Cour de cassation

Breisacher, 10 octobre 2001


HAUTE COUR DE JUSTICE - Compétence
INSTRUCTION - Témoin
PRESCRIPTION - Action publique
Arrêt
Conclusions
Rapport

Arrêt du 10 octobre 2001 rendu par l'Assemblée plénière

1° HAUTE COUR DE JUSTICE.
Compétence. - Acte commis par le Président de la République en dehors de l'exercice de ses fonctions (non).

2° PRESCRIPTION.

Action publique. - Suspension. - Impossibilité d'agir. - Obstacle de droit. - Président de la République. - Durée du mandat.

3° INSTRUCTION.

Témoin. - Obligation de comparaître. - Président de la République. - Portée.
1° La Haute Cour de justice n'étant compétente que pour connaître des actes de haute trahison commis par le Président de la République dans l'exercice de ses fonctions et le Conseil constitutionnel n'ayant statué, dans sa décision du 22 janvier 1999, que sur la possibilité de déférer le Président de la République à la Cour pénale internationale pour y répondre des crimes de la compétence de cette Cour, les poursuites engagées pour toute autre infraction ressortissent de la compétence des juridictions pénales de droit commun.

2° Etant élu directement par le peuple pour assurer, notamment, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat, le Président de la République ne peut être mis en examen, cité ou renvoyé devant une juridiction pénale de droit commun pendant la durée de son mandat. Il en résulte que la prescription de l'action publique est suspendue pendant cette même durée.

3° Le Président de la République n'est pas soumis à l'obligation de comparaître en qualité de témoin, dès lors que cette obligation est assortie d'une mesure de contrainte par l'article 109 du Code de procédure pénale et qu'elle est pénalement sanctionnée. Il s'ensuit qu'est irrecevable la demande d'une partie civile tendant à l'audition du Président de la République en qualité de témoin.

LA COUR,

Vu l'article 575, alinéa 2, 4°, du Code de procédure pénale et les articles L.2132-5 et L.2132-7 du Code général des collectivités territoriales ;

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Paris, chambre de l'instruction, 29 juin 2001) qu'au vu d'un rapport de la Chambre régionale des comptes, une information a été ouverte contre personne non dénommée pour favoritisme, détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, prise ou conservation illégale d'intérêt, complicité, recel, concernant des irrégularités dans les marchés publics passés par la Société d'économie mixte parisienne de prestations, dissoute le 22 juillet 1996, dont la ville de Paris, le département de Paris et d'autres sociétés d'économie mixte étaient les actionnaires ;

Que, s'étant constitué partie civile en lieu et place de la ville de Paris en vertu d'une autorisation donnée le 7 juillet 2000 par le tribunal administratif, M. Michel Breisacher a saisi le 21 novembre 2000 les juges d'instruction d'une requête motivée en vue de l'audition, en qualité de témoin, de M. Jacques Chirac, à l'époque des faits maire de Paris et aujourd'hui Président de la République ;

Que, par ordonnance du 14 décembre 2000, les juges d'instruction se sont déclarés incompétents pour procéder à l'acte d'information sollicité, aux motifs que la demande d'audition est formulée en des termes tendant à la mise en cause pénale de M. Jacques Chirac, qu'aux termes de l'article 68 de la Constitution, le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison, et que, selon l'interprétation que donne de ce texte la décision du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel, "au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice, selon les modalités fixées par le même article" ;

Attendu que, pour confirmer l'ordonnance entreprise, l'arrêt retient que ce dernier membre de phrase est un des motifs qui fondent la décision du Conseil constitutionnel, dont, en vertu de l'article 62 de la Constitution, les décisions s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et judiciaires, et que, dès lors, tant l'article 68 de la Constitution que la décision du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel excluent la mise en mouvement, par l'autorité judiciaire de droit commun, de l'action publique à l'encontre d'un Président de la République dans les conditions prévues par le Code de procédure pénale, pendant la durée du mandat présidentiel, les juges d'instruction restant néanmoins compétents pour instruire les faits à l'égard de toute autre personne, auteur ou complice ;

Attendu que le demandeur fait grief à l'arrêt d'avoir statué ainsi, alors, selon le moyen :

1°/ que, n'ayant statué que sur la constitutionnalité de l'article 27 du traité portant statut de la Cour pénale internationale, la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 ne dispose d'aucune autorité de chose jugée à l'égard du juge pénal agissant en application des dispositions du Code de procédure pénale, qui n'ont fait l'objet d'aucune décision du Conseil constitutionnel portant sur la question de l'immunité du chef de l'État ;

2°/ qu'en vertu du principe constitutionnel de l'égalité des citoyens devant la loi, l'immunité instituée au profit du Président de la République par l'article 68 de la Constitution ne s'applique qu'aux actes qu'il a accomplis dans l'exercice de ses fonctions et que, pour le surplus, il est placé dans la même situation que tous les citoyens et relève des juridictions pénales de droit commun ;

Mais attendu que, si l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel s'attache non seulement au dispositif, mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire, ces décisions ne s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles qu'en ce qui concerne le texte soumis à l'examen du Conseil ; qu'en l'espèce, la décision du 22 janvier 1999 n'a statué que sur la possibilité de déférer le Président de la République à la Cour pénale internationale pour y répondre des crimes de la compétence de cette Cour ; qu'il appartient, dès lors, aux juridictions de l'ordre judiciaire de déterminer si le Président de la République peut être entendu en qualité de témoin ou être poursuivi devant elles pour y répondre de toute autre infraction commise en dehors de l'exercice de ses fonctions ;

Attendu que, rapproché de l'article 3 et du titre II de la Constitution, l'article 68 doit être interprété en ce sens qu'étant élu directement par le peuple pour assurer, notamment, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État, le Président de la République ne peut, pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté, ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun ; qu'il n'est pas davantage soumis à l'obligation de comparaître en tant que témoin prévue par l'article 101 du Code de procédure pénale, dès lors que cette obligation est assortie par l'article 109 dudit Code d'une mesure de contrainte par la force publique et qu'elle est pénalement sanctionnée ;

Que, la Haute Cour de justice n'étant compétente que pour connaître des actes de haute trahison du Président de la République commis dans l'exercice de ses fonctions, les poursuites pour tous les autres actes devant les juridictions pénales de droit commun ne peuvent être exercées pendant la durée du mandat présidentiel, la prescription de l'action publique étant alors suspendue ;

Attendu que, si c'est à tort que la chambre de l'instruction, au lieu de constater l'irrecevabilité de la requête de la partie civile, a déclaré les juges d'instruction incompétents pour procéder à l'audition de M. Jacques Chirac, l'arrêt, néanmoins, n'encourt pas la censure, dès lors que les magistrats instructeurs, compétents pour instruire à l'égard de toute autre personne, n'avaient pas le pouvoir de procéder à un tel acte d'information ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

ASS. PLEN. - 10 octobre 2001. REJET
N° 01-84.922. - C.A. Paris, 29 juin 2001. - M. Breisacher

M. Canivet, P. Pt, Pt. - M. Roman, Rap. (dont rapport ci-après reproduit), assisté de M. Lichy, auditeur.- M. de Gouttes, P. Av. Gén. (dont conclusions ci-après reproduites).- la SCP Lesourd, Av.


Conclusions de M. de GOUTTES, Premier avocat général

Le pourvoi qui vous est soumis aujourd'hui n'aurait pas existé si les textes constitutionnels et législatifs en la matière avaient été clairs.

Mais la Constitution n'est pas claire dans son article 68, en ce qui concerne le régime de la responsabilité pénale applicable au Président de la République pour les actes accomplis en dehors de l'exercice de ses fonctions, et le Code de procédure pénale ne contient aucune disposition sur la faculté d'entendre le chef de l'Etat en qualité de témoin.

De cette lacune, de cette "insoutenable légèreté des textes", viennent toutes les difficultés actuelles. De là les controverses doctrinales qui divisent les constitutionnalistes et les pénalistes. De là la décision interprétative contestée du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999. De là enfin le présent pourvoi, qui vient vous demander de donner votre propre interprétation d'une disposition de la Constitution, au risque, peut-être, de vous voir reprocher ensuite - une fois de plus - d'instaurer un "gouvernement des juges"...

Quel est en effet l'objet du pourvoi de M. Breisacher ?

En critiquant la décision d'incompétence des juges du fond tant pour procéder à l'audition demandée du Président de la République en qualité de témoin que pour le mettre en examen, ce pourvoi vous demande rien de moins que de contester la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 dont a fait application l'arrêt attaqué, par laquelle les juges constitutionnels ont donné leur interprétation de l'article 68 de la Constitution concernant la responsabilité pénale du Président de la République, alors qu'ils étaient saisis de la question de la compatibilité avec la Constitution de la ratification du traité portant statut de la Cour pénale internationale.

Cette question a donné lieu, comme vous le savez, à un débordement de commentaires dans la doctrine et dans la presse. On a parlé de conflit potentiel direct entre la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel, d'affrontement d'une gravité exceptionnelle entre l'autorité judiciaire suprême et l'autorité constitutionnelle suprême, de risque de substitution de la responsabilité pénale à la responsabilité politique du chef de l'Etat. La Constitution doit l'emporter sur le droit pénal, ont affirmé les uns. Le Conseil constitutionnel ne doit pas s'immiscer dans le droit pénal, ont répondu les autres.

En arrière plan, chacun peut comprendre que l'on assiste à une confrontation entre deux logiques : la logique pénale, d'une part, soucieuse de l'égalité de tous les citoyens devant la loi pénale, de la répression des infractions, de la protection des droits des victimes, et la logique constitutionnelle, d'autre part, attachée à la continuité de l'Etat, au principe de la séparation des pouvoirs, à la spécificité et à la dignité des fonctions du Président de la République, élu au suffrage universel direct par la volonté du peuple français, ainsi qu'à l'esprit de la Constitution de 1958.

Dans le vacarme d'arguments assénés dans un sens comme dans l'autre, il appartient à votre Assemblée plénière de se prononcer sereinement en droit, en opposant, serai-je tenté de dire, l'humilité et la rigueur de la démarche du juriste face aux surenchères politico-médiatiques - toutes tendances confondues - dont nous devons nous défier, et en considérant que le problème posé n'est pas seulement celui de la situation de l'actuel Président de la République, M. Jacques Chirac, même si votre décision est de nature à influer sur le sort de plusieurs affaires similaires en cours, mais qu'au-delà et de façon permanente, le problème est celui du degré de protection qu'il y a lieu d'accorder à la fonction de chef de l'Etat en général.

Peut-être une telle démarche de rigueur et de sagesse est-elle la voie la meilleure pour parvenir à dégager une solution équilibrée, qui réussisse à tenir compte à la fois des exigences constitutionnelles, des impératifs du droit pénal, mais aussi des obligations découlant de nos engagements internationaux, notamment de la Convention européenne des droits de l'homme.

*        *

Revenons donc à l'arrêt attaqué et au pourvoi lui-même :

L'arrêt de la 3ème chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris du 29 juin 2001 a été rendu dans le cadre de l'information suivie contre X... au tribunal de grande instance de Paris des chefs de favoritisme dans les marchés publics, détournements de fonds publics, abus de biens sociaux, prise ou conservation illégale d'intérêt, recel et complicité, concernant des irrégularités commises dans la passation de marchés publics de fournitures et de prestations de travaux d'imprimerie par la Société d'économie mixte parisienne de prestation dite "SEMPAP", dissoute le 22 juillet 1996, dont la ville de Paris, le département de Paris et d'autres sociétés d'économie mixte étaient actionnaires.

L'arrêt attaqué comporte deux parties :

- d'une part, il confirme l'ordonnance des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris (MM. André Riberolles et Marc Brisset-Foucault) en date du 14 décembre 2000, par laquelle ces juges se sont déclarés incompétents pour procéder à l'audition du Président de la République en qualité de témoin sur le fondement de l'article 82-1 du Code de procédure pénale, audition qui leur avait été demandée le 21 novembre 2000 par la partie civile, M. Michel Breisacher, autorisé à se constituer partie civile aux lieu et place de la ville de Paris par décision du tribunal administratif de Paris du 7 juillet 2000 ;

- d'autre part, il rejette la demande de mise en examen du Président de la République présentée ultérieurement par M. Breisacher devant la chambre de l'instruction le 14 mai 2001 sur le fondement des articles 82-1, 204 et 205 du Code de procédure pénale.
 

L'arrêt du 29 juin 2001 se présente ainsi comme un arrêt déclarant incompétente la juridiction d'instruction, et non pas comme un arrêt rendu sur une demande d'acte d'information, qui aurait relevé de l'appréciation souveraine des juridictions d'instruction (cf. : Cass. Crim., 25 mars 1977, Bull. Crim., n° 118).

*       *

Le mémoire ampliatif de Me Lesourd, pour M. Breisacher, dans son moyen unique en deux branches, ne critique la décision de la chambre de l'instruction qu'en ce qu'elle a confirmé la déclaration d'incompétence des juges d'instruction pour procéder à l'audition requise du Président de la République en qualité de témoin, mais il ne remet pas en cause expressément le rejet, par la chambre de l'instruction, de la demande ultérieure de mise en examen du chef de l'Etat, sans doute parce que les motifs de ce rejet lui ont paru suffisamment convaincants, à savoir :


Si vous vous en teniez littéralement au moyen, et rien qu'au moyen, vous pourriez vous borner au seul problème du témoignage et répondre exclusivement à la question de savoir si, dans les circonstances de l'espèce, la demande d'audition du Président de la République en qualité de témoin était régulière au regard des articles 101 et 105 du Code de procédure pénale, ce qui ne soulèverait pas de grandes difficultés, compte tenu des éléments réunis dans le présent dossier.

Cependant, dans la mesure où la chambre de l'instruction a fondé sa décision sur le motif que la demande de M. Breisacher n'était pas en réalité une demande de recueil de "témoignage", mais une demande "d'interrogatoire" du chef de l'Etat, donc une mise en cause de sa responsabilité pénale, à laquelle s'opposent - selon elle - les textes constitutionnels et la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, et dans la mesure où le mémoire ampliatif critique lui-même cette décision du 22 janvier 1999, vous serez nécessairement conduits à vous prononcer aussi sur le problème des poursuites pénales contre le chef d'Etat ou de la mise en cause de sa responsabilité pénale.

*       *

Ainsi, deux questions successives sont posées par le présent pourvoi :

1 - le problème de l'audition du Président de la République en qualité de témoin ;

2 - le problème de la mise en cause de la responsabilité pénale du Président de la République pendant la durée de ses fonctions.

*      *

Au préalable, nous devons nous assurer que le pourvoi de M. Breisacher est bien recevable au regard des articles L. 2132-5 et L. 2132-7 du Code général des collectivités territoriales.

*       *

SUR LA RECEVABILITÉ DU POURVOI

Aux termes de l'article L. 2132-5 du Code général des collectivités territoriales :

"Tout contribuable inscrit au rôle de la commune a le droit d'exercer, tant en demande qu'en défense, à ses frais et risques, avec l'autorisation du tribunal administratif, les actions qu'il croit appartenir à la commune, et que celle-ci, préalablement appelée à en délibérer, a refusé ou négligé d'exercer".

