Grandes lois de la République

Loi du 12 juillet 1875 
relative à la liberté de l'enseignement supérieur

[La loi Falloux du 15 mars 1850 avait mis fin au monopole de l'État pour les enseignements primaire et secondaire. Une proposition de loi sur la liberté de l'enseignement supérieur est présentée le 31 juillet 1871 par le comte Jaubert afin de mettre fin au monopole de l'État dans le supérieur. Rapport de Laboulaye le 25 juillet 1873. Première délibération à l'Assemblée nationale les 3, 4 et 5 décembre 1874. Deuxième délibération en juin 1875 et troisième délibération du 8 au 12 juillet. Adoption le 12 juillet 1875 par 316 voix contre 266. Plusieurs dispositions avaient été vivement critiquées, notamment le jury mixte. Les républicains, à l'initiative de Paul Bert et de Jules Ferry, les modifièrent par la loi du 18 mars 1880 rétablissant le monopole de la collation des grades universitaires.]


Titre premier
Des cours et des établissements libres d'enseignement supérieur

Article premier

L'enseignement supérieur est libre.

Article 2

Tout Français âgé de vingt-cinq ans, n'ayant encouru aucune des incapacités prévues par l'article 8 de la présente loi, les associations formées légalement dans un dessein d'enseignement supérieur, pourront ouvrir librement des cours et des établissements d'enseignement supérieur, aux seules conditions prescrites par les articles suivants.

Toutefois, pour l'enseignement de la médecine et de la pharmacie, il faudra justifier, en outre, des conditions requises pour l'exercice des professions de médecin ou de pharmacien.

Les cours isolés dont la publicité ne sera pas restreinte aux auditeurs régulièrement inscrits resteront soumis aux prescriptions des lois sur les réunions publiques.

Un règlement d'administration publique déterminera les formes et les délais des inscriptions exigées par le paragraphe précédent.

Article 3

L'ouverture de chaque cours devra être précédée d'une déclaration signée par l'auteur de ce cours.

Cette déclaration indiquera les noms, qualités et domicile du déclarant, le local où seront faits les cours et l'objet ou les divers objets de l'enseignement qui y sera donné.

Elle sera remise au recteur dans les départements où est établi le chef-lieu de l'académie, et à l'inspecteur d'académie dans les autres départements. Il en sera donné immédiatement récépissé.

L'ouverture du cours ne pourra avoir lieu que dix jours francs après la délivrance du récépissé. Toute modification aux points qui auront fait l'objet de la déclaration primitive devra être portée à la connaissance des autorités désignées dans le paragraphe précédent. Il ne pourra être donné suite aux modifications projetées que cinq jours après la délivrance du récépissé.

Article 4

Les établissements libres d'enseignement supérieur devront être administrés par trois personnes au moins.

La déclaration prescrite par l'article 3 de la présente loi devra être signée par les administrateurs ci-dessus désignés ; elle indiquera leurs noms, qualités et domiciles, le siège et les statuts de l'établissement, ainsi que les autres énonciations mentionnées dans ledit article 3.

En cas de décès ou de retraite de l'un des administrateurs, il devra être procédé à son remplacement dans un délai de six mois.

Avis en sera donné au recteur ou à l'inspecteur d'académie.

La liste des professeurs et le programme des cours seront communiqués chaque année aux autorités désignées dans le paragraphe précédent.

Indépendamment des cours proprement dits, il pourra être fait dans lesdits établissements des conférences spéciales sans qu'il soit besoin d'autorisation préalable.

Les autres formalités prescrites par l'article 3 de la présente loi sont applicables à l'ouverture et à l'administration des établissements libres.

Article 5

Les établissements d'enseignement supérieur, ouverts conformément à l'article précédent, et comprenant au moins le même nombre de professeurs pourvus du grade de docteur que les facultés de l'État qui comptent le moins de chaires, pourront prendre le nom de faculté libre des lettres, des sciences, de droit, de médecine, etc., s'ils appartiennent à des particuliers ou à des associations.

