Grands traités politiques


Traité de paix entre l'Italie et l'Empire ottoman.

(Lausanne, le 18 octobre 1912)

    L'Italie déclare la guerre à l'Empire ottoman le 29 septembre 1911. Elle occupe rapidement la Tripolitaine et la Cyrénaïque, qu'elle annexe aussitôt par décret du 5 novembre, confirmé par la loi du 25 février 1912. La Russie propose sa médiation sans succès, alors que les les Italiens étendent leur action dans l'Égée et la mer Rouge. Ils débarquent le 29 avril 1912 à Astypalée, puis le 4 mai à Rhodes et s'emparent de tout le Dodécanèse, où ils sont d'abord accueillis en libérateurs, mais dont les habitants demandent le rattachement à la Grèce.
    C'est le début de la première guerre balkanique qui incite les belligérants à conclure les pourparlers officieux d'Ouchy. Le traité de paix, signé le 18 octobre 1912, établit la souveraineté italienne sur la Tripolitaine, la Cyrénaïque et les autres régions qui formeront la Libye moderne ; il laisse à l'Empire ottoman la souveraineté sur le Dodécanèse, mais les Italiens s'opposent à la revendication grecque et occupent les îles jusqu'au traité de Lausanne de 1923 qui reconnaît la souveraineté italienne. Les îles ne reviendront à la Grèce qu'en 1947, après une sanglante occupation allemande, de 1943 à 1945, suivie d'une brève occupation britannique.
Liste des principales îles occupées par l'Italie : Rhodes, Astypalée, Nisiros, Episcopie, Symi, Léros, Kalymnos, Patmos, Kappari, Kassos, Cos, Kalchy, Karpathos, Nicaria, Kastelórizo.

Source : RGDIP, tome XX, 1913, p.78d. Voir également la chronique des faits internationaux dans la même revue.


Sa Majesté la Roi d'Italie et Sa Majesté l'empereur des Ottomans, animés d'un égal désir de faire cesser l'état de guerre existant entre leurs deux pays, ont nommé leurs plénipotentiaires :
- Sa Majesté le Roi d'Italie MM. Pietro Bertolini, grand croix de la Couronne d'Italie, grand officier de l'ordre des Saints Maurice et Lazare, député au Parlement ; Guido Fusinato, grand-croix de la Couronne d'Italie. grand-officier de ('ordre des Saints Maurice et Lazare, député au Parlement, Conseiller d'État ; Guiseppe Volpi, commandeur de l'ordre des Saints Maurice et Lazare et de la Couronne d'Italie ;
- Sa Majesté d'empereur des Ottomans : Son Excellence Mehemmed Naby bey, grand cordon de l'ordre de l'Osmanie, envoyé extraordinaire, ministre plénipotentiaire ; Son Excellence Roumbeyoglou Fahreddin bey, grand officier de l'ordre du Medjidié, commandeur de l'ordre de l'Osmanie, envoyé extraordinaire, ministre plénipotentiaire ;
- Lesquels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs respectifs et les avoir trouvés en bonne et due forme, sont convenus des articles suivants :

Article premier.

Les deux gouvernements s'engagent à prendre immédiatement après la signature du présent traité tes dispositions nécessaires pour la cessation immédiate et simultanée des hostilités. Des Commissaires spéciaux seront envoyés sur les lieux pour assurer l'exécution des susdites d'appositions.

Article 2.

Les deux gouvernements s'engagent à donner immédiatement après la signature du présent traité l'ordre de rappel à leurs officiers et à leurs troupes, ainsi qu'à leurs fonctionnaires civils, respectivement, le gouvernement ottoman dans la Tripolitaine et la Cyrénaïque, et le gouvernement italien dans les îles occupées dans la mer Égée. L'évacuation effective des îles susdites par les officiers, les troupes et les fonctionnaires civils italiens aura lieu immédiatement après que la Tripolitaine et la Cyrénaïque auront été évacuées par les officiers, les troupes et les fonctionnaires civils ottomans.

Article 3.

Les prisonniers de guerre et les otages seront échangés dans le plus bref délai possible.

Article 4.

Les deux gouvernements s'engagent à accorder pleine et entière amnistie, le gouvernement royal aux habitants de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque, le gouvernement impérial aux habitants des îles de la mer Egée assujettis à la souveraineté ottomane, qui auraient pris part aux hostilités ou qui se seraient compromis à leur occasion, exception faite pour les crimes de droit commun. En conséquence, aucun individu de quelque classe ou condition qu'il soit ne pourra être poursuivi ou troublé dans sa personne, ses biens ou l'exercice de ses droits, en raison de ses actes politiques on militaires, ou bien des opinions exprimées pendant les hostilités ; les personnes détenues ou déportées de ce fait seront immédiatement remises en liberté.

Article 5.

Tous les traités, conventions et engagements de tout genre, espèce et nature, conclus ou en vigueur entre les deux Hautes Parties contractantes antérieurement à la déclaration de guerre, seront remis immédiatement en vigueur, et les deux gouvernements seront placés l'un vis-à-vis de l'autre, ainsi que leurs sujets respectifs, dans une situation identique a celle dans laquelle ils se trouvaient avant les hostilités.