M. Breisacher a bien respecté les prescriptions de ce premier texte, puisqu'il a été autorisé, par décision du tribunal administratif de Paris du 7 juillet 2000, à se constituer partie civile aux lieux et place de la ville de Paris.

Mais une autre disposition du même Code, l'article L. 2132-7, ajoute :

"Lorsqu'un jugement est intervenu, le contribuable ne peut se pourvoir en appel ou en cassation qu'en vertu d'une nouvelle autorisation".

Est-ce à dire que M. Breisacher devait solliciter une nouvelle autorisation du tribunal administratif pour interjeter appel de l'ordonnance des juges d'instruction, puis pour se pourvoir en cassation contre l'arrêt de la chambre de l'instruction ?

À défaut d'une telle autorisation, faudrait-il soulever d'office l'irrecevabilité du pourvoi en cassation, alors que cette question n'a été évoquée par personne ?

Je ne le pense pas, car l'interprétation raisonnable de l'article L. 2132-7 conduit à penser que, si ce texte a entendu exiger une nouvelle autorisation du tribunal administratif pour relever appel ou se pourvoir en cassation contre un jugement ou un arrêt rendu sur le fond ou mettant fin à la procédure, il n'a certainement pas voulu exiger une telle autorisation pour relever appel ou se pourvoir en cassation contre une ordonnance, un jugement ou un arrêt statuant seulement avant dire droit et ne mettant pas fin à la procédure comme en l'espèce. En effet, s'agissant en pareil cas de décisions de pure procédure pénale rendues en cours d'information, le tribunal administratif ne serait pas en mesure d'apprécier les chances de succès de l'appel ou du pourvoi en cassation. Exiger en ce cas une nouvelle autorisation du tribunal administratif serait à la fois inutile et générateur de retards incompatibles avec le respect des délais d'appel et de cassation en matière pénale. Cela reviendrait à paralyser le cours de l'information judiciaire et à subordonner entièrement le juge pénal au juge administratif.

La jurisprudence administrative en la matière ne semble d'ailleurs pas contredire cette analyse(1).

Quant à la jurisprudence de la Cour de cassation, il existe certes un arrêt de la chambre criminelle ("Gérard Gilbert", Bull. Crim. 1985, n° 1) qui a dit qu'un contribuable exerçant l'action appartenant à la commune était irrecevable à se pourvoir en cassation en l'absence d'une nouvelle autorisation du tribunal administratif, mais il s'agissait dans cette affaire d'un pourvoi contre un arrêt mettant fin à la procédure et d'un demandeur qui n'avait pas obtenu l'autorisation initiale d'agir, ce qui n'est pas le cas de M. Breisacher(2).

La recevabilité du pourvoi de M. Breisacher ne me paraît donc pas devoir être contestée dans le présent dossier.
 

PREMIÈRE PARTIE

Le PROBLÈME de l'AUDITION du PRÉSIDENT de la RÉPUBLIQUE EN QUALITÉ de TÉMOIN

La chambre de l'instruction de Paris a-t-elle retenu à juste titre l'incompétence des juges d'instruction pour procéder à l'audition demandée du Président de la République en qualité de témoin ?

Pour répondre à cette question, il convient d'examiner :

- d'une part, comment se pose le problème de principe de l'audition du Président de la République en qualité de témoin ;

- d'autre part, quels sont les motifs particuliers de l'espèce qui ont conduit la chambre de l'instruction à refuser la demande d'audition du Président de la République.
 

I - Le PROBLÈME de PRINCIPE de l'AUDITION du PRÉSIDENT de la RÉPUBLIQUE EN QUALITÉ de TÉMOIN

A - Force est de constater, tout d'abord, que l'audition comme témoin du Président de la République n'est réglée par aucun texte, ni dans la Constitution, ni dans le Code de procédure pénale.

Cette lacune est d'autant plus regrettable qu'à l'inverse, les témoignages des membres du Gouvernement ainsi que ceux des représentants des Etats étrangers sont, quant à eux, régis par les articles 652 et suivants du Code de procédure pénale :

selon les articles 652 à 655 du Code de procédure pénale, la comparution comme témoin du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement exige l'autorisation préalable du Conseil des ministres ou, à défaut d'autorisation, le recueil de la déposition par écrit dans la demeure du témoin par le premier président de la cour d'appel ou par le président du tribunal de grande instance de la résidence du témoin ;

selon l'article 656 du Code de procédure pénale, la déposition écrite du représentant d'une puissance étrangère est demandée par l'entremise du ministre des affaires étrangères et, si elle est agréée, cette déposition est reçue par le premier président de la cour d'appel ou le magistrat qu'il aura délégué.

Par ailleurs, s'agissant des diplomates, l'article 31 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques précise que "l'agent diplomatique n'est pas obligé de donner son témoignage".
 

B - En présence de ce silence des textes, deux raisonnements peuvent être envisagés :

-- Selon une première analyse, vous pourriez considérer que, tant que les textes n'auront pas défini les conditions et les modalités de recueil du témoignage du Président de la République, son audition comme témoin devrait être exclue, étant donné, d'une part que cela reviendrait à placer le chef de l'Etat dans une situation moins protégée que les ministres et les représentants d'Etats étrangers, d'autre part que les mesures de contrainte et les sanctions pénales qui assortissent l'obligation de comparaître (cf. : article 109 du CPP et article 434-15-1 du Code pénal) sont incompatibles avec l'exercice des fonctions de Président de la République.

-- Mais il paraît plus cohérent d'admettre que, dès lors que les dispositions constitutionnelles ne s'opposent pas à l'audition du Président de la République en qualité de témoin à propos de faits sans lien avec l'exercice de ses fonctions, les règles générales de procédure pénale ont vocation à s'appliquer à une mesure, comme le simple témoignage, qui n'a d'autre objet que de demander à une personne extérieure et neutre d'apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité (articles 101 et suivants du CPP), à la condition toutefois que cette mesure n'affecte, ni le principe de la séparation des pouvoirs, ni la dignité de la fonction de chef de l'Etat(3).

- Cela signifie, d'une part, bien évidemment, que doivent être réunies alors les conditions générales habituelles de validité de l'audition des témoins : il faut notamment que cette audition soit nécessaire à la manifestation de la vérité et qu'elle ne dissimule pas une mise en cause déguisée de la responsabilité pénale de l'intéressé. Or nous verrons que c'est cette seconde condition qui fait principalement défaut dans la présente affaire.

- Cela signifie, d'autre part, que l'audition comme témoin du Président de la République ne doit pas porter atteinte à la dignité de la fonction de chef de l'Etat, élu au suffrage universel direct, ni au principe de la séparation des pouvoirs, ce qui entraîne trois conséquences principales :

1) en premier lieu, l'audition du Président de la République en qualité de témoin ne peut, d'évidence, concerner que des faits sans lien avec l'exercice de ses fonctions.

L'existence d'un lien avec l'exercice des fonctions de chef de l'Etat explique, par exemple, la réponse négative opposée en 1984 par le Président François Mitterrand lorsque la question lui avait été posée de l'audition (par une commission d'enquête parlementaire, de surcroît) de l'ancien Président de la République M. Valéry Giscard d'Estaing, au titre de l'instruction de l'affaire dite des "avions renifleurs" (Lettre de M. Mitterrand du 29 août 1984).

Plus anciennement, a été également cité en ce sens l'arrêt du 8 février 1898, par lequel la cour d'assises de la Seine avait approuvé le refus de l'ancien Président de la République, Casimir Perier, de témoigner lors du procès qui fut intenté contre Emile Zola après la publication de son célèbre "J'accuse", sur des faits dont il avait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions(4).

2) en deuxième lieu, l'audition du chef de l'Etat ne peut s'accompagner d'aucune mesure de contrainte, telles que celles envisagées par les articles 109 à 113 du Code de procédure pénale, ni de la sanction prévue par l'article 434-15-1 du Code pénal, mesures qui pourraient affecter la dignité de la fonction du Président de la République et le principe de la séparation des pouvoirs, voire celui de la continuité de l'Etat.

Le témoignage du Président de la République ne peut donc qu'être volontaire. Il implique son accord.

Or nous savons, à cet égard, que le Président Chirac a clairement manifesté, à plusieurs reprises, son refus de répondre à toute convocation des juges d'instruction pour une audition en qualité de témoin, en invoquant précisément les impératifs constitutionnels liés à la fonction du Président de la République, le principe de la séparation des pouvoirs et celui de la continuité de l'Etat.

3) en troisième lieu, il importe, pour les mêmes raisons, que l'audition du Président de la République soit effectuée dans des formes qui respectent la dignité et l'éminence des fonctions de chef d'Etat.

Il s'agit là d'un impératif qui procède tout à la fois de notre tradition républicaine, de la nature des missions confiées au Président de la République par la Constitution du 4 octobre 1958 (cf. notamment les articles 3, 5, 6, 8, 9, 13, 14, 15, 16, 52, 64), mais aussi des exigences de cohésion de la Nation et de l'image de la France à l'étranger.

C'est pourquoi, dans l'attente de l'adoption de dispositions législatives spéciales particulièrement souhaitables à ce sujet, il convient d'approuver les auteurs(5) qui préconisent en l'état que toutes dispositions soient prises pour que le recueil du témoignage du Président de la République respecte pleinement la dignité de sa fonction, en s'inspirant par exemple des formes et modalités de recueil des témoignages prévues par l'article 654 du Code de procédure pénale pour les membres du Gouvernement (à savoir le recueil par écrit de la déposition dans la demeure du témoin par le premier président de la cour d'appel ou, si le témoin réside hors du chef-lieu de la Cour, par le président du tribunal de grande instance de sa résidence).

Telles étant rappelées, dans leur principe, les conditions et les limites du recueil du simple témoignage du Président de la République, quels sont maintenant les motifs particuliers de l'espèce qui ont conduit la chambre de l'instruction à approuver le refus de demande d'audition du Président de la République ?

II - LES MOTIFS de l'ESPÈCE JUSTIFIANT LE REFUS DE LA DEMANDE d'AUDITION du PRÉSIDENT de la RÉPUBLIQUE

A - Pour justifier le refus des juges d'instruction de procéder à l'audition du chef d'Etat comme témoin, telle que réclamée par M. Breisacher, l'arrêt attaqué de la chambre de l'instruction procède par un raisonnement en trois temps :

1) en premier lieu, il rappelle la définition du simple témoin selon les règles de procédure pénale : un témoin est une personne à l'encontre de laquelle il n'existe aucun indice indiquant qu'elle ait pu participer aux infractions objet de l'information, une personne extérieure et neutre par rapport aux faits au sujet desquels il lui est demandé d'apporter son concours à la justice, en vue de la manifestation de la vérité.

2) en deuxième lieu, l'arrêt attaqué constate qu'en l'espèce, la demande d'audition de M. Chirac ne correspond pas à celle d'un témoin, puisque la partie civile, M. Breisacher, demandait en réalité aux juges d'instruction de recueillir sous serment une déposition qui pouvait se retourner contre le Président de la République, sommé de s'expliquer sur son inertie face aux anomalies de la SEMPAP et de ses sociétés satellites, révélées par les rapports de l'Inspection générale de la ville de Paris. Il ne s'agissait donc pas, selon l'arrêt attaqué, de recueillir le "témoignage" du chef de l'Etat, mais bien de procéder à un "interrogatoire" portant sur son éventuelle participation aux faits qui se sont déroulés entre 1989 et 1995 à la SEMPAP, alors que M. Chirac était maire de Paris.

Ainsi que l'avaient souligné auparavant les juges d'instruction dans leur ordonnance du 14 décembre 2000, la demande d'audition était effectivement formulée dans des termes accusatoires tendant explicitement à la mise en cause pénale de M. Chirac.

Cette analyse est d'ailleurs pleinement corroborée par le fait que M. Breisacher lui-même, dans sa seconde demande présentée devant la chambre de l'instruction le 14 mai 2001, admet que l'audition de M. Chirac comme simple témoin n'est plus possible et sollicite sa mise en examen pour complicité par abstention de l'ensemble des délits dénoncés.

Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 105 du Code de procédure pénale, qui interdit l'audition comme simple témoin d'une personne contre laquelle il existe des indices graves et concordants d'avoir participé aux faits, les juges d'instruction se devaient, qu'il s'agisse du Président de la République ou de quiconque, de refuser la demande d'audition en qualité de témoin d'une personne contre laquelle existaient de tels indices.

Ce faisant, ce n'est pas le principe même de l'audition du Président de la République en tant que témoin qui a été proscrit par l'arrêt attaqué, mais la volonté de mettre en cause sa responsabilité pénale sous prétexte d'une demande d'audition comme témoin (cf. : rapport du procureur de la République de Paris du 2 juillet 2001 dans l'affaire dite des marchés du Conseil général d'Ile-de-France, page 2).

3) En troisième lieu, l'arrêt attaqué déduit logiquement de ces constatations que, s'agissant d'une véritable mise en cause de la responsabilité pénale du Président de la République, elle entre dans le champ d'application du considérant n° 16 de la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, - ce qui n'apparaît pas discutable en soi, indépendamment de la question de savoir quelle autorité il convient d'accorder à cette décision, question qui va faire l'objet de la seconde partie de mes conclusions.

En tant que tel, le raisonnement de la chambre de l'instruction suffit donc à justifier le refus de la demande d'audition de M. Chirac telle qu'elle avait été présentée par M. Breisacher.
 

B - Ce même raisonnement aurait d'ailleurs conduit à refuser, a fortiori, me semble-t-il, une demande d'audition de M. Chirac en qualité de "témoin assisté", si elle avait été formulée (ce qui n'a pas été le cas dans la requête de M. Breisacher).

En effet, outre l'obstacle tenant à l'absence de consentement du Président de la République à son audition - consentement qui est toujours nécessaire pour les raisons indiquées ci-dessus - le "témoin assisté" est, selon les dispositions des articles 113-1 à 113-8 du Code de procédure pénale, issues de la loi du 15 juin 2000, une personne contre laquelle il existe "des indices rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi" et il est une personne dont le statut, tout en participant encore par certains aspects de celui de simple témoin, le rapproche sur plusieurs autres points de celui de mis en examen(6) :

Ainsi, comme le relève la circulaire générale de la Chancellerie du 20 décembre 2000 (n° Crim-00-16/F 1 - 20-12-00, page 35), indépendamment des droits étendus proches de ceux du mis en examen dont il dispose, le "témoin assisté" est assimilé à une personne qui aurait été mise en examen pour l'application de l'article 105 du Code de procédure pénale relatif à la prohibition des mises en examen tardives, et il ne peut donc contester une mise en examen qui aurait été, selon lui, tardivement décidée par le juge (article 113-6, alinéa 2, du CPP).