Quand ils réuniront trois facultés, ils pourront prendre le nom d'universités libres.

Article 6

Pour les Facultés des lettres, des sciences et de droit, la déclaration signée par les administrateurs devra porter que lesdites Facultés ont des salles de cours, de conférences et de travail suffisantes pour cent étudiants au moins, et une bibliothèque spéciale.

Pour une Faculté des sciences, il devra être établi, en outre, qu'elle possède des laboratoires de physique et de chimie, des cabinets de physique et d'histoire naturelle en rapport avec les besoins de l'enseignement supérieur.

S'il s'agit d'une Faculté de médecine, d'une Faculté mixte de médecine et de pharmacie, ou d'une École de médecine ou de pharmacie, la déclaration signée par les administrateurs devra établir :

Que ladite Faculté ou École dispose, dans un hôpital fondé par elle ou mis à sa disposition par l'Assistance publique, de 120 lits au moins, habituellement occupés par les trois enseignements cliniques principaux : médical, chirurgical, obstétrical ;
Qu'elle est pourvue :
1° de salles de dissection munies de tout ce qui est nécessaire aux exercices anatomiques des élèves ;
2° des laboratoires nécessaires aux études de chimie, de physique et de physiologie ;
3° de collections d'étude pour l'anatomie normale et pathologique, d'un cabinet de physique, d'une collection de matière médicale, d'une collection d'instruments et appareils de chirurgie ;
Qu'elle met à la disposition des élèves un jardin de plantes médicinales et une bibliothèque spéciale.
S'il s'agit d'une École spéciale de pharmacie, les administrateurs de cet établissement devront déclarer qu'il possède des laboratoires de physique, de chimie, de pharmacie et d'histoire naturelle, les collections nécessaires à l'enseignement de la pharmacie, un jardin de plantes médicinales et une bibliothèque spéciale.

Article 7

Les cours et établissements libres d'enseignement supérieur seront toujours ouverts et accessibles aux délégués du ministère de l'instruction publique.

La surveillance ne pourra porter sur l'enseignement que pour vérifier s'il n'et pas contraire à la morale, à la Constitution et aux lois.

Article 8

Sont incapables d'ouvrir un cours et de remplir les fonctions d'administrateur ou de professeur dans un établissement libre d'enseignement supérieur :
1° Les individus qui ne jouissent pas de leurs droits civils ;
2° Ceux qui ont subi une condamnation pour crime ou pour un délit contraire à la probité ou aux moeurs ;
3° Ceux qui, par suite de jugement, se trouveront privés de tout ou partie des droits civils, civiques et de famille indiqués dans les numéros 1, 2, 3, 5, 6, 7 et 8 du Code pénal ;
4° Ceux contre lesquels l'incapacité aura été prononcée en vertu de l'article 16 de la présente loi.

Article 9

Les étrangers pourront être autorisés à ouvrir des cours ou à diriger des établissements libres d'enseignement supérieur dans les conditions prescrites par l'article 78 de la loi du 15 mars 1850.
 

Titre II 
Des associations formées dans un dessein d'enseignement supérieur

Article 10

L'article 291 du code pénal n'est pas applicable aux associations formées pour créer et entretenir des cours ou établissement d'enseignement supérieur dans les conditions déterminées par la présente loi.

Il devra être fait une déclaration indiquant les noms, professions et domicile des fondateurs et administrateurs desdites associations, le lieu de leurs réunions et les statuts qui doivent les régir.

Cette déclaration devra être faite, savoir :

1° au recteur, ou à l'inspecteur d'académie qui la transmettra au recteur ;
2° dans le département de la Seine, au préfet de police, et, dans les autres départements, au représentant de l'État dans le département ;
3° au procureur général de la cour du ressort, en son parquet, ou au parquet du procureur de la République.
La liste complète des associés avec indication de leur domicile, devra se trouver au siège de l'association et être communiquée au parquet à toute réquisition du procureur général.

