire. Comme par l'autorité & les soins paternels de nostre Très- Saint Père le Pape Clement neuvième du nom, seant heureusement dans le Saint Siège pour le bon régime de nostre Mère Sainte Eglise, & par les continuelles exhortations & tres- vives instances de sa Béatitude, tant par plusieurs & diverses Lettres écrites de sa main, qu'envois & Négociations de son propre Neveu, aujourd'huy Cardinal Rospigliosi, & de ses Nonces extraordinaires, très - haut, très - excellent, & très - puissant Prince Louis par la grâce de Dieu, Roy Tres-Chrestien de France & de Navarre : Et très-haut, très-excellent, & très- puissant Prince Charles second, par la grâce de Dieu Roy Catholique des Espagnes : & très-haute, très- excellente, & très-puissante Princesse Marie Anne d'Austriche, Reine Catholique des Espagnes, sa Mère comme Tutrice, Curatrice, & Gouvernante de ses Royaumes & Estats, seraient convenus & tombez d'accord de choisir la Ville Impériale d'Aix la-Chapelle pour y traiter de Paix, par l'entremise du Plénipotentiaire de Sa Sainteté; comme aussï des Ministres d'autres plusieurs Roys, Potentats, Electeurs, & Princes du Saint Empire, qui ont si louâblement employé leurs soins & leurs offices pour acheminer cette grande affaire.

Et comme pour y parvenir ledit Seigneur Roy Tres-Chreltien auroit donné son plein- Pouvoir au Sieur Colbert, Conseiller en tous ses Conseils, Maistre des Requestes ordinaire de son Hostel, & son Ambassadeur Extraordinaire, & ledit Seigneur Roy Catholique auroit donné son plein-Pouvoir au Sieur Marquis de Castelrodrigo, Capitaine & Gouverneur General des Pays-Bas, lequel en vertu de sondit Pouvoir auroit subdelegué le Sieur Baron de Bergeik, Chevalier de l'Ordre de Saint Jacques, Conseiller au Conseil Suprême de Flandres, & de ses Conseils d'Estat & finances, lesquels Sieurs Colbert & Bergeik, en vertu de leursdits Pouvoirs & subdelegation, reconnus de part & d'autre pour suffisans, ont accordé, establi & arresté les Articles qui ensuivent.

Premièrement. Il est convenu & accordé, qu'à l'avenir il y aura bonne, ferme, & durable Paix, Confédération, & perpétuelle Alliance & amitié entre les Roys Très - Chrestien & Catholique, leurs Enfans nais & à naistre, leurs Hoirs, Successeurs & Héritiers, leurs Royaumes, Estats, Pays & Sujets; qu'ils s'entreaimeront comme bons frères, procurant de tout leur pouvoir le bien, l'honneur & réputation l'un de l'autre, & évitant de bonne foi tant qu'il leur sera posslble le dommage l'un de l'autre.

II. Ensuite de cette bonne reunion, aussitôt que les Ratifications du present Traité auront esté échangées, la Paix.entre lesdits Seigneurs Rois sera publiée, & dés l'instanr de ladite Publication il y aura Cessation de toutes entreprises de Guerre, & de tous actes d'hostilité, tant par Mer & autres Eaux que par Terre, & généralement en tous Lieux que la Guerre se fait par les Armes de Leurs Majestez tant entre leurs Troupes & Armées, qu'entre les Garnisons de leurs Places: & que s'il étoit contrevenu à ladite Cessation par prise de Place, ou Places, soit par attaque, ou par surprise, ou par intelligence secrette, & même s'il se faisoit des Prisonniers, ou autres ades d'hostilité par quelque accident impreveu, ou de ceux qui ne se peuvent prévenir, contraires à ladite Cessation d'Armes, la contravention sera reparée de part & d'autre de bonne foi, sans longueur ni diffcuIté, restituant sans aucune diminution ce qui auroit esté occupé, & délivrant les Prisonniers sans rançon, ni payement de depense.