De même, les règles édictées par l'article 652 du Code de procédure pénale pour l'audition comme témoins des membres du Gouvernement ne s'appliquent pas au "témoin assisté" (article 652, alinéa 3, du CPP). Les membres du Gouvernement peuvent donc être entendus comme "témoins assistés" sans autorisation préalable du Conseil des ministres, de la même façon qu'ils peuvent être mis en examen sans autorisation.

Enfin, le "témoin assisté", comme le mis en examen, ne prête pas serment (article 113-7 du CPP), contrairement à ce que prévoyaient les textes antérieurs.

Dans ces conditions, il me semble que le "témoin assisté", même si les dispositions du Code le concernant figurent à la section intitulée "Des auditions de témoins", s'apparente à une véritable "quasi-partie à la procédure d'instruction", selon l'expression de la circulaire de la Chancellerie précitée du 20 décembre 2000 (page 31), laquelle précise même que le juge peut entendre comme "témoin assisté" ou comme "mis en examen" une personne contre laquelle il existe des indices graves et concordants (page 28 de la circulaire).

*       *

En conclusion de cette première partie, il apparaît, dès lors, que même si l'on peut admettre dans le principe la possibilité d'entendre le Président de la République comme simple témoin lorsque sont réunies toutes les conditions que j'ai rappelées précédemment, c'est à bon droit que la chambre de l'instruction de Paris a approuvé en l'espèce le refus opposé par les juges d'instruction à la demande d'audition de M. Chirac telle qu'elle avait été formulée par M. Breisacher.

*       *

DEUXIÈME PARTIE

LE PROBLÈME de la MISE EN CAUSE DE LA RESPONSABILITÉ PÉNALE DU PRÉSIDENT de la RÉPUBLIQUE
 

Peut-on poursuivre pénalement le chef de l'Etat devant les juridictions de droit commun pendant la durée de son mandat pour des actes accomplis en dehors de l'exercice de ses fonctions ou avant le début de son mandat ? Un juge d'instruction peut-il en pareil cas continuer à informer contre lui ?

Tel est le problème posé à travers la question de l'interprétation de l'article 68 de la Constitution(7).

A - Malheureusement, le texte de l'article 68 ne fournit pas en lui-même de réponse claire, car sa rédaction est ambiguë et imprécise.

Que dit ce texte ?

"Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice".

Tel qu'il est rédigé, ce texte prête à deux lectures :

- ou bien, selon une première approche littérale, on lit ensemble les deux phrases de l'article 68 comme liées entre elles et, en ce cas, l'article signifie que, pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions, le Président de la République n'est responsable qu'en cas de haute trahison et qu'il ne peut, à ce titre, être mis en accusation que par les deux Assemblées par un vote à la majorité absolue de ses membres et jugé par la Haute Cour de justice(8). Mais, a contrario, pour les actes accomplis en dehors de l'exercice de ses fonctions, qu'ils aient été commis pendant ou avant la durée de son mandat, le Président de la République relèverait du droit commun et des juridictions ordinaires ;

- ou bien, selon une approche séparatiste, on lit séparément les deux phrases de l'article 68, et l'on considère que la seconde phrase pose un principe autonome de privilège de juridiction, selon lequel le Président de la République ne peut, pendant la durée de son mandat, être poursuivi, pour les actes commis avant son élection ou en dehors de l'exercice de ses fonctions, que par décision des deux Assemblées statuant à la majorité absolue de ses membres, puis jugé par la Haute Cour de justice (comme pour le cas de haute trahison commise dans l'exercice de ses fonctions).
 

B - Face à ces deux lectures possibles, force est de reconnaître que l'on ne trouve aucune réponse claire :

- ni dans l'histoire et la genèse des textes constitutionnels, qui ont beaucoup évolué depuis la 3ème République, sans que l'on puisse souscrire à la formule du professeur Guy Carcassonne affirmant, à l'appui de sa thèse séparatiste, que "la IIIème République affirme, la IVème confirme, la Vème corrobore"(9) ;

- ni dans les documents retraçant les rédactions successives de l'article 68 de la Constitution, qui ne constituent pas des "travaux préparatoires" au sens technique du terme, ainsi que l'ont relevé MM. Pierre Avril et Bruno Genevois(10), après les professeurs Vedel et Luchaire, de sorte que ces travaux ne peuvent être invoqués pour déterminer la volonté de l'auteur (un auteur qui ne peut être d'ailleurs, ici, que le peuple français lorsqu'il a adopté la Constitution) ;

- ni dans la doctrine constitutionnelle elle-même, qui, après avoir adhéré jusqu'en 1998 à la lecture unitaire de l'article 68 et à la thèse selon laquelle le chef de l'Etat ne devait pas bénéficier d'immunité pour les actes étrangers à l'exercice de ses fonctions(11), a perdu son unanimité lorsque le problème s'est posé concrètement avec la montée des affaires politico-judiciaires.
 

C - Depuis 1998, et surtout après la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, les auteurs se sont en effet divisés en deux camps :

1) d'une part, les tenants de la lecture "unitaire" de l'article 68(12), selon lesquels la Constitution aurait entendu exclure tout privilège de juridiction du Président de la République pour les actes accomplis en dehors de l'exercice de ses fonctions ou avant son élection.

À l'appui de leur analyse, ces auteurs font valoir notamment :

- que telle était l'opinion unanime de la doctrine jusqu'en 1998 ;

- que dans un jugement du 3 décembre 1974, le tribunal correctionnel de Paris, tout en déboutant le demandeur, s'était reconnu compétent pour connaître des poursuites pénales exercées contre M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la République, pour des faits d'affichage illégal commis avant le début de son mandat (mais, dans cette affaire, la citation à comparaître avait été délivrée avant l'entrée en fonctions de M. Giscard d'Estaing et, par ailleurs, ce dernier n'avait pas contesté la compétence de la juridiction de droit commun, ainsi que l'avait relevé le jugement) ;

- que la jurisprudence de la Cour de cassation a elle-même évolué dans un sens similaire pour ce qui concerne les ministres relevant depuis 1993 de la Cour de justice de la République. En effet, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 26 juin 1995(13), que la compétence de la Cour de justice de la République "est limitée aux actes constituant des crimes ou délits commis par des ministres dans l'exercice de leurs fonctions ou qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l'Etat relevant de leurs attributions, à l'exclusion des comportements concernant la vie privée ou des mandats électifs locaux" ;

- qu'enfin, et de manière générale, la responsabilité pénale des gouvernants apparaît d'autant plus nécessaire aujourd'hui qu'il n'existe plus de responsabilité politique ou de contrôle politique effectifs, y compris à l'égard de l'action du Président de la République(14).

2) d'autre part, les tenants de la lecture "séparatiste" des deux phrases de l'article 68(15), qui pensent que le privilège de juridiction prévu par la seconde phrase de cet article doit être étendu, pendant la durée du mandat, à tous les actes commis par le Président de la République en dehors de l'exercice de ses fonctions ou avant le début de son mandat.

Les arguments en faveur de cette thèse ont été abondamment analysés dans la doctrine et je les rappellerai brièvement :

a) Il s'agit d'abord du principe de la séparation des pouvoirs, affirmé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790(16), qui fait obstacle à ce que le pouvoir judiciaire et les tribunaux puissent contrôler le Président de la République et s'immiscer dans le fonctionnement du pouvoir exécutif, sans que l'on puisse toujours discerner, à cet égard, les actes accomplis dans l'exercice ou hors l'exercice des fonctions présidentielles.

b) Il s'agit ensuite du principe de la continuité de l'Etat, dont le chef de l'Etat, élu au suffrage universel direct par la volonté du peuple français, a la charge en vertu de l'article 5 de la Constitution(15) et qui s'impose en raison même de l'importance des missions du Président de la République pour la vie de la Nation (cf. : notamment articles 3, 5, 6, 8, 9, 13, 14, 15, 16, 52, 64 de la Constitution). On rappelle à ce sujet que le Président de la République est le garant de l'indépendance nationale et de l'intégrité du territoire, qu'il est le chef des armées, qu'il nomme aux emplois civils et militaires, qu'il a le droit de grâce, qu'il est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire et préside le Conseil supérieur de la magistrature, etc... Le chef de l'Etat ne pourrait plus exercer librement et sereinement ses fonctions, fait-on remarquer, s'il était mis à la merci de la moindre plainte ou constitution de partie civile, s'il était exposé à un harcèlement judiciaire de ses adversaires, et s'il devait toujours compter avec la menace d'une mise en examen pour un fait quelconque ne se rattachant pas à sa fonction de chef de l'Etat.

c) Il s'agit encore du respect de la dignité de la fonction présidentielle et de sa dimension symbolique au plan national et international, qui oblige à mettre son titulaire à l'abri de l'humiliation d'une mise en examen devant les tribunaux répressifs.

d) Ces considérations, ajoute-t-on, ne sauraient pour autant avoir pour effet de créer une immunité du Président de la République pendant la durée de son mandat pour les actes accomplis en dehors de l'exercice de ses fonctions ou avant son élection, dans la mesure où :

- d'une part, ces actes peuvent relever en principe de la procédure de mise en accusation devant la Haute Cour de justice, pendant la durée du mandat présidentiel ;

- d'autre part, ces actes pourront être poursuivis et jugés devant les juridictions pénales ordinaires après la fin du mandat, en admettant que la prescription de l'action publique ordinaire soit suspendue pendant la durée du mandat ;

- enfin, s'il s'agissait d'un crime particulièrement grave commis en dehors de l'exercice de ses fonctions, le Président de la République pourrait faire éventuellement l'objet de la procédure prévue par l'article 7, alinéa 4, de la Constitution, à savoir l'empêchement constaté par le Conseil constitutionnel.

e) Par ailleurs, toujours à l'appui du privilège de juridiction du chef de l'Etat pendant la durée de son mandat, sont également invoqués :

- la coutume internationale, qui fait bénéficier les chefs d'Etat en exercice d'une immunité générale s'opposant à ce qu'ils puissent faire l'objet de poursuites devant les juridictions pénales d'un autre Etat. L'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 13 mars 2001, concernant le colonel Kadhafi, est évidemment à rappeler à ce sujet, qui a déclaré "qu'en l'état du droit international, le crime dénoncé, quelle qu'en soit la gravité, (l'attentat commis contre le DC 10 de la Cie UTA) ne relevait pas des exceptions au principe de l'immunité de juridiction des chefs d'Etat étrangers en exercice" ;

- le droit diplomatique et les dispositions de l'article 31-1 de la convention de Vienne du 18 avril 1961, qui accordent aux diplomates eux-mêmes une immunité générale de juridiction pénale dans l'Etat accréditaire ;

- le droit comparé, qui révèle que la plupart des pays reconnaissent, d'une façon plus ou moins étendue, un privilège de juridiction à leurs chefs d'Etat. Selon MM. Guy Carcassonne et Louis Favoreu(17), l'Autriche, le Portugal, l'Islande, la Grèce, l'Allemagne ménagent tous un monopole parlementaire pour la mise en accusation du chef de l'Etat, et, dans certains Etats européens (Grèce, Portugal) la Constitution reporte après l'expiration du mandat présidentiel l'engagement éventuel de poursuites devant les juridictions ordinaires pour infractions commises en dehors de l'exercice des fonctions(18).

D - Face aux deux thèses en présence qui opposent les constitutionnalistes, M. Olivier Camy, dans son article sur "la controverse de l'article 68 - Aspects théologiques" (Revue de droit public, 2001, n° 3, pages 811 et suivantes) relève justement que "incapable de retrouver les fondements du droit, peu assurée de ses méthodes d'interprétation, minée par le soupçon que le droit ne serait que le travestissement de la politique, la doctrine s'est divisée à l'extrême et n'a pu jouer le rôle qu'elle s'était donné : déterminer la signification exacte de l'article 68", tout simplement parce que cette signification exacte n'existe pas, puisque c'est la Constitution elle-même qui est lacunaire sur ce point et qui ne permet pas d'apporter une réponse.

L'on s'est trouvé, en quelque sorte, dans l'hypothèse prévue par H. Kelsen(19) et rappelée par Olivier Camy, dans laquelle le constituant a "omis de poser une règle sur un point qu'il aurait dû régler, pour qu'il soit seulement possible, techniquement parlant, d'appliquer la loi".

Pour sortir de cette situation, la véritable solution aurait été et demeure une révision de l'article 68 de la Constitution.

Mais à défaut d'une telle révision, on peut comprendre que le Conseil constitutionnel, en présence de cette lacune de la Constitution et des divisions de la doctrine, ait souhaité lui-même exprimer sa voix et donner son interprétation de l'article 68. N'est-t-il pas, après tout, l'organe le mieux placé pour le faire ?

Cette interprétation, le Conseil constitutionnel l'a donnée, il est vrai, d'une façon inattendue, en profitant de l'examen de la conformité à la Constitution du traité de Rome instituant la Cour pénale internationale.

E - Constatant, en effet, que l'article 27 du statut de la Cour pénale internationale excluait toute immunité ou exonération de la responsabilité pénale des chefs d'Etat ou de Gouvernement pour les crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale, le Conseil constitutionnel a, dans sa décision n° 98-408, DC du 22 janvier 1999, dit que l'article 27 de ce statut était contraire au régime particulier de responsabilité institué notamment par l'article 68 de la Constitution, en énonçant le considérant suivant : "Considérant qu'il résulte de l'article 68 de la Constitution que le Président de la République, pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions et hors le cas de haute trahison, bénéficie d'une immunité (cette première partie du considérant ne prête pas à discussion) ; qu'au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice, selon les modalités fixées par le même article".

C'est cette seconde partie du considérant qui, se ralliant ouvertement à la thèse de la lecture séparée des deux phrases de l'article 68 et à une conception extensive du privilège de juridiction présidentiel, a suscité évidemment une vive controverse, dans laquelle se sont affrontés à nouveau les tenants des deux thèses en présence, dont j'ai déjà évoqué les principaux arguments respectifs(20).

F - Pour mieux préciser encore la portée de sa décision du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel a pris soin de préciser, dans un communiqué du 10 octobre 2000, que le statut pénal du Président de la République ne lui confère "pas une immunité pénale mais un privilège de juridiction pendant la durée du mandat", qui ne lui permet d'être poursuivi que devant la Haute Cour de justice.

À la lumière de ce communiqué, il apparaît donc :

d'une part, que si le chef de l'Etat ne peut être jugé que devant la Haute Cour de justice, il peut répondre devant cette juridiction de deux types d'infractions : des actes commis dans l'exercice de ses fonctions et qualifiables de haute trahison, mais aussi des actes détachables des fonctions commis pendant son mandat ou, s'ils ne sont pas déjà prescrits, antérieurement à ce mandat ;

d'autre part, que si toute poursuite devant les juridictions pénales ordinaires est suspendue pendant le mandat, il y aura retour à la compétence juridictionnelle de droit commun après la fin du mandat.

Ainsi se présente la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 sur laquelle s'est fondé l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris.

Comme on le voit, on est passé de la protection pénale du chef de l'Etat à raison de la nature de ses fonctions présidentielles à une protection pénale du chef de l'Etat à raison de son mandat présidentiel et pendant toute la durée de ce mandat.