Article 11

Les établissements d'enseignement supérieur fondés, ou les associations formées en vertu de la présente loi, pourront, sur leur demande, être déclarés établissements d'utilité publique, dans les formes voulues par la loi, après avis du conseil supérieur de l'instruction publique.

Une fois reconnus, ils pourront acquérir et contracter à titre onéreux ; ils pourront également recevoir des dons et des legs dans les conditions prévues par la loi.

La déclaration d'utilité publique ne pourra être révoquée que par une loi.

Article 12

En cas d'extinction d'un établissement d'enseignement supérieur reconnu, soit par l'expiration de la société, soit par la révocation de la déclaration d'utilité publique, les biens acquis par donation entre vifs et par disposition à cause de mort feront retour aux donateurs ou aux successeurs des donateurs et testateurs, dans l'ordre réglé par la loi, et, à défaut de successeurs, à l'État.

Les biens acquis à titre onéreux feront également retour à l'État, si les statuts ne contiennent à cet égard aucune disposition.

Il sera fait emploi de ces biens pour les besoins de l'enseignement supérieur par décrets rendus en Conseil d'État, après avis du Conseil supérieur de l'instruction publique.
 

Titre III 
De la collation des grades

Article 13

Les élèves des facultés libres pourront se présenter, pour l'obtention des grades, dans les facultés de l'État, en justifiant qu'ils ont pris, dans la Faculté dont ils ont suivi les cours, le nombre d'inscriptions voulu par les règlements. Les élèves des Universités libres pourront se présenter, s'ils le préfère, devant un jury spécial formé dans les conditions déterminées par l'article 14.

Toutefois, le candidat ajourné devant une Faculté de l'État ne pourra se présenter ensuite devant le jury spécial, et réciproquement, sans en avoir obtenu l'autorisation du ministre de l'instruction publique. L'infraction à cette disposition entraînerait la nullité du diplôme ou du certificat obtenu.

Le baccalauréat ès lettres et le baccalauréat ès sciences resteront exclusivement conférés par les Facultés de l'État.

Article 14

Le jury spécial sera formé de professeurs ou agrégés des Facultés de l'État et de professeurs des universités libres, pourvus du diplôme de docteur. Ils seront désignés , pour chaque session, par le ministre de l'instruction publique, et si le nombre des membres de la commission d'examen est pair, ils seront pris en nombre égal dans les Facultés de l'État et dans l'université libre à laquelle appartiendront les candidats à examiner. Dans le cas où le nombre est impair, la majorité sera du côté des membres de l'enseignement public.

La présidence, pour chaque commission, appartiendra à un membre de l'enseignement public.

Le lieu et les époques des sessions d'examen seront fixés chaque année par un arrêté du ministre, après avis du conseil supérieur de l'instruction publique.

Article 15

Les élèves des universités libres seront soumis aux mêmes règles que ceux des Facultés de l'État, notamment en ce qui concerne les conditions préalables d'âge, de grades, d'inscriptions, de stage dans les hôpitaux, le nombre des épreuves à subir devant le jury spécial pour l'obtention e chaque grade, les délais obligatoires entre chaque grade et les droits à percevoir.

Un règlement délibéré en conseil supérieur de l'instruction publique déterminera les conditions auxquelles un étudiant pourra passer d'une Faculté dans une autre.
 

Titre IV 
Des pénalités

Article 16

Toute infraction aux articles 3, 4, 5, 6, 8 et 10 de la présente loi sera punie d'une amende qui ne pourra excéder 1000 francs.

Sont passibles de cette peine :

1° L'auteur du cours, dans le cas prévus par l'article 3 ;
2° Les administrateurs ou, à défaut d'administrateurs régulièrement constitués, les organisateurs, dans les cas prévus par les articles 4, 6 et 10 ;
3° Tout professeur qui aura enseigné malgré la défense de l'article 8.

Article 17

En cas d'infraction aux prescriptions des articles 3, 4, 5, 6 ou 10, les tribunaux pourront prononcer la suspension du cours ou de l'établissement pour un temps qui ne devra pas excéder trois mois.