III. En contemplation de la Paix, le Roi Tres- Chrétien retiendra, demeurera saisi, & jouïra effectivement de toutes les Places, Forts & Postes, que ses Armes ont occupées ou fortifiées pendant la Campagne de l'année passée: A sçavoir, de la forteresse de Charleroy, des Villes de Binch, & d'Atthe, des Places de Douay, le fort de Scarpe compris, Tournay, Oudenarde, Lille, Armentieres, Courtray, Bergues & Furnes, & toute l'étendue de leurs Bailliages, Chastellenies, Gouvernances, Prevostez, Territoires, Domaines, Seigneuries, appartenances, dépendances & annexes, de quelque nom qu'elles puissent être appellées.

IV. Lesdits Lieux, Villes & Places de Charleroy, Binch, Atthe, Douay, Fort de Scarpe, Tournay, Oudenarde, Lille, Armentieres, Courtray, Bergues & Furnes, leurs Bailliages, Châtellenies, Gouvernances, Prevôtez, Territoires, Domaines, Seigneuries, appartenances, dépendances & annexes, de quelque nom qu'elles puissent être appellées, demeureront par le present Traité de Paix audit Seigneur Roi Très -Chrétien, & à ses Successeurs & ayans cause, irrévocablement & à toujours ; avec les mêmes Droits de Souveraineté, Propriété, Droits de Regale, Patronnage, Gardienneté, Jurisdiction, Nomination, Prérogatives & Prééminences sur les Evêchez, Eglises Cathédrales, & autres, Abbayes, Prieurez, Dignitez, Cures, & autres quelconques Bénéfices estans dans l'étendue desdits Païs, Places, & Bailliages cédez, de quelques Abbayes que lesdits Prieurez soient mouvans & dépendans, & tous autres Droits qui ont, ci-devant appartenu au Roi Catholique, encore qu'ils ne soient ici particulierement énoncez ; sans que Sa Majesté Tres-Chrêtienne puisse être à l'avenir troublée ni inquiétée par quelque voye que ce soit, de Droit ni de fait, par ledit Seigneur Roi Catholique, ses Succesleurs, ou aucun Prince de sa Maison, ou par qui que ce soit, ou sous quelque prétexte ou occasion qui puisse arriver en ladite Souveraineté, Propriété, Jurisdiction, Ressort, possession & jouissance de tous lesdits Pais, Villes, Places, Châteaux, Terres, Seigneuries, Prevostez, Domaines, Chastellenies & Bailliages ; ensemble de tous les Lieux & autres choses qui en dépendent. Et pour cet effet ledit Seigneur Roi Catholique, tant pour lui que pour ses Hoirs, Successeurs & ayans cause, renonce, quitte, cède & transporte, comme son plenipotentiaire en son nom par le present Traité de Paix irrévocable, a renoncé, quitté, cédé & transporté perpétuellement & à toujours, en faveur & au profit dudit Seigneur Roi Très -Chrétien, ses Hoirs, Successeurs & ayans cause, tous les Droits, Actions, Prétentions, Droits de Regale, Patronnage, Gardienneté, Jurisdiction, Nomination, Prérogatives, & Prééminences sur les Evêchez, Eglises Cathédrales, & autres, Abbayes, Prieurex, Dignitez, Cures, & autres quelconques Bénéfices estans dans l'étendue desdits Païs, Places, & Bailliages cédez, de quelques Abbayes que lesdits Prieurez soient mouvans & dépendans, & généralement sans rien retenir ni reserver, tous autres Droits que ledit Seigneur Roi Catholique, ou ses Hoirs & Successeurs ont & prétendent, ou pourroient avoir & prétendre, pour quelque cause & occasion que ce soit, sur lesdits Pays, Places, Chasteaux, Forts, Terres, Seigneuries, Domaines, Chastellenies & Bailliages, & sur tous les Lieux en dépendans, comme dit est, nonobstant toutes Loix, Coutumes, Statuts, & Constitutions faites au contraire, même qui auroient esté confirmées par Serment, ausquelles & aux clauses dérogatoires des dérogatoires, il est expressément dérogé par le present Traité, pour l'effet desdites Renonciations & Cessions, lesquelles vaudront & auront lieu, sans que l'expression ou specification particulière déroge à la générale, ni la générale à la particulière, & excluant à perpétuité toutes exceptions, sous quelque droit, titre, cause, ou prétexte qu'elles puissent être fondées. Déclare, consent, veut & entend ledit Seigneur Roy Catholique, que les Hommes, Vassaux, & Sujets desdits Païs, Villes & Terres cédées à la Couronne de France, comme il est dit ci-dessus, soient & demeurent quittes & absous dés à present & pour toujours, des Foy, Hommage, Service, & Serment de fidélité qu'ils pourroient tous & chacun d'eux luy avoir fait, & à ses Predecesseurs Roys Catholiques, ensemble de toute l'obeïssance. Sujétion & Vassalage, que pour raison de ce ils pourroient luy devoir ; Voulant ledit Seigneur Roy Catholique que lesdits Foy, Hommage, & Serment de fidélité demeurent nuls & de nulle valeur, comme si jamais ils n'avoient elle faits ni prestez.