Il est hors de doute que cette décision est novatrice et audacieuse et que, selon l'expression du Doyen Vedel(21), le Conseil constitutionnel a préféré à une "version littérale" du texte constitutionnel une "lecture discrètement constructive", destinée à assurer la protection du mandat conféré au Président de la République par un vote au suffrage universel, au nom des exigences de la "séparation des pouvoirs", affirmée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de la "continuité de l'Etat", dont le Président de la République a la charge en vertu de l'article 5 de la Constitution, et du respect nécessaire de la dignité de la fonction présidentielle.

Il n'est pas douteux, non plus, que cette décision laisse bien des points dans l'ombre et des incertitudes : en disant que, pendant la durée de ses fonctions, la responsabilité du Président de la République ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice "selon les modalités fixées par l'article 68" (ce qui renvoit au cas de haute trahison, selon la première phrase de l'article 68), le Conseil constitutionnel a-t-il voulu indiquer que les actes détachables des fonctions présidentielles devraient être poursuivis, pendant la durée du mandat, sous la qualification de haute trahison ? Doit-on comprendre que les poursuites sous une autre qualification que celle de haute trahison devant les juridictions pénales de droit commun seraient suspendues jusqu'à l'expiration du mandat présidentiel, la victime pouvant seulement exercer son action devant la juridiction civile compétente ? Par ailleurs, quel sort devra-t-on réserver aux procédures déjà engagées devant les juridictions de droit commun avant l'élection présidentielle et n'ayant pas fait l'objet d'une décision passée en force de chose jugée ? Devront-elles être transférées à la Haute Cour de justice ? Qu'en sera-t-il en outre pour les procédures engagées devant la Haute Cour et qui n'auront pas abouti avant la fin du mandat présidentiel ? Devront-elles être continuées devant la Haute Cour ? Quel sera le régime de la prescription ?

G - Néanmoins, si audacieuse et novatrice soit la décision du 22 janvier 1999, si complexe soit-elle dans ses effets, l'interprétation du Conseil constitutionnel peut-elle être remise en cause par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation ?

-- À première vue, l'article 62, alinéa 2, de la Constitution paraît y faire obstacle, aux termes duquel les décisions du Conseil constitutionnel "s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles".

Le Conseil constitutionnel lui-même a d'ailleurs précisé, dans deux de ses décisions (CC, n° 62-18, L. du 16 janvier 1962, Rec., p. 31 et n° 89-258, DC du 8 juillet,1989, Rec., p. 48) que l'autorité de ses décisions ne se limite pas à leur dispositif, mais s'applique à ceux des motifs "qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même".

Par la suite, le Conseil constitutionnel a cependant apporté une atténuation à ces principes, en ajoutant, dans une décision n° 88-244, DC du 20 juillet, 1988 (Rec., p. 119), que l'autorité de chose jugée attachée à ses décisions "est limitée à la déclaration d'inconstitutionnalité visant certaines dispositions de la loi déférée et qu'elle ne peut être utilement invoquée à l'encontre d'une autre loi, conçue d'ailleurs en termes différents".

-- Tenant compte de cette doctrine du Conseil constitutionnel, le mémoire ampliatif de M. Breisacher critique, à travers l'arrêt confirmatif de la chambre de l'instruction, le considérant n° 16 de la décision du 22 janvier 1999, en l'attaquant sur trois fronts :

Selon M. Breisacher, cette partie de la décision serait :

- un simple "obiter dictum", non nécessaire au soutien de la décision, (première branche du moyen) ;

- une disposition dénuée de l'autorité de chose jugée dans notre affaire (première branche du moyen) ;

- une disposition qui violerait le principe constitutionnel de l'égalité des citoyens devant la loi (seconde branche du moyen).

Examinons chacun de ces griefs, en commençant par le troisième, qui soulève le moins de difficultés.

*       *

I - Le CONSIDÉRANT n° 16 de la DÉCISION du CONSEIL CONSTITUTIONNEL et l'ARRÊT ATTAQUÉ de la CHAMBRE de l'INSTRUCTION ONT-ILS VIOLÉ le PRINCIPE de l'ÉGALITÉ des CITOYENS DEVANT LA LOI ?

I - 1 - Selon le mémoire ampliatif de M. Breisacher, en faisant application en la cause du considérant n° 16 et en interprétant extensivement le privilège de juridiction du chef de l'Etat, les juges d'instruction et la chambre de l'instruction auraient méconnu le principe de l'égalité des citoyens devant la loi.

En effet, note la partie civile, le principe de l'égalité des citoyens devant la loi est un principe constitutionnel, à portée générale, proclamé depuis la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789(22), et toute dérogation à ce principe, spécialement lorsqu'il s'agit de l'égalité devant la loi pénale, doit faire l'objet d'une interprétation stricte.

À l'appui de cette analyse, il est rappelé que, pour les ministres relevant de la Cour de justice de la République, la Cour de cassation interprète aujourd'hui restrictivement leur privilège de juridiction et considère que la compétence de la Cour de justice de la République est limitée aux crimes et délits commis par des ministres dans l'exercice de leurs fonctions, à l'exclusion des comportements concernant la vie privée(23). Peut-on alors admettre, écrit le mémoire ampliatif, que le chef du Gouvernement puisse lui-même être poursuivi pour des faits antérieurs à sa nomination, mais pas le chef de l'Etat ?

I - 2 - Cette argumentation, si impressionnante soit-elle, ne peut pas entraîner notre conviction :

Outre le fait que l'on ne peut pas assimiler totalement la protection de la fonction de Président de la République à la protection de la fonction du chef du Gouvernement (cf. : articles 5, 8, 9, 13, 14, 15, 16, 64, etc... de la Constitution), l'analyse de la doctrine et de la jurisprudence constitutionnelle(24) nous révèle que, selon un considérant désormais classique du Conseil constitutionnel(25) et du Conseil l'Etat, le principe d'égalité "ne s'oppose, ni à ce que le législateur règle de façons différentes des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi".

Or le privilège de juridiction reconnu par le Conseil constitutionnel au chef de l'Etat pendant la durée de son mandat, qui n'a d'ailleurs qu'un caractère temporaire, répond bien à chacune de ces conditions :

a) D'une part, c'est bien dans une situation éminemment distincte de celle des autres citoyens que se trouve placé le Président de la République, de par la volonté des français et de la Constitution, en raison même de la nature de sa fonction. Il est donc normal que le Conseil constitutionnel ait réglé différemment sa situation pénale par rapport à celle des autres citoyens. À situations différentes, règles différentes. Le raisonnement contraire reviendrait à contester aussi l'ensemble des autres immunités et privilèges de juridiction dont bénéficient, par exemple, les membres du Gouvernement (compétence exclusive de la Cour de justice de la République pour les crimes et délits accomplis dans l'exercice de leurs fonctions), les parlementaires (article 26 de la Constitution, loi constitutionnelle du 4 août 1995) ou les diplomates (article 31-1 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques).

b) D'autre part, c'est bien à une exigence d'intérêt général que répond le privilège de juridiction reconnu au Président de la République : celle qui s'attache à la continuité de l'Etat, à la dignité de la fonction présidentielle et au principe de la séparation des pouvoirs. Il ne faut pas oublier à cet égard que l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, après avoir proclamé l'égalité entre les hommes, a ajouté que "l'utilité commune" pouvait fonder des "distinctions sociales".(26)

c) Enfin la différence de régime est évidemment en rapport avec l'objet de la disposition constitutionnelle qui l'établit, à savoir le statut pénal du Président de la République et le domaine de compétence de la Haute Cour de justice.

*       *

II - Le CONSIDÉRANT n° 16 de la DÉCISION du CONSEIL CONSTITUTIONNEL du 22 JANVIER 1999 EST-IL un SIMPLE "OBITER DICTUM" ?

II - 1 - Aux yeux de M. Breisacher et de certains auteurs, le considérant n° 16 ne serait qu'un "obiter dictum", c'est-à-dire un motif incident non nécessaire à la résolution de la question posée (la compatibilité du traité instituant la Cour pénale internationale avec la Constitution), un motif qui ne serait ni le soutien, ni le fondement du dispositif et, à ce titre, sans portée juridique réelle.

Autrement dit, le Conseil constitutionnel aurait statué en quelque sorte "ultra petita" et répondu à une question qu'on ne lui posait pas, ainsi que le feraient apparaître d'ailleurs les termes "au surplus" figurant au début de la phrase litigieuse. (cf. : notamment François Luchaire, Rev. droit public, 1999, p. 457 ; Philippe Chrestia, note Dalloz 1999, jurisprudence, p. 287 ; Olivier Duhamel, journal "Le Monde", 26 janvier 1999).

II - 2 - Partageant la manière de voir exprimée par M. Bruno Genevois dans la revue française de droit administratif(27), je ne pense pas que ce grief soit fondé :

a) D'une part, au plan rédactionnel, dans la mesure où la terminologie du Conseil constitutionnel ne diffère pas de celle en usage au Conseil d'Etat, les termes généralement utilisés pour introduire un motif surabondant seraient "d'ailleurs" ou "au demeurant", tandis que les expressions "en outre" ou "au surplus" serviraient plutôt à introduire un motif "supplémentaire". À lui seul, ce premier argument, évoqué par M. Genevois, n'est sans doute pas déterminant.

b) D'autre part - et surtout -, quant au fond, lorsque le Conseil constitutionnel est saisi, sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, de la question de la compatibilité d'un engagement international avec la Constitution, il est tenu de procéder à un examen exhaustif de la question et de rechercher si l'engagement international soumis à son examen ne compte aucune "clause contraire à la Constitution".

Afin d'éclairer les pouvoirs publics sur l'étendue de la révision constitutionnelle qui serait nécessaire, il est normal que le Conseil constitutionnel se montre très précis.

Dans le cas présent de la Cour pénale internationale, le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur la compatibilité avec l'article 68 des poursuites susceptibles d'être engagées contre le Président de la République devant cette Cour internationale pour tous les crimes prévus par le traité de Rome du 18 juillet 1998 (génocides, crimes contre l'humanité, crimes de guerre, crimes d'agression), qu'ils aient été commis avant ou pendant le mandat présidentiel, dans l'exercice ou hors l'exercice des fonctions de chef de l'Etat.

Il n'avait donc pas à se borner à traiter de la question de tels crimes commis par le Président de la République dans l'exercice de ses fonctions. Il devait aussi régler le problème éventuel de poursuites engagées contre le chef de l'Etat pour des crimes de cette nature qu'il aurait pu commettre avant le début de son mandat ou en dehors de l'exercice de ses fonctions. L'élargissement de la notion de crime contre l'humanité à laquelle on assiste ces derniers temps, le caractère imprescriptible de tels crimes, la mise en cause de plus en plus fréquente des chefs de l'Etat dans le cadre de conflits internationaux contemporains, font que l'on ne peut plus regarder une telle hypothèse comme une pure hypothèse d'école.

En fonction d'une telle approche, M. Genevois note à juste titre que le Conseil constitutionnel, raisonnant de façon plus précise que ne l'avait fait le Conseil d'Etat dans son avis sur le même sujet du 29 février 1996(28), a retenu deux motifs de contrariété de l'article 27 du statut de la Cour pénale internationale par rapport à l'article 68 de la Constitution :

- D'un côté, une atteinte à l'immunité de fond, en ce sens que la responsabilité du chef de l'Etat pourrait être engagée pour des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions hors le cas de haute trahison ;

- D'un autre côté, une atteinte à l'immunité générale de procédure - ou, plus précisément, au privilège de juridiction - découlant de la compétence exclusive de la Haute Cour de justice pour tous les actes accomplis par le chef de l'Etat, y compris ceux commis en dehors de l'exercice de ses fonctions ou avant le début de son mandat.

La chose jugée par la décision du 22 janvier 1999 a donc impliqué que ce double obstacle soit levé par le pouvoir constituant avant l'introduction du traité dans l'ordre juridique interne, ce qui a été fait par la loi constitutionnelle n° 99-568 du 8 juillet 1999. Celle-ci, de façon très brève, s'est bornée à énoncer que "la République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998" (article 53-2 nouveau de la Constitution), ce qui, au demeurant, ne permet pas de soutenir que le considérant sur le statut pénal du chef de l'Etat était limité dans le temps et qu'il aurait été en quelque sorte "purgé" par la révision ultérieure et la ratification du Traité.

Il nous apparaît donc, avec M. Genevois, que le considérant n° 16 en discussion ne peut pas être regardé comme un simple "obiter dictum" et qu'il y a bien eu chose jugée par le Conseil constitutionnel sur la question considérée qui lui était posée.

*       *

III - Le CONSIDÉRANT n° 16 de la DÉCISION du CONSEIL CONSTITUTIONNEL A-T-IL POUR VOUS AUTORITÉ DANS LA PRÉSENTE AFFAIRE ?

Il est utile de se référer ici à la doctrine constitutionnelle(29), et en particulier aux actes du colloque de la Cour de cassation des 9 et 10 décembre 1994 sur "la Cour de cassation et la Constitution de la République" (Presses universitaires d'Aix-Marseille), ainsi qu'aux articles que M. Bruno Genevois a consacrés à ce sujet(30).

Selon cette doctrine, la force obligatoire que vise l'article 62, alinéa 2, de la Constitution concerne les décisions du Conseil constitutionnel et non sa jurisprudence.

Les juridictions administratives et judiciaires sont tenues d'exécuter les décisions du Conseil constitutionnel si elles ont à appliquer le texte qui a donné lieu à vérification de conformité et à interprétation par le Conseil constitutionnel. En revanche, s'il s'agit de textes différents, il n'y a pas d'obligation d'appliquer la décision du Conseil constitutionnel, comme a eu l'occasion de le préciser le Conseil constitutionnel lui-même(31), tout en relevant cependant qu'aujourd'hui les juges administratifs et judiciaires suivent généralement l'interprétation du Conseil constitutionnel, même lorsqu'ils n'y sont pas tenus.

Il faut donc distinguer entre :

- l'autorité "obligatoire" de la "chose jugée", inscrite dans la Constitution, qui s'attache au texte sur lequel s'est prononcé le Conseil constitutionnel ;

- l'autorité "morale" ou "persuasive", mais non écrite, qui peut être reconnue à la "chose interprétée" par le Conseil constitutionnel ou à sa "jurisprudence".

III - 1 - S'agissant de l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel, consacrée par l'article 62 de la Constitution, si elle s'impose "erga omnes" en ce qui concerne les textes mêmes dont la Haute instance a examiné la constitutionnalité, la doctrine considère qu'elle n'est que relative en ce qui concerne les autres textes, le Conseil constitutionnel, pas plus que toute autre juridiction, ne pouvant rendre "d'arrêts de règlement"(32).