En cas d'infraction aux dispositions de l'article 8, ils prononceront la fermeture du cours et pourront prononcer celle de l'établissement.

Il en sera de même lorsqu'une seconde infraction aux prescriptions des articles 3, 4, 5, 6 ou 10 sera commise dans le courant de l'année qui suivra la première condamnation. Dans ce cas, le délinquant pourra être frappé, pour un temps n'excédant pas cinq ans, de l'incapacité édictée par l'article 8.

Article 18

Tout jugement prononçant la suspension ou la fermeture d'un cours sera exécutoire par provision, nonobstant appel ou opposition.

Article 19

Tout refus de se soumettre à la surveillance, telle qu'elle est prescrite par l'article 7, sera puni d'une amende de 1000 à 3000 francs, et en cas de récidive, de 3000 à 6000 francs.

Si la récidive a lieu dans le courant de l'année qui suit la première condamnation, le jugement pourra ordonner la fermeture du cours ou de l'établissement.

Tous les administrateurs de l'établissement seront civilement et solidairement responsables du paiement des amendes prononcées contre l'un ou plusieurs d'entre eux.

Article 20

Lorsque les déclarations faites conformément aux articles 3 et 4 indiqueront comme professeur une personne frappée d'incapacité ou contiendront la mention d'un sujet contraire à l'ordre public ou à la morale publique et religieuse, le procureur de la République pourra former opposition dans les dix jours.

L'opposition sera notifiée à la personne qui aura fait la déclaration.

La demande en mainlevée pourra être formée devant le tribunal civil, soit par déclaration écrite au bas de la notification, soit par acte séparé, adressé au procureur de la République.

Elle sera portée à la plus prochaine audience.

En cas de pourvoi en cassation, le recours sera formé dans la quinzaine de la notification de l'arrêt, par déclaration au greffe de la cour ; il sera notifié dans la huitaine, soit à la partie, soit au procureur général, suivant le cas, le tout à peine de déchéance.

Le recours formé par le procureur général sera suspensif.

L'affaire sera portée directement devant la chambre civile de la Cour de cassation.

Le cours ne pourra être ouvert avant la mainlevée de l'opposition, à peine d'une amende de 16 à 500 francs, laquelle pourra être portée au double en cas de récidive dans l'année qui suivra la première condamnation.

Si le cours est ouvert dans un établissement, les administrateurs seront civilement et solidairement responsables des amendes prononcées en vertu du présent article.

Article 21

En cas de condamnation pour délit commis dans un cours, les tribunaux pourront prononcer la fermeture du cours.

La poursuite entraînera la suspension provisoire du cours ; l'affaire sera portée à la plus prochaine audience.

Article 22

Indépendamment des pénalités ci-dessus édictées, tout professeur pourra, sur la plainte du préfet ou du recteur, être traduit devant le conseil départemental de l'instruction publique pour cause d'inconduite notoire, ou lorsque son enseignement sera contraire à la morale et aux lois, ou pour désordre grave occasionné ou toléré par lui dans son cours. Il pourra, à raison de ces faits, être soumis à la réprimande avec ou sans publicité ; l'enseignement pourra même lui être interdit à temps ou à toujours, sans préjudice des peines encourues
pour crimes ou délits.

Le conseil départemental devra être convoqué dans les huit jours à partir de la plainte.

Appel de la décision rendue pourra toujours être porté devant le conseil supérieur, dans les quinze jours à partir de la notification de cette décision.

L'appel ne sera pas suspensif.

Article 23

L'article 463 du Code pénal pourra être appliqué aux infractions prévues par la présente loi.
 

Disposition transitoire

Article 24

Le Gouvernement présentera, dans le délai d'un an, un projet de loi ayant pour objet d'introduire dans l'enseignement supérieur de l'État les améliorations reconnues nécessaires.

Article 25

Sont abrogés les lois et décrets antérieurs en ce qu'ils ont de contraire à la présente loi.

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Jean-Pierre Maury