Article 6.

l'Italie s'engage à conclure avec la Turquie, en même temps qu'elle renouvelle ses traités de commerce avec tes autres puissances, un traité de commerce sur la base du droit public européen, c'est-à-dire qu'elle consent à laisser à la Turquie toute son indépendance économique et le droit d'agir en matière commerciale et douanière à l'instar de toutes les puissances européennes et sans être liée par les Capitulations et autres actes à ce Jour. il est bien entendu que le dit traité de commerce ne sera mis en vigueur qu'en tant que seront mis en vigueur les traités de commerce conclus par la Sublime Porte avec les autres puissances sur la même base. En outre, l'Italie consent à l'élévation de 11 à 15 % des droits de douane ad valorem en Turquie, ainsi qu'à l'établissement de nouveaux monopoles ou au prélèvement de surtaxes de consommation sur les cinq articles suivants pétrole, papier à cigarettes, allumettes, alcool, cartes à jouer. Tout cela, à condition que le même traitement soit appliqué simultanément et sans distinction aux importations des autres pays.
En tant qu'il s'agit de l'importation d'articles faisant l'objet d'un monopole, l'administration de ces monopoles est tenue de se fournir d'articles de provenance italienne, suivant un pourcentage établi sur la base de l'importation annuelle des mêmes articles, pourvu que le prix à offrir pour la livraison des articles du monopole soit conforme à la situation du marché au moment de l'achat, tout en prenant en considération la qualité des marchandises à fournir et la moyenne des prix, notée dans les trois années précédant celle de la déclaration de guerre pour
lesdites qualités.
Il est en outre entendu que si la Turquie, au lieu d'établir de nouveaux monopoles sur les cinq articles sus-mentionnés, se décidait à les frapper de surtaxes de consommation, des surtaxes seraient imposées dans la même mesure aux produits similaires de la Turquie et de toute autre nation.

Article 7.

Le gouvernement Italien s'engage à supprimer les bureaux de poste italiens fonctionnant dans l'Empire ottoman en même temps que les autres États ayant des bureaux de poste en Turquie supprimeront les leurs.

Article 8.

La Sublime Porte se proposant d'ouvrir, en Conférence ou autrement, avec tes grandes puissances intéressées, des négociations en vue de faire cesser le régime capitulaire en Turquie, pour le remplacer par le régime du droit international, l'Italie, en reconnaissant le bien fondé de ces intentions de ta Sublime Porte, déclare dès maintenant vouloir lui prêter à cet effet son plein et sincère appui.

Article 9.

Le gouvernement ottoman, voulant témoigner sa satisfaction pour les bons et loyaux services à lui rendus par les sujets italiens employés dans ses administrations, et qu'il s'était vu forcé de congédier lors des hostilités, se déclare prêt à les rétablir dans la situation qu'ils avaient quittée. Un traitement de disponibilité leur sera payé pour les mois passés hors de leur emploi, et cette interruption de service ne portera
aucun préjudice aux employée ayant droit à une pension de retraite.
En outre, le gouvernement ottoman s'engage à user de ses bons offices auprès des institutions avec lesquelles il est en rapport (Dette publique, sociétés de chemins de fer, banques etc.) pour qu'il soit agi de même envers les sujets italiens qui étaient à leur service et se trouvent dans des conditions analogues.

Article 10.

Le gouvernement italien s'engage à verser annuellement à la caisse de la Dette publique ottomane, pour le compte du gouvernement impérial, une somme correspondant à la somme moyenne qui, dans chacune des trois années précédant celle de la déclaration de guerre, a été affectée au service de la Dette publique sur les recettes des deux provinces. Le montant de la susdite annuité sera déterminé d'accord par deux Commissaires nommés l'un par le gouvernement royal et l'autre par le gouvernement impérial. En cas de désaccord, la décision sera remise à un collège arbitrai composé par les susdits Commissaires et par un surarbitre nommé d'accord entre les deux pays. Si l'accord ne s'établit pas à ce sujet, chaque partie désignera une puissance différente, et le choix du surarbitre sera fait de concert par les puissances ainsi désignées.
Le gouvernement royal ainsi que l'administration de la Dette publique ottomane, par l'entremise du gouvernement Impérial, auront la faculté de demander la substitution de l'annuité susdite par le payement d'une somme correspondante capitalisée au taux de 4 %.
Pour ce qui se réfère au précédent alinéa, le gouvernement royal déclare reconnaître dès à présent que l'annuité ne peut être inférieure à la somme de deux millions de lires italiennes et est disposé à verser à l'administration de la Dette publique la somme capitalisée correspondante aussitôt que la demande lui en sera faite.

Article 11.

Le présent traité entrera en vigueur le jour même de sa signature.
En foi de quoi, les plénipotentiaires ont signé le présent traité et y ont apposé leurs cachets.

Lausanne, 18 octobre 1912.

PIETRO BERTOLINt,                                                 MEHEMMED NABY,
GUIDO FUSINATO,                                                   ROUMBEYOGLOU FAHREDDIN.
GIUSEPPE VOLPI