Cependant, ainsi que le reconnaît le mémoire ampliatif, le Conseil constitutionnel a apporté une atténuation à l'acception rigoureuse de l'autorité de la chose jugée dans sa décision du 8 juillet 1989 (Rec., p. 48), par laquelle la Haute instance a estimé que, par exception, la chose jugée pourrait être invoquée à l'encontre d'une disposition d'une autre loi que celle qui avait été initialement déférée lorsque "les dispositions de cette loi, bien que rédigées sous une forme différente, ont, en substance, un objet analogue à celui des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution". Le Conseil constitutionnel a visé ainsi, à propos de dispositions d'amnistie au contenu semblable, le cas de la reprise matérielle, par une loi nouvelle, de solutions antérieures dégagées par une loi.

- Dans le cas de la décision du 22 janvier 1999, deux analyses sont dès lors possibles :

a) Selon une première analyse, vous pourriez considérer que, de par la généralité même de sa formulation, le considérant n° 16 du Conseil constitutionnel, proclamant l'immunité de juridiction du chef de l'Etat pendant toute la durée de son mandat, s'impose nécessairement dans tous les cas où est posée la même question de la responsabilité pénale du Président de la République au cours de son mandat, quand bien même ce considérant aurait été formulé à l'occasion de l'examen de la conformité à la Constitution d'un traité en particulier, celui relatif à la Cour pénale internationale.

Cette analyse, qui ouvrirait la voie à une conception de l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel plus large que celle traditionnellement admise par la doctrine, a été soutenue par quelques auteurs, notamment MM. Bertrand Mathieu, Michel Verpeaux, François Robbe et Jacques Robert(33).

Au soutien de ce point de vue, il peut être mis en avant un argument logique, tenant à la cohérence même du raisonnement : en termes de protection nécessaire de la fonction de Président de la République, si le Conseil constitutionnel a estimé incompatible avec l'article 68 de la Constitution l'exercice de poursuites contre le Président de la République pour génocide, crime contre l'humanité ou crime de guerre devant la Cour pénale internationale et s'il a fallu modifier la Constitution à cet effet, comment pourrait-on admettre la compatibilité avec l'article 68 de poursuites exercées contre le Président de la République pour n'importe quel délit moins grave, voire pour de simples contraventions ? Quand bien même s'agirait-il de poursuites exercées devant les juridictions françaises et non devant une juridiction internationale, le risque d'atteinte à la continuité de l'Etat, à la séparation des pouvoirs et à la dignité de la fonction présidentielle serait alors bien plus grand et permanent, le Président de la République pouvant à tout moment être mis en cause pour des infractions mineures. Cela ne vient-il pas conforter la portée générale qui s'attache à la seconde partie du considérant n° 16 ?

Si vous suiviez cette première analyse, vous pourriez rejeter le pourvoi de M. Breisacher sans aller plus avant, en admettant l'autorité de la chose jugée, au motif que le raisonnement tenu par le Conseil constitutionnel le 22 janvier 1999 vaut nécessairement dans notre cas d'espèce et que la question posée dans les deux cas est analogue.

b) Mais à l'inverse, selon une seconde analyse, vous pouvez estimer aussi qu'il est difficile d'affirmer que le considérant n° 16 du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 a autorité de chose jugée pour le juge pénal dans le présent dossier à raison de l'identité d'objet et de cause, alors que la question posée au Conseil constitutionnel le 22 janvier 1999 touchait à la compétence de la Cour pénale internationale, en vertu du traité de Rome du 18 juillet 1998, pour connaître des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre commis par le Président de la République, tandis que la question posée dans le présent dossier est celle de la compétence et du pouvoir du juge d'instruction, en vertu des articles 80 et suivants du Code de procédure pénale, pour instruire à l'encontre du Président de la République des chefs des délits de complicité de favoritisme dans les marchés publics, de détournements de fonds publics, d'abus de biens sociaux, de prise illégale d'intérêt et de recel.

De ce point de vue, et en s'en tenant à la conception traditionnelle stricte de l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel, une telle autorité ne pourrait pas être reconnue à la décision du 22 janvier 1999 dans notre cas d'espèce.

En ce cas, vous devrez vous poser alors la question de l'autorité de la "jurisprudence" du Conseil constitutionnel.

III - 2 - S'agissant de l'autorité de la "jurisprudence" du Conseil constitutionnel, la doctrine constitutionnelle considère qu'elle n'a pas de caractère obligatoire et que la Cour de cassation, comme le Conseil d'Etat, peuvent aussi interpréter la Constitution, ainsi que le rappelait M. Favoreu dans son rapport introductif au colloque de la Cour de cassation des 9 et 16 décembre 1994.

Cela est particulièrement vrai pour la Cour de cassation, "gardienne de la liberté individuelle", selon l'article 66 de la Constitution, qui a une mission propre dans la protection des droits des citoyens et qui doit veiller notamment au respect des garanties et des principes fondamentaux de droit pénal participant du bloc de constitutionnalité.

III - 2-1 - Dans cet esprit, l'on peut citer quelques exemples d'arrêts du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et même du Conseil constitutionnel qui n'ont pas hésité à s'écarter d'une jurisprudence constitutionnelle antérieure :

Exemples

- pour le Conseil d'Etat :

l'arrêt du 3 février 1967, "Confédération générale des Vignerons du Midi" ;

l'arrêt du 17 mars 1997 "Fédération nationale des syndicats du personnel des industries de l'énergie nucléaire et gazière" ;

- pour la Cour de cassation(34) :

l'arrêt de la chambre criminelle du 26 février 1974 ("Schiavon", Bull. crim. n° 273), concernant les peines d'emprisonnement en matière de contraventions ;

l'arrêt de la chambre criminelle du 25 janvier 1978 ("Vantalon, Bull. crim., n° 31) ;

l'arrêt de l'Assemblée plénière du 19 mai 1978 (Dame Roy, D. 1978, p. 541), par lequel la Cour de cassation s'est écartée de l'interprétation de la liberté de conscience des enseignants, résultant d'une décision précédente du Conseil constitutionnel ;

l'arrêt de la chambre criminelle du 8 novembre 1979 (Trignol, JCP 1980, II, 19-337), par lequel la Cour de cassation s'est écartée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de fouilles des véhicules ;

l'arrêt de l'Assemblée plénière du 22 décembre 2000 (Bull., Civ., n° 12), qui a cassé plusieurs arrêts de la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail, sans se référer au principe du contradictoire faisant partie, selon le Conseil constitutionnel, du "bloc de constitutionnalité" ;

l'arrêt de la chambre sociale du 24 avril 2001, qui a admis un contrôle de "conventionnalité" des validations législatives au regard des exigences de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme ("Etre enfant au Chesnay c/ M. Terki") ;

- pour le Conseil constitutionnel lui-même :

la décision n° 91-290, DC du 9 mai 1991, par laquelle il a jugé contraires à la Constitution, alors qu'il les avait pourtant admises antérieurement (cf. : décision n° 82-138, DC du 25 février 1982), des dispositions qui, en matière de collectivités territoriales, impartissaient au Premier ministre un délai de réponse à certaines propositions ;

la décision n° 99-410, DC du 15 mars 1999, par laquelle il a déclaré inconstitutionnelle par voie d'exception une disposition législative figurant au nombre de celles qu'il avait entièrement déclarées conformes à la Constitution (cf. : décision n° 84-183, DC du 18 janvier 1985).

III - 2-2 - Cependant, force est de reconnaître que ces décisions de résistance à l'égard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel demeurent exceptionnelles(35).

Beaucoup plus nombreux sont les arrêts du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation qui s'inspirent de la doctrine du Conseil constitutionnel ou qui font application des principes énoncés dans sa jurisprudence :

Citons par exemple :

- pour le Conseil d'Etat, les arrêts des :

1er juillet 1983, "Syndicat unifié des techniciens de la radiotélévision CFDT" (Rec., p. 293) ;

20 décembre 1985, "Société Etablissements Outters" (Rec., p. 382) ;

16 avril 1986, "Société méridionale de participation bancaire" (Rec., p. 93) ;

25 mai 1988, "Association des anciens élèves de l'ENA" (Rec., p. 591) ;

19 janvier 1990, "Association la Télé est à nous" (Rec., p. 9) ;

29 mai 1992, "Association amicale des professeurs titulaires du Muséum" (Rec., p. 216) ;

11 mars 1994, "Société anonyme la Cinq" (Assemblée, Rec., p. 118) ;

etc...

- pour la Cour de cassation, les arrêts :

de la chambre mixte du 25 mai 1975 ("Société Jacques Vabre", concl. Touffait, Rev. de droit pénal 1975, p.2193) ;

de la chambre criminelle du 25 avril 1985 ("Bogdan et Vuckivic", Bull. crim., n° 159);

de la première chambre civile du 1er octobre 1986 ("Guillot c/ PG Versailles", Bull. n° 232) ;

de la deuxième chambre civile du 28 juin 1995 ("Massamba", "Minga" et "Bechta", Bull. n°S 211, 212 et 221) ;

de la chambre commerciale du 6 avril 1993 ("DGI c/ Lovaert", concernant la vignette automobile, Bull. n° 141) ;

de la chambre sociale du 10 mars 1998 ("Merle c/ Sté Trans-Europe Informatique", Bull. n° 126) et du 25 mars 1998 ("CRAM Sud Alliance c/ Tallagnon, Bull. n° 175) ;

de l'Assemblée plénière du 2 juin 2000 ("Fraisse", Bull. n° 4) ;

etc...(36)
 

Ainsi, s'il est vrai que le juge administratif et le juge judiciaire conservent la faculté de ne pas suivre la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ils n'en usent habituellement qu'avec la plus extrême prudence(37) et ce, dans le souci de sauvegarder une harmonie de l'ordre juridique interne.

Pour reprendre l'observation faite par MM. Louis Favoreu et Thierry Renoux dans leur introduction au colloque de la Cour de cassation des 9 et 10 décembre 1994(38), tout se passe comme si, sans faire appel à une quelconque hiérarchie entre hautes juridictions, le juge constitutionnel était considéré comme le principal interprète de la Constitution. Autrement dit, le Conseil constitutionnel n'est pas un juge supérieur hiérarchiquement, mais il est chargé d'appliquer un texte, la Constitution, qui a, quant à elle, une autorité supérieure dans la hiérarchie des normes juridiques internes.

III - 3 - Ceci nous conduit à la notion d'autorité "morale" ou "persuasive", bien que non écrite, qu'il convient d'accorder, à tout le moins, à l'interprétation du Conseil constitutionnel, en reprenant les expressions utilisées par M. Bruno Genevois dans ses observations précitées.

Cette autorité "morale" ou "persuasive" qu'il apparaît nécessaire de reconnaître à la décision interprétative du Conseil constitutionnel, à défaut d'admettre son autorité de chose jugée, se justifie pour plusieurs raisons :

a) En premier lieu, elle se justifie par le souci de maintenir une harmonie entre les plus hautes juridictions françaises et de sauvegarder l'unité et l'homogénéité de l'ordre juridique interne, indispensable dans un Etat de droit, ainsi que l'admet le mémoire ampliatif lui-même.

Comme on le sait, il n'existe pas de mécanisme permettant de demander l'interprétation du Conseil constitutionnel, sous la forme, par exemple, de recours préjudiciel.

Chaque haute juridiction ne peut cependant avoir son ordre juridique propre et indépendant. Il faut que l'unicité du droit soit assurée. Il arrive un moment où, selon l'opinion de MM. Favoreu et Renoux(39), les interprétations doivent être harmonisées et stabilisées.

Dans ce processus d'harmonisation, il est normal que le juge constitutionnel soit considéré comme le principal interprète de la Constitution et cela, d'autant mieux que la Constitution, interprétée par le Conseil constitutionnel, donne une assise majeure à la Cour de cassation et à l'ensemble de l'ordre judiciaire.

Admettre une contrariété de jurisprudence entre le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation sur un problème aussi important que le statut pénal du Président de la République serait ouvrir la porte à un conflit majeur et sans issue en droit interne, à la différence de la solution qu'offre le Tribunal des conflits pour les divergences entre les juridictions administratives et les juridictions judiciaires.

b) En deuxième lieu, l'autorité "morale" ou "persuasive" de la décision interprétative du Conseil constitutionnel se justifie par un impératif de sécurité juridique, dans l'intérêt même des justiciables.

Citons, ici encore, MM. Louis Favoreu et Thierry Renoux(40) :

"Le temps n'est plus où, comme dans les années cinquante et soixante, les juristes se délectaient à étudier les divergences de jurisprudence entre l'ordre judiciaire et l'ordre administratif... Ce qui était perçu autrefois comme un fait inéluctable est aujourd'hui considéré comme fâcheux et pernicieux(41). Les justiciables souhaitent pouvoir déterminer facilement et clairement le contenu des règles de droit et la juridiction compétente pour trancher leurs litiges sur la base desdites règles... Dans l'Etat de droit moderne, l'individu aspire à une harmonisation des branches de droit à partir de principes communs"

c) En troisième lieu, l'autorité de la décision du Conseil constitutionnel doit se justifier aussi, estime M. Genevois, par la force de conviction du raisonnement suivi par le Conseil constitutionnel et c'est à ce propos qu'il parle "d'autorité jurisprudentielle persuasive" (on pourrait aussi parler "d'autorité interprétative persuasive") en reprenant l'expression utilisée par certains auteurs pour les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme(42)

Telle est aussi l'opinion de M. Bernard Poullain, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, qui estime que l'influence de la doctrine du Conseil constitutionnel dépend de l'autorité morale de l'interprète constitutionnel et de la cohérence de la règle qui ressort de son interprétation.

Or, de ce point de vue, il me semble que le raisonnement qui a inspiré le Conseil constitutionnel dans son considérant n° 16 de la décision du 22 janvier 1999, pour élargir volontairement sa réponse et donner une interprétation générale du statut pénal du Président de la République pendant la durée de son mandat, peut être regardé comme suffisamment persuasif et cohérent, même si l'on peut regretter que sa motivation n'ait pas été plus explicite.

Il suffit de rappeler ici les motifs fondamentaux qui ont servi de fondement à cette décision et qui ont été déjà exposés : le principe de la continuité de l'Etat, le principe de la séparation des pouvoirs, le respect de la dignité et de l'éminence de la fonction présidentielle.

Ainsi, malgré toutes les interrogations qui peuvent être les vôtres, vous disposez, me semble-t-il, des éléments suffisants qui vous permettent, dans votre sagesse, d'accepter sinon l'autorité de la chose jugée, du moins l'autorité interprétative "persuasive" de la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, dont vous pourrez d'ailleurs vous-même enrichir et expliciter la motivation dans votre arrêt, en vous référant aux textes pertinents de la Constitution.

Ce faisant, votre décision ne répondra alors à aucune obligation hiérarchique stricte. L'autorité judiciaire est, en effet, "gardienne de la liberté individuelle", selon l'article 66 de la Constitution, et la Cour de cassation a elle-même vocation à se prononcer dans un domaine qui touche aux principes fondamentaux de droit pénal, participant du bloc de constitutionnalité.

La décision que vous prendrez, si vous me suivez, sera une décision librement choisie par votre Assemblée plénière, une décision de "sagesse", par laquelle vous ferez vôtre, en la confortant et l'enrichissant, la décision du Conseil constitutionnel, ceci dans un souci d'unité, d'harmonie, de sécurité juridique et, serai-je tenté de dire, de "bonne administration de notre justice interne", au sens le plus large de cette expression.