V. Ledit Seigneur Roi Tres-Chrêtien aussitôt après la Publication de la Paix, retirera ses Troupes des Garnisons de toutes les Places, Villes, Châteaux, & Forts du Comté de Bourgogne vulgairement appellé la Franche Comté, & restituera réellement, effectivement & de bonne foy à Sa Majesté Catholique, toute ladite Comté de Bourgogne, sans y rien reserver ni retenir.

VI. Ledit Seigneur Roi Tres-Chrêtien fera aussi restituer audit Seigneur Roi Catholique, toutes les Places, Forts, Châteaux, & Postes que ses Armes ont ou poutroient avoir occupé jusques au jour de la Publication de la Paix, en quelque lieu qu'elles soient situées, à la reserve des Places & Forts qui doivent demeurer par le present Traité à Sa Majeslé Tres-Chrêtienne, ainsi qu'il a esté ci-dessus dit. Comme pareillement Sa Majesté Catholique fera restituer à Sa Majesté Tres-Chrêtienne, toutes les Places, Forts, Châteaux, & Postes que ses Armes pourroient avoir occupé jusqu'au jour de la Publication de la Paix, en quelque lieu qu'elles soient sîtuées.

VII. Leurs Majestez consentent que tous les Rois, Potentats, & Princes qui voudront bien entrer dans un pareil engagement, puissent donner à leurs Majestez leurs promesses & obligations de garantie, de l'exécution de tout le contenu au present Traité.

VllI. I! a esté convenu, accordé & déclaré, qu'on n'entend rien révoquer du Traité des Pyrénées, (à l'exception de ce qui regarde le Portugal, avec lequel ledit Seigneur Roi Catholique a depuis fait la Paix) qu'entant qu'il en aura esté autrement disposé en celui-ci par la Cession des Places susdites, sans que les Parties y ayent acquis aucun nouveau Droit, ou puissent recevoir aucun préjudice sur leurs prétentions respectives, en toutes les choses dont il n'est point fait mention expresse par le present Traité.

IX. Et pour plus grande seureté de ce Traité de Paix, & de tous les Points & Articles y contenus, sera ledit present Traité publié, vérifié, & enregisiré en la Cour de Parlement de Paris, & en tous autres Parlemens du Royaume deFsrance,& Chambre des Comptes dudit Paris : Comme semblablement ledit Traité sera vérifié, publié & enregislré tant au Grand Conseil, & autres Conseils & Chambres des Comptes dudit Seigneur Roi Catholique aux Païs -Bas, qu'aux autres Conseils des Couronnes de Castille & d'Arragon ; le tout suivant & en la forme contenue au Traité des Pyrénées de l'an 1659. dont seront baillées les expéditions de part et d'autre dans trois mois après la Publication du present Traité.

Lesquels Points & Articles cy-dessus énoncez, ensemble tout le contenu en chacun d'iceux, ont esté traitez, accordez, passez & stipulez entre les susdits Plénipotentiaires desdits Seigneurs Roys Très- Chrestien & Catholique, au nom de leurs Majestez : Lesquels Plénipotentiaires en vertu de leurs Pouvoirs respectifs, ont promis & promettent sous l'obligation de tous & chacuns les Biens & Estats presens & à venir des Roys leurs Maistres, qu'ils seront par leurs Majestez inviolablement observez & accomplis, & de leur faire ratifier purement & simplement sans y rien ajouter, & d'en fournir les Ratifications par Lettres autentiques & scellées, où tout le present Traité sera inséré de mot à autre dans le dernier jour du mois de May prochain inclusivement : A sçavoir, Sa Majesté Tres-Chrestienne à Bruxelles, entre les mains du Gouverneur de Flandres ; & Sa Majeslé Catholique à S. Germain en Laye, entre les mains dudit Seigneur Roi Tres-Chreslien, & plutost si faire se peut. En outre ont promis & promettent lesdits Plénipotentiaires ausdits noms, que lesdites Lettres de Ratification ayant esté sournies, ledit Seigneur Roy Tres-Chrestien le plutost qu'il se pourra, & en presence de telle personne ou personnes qu'il plaira audit Seigneur Roy Catholique députer, jurera solennellemcnt sur la Croix, Saints Evangiles, Canons de la Messe, & sur son honneur, d'observer & accomplir pleinement, réellement & de bonne foy, tout le contenu aux Articles du present Traité. Et le semblable sera fait aussi le plutost qu'il sera possible par ledit Seigneur Roy Catholique, & la Reine Régente sa Mère, en presence de telle personne ou personnes qu'il plaira audit Seigneur Roy Tres-Chreslien députer. En témoin desquelles choses, lesdits Plénipotentiaires ont souscrit le present Traité de leurs noms, & fait apposer le Cachet de leurs Armes.

Fait dans la Ville Impériale d'Aix-la-Chapelle, le deuxième jour du mois de May de l'année 1668.

Signé, Charles COLBERT.

Et au nom de sa Sainteté & desdits Electeurs & Princes du S. Empire, ont pareillement souscrit le present Traité de leurs noms,& fait apposer le Cachet de leurs Armes : Signé, Augustin FRANCiOTTi, Archevêque de Trebisonde, Plénipotentiaire de sa Sainteté.
Le Baron de SCHENEBORG, au nom de son Altesse Electorale de Mayence.
François Egon de FURSTENBERG, au nom de son Altesse Electorale de Cologne.
Et le Chevalier SEMSING, au nom de son Altesse de Munster.

Nous, ayant le Traité susdit agréable en tous & chacun les Points & Articles qui y sont contenus & declarez, avons iceux tant pour Nous que pour nos Héritiers, Successeurs, Royaumes, Païs, Terres, Seigneuries & Sujets, accepté, approuvé, ratifié & confirmé, acceptons, approuvons, ratifions & confirmons, & le tout promettons en foy & parole de Roy, & sous l'obligation & hypothèque de tous & chacun nos Biens presens & à venir, garder, observer inviolablement, sans jamais aller ny venir au contraire, directement ou indirectement en quelque sorte & manière que ce soit. En témoin dequoy, Nous avons signé ces presentes de nostre main, & à icelles fait apposer, noslre Scel.

Donné à S. Germain en Laye le 16. jour de May l'an de grâce 1668. & de nostre Règne le vingt- sixiéme.
Signé, LOUIS.
Et plus bas, DE LIONNE.