III - 4 - Mais, l'acceptation du considérant n° 16 du Conseil constitutionnel devrait, à mon sens, s'accompagner d'un corollaire indispensable, concernant la possibilité de poursuites pénales de droit commun contre le chef de l'Etat après la fin du mandat présidentiel, le cas échéant

Cette voie vous est ouverte par le Conseil constitutionnel lui-même qui, dans son communiqué ultérieur du 10 octobre 2000, a entendu écarter le risque "d'impunité de fait" du Président de la République, que certains avaient dénoncé.

- Certes, ce communiqué ne peut prétendre à aucune autorité juridique. Mais il n'en présente pas moins un intérêt certain pour éclairer les intentions du Conseil constitutionnel.

Or il nous précise que "le statut pénal du Président de la République ne confère pas une immunité pénale, mais un privilège de juridiction pendant la durée du mandat"

Cela signifie, par voie de conséquence, que si toute poursuite devant les juridictions pénales ordinaires pour des faits détachables des fonctions est suspendue pendant la durée du mandat, il y aura retour à la compétence juridictionnelle de droit commun après la fin du mandat, dès lors que le Président de la République n'aura pas été mis effectivement en accusation devant la Haute Cour de justice pour les faits concernés(43)

Mais pour que de telles poursuites soient possibles après la fin du mandat présidentiel, encore faut-il que l'action publique ne soit pas prescrite, ce qui risque d'être le cas, en particulier lorsque les faits ont été commis avant l'élection du Président de la République.

- C'est pourquoi, même si la question ne vous est pas expressément posée, il me semble que votre Assemblée plénière devrait se prononcer, au moins implicitement ou par une incidente, sur la non-prescription de l'action publique ordinaire pendant la durée du mandat présidentiel, car il s'agit là d'un corollaire nécessaire pour que soit respecté le principe constitutionnel d'égalité devant la loi.

Cette prise de position serait d'autant plus utile que la question n'a jamais été tranchée jusqu'à présent. Ainsi que le relevait le Garde des Sceaux le 12 juin 2001, lors du débat à l'Assemblée nationale sur la proposition de réforme du statut pénal du chef de l'Etat, "aucun texte n'organise les conditions dans lesquelles des poursuites entamées devant les juridictions ordinaires pourraient être suspendues, voire transférées à la Haute Cour de justice, dès lors que ces juridictions cesseraient d'être compétentes. Symétriquement, les conditions dans lesquelles ces juridictions pourraient recouvrer leur compétence à l'expiration du mandat du Président de la République sont inconnues"

Or, pour éviter la prescription de l'action publique ordinaire pendant la durée du mandat présidentiel, deux types de solutions peuvent être envisagées, que je voudrais évoquer in fine, bien que cette question ne soit pas directement soulevée par le mémoire ampliatif :

a) La première solution serait celle de "l'interruption de la prescription" par des actes réguliers d'instruction ou de poursuites accomplis pendant la durée du mandat présidentiel.

Mais, dans notre affaire, cette voie paraît a priori fermée dès lors que les juges d'instruction, confirmés par la chambre de l'instruction, se sont déclarés incompétents pour instruire à l'égard du Président de la République (tout en admettant, par ailleurs, leur compétence pour instruire sur les faits à l'égard, le cas échéant, de toute autre personne, auteur ou complice).

Pour que cette voie reste néanmoins ouverte, il faudrait affirmer, contrairement à l'arrêt attaqué, que les juges d'instruction demeuraient en réalité bien "compétents" pour procéder à l'audition du Président de la République, sollicitée par la partie civile, et pour instruire à l'égard de quiconque sur les faits dont ils étaient saisis, mais qu'ils étaient seulement sans "pouvoir" pour procéder à un acte d'information contre le Président pendant la durée du mandat présidentiel.

Telle a été la position soutenue par l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Versailles du 11 janvier 2000 qui, dans un autre dossier concernant le Président de la République, avait estimé que le privilège de juridiction édicté par l'article 68 de la Constitution, selon l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel, avait seulement pour objet d'interdire tout acte de poursuite à l'encontre du chef de l'Etat et sa mise en examen, mais n'entraînait aucune incompétence du juge d'instruction pour instruire sur des faits commis par le Président de la République en dehors de l'exercice de ses fonctions ou avant son élection, dès lors que la responsabilité pénale d'une personne n'est mise en cause que par un réquisitoire la visant nommément ou par sa mise en examen.

Cette solution, qui vous conduirait à censurer pour partie l'arrêt de la chambre de l'instruction de Paris, soulèverait cependant plusieurs difficultés :

d'une part, ainsi que l'avait relevé le procureur général près la Cour de cassation dans sa dépêche du 23 août 2000 concernant l'arrêt précité de la cour d'appel de Versailles du 11 janvier 2000, les notions de "mise en cause" ou de "poursuites" ont été interprétées beaucoup plus largement par la jurisprudence de la chambre criminelle, pour laquelle il ne suffit pas de ne pas évoquer le nom d'une personne dans un réquisitoire introductif ou de ne pas la mettre en examen pour qu'elle ne soit pas "en cause" ou "poursuivie"(44) ;

d'autre part, on voit mal comment le juge d'instruction, sans "pouvoir" pour procéder à un acte d'information contre le Président de la République, pourrait continuer à instruire sur les faits le concernant (surtout s'il était seul mis en cause), à accomplir des actes interruptifs de prescription (lesquels ?) et à accumuler, le cas échéant, des indices contre lui, en vue d'une mise en examen après la fin du mandat présidentiel, tandis que le chef de l'Etat resterait extérieur à la procédure et ne disposerait pas des moyens de se défendre ni ne bénéficierait des dispositions de l'article 105 du Code de procédure pénale relatif à la prohibition des mises en examen tardives. Il y aurait là un risque évident d'atteinte aux droits de la défense du chef de l'Etat et à sa présomption d'innocence.

enfin, si le mandat présidentiel devait être renouvelé, comment pourrait-on admettre que soient pris successivement autant d'actes interruptifs que nécessaire pour faire échec à la prescription, ce qui aurait pour effet de faire courir chaque fois un nouveau délai de prescription et d'exposer le chef de l'Etat à des poursuites très longtemps après les faits, en le plaçant ainsi dans une situation particulièrement désavantagée par rapport aux autres auteurs d'infractions.

b) Aussi serait-il préférable, à mon sens, de s'orienter plutôt vers une seconde solution qui s'offre pour éviter la prescription de l'action publique ordinaire pendant la durée du mandat présidentiel : celle de la "suspension" de la prescription, en raison de l'obstacle de droit mettant la partie civile hors d'état d'agir et d'exercer ses droits du fait de la compétence exclusive de la Haute Cour de justice.

Tout en sachant que l'Assemblée plénière n'aura pas à entrer plus avant dans cette question, qui n'a pas été posée directement par le moyen, je souhaiterais ajouter quelques observations complémentaires sur ce sujet complexe de la suspension de la prescription :

-- Une première discussion peut porter sur le point de savoir à partir de quand cette "suspension" de la prescription interviendra :

- soit à compter du jour où la partie poursuivante aura manifesté expressément sa volonté d'agir et se sera heurtée à l'obstacle de droit, comme l'avait décidé l'Assemblée plénière de la Cour de cassation dans un arrêt du 23 décembre 1999 (Bull. Crim., n° 967), à propos de l'impossibilité pour les victimes d'agir après avoir adressé leurs plaintes à la Commission des requêtes de la Cour de justice de la République ;

- soit seulement à compter du premier acte de l'une des deux Assemblées manifestant une volonté de poursuites (sous la forme d'une proposition de résolution signée d'un dixième au moins des membres composant l'Assemblée concernée), solution qui a été retenue par l'arrêt de la Haute Cour de justice du 5 février 1993 dans l'affaire dite du "sang contaminé", contrairement aux réquisitions du procureur général Pierre Truche(45), mais qui présenterait l'inconvénient de différer exagérément le moment de la "suspension", au risque de laisser se prescrire l'action publique ;

- soit, plus simplement encore, dès le début du mandat présidentiel, c'est-à-dire dès le moment où toute initiative de poursuites de droit commun, qu'elle vienne d'un plaignant, d'une partie civile ou du Parquet, se heurte à la compétence exclusive de la Haute Cour. En ce cas, il est vrai, la suspension de la prescription pourra se prolonger parfois longuement si le mandat présidentiel est renouvelé, ce qui pourra ouvrir la voie à des poursuites pénales contre le chef de l'Etat longtemps après les faits, mais ce ne sera là que la contrepartie nécessaire du privilège de juridiction, imposée par le respect du principe constitutionnel d'égalité devant la loi.

-- Dans tous les cas, la "suspension" de la prescription peut se justifier, me semble-t-il, au regard notamment des exigences de la Cour européenne des droits de l'homme relatives au droit d'accès effectif au juge ou à un tribunal(46) et aux garanties fondamentales de procédure, qui ne se trouvent pas pleinement satisfaites dans le cas de poursuites pénales exercées devant la Haute Cour de justice selon les règles fixées par l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique (indépendamment même de la question de la composition exclusivement parlementaire de cette Haute Cour)(47)

-- En premier lieu, en effet, la victime est dépourvue de tout droit dans la procédure de mise en accusation devant la Haute Cour de justice : elle ne peut pas se constituer partie civile et elle ne dispose d'aucun moyen de déclencher les poursuites devant cette juridiction, pas plus que le Parquet ordinaire d'ailleurs. Il y a là une première difficulté. Certes un arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 21 juin 1999 (Bull. Crim., n° 139) a considéré que l'irrecevabilité des constitutions de partie civile devant la Cour de justice de la République ne contrevenait pas à l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors que la loi réserve aux victimes la possibilité de porter leur action civile devant les juridictions de droit commun. Mais il n'est pas certain que ce même raisonnement puisse être tenu dans le cas de la Haute Cour de justice, si l'on interprète strictement le dernier membre de phrase de l'article 68 de la Constitution ("Il est jugé par la Haute Cour de justice").

-- En deuxième lieu, les conditions posées par l'article 68 de la Constitution pour la mise en accusation du Président de la République devant la Haute Cour de justice rendent l'accès à cette juridiction particulièrement difficile, voire illusoire selon certains (exigence d'un vote identique des deux assemblées statuant au scrutin public et à la majorité absolue des membres la composant). À supposer même que le processus de mise en accusation devant la Haute Cour soit engagé, il est à craindre, de surcroît, que la durée de la procédure ne soit pas un "délai raisonnable" au sens de l'article 6-1 de la Convention européenne.

-- En troisième lieu, les règles applicables devant la Haute Cour de justice, juridiction à caractère politique, ne paraissent pas, sur plusieurs points, conformes aux principes fondamentaux de droit pénal tels que consacrés notamment par la Convention européenne des droits de l'homme, le Protocole n° 7 à cette Convention et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques :

Il n'existe d'abord aucune définition de la "haute trahison" visée par l'article 68 de la Constitution, cette notion ne correspondant pas à celle de trahison et d'espionnage prévue par les articles 411-1 et suivants du Code pénal. Le principe de la légalité des infractions ("Nullum crimen sine lege") ne paraît donc pas bien respecté (article 7, première phrase de la Convention européenne, article 15-1 du Pacte international)(48)(49)

Aucune peine, par ailleurs, n'a été définie pour sanctionner pénalement la haute trahison, ni dans l'article 68 de la Constitution, ni dans l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice. Le principe de la légalité des peines ("Nulla púna sine lege") ne semble pas davantage bien respecté (cf. : article 7, seconde phrase de la Convention européenne, article 15-1 du Pacte international), à moins que la Haute Cour se borne à prononcer la sanction politique de la déchéance du mandat présidentiel ou de la destitution(47 supra).

Enfin, aucune voie de recours n'est ouverte contre les arrêts de la Haute Cour de justice. L'article 35 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 précise lui-même que "les arrêts de la Haute Cour de justice ne sont susceptibles ni d'appel, ni de pourvoi en cassation". Cette exclusion de toute voie de recours, du moins si un arrêt infligeait une autre sanction que la déchéance du mandat présidentiel, pose également un problème au regard de l'article 2 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme, concernant le droit à un double degré de juridiction en matière pénale.

*       *

EN CONCLUSION, je voudrais souligner à nouveau que l'approbation de l'arrêt attaqué de la chambre de l'instruction de Paris et de la décision interprétative du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, à laquelle je vous invite, me paraît devoir s'accompagner d'un corollaire nécessaire et d'un voeu pressant :

- le COROLLAIRE nécessaire, c'est la suspension de la prescription de l'action publique ordinaire pendant la durée du mandat présidentiel, de façon à permettre, le cas échéant, de poursuivre devant les juridictions de droit commun, après la fin de son mandat présidentiel, celui qui a été chef de l'Etat, pour les infractions qu'il pourrait avoir commises avant son élection ou en dehors de l'exercice de ses fonctions. Cette suspension est la contrepartie indispensable, me semble-t-il, de l'extension du privilège de juridiction de la Haute Cour de justice décidée par le Conseil constitutionnel au bénéfice du chef de l'Etat pendant la durée de ses fonctions.

- le VOEU pressant, c'est la clarification et la révision espérée des textes constitutionnels ou législatifs, aussi bien en ce qui concerne l'audition du Président de la République comme témoin qu'en ce qui concerne son privilège de juridiction pendant la durée du mandat présidentiel, que cette clarification des textes se fasse dans le sens de la décision interprétative du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 ou selon d'autres modalités évoquées par la doctrine ou les parlementaires (cf. : par exemple la proposition de loi constitutionnelle n° 3091 tendant à modifier l'article 68 de la Constitution, présentée à l'Assemblée nationale par un groupe de députés le 30 mai 2001(50)).

*       *

C'est sous le bénéfice de ces observations que je conclus au REJET du pourvoi présenté par Me Lesourd pour M. Michel Breisacher.

Notes :

1. cf. : par exemple, arrêts du Conseil d'Etat des 30 avril 1997 ("Ville de Paris c/ M. Quemar"), 3 février 1984 ("Le Corre"), 31 juillet 1996 ("Ternon").

2. Voir, par ailleurs, l'arrêt de la chambre criminelle du 15 novembre 2000 (Bull. Crim., n° 343) et l'arrêt de la 3ème chambre civile du 28 février 1984 (Bull., III, n° 50).

3. cf. à ce sujet l'avis de M. Robert Badinter : "Le témoin Chirac", hebd. "Le nouvel observateur", décembre 2000 et journal "Le Monde", 17-18 décembre 2000.

voir aussi : Georges Kiejman : "Le Président témoin ou... suspect", journal "Le Monde" du 20 décembre 2000.

4. arrêt cité par M. E. Dezeuze, Rev. Sc. crim., 1999, p. 504.

5. cf. notamment l'avis de M. Robert Badinter : "Le témoin Chirac", hebd. "Le nouvel observateur", décembre 2000 et journal "Le Monde", 17-18 décembre 2000.

6. cf. : en ce sens, Bernard Bouloc : "Le témoin assisté, inculpé latent", journal "Le Figaro" du 17 juillet 2001.

7. Sur toute cette question, voir notamment le Code constitutionnel commenté et annoté de MM. de Villiers et Renoux, p. 520 et suiv. et p. 620 et suiv.

8. En ce sens, François Goguel, "Les institutions politiques françaises", IEP Paris, 1967-68, p. 472. Voir aussi l'interprétation donnée de l'article 68 par la Cour de cassation dans son arrêt "Frey c/ de Blignières" du 14 mai 1963 (Bull. Crim., n° 122), cité par le mémoire ampliatif.

9. Guy Carcassonne : "Le Président de la République française et le juge pénal", Mélanges Philippe Ardant - LGDJ - Montchrestien - 1999.

10. Bruno Genevois, Conseiller d'Etat, ancien Secrétaire général du Conseil constitutionnel : RFD admin. 15 (4) juillet-août 1999, pages 716 et suiv.

11. cf. : notamment Georges Vedel : "Droit constitutionnel et institutions politiques" 1960-61 p. 825 et Jean Foyer, "Haute Cour de justice", Répertoire de droit pénal, Dalloz 1968, n° 44 ; A. Moreau, Revue de droit public, 1987 p. 1569 ; Olivier Duhamel, "Le pouvoir politique en France", 1993 p. 171.

12. Olivier Duhamel : "Le pouvoir politique en France", Seuil, 1993, p. 171, et propos recueillis par le Monde le 29 janvier 1999.

Bruno Genevois : "Le Conseil constitutionnel et le droit pénal international" RFD admin.15 (2), 1999, pages 285 et suiv. et "Observations complémentaires" RFD admin. 15 (2), 1999, pages 717 et suiv.

Dans le même sens :

D. Turpin, Droit constitutionnel, PUF, 1997, p. 366 et 546

Philippe Chrestia, Dalloz, 1999, jurisprudence, p. 285

Pierre Esplugas, Petites Affiches, 5 juillet 1999, n° 132

D. Changnollaud, journal Libération, 7 septembre 1998

F. Naud, journal Le Monde, 26 septembre 1998

etc...

13. Cass. crim., 26 juin 1995, "Carignon", Bull. Crim., n° 235 (confirmant en cela un précédent arrêt du 23 février 1988, Bull. Crim., n° 90) et Crim., 16 février 2000, Bull. Crim., n° 72.

14. cf. : Olivier Beaud : "La contribution de l'irresponsabilité présidentielle au développement de l'irresponsabilité politique sous la 5ème République", RDP 1998, n° 5-6, p. 1557.

15. Guy Carcassonne : "Le Président de la République française et le juge pénal", Mélanges Philippe Ardant, LGDJ, Montchrestien, 1998, p. 275.

Pierre Avril : "À propos de l'interprétation littérale de l'article 68 de la Constitution" RFD admin. 15 (4), juillet-août 1999, p. 715.

Dans un sens similaire :

Louis Favoreu, "Droit constitutionnel des institutions" Précis Dalloz, 1999 et Le Figaro, 16 juin 1998

Philippe Ardant, "Les institutions politiques de la France", 1999

François Robbe, "L'incompétence du juge pénal pour statuer sur la responsabilité du Président de la République", Gazette du Palais, 12-14 novembre 1999, pages 4 et suiv.

Bertrand Mathieu, Michel Verpeaux, Dalloz, 4 mars 1999

Jacques Robert, "Le chef de l'Etat face aux juges", journal "La Croix", 9 août 2001.

16. cf. Code constitutionnel annoté de MM. de Villiers et Renoux, 2001.

Aux termes de la deuxième phrase de l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, "les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs...".

17. Guy Carcassonne : "Le Président de la République française et le juge pénal", Mélanges Philippe Ardant 1999, p. 283.

18. En sens inverse, voir, pour les Etats-Unis, l'arrêt de la Cour suprême "Clinton v. Jones" du 27 mai 1997, (AIJC, 1997-617).

19. H. Kelsen, "Théorie pure de droit", Dalloz, 1962, p. 333.

20. cf. :

1) En faveur de l'interprétation du Conseil constitutionnel

Guy Carcassonne : "L'arrêt du Conseil constitutionnel", hebd. "Le Point" du 30 janvier 1999 ; "La responsabilité pénale du Président français" in "La responsabilité des gouvernants", 2000.

Pierre Avril : "À propos de l'interprétation littérale de l'article 68 de la Constitution" RFD admin. 15 (4), juillet-août 1999, p. 715.

Dans un sens similaire

Louis Favoreu, "Droit constitutionnel des institutions", Précis Dalloz, 1999.

Michel Troper : "Comment décident les juges constitutionnels", journal "Le Monde" du 13 février 1999.

Philippe Ardant, "Les institutions politiques de la France", 1999.

Bertrand Mathieu, Michel Verpeaux, Dalloz, 4 mars 1999.

Jacques Robert, "Le chef de l'Etat face aux juges", journal "La Croix", 9 août 2001.

François Robbe, "L'incompétence du juge pénal pour statuer sur la responsabilité du Président de la République", Gazette du Palais, 12-14 novembre 1999, pages 4 et suiv.

.E. Schoettl : "La responsabilité pénale du chef de l'Etat", Rev. droit public, 1999, p. 1037.

2) Contre l'interprétation du Conseil constitutionnel

Olivier Duhamel : "Le point de vue du Conseil constitutionnel n'a pas d'effet en droit", journal "Le Monde", 26 janvier 1999.

Philippe Chrestia, Dalloz 1999, jurisprudence, p. 285.

Pierre Esplugas, Petites Affiches, 5 juillet 1999, n° 132.

D. Chagnollaud : "La responsabilité pénale du Président français", in "Responsabilité des gouvernants", 2000.

Robert Badinter : "La responsabilité pénale du Président de la République sous la 5ème République", Mélanges Patrice Gelard, 1999, p. 151.

P.H. Prelot, Dalloz 2001, chronique, p. 949.

3) Contre certains aspects de la motivation du Conseil constitutionnel

Bruno Genevois : "Le Conseil constitutionnel et le droit pénal international" RFD admin. 15 (2), 1999, pages 285 et suiv. et "Observations complémentaires" RFD admin. 15 (2), 1999, pages 717 et suiv.

4) Commentaires plus neutres

E. Dezeuze, Rev. de sc. crim. et de droit comparé, 1999, p. 497.

N. Ligneul, Rev. int. de droit pénal, 1999, p. 1003.

21. Georges Vedel, "Pouvoirs", n° 92, page 75.

22. cf. : articles 2, 3 et 4 de la Constitution de 1958, alinéas 1, 3, 12, 13, 16 et 18 du Préambule de la Constitution de 1946, articles 1er, 6, 10, 11, 13 de la Déclaration de 1789.

23. cf. : arrêt déjà cité de la chambre criminelle du 26 février 1995, "Carignon", Bull. Crim., n° 235.

24. cf. : Code constitutionnel annoté de MM. de Villiers et Renoux, 2001, p. 27 et suiv.

25. cf. : 232 DC, 302 DC, 304 DC, 348 DC, 397 DC, Cons. 14, 403 DC, Cons. 8, 107 DC, 127 DC, 132 DC.

26. cf. : M. Pierre Truche, in "Le Figaro Magazine", 28 juillet 2000, p. 16.

27. cf. : B. Genevois, "Observations complémentaires", RFD admin. 15 (4), juillet-août 1999, p. 717.

28. L'avis du Conseil d'Etat se bornait à relever que "le projet de statut... aurait pour conséquence de soumettre le Président de la République... à une responsabilité pénale différente du régime particulier de responsabilité pénale défini... par la Constitution dans... son article 68. Il n'est donc, en l'état, pas conforme auxdites dispositions constitutionnelles".

29. cf. : Code constitutionnel commenté et annoté de MM. de Villiers et Renoux, p. 520 et suiv. ; Traité de droit constitutionnel de MM. Louis Favoreu, Patrick Gaïa et autres, éd. 2000, p. 480, etc...

30. B. Genevois, RFD admin. 15 (4), juillet 1999, p. 717, déjà cité ; "La jurisprudence du Conseil constitutionnel - Principes directeurs", éd. STH, 1988.

31. cf. : CC, 16 janvier 1962, n° 62-181, Rec., p. 31 ; 8 juillet 1989, n° 89-258, DC, Rec., p. 48 ; 20 juillet 1988, n° 288-44, DC.

32. Georges Vedel : "Réflexions sur la singularité de la procédure devant le Conseil constitutionnel", Mélanges R. Perrot, 1995, p. 551 et "Pouvoirs", n° 92, p. 75.

33. Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux, Dalloz, 4 mars 1999, Les Petites Affiches, n° 187, 20 septembre 1999

François Robbe, Gazette du Palais, 12-16 novembre 1999, p. 4 et suivantes

Jacques Robert : "Le chef de l'Etat face aux juges", journal "La Croix", 9 août 2001.

34. cf. : M. Henri Dontenville : "De l'effet des décisions des juridictions constitutionnelles à l'égard des juridictions ordinaires en droit pénal français", in journées de la Société de la législation comparée", 1987, p. 431.

35. cf. : Henri Dontenville, article déjà cité

Thierry Renoux : "Le Conseil constitutionnel et l'autorité judiciaire", Paris ECONOMICA, 1984

Louis Favoreu et Loïc Philip : "Les grandes décisions du Conseil constitutionnel".

36. Voir aussi, dans le même sens, les arrêts cités par Louis Favoreu dans le Dalloz n° 33 de 2001 ("L'application de l'article 62, alinéa 2, de la Constitution par la Cour de cassation").

37. cf. : Louis Favoreu "Dualité ou unité de l'ordre juridique : Conseil constitutionnel et Conseil d'Etat participent-ils de deux ordres juridiques différents ?" in "Conseil constitutionnel et Conseil d'Etat" LGDJ, Montchrestien, Paris 1998, p. 145-191.

38. Ouvrage déjà cité, p. 31-32.

39. Actes du colloque de la Cour de cassation des 9 et 10 décembre 1994, p. 31.

40. Actes du colloque de la Cour de cassation des 9 et 10 décembre 1994, p. 31.

41. cf. aussi : L. Favoreu : "Du déni de justice en droit public français", Paris 1964.

42. E. Lambert : "Les effets des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme", Bruylant, éd. 1999 ; Jean-Pierre Marguenaud : "CEDH et droit privé. L'influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sur le droit privé français", Documentation française 2001, pages 11 et suiv.

43. Ainsi que le relève le mémoire ampliatif, dans certains pays européens, c'est la Constitution qui reporte formellement après l'expiration du mandat présidentiel l'engagement éventuel de poursuites devant les juridictions ordinaires pour des crimes ou délits commis en dehors de l'exercice des fonctions de chef de l'Etat (cf. : article 49 de la Constitution grecque de 1975 et article 233 de la Constitution portugaise de 1982).

44. cf : Cass. Crim., 13 février 1975, Bull. n° 53 ; 24 octobre 1988, Bull. n° 359 ; 13 mars 1997, Bull. n° 105 ; 1er décembre 1998, Bull. n° 323 ; 23 mars 1999, Bull. n° 51 ; 26 janvier 2000, Bull. n° 44.

45. cf. : Dalloz 1993, jurisprudence, pages 261 et suiv. et "Droit pénal", mars 1993, p. 1.

46. cf. par ex. : arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme "Osman c/Royaume-Uni" du 28 octobre 1998 et "Tinnelly et Sons Ltd et autres" du 10 juillet 1998.

Mais voir aussi décision du Conseil constitutionnel lui-même du 9 avril 1996, affirmant "qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes d'exercer un recours devant une juridiction"

47. Sur ce point, la Commission européenne des droits de l'homme avait admis, dans une décision du 18 décembre 1980 ("Crociani, Palmiotti, Tanassi, Lefèbvre d'Ovidio c/ Italie"), que la désignation des juges par le Parlement ne permettait pas, d'une manière générale, de mettre en doute l'impartialité d'un tribunal, au sens de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme.

48. cf. : Serge Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, Litec, éd. 2000, p. 145.

49. Toutefois, une tentative de solution à cette difficulté a été esquissée par Georges Vedel ("La compétence de la Haute Cour", Mélanges Magnol, p. 418), pour lequel la haute trahison "a pour effet de replacer le Président de la République sous un régime de responsabilité tant politique que pénale. Mais alors que l'appréciation de la responsabilité politique est, une fois la haute trahison constatée, absolument discrétionnaire, l'appréciation de la responsabilité pénale se fait dans le cadre des qualifications et des sanctions prévues par les lois en vigueur".

50. La proposition de loi constitutionnelle n° 3091 suggère que, pour les crimes et délits commis antérieurement ou au cours du mandat et qui sont sans lien avec l'exercice de ses fonctions, le Président de la République pourra être poursuivi devant les tribunaux ordinaires, mais après décision d'une "commission des requêtes", saisie par le Parquet ou le plaignant et composée comme la commission des requêtes devant la Cour de justice de la République.


RAPPORT

Rapport de M. ROMAN, Conseiller rapporteur

L'Assemblée plénière est saisie d'un pourvoi contre l'arrêt d'une chambre de l'instruction ayant déclaré les juges d'instruction incompétents pour procéder à l'audition de M. Jacques Chirac, Président de la République, demandée par une partie civile. Après avoir évoqué les circonstances et l'objet de ce pourvoi (I), il conviendra d'examiner les principales questions juridiques qu'il soulève : dans quelles conditions peut être entendue par le juge d'instruction une personne quelconque (II), quel est le statut pénal du Président de la République (III), quelle est l'autorité de la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, qui est au coeur du débat (IV) ? Enfin, on fera l'inventaire des questions auxquelles le pourvoi invite à répondre, en tentant d'apporter des éléments en vue du choix d'une solution (V).
 

I. - INTRODUCTION : LE POURVOI ET SON CONTEXTE

1.1. - Pourvoi

M. Michel Louis Breisacher, partie civile, s'est pourvu le jour même de son prononcé contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 29 juin 2001, qui a confirmé une ordonnance par laquelle, dans l'information ouverte contre personne non dénommée pour favoritisme, détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, prise illégale d'intérêt, complicité, recel, les juges d'instruction se sont déclarés incompétents pour procéder à l'audition de M. Jacques Chirac, Président de la République, en qualité de témoin.

Par ordonnance du 18 juillet 2001, le président de la chambre criminelle a prescrit d'office l'examen immédiat du pourvoi, désigné un rapporteur et fixé à l'avocat constitué pour le demandeur un délai pour produire son mémoire.

Par ordonnance rendue également le 18 juillet 2001, le premier président de la Cour de cassation, faisant application de l'article L. 131-3 du Code de l'organisation judiciaire, a décidé le renvoi de l'affaire devant l'Assemblée plénière.

La société civile professionnelle Guy Lesourd a produit, dans le délai qui lui était imparti, un mémoire ampliatif comportant un moyen unique de cassation.

1.2. - Faits et procédure

1.2.1. - Ouverture d'une information concernant la SEMPAP

Le 29 septembre 1997, la Chambre régionale des comptes d'Ile de France transmet au procureur de la République de Paris un rapport relatif à des irrégularités concernant la Société d'économie mixte parisienne de prestations (SEMPAP), dissoute le 22 juillet 1996, dont les actionnaires étaient la ville de Paris, le département de Paris et d'autres sociétés d'économie mixte. Il ressort de ce rapport que, de 1986 à 1996, la ville de Paris a conclu avec la SEMPAP six conventions de mandat lui confiant le soin d'étudier, proposer, réaliser, livrer ou diffuser des travaux d'impression ; que neuf sociétés commerciales ayant avec la SEMPAP des dirigeants communs ont bénéficié de commandes de sa part, avec ou sans marchés ; que des règlements ont, notamment, été effectués au profit de deux sociétés dans lesquelles le directeur général de la SEMPAP, M. Brats, était intéressé, personnellement ou par le biais de son épouse, sans que les contrats intervenus aient été soumis à l'approbation du conseil d'administration prévue par l'article 101 de la loi du 24 juillet 1966 (devenu l'article L. 225-86 du Code de commerce).

Le 30 octobre 1997, une information, confiée à deux magistrats instructeurs, MM. Riberolles et Brisset-Foucault, est ouverte contre personne non dénommée du chef de favoritisme dans les marchés publics. Un réquisitoire supplétif du 24 septembre 1999 étend la saisine des juges d'instruction à des faits de détournement des fonds publics, abus de biens sociaux, prise ou conservation illégale d'intérêt, recel et complicité.

1.2.2. - Constitution de partie civile de M. Breisacher

M. Breisacher, agissant en vertu d'une décision du 7 juillet 2000 du tribunal administratif de Paris qui l'a "autorisé, à ses frais et risques, à se constituer partie civile aux lieu et place de la ville de Paris dans le cadre de l'information judiciaire ouverte relative aux surfacturations dont aurait été victime la ville de Paris à l'occasion des marchés qu'elle a passés par l'intermédiaire de la Société d'économie mixte parisienne de prestations", se constitue partie civile dans l'information ouverte à l'initiative du ministère public.

1.2.3. - Requête aux fins d'audition de témoin et ordonnance des juges d'instruction

Le 21 novembre 2000, M. Breisacher saisit les juges d'instruction d'une requête motivée en vue de l'audition, en qualité de témoin, de M. Jacques Chirac, maire de Paris à l'époque des faits et exerçant aujourd'hui les fonctions de Président de la République. La requête demande notamment que M. Jacques Chirac explique les raisons pour lesquelles il n'a pas "réagi face à l'hémorragie de fonds publics causée par les anomalies de la SEMPAP et de ses sociétés satellites", alors qu'il avait été "alerté à plusieurs reprises sur les conditions d'activité de la SEMPAP".

Par ordonnance du 14 décembre 2000, les juges d'instruction se déclarent incompétents pour procéder à l'acte d'information sollicité. Après avoir constaté que la demande d'audition est formulée en des termes tendant à la mise en cause pénale de M. Jacques Chirac, ils énoncent qu'aux termes de l'article 68 de la Constitution, le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison, et se réfèrent à l'interprétation qu'en donne, dans sa décision du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel, saisi pour examen du traité portant statut de la Cour pénale internationale.

Dans cette décision, en effet, le Conseil constitutionnel considère que le Président de la République, pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions, et hors le cas de haute trahison, bénéficie d'une immunité et qu'au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice, selon les modalités fixées par le même article

Les magistrats en concluent que la deuxième phrase de l'article 68 de la Constitution, interprétée par le Conseil constitutionnel de manière autonome par rapport à la première, instaure un privilège de juridiction général à l'égard du chef de l'État, et que cette interprétation doit prévaloir en l'espèce, "en l'absence de jurisprudence de la Cour de cassation... qui tendrait à estimer que le considérant précité du Conseil constitutionnel est un obiter dictum ne s'imposant pas à toutes les autorités administratives et juridictionnelles", l'audition de témoin sollicitée constituant une mise en cause, au sens de ladite décision.

1.2.4. - Appel et arrêt de la chambre de l'instruction

Ayant relevé appel de l'ordonnance des juges d'instruction, M. Breisacher fait déposer par son avocat un mémoire dans lequel, après avoir exposé les circonstances impliquant, selon lui, la responsabilité personnelle de M. Jacques Chirac, il fait valoir que l'audition de l'intéressé comme simple témoin est, dès lors, impossible. Il soutient que l'incidente de la décision du Conseil constitutionnel, selon laquelle, pendant la durée de ses fonctions, le Président de la République ne peut être poursuivi que devant la Haute Cour de justice, n'est pas le soutien nécessaire du dispositif et n'a donc pas autorité de chose jugée, qu'elle n'est pas justifiée par la séparation des pouvoirs et qu'elle contredit le principe constitutionnel de l'égalité de tous devant la loi. En conséquence, la partie civile demande la mise en examen de M. Jacques Chirac du chef de complicité de favoritisme dans les marchés publics, détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, prise et conservation illégale d'intérêt, recel.

Par l'arrêt du 29 juin 2001 attaqué, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris confirme l'ordonnance frappée d'appel. Elle retient que le membre de phrase selon lequel, pendant la durée de ses fonctions, la responsabilité pénale du Président de la République ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice est un des motifs qui fondent la décision du Conseil constitutionnel et qu'en vertu de l'article 62 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et judiciaires.

Dès lors, selon l'arrêt, tant l'article 68 de la Constitution que la décision du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel excluent la mise en mouvement, par l'autorité judiciaire de droit commun, de l'action publique à l'encontre d'un Président de la République dans les conditions prévues par le Code de procédure pénale, pendant la durée du mandat présidentiel, les juges d'instruction restant néanmoins compétents pour instruire les faits à l'égard de toute autre personne, auteur ou complice.

1.3. - Moyen de cassation

Le moyen unique de cassation proposé par la SCP Lesourd, pris de la violation du principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant la loi, des articles 62 et 68 de la Constitution du 4 octobre 1958 et des articles 80, 80-1, 81 et 82-1 du Code de procédure pénale, s'articule en deux branches :

1.3.1. - Première branche : Absence d'autorité de chose jugée de la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999

Dans sa première branche, le moyen fait valoir qu'il résulte de l'article 62 de la Constitution, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel lui-même dans sa décision du 20 juillet 1988, que l'autorité de chose jugée qui s'attache à ses décisions est "limitée à la déclaration d'inconstitutionnalité visant certaines dispositions" de la loi déférée et "ne peut être utilement invoquée à l'encontre d'une autre loi conçue, d'ailleurs, en termes différents".

Le demandeur en déduit que la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, qui statuait sur la constitutionnalité de l'article 27 du traité portant statut de la Cour pénale internationale, ne dispose d'aucune autorité de chose jugée à l'égard du juge pénal statuant sur la base des dispositions du Code de procédure pénale, qui n'ont fait l'objet d'aucune décision du Conseil constitutionnel portant sur la question de l'immunité du chef de l'État.

La chambre de l'instruction aurait donc violé l'article 62 de la Constitution en estimant que la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 s'imposait avec autorité absolue aux juridictions pénales de droit commun.

1.3.2. - Seconde branche : Absence d'immunité pénale en faveur du Président de la République

Dans sa seconde branche, le moyen énonce que toute juridiction doit assurer le respect du principe constitutionnel de l'égalité des citoyens devant la loi, et spécialement devant la loi pénale, auquel le statut pénal du Président de la République, prévu par l'article 68 de la Constitution, constitue une dérogation, ce qui commande d'en faire une interprétation stricte.

Le moyen rappelle les dispositions de ce texte : Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice

Le demandeur en déduit que l'immunité ainsi instituée au profit du Président de la République ne s'applique qu'aux actes qu'il a accomplis dans l'exercice de ses fonctions et que, pour le surplus, il est placé dans la même situation que tous les citoyens et relève des juridictions pénales de droit commun.

En ne mettant en cause le Président de la République, pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions, qu'en cas de haute trahison, l'article 68 de la Constitution, selon le moyen, renvoie au droit commun pour les actes détachables de ses fonctions, spécialement ratione temporis, comme ceux commis avant son élection. Le Président de la République peut être mis en cause au plan pénal pour ces faits, puisque, avant d'être élu, il était un citoyen ordinaire soumis au statut pénal commun reposant sur le principe d'égalité garanti par l'ordre juridique républicain.

La chambre de l'instruction aurait donc violé le principe, les textes constitutionnels et les textes pénaux régissant la compétence et les pouvoirs dévolus au juge d'instruction, visés au moyen.

1.4. - Recevabilité du pourvoi

Avant d'examiner le bien-fondé du pourvoi qui lui est soumis, l'Assemblée plénière doit évidemment s'interroger sur sa recevabilité, qui peut paraître discutable à la fois quant à la qualité du demandeur au pourvoi et quant à la nature de la décision frappée de recours.

1.4.1. - Recevabilité quant à la qualité du demandeur

S'étant constitué partie civile au nom de la ville de Paris, en vertu de l'autorisation donnée par le tribunal administratif en application de l'article L. 2132-5 du Code général des collectivités territoriales, M. Breisacher avait-il qualité pour exercer les voies de recours contre l'ordonnance des juges d'instruction et l'arrêt de la chambre de l'instruction, alors que, selon l'article L. 2132-7 du même Code, lorsqu'un jugement est intervenu, le contribuable ne peut se pourvoir en appel ou en cassation qu'en vertu d'une nouvelle autorisation ?

Il semble que le terme jugement, dans ce texte, ne peut s'appliquer qu'à une décision sur le fond (1), et non à une ordonnance du juge d'instruction et à un arrêt de la chambre de l'instruction rendus en matière de demande d'acte d'information, qui présentent le caractère de décisions préparatoires, ne mettant pas fin à la procédure (2). Du reste, astreindre le demandeur à justifier d'une nouvelle autorisation pour relever appel ou se pourvoir en cassation équivaudrait en l'espèce à un refus du droit à un recours effectif reconnu par l'article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, en raison de la brièveté (dix jours pour l'appel, cinq jours francs pour le pourvoi) des délais, lesquels courent à compter de l'envoi de la notification de la décision par lettre recommandée.

1.4.2.- Recevabilité quant à la nature de la décision attaquée

Dès lors qu'il est formé contre un arrêt distinct de l'arrêt sur le fond et ne mettant pas fin à la procédure, le pourvoi n'est en principe pas immédiatement recevable, par application de l'article 170 du Code de procédure pénale. En l'espèce, M. Breisacher n'a pas déposé, dans le délai du pourvoi en cassation, la requête prévue par ce texte et tendant à faire déclarer son pourvoi immédiatement recevable, mais le président de la chambre criminelle a rendu d'office, comme c'est souvent le cas, une ordonnance en ce sens, ce qui supprime toute difficulté.

Par ailleurs, selon l'article 575 du Code de procédure pénale, les arrêts de la chambre de l'instruction ne sont pas susceptibles de pourvoi de la part de la partie civile, en l'absence de recours du ministère public, sauf dans sept cas énumérés par le second alinéa du même article.

Jusqu'à plus ample examen, le présent pourvoi paraît devoir entrer dans les prévisions du 4° (lorsque l'arrêt a, d'office ou sur déclinatoire des parties, prononcé l'incompétence de la juridiction saisie), que le président de la chambre criminelle a visé dans l'ordonnance du 18 juillet 2001 pour ordonner l'examen immédiat du pourvoi.

Le pourvoi sera donc considéré comme recevable, ce qui permettra son examen au fond.

1.5. - Portée du pourvoi

Avant de procéder à cet examen, il est nécessaire de s'interroger sur son objet exact, qui n'est pas évident, en l'état des fluctuations de la partie civile quant à la nature de l'acte d'information demandé et de l'argumentation retenue par les juges pour écarter sa requête.

1.5.1. - Rejet d'une demande d'acte d'information ou incompétence ?

Si on le considère comme formé contre un arrêt rendu sur une demande d'acte d'information, le pourvoi doit être rejeté par le simple motif, habituel à la chambre criminelle et rendant inopérant le moyen proposé, que les juridictions d'instruction apprécient souverainement l'opportunité de donner suite à de telles demandes (3), lesquelles peuvent être réitérées en fin d'information (art. 175 du Code de procédure pénale), ou devant la chambre de l'instruction, tenue de répondre aux mémoires des parties, lorsqu'elle est saisie d'un appel de l'ordonnance de clôture de l'information (art. 201 et 593), ou devant la juridiction de jugement (art. 459 et 463). Mais une telle réponse ne semble pas devoir être faite en l'espèce, dès lors que l'arrêt attaqué, à tort ou à raison, déclare incompétente la juridiction d'instruction et qu'il est motivé en droit et non par des considérations d'opportunité.

1.5.2. - Objet de la requête et objet du pourvoi

Si l'on s'en tient aux termes de la requête initiale, M. Breisacher a demandé aux juges d'instruction l'audition de M. Jacques Chirac en qualité de témoin ; mais, dans son mémoire adressé à la chambre de l'instruction, il a lui-même exclu la possibilité d'une audition de l'intéressé en cette qualité et a conclu à sa mise en examen, prétention que l'arrêt a écartée en considérant que les articles 204 et 205 du Code de procédure pénale, sur lesquels se fondait le requérant, ne sont applicables qu'après règlement de la procédure par le juge d'instruction.

Si le demandeur ne discute pas cette argumentation dans son mémoire ampliatif, il soutient que la mise en cause pénale du Président de la République, pour des faits antérieurs à son élection, n'est pas exclue par la Constitution, admettant ainsi que les magistrats ont à juste titre estimé que la demande d'audition de témoin qui leur était soumise comportait l'imputation au prétendu témoin de faits susceptibles de motiver sa mise en examen.

Or l'article 82-1, alinéa premier, du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 1993, permettait à la partie civile de demander notamment au juge d'instruction de procéder à l'audition d'un témoin, mais non de prononcer une mise en examen. Certes, l'article 21 de la loi du 15 juin 2000 modifie l'article 82-1 en ce sens que les parties peuvent désormais demander au magistrat instructeur de procéder à tous autres actes qui leur paraissent nécessaires à la manifestation de la vérité, mais ces dispositions nouvelles, bien qu'applicables aux procédures en cours à compter du 1er janvier 2001 (art. 140 de la loi et art. 112-2, 2°, du Code pénal), ne le sont pas à une demande faite avant leur entrée en vigueur.

À la date où elle était déposée, la requête ne pouvait tendre qu'à l'audition de M. Jacques Chirac en qualité de témoin, et il n'est aujourd'hui encore pas certain que la partie civile puisse demander la mise en examen de la personne à entendre, en raison des formalités nouvelles entourant cet acte de procédure (cf. ci-dessous, § 2.4). Même si les magistrats ont estimé que la requête constituait une "mise en cause pénale" du Président de la République, qu'ils ont assimilée à une mise en examen, doit-on considérer que la saisine de la Cour de cassation concerne l'ensemble des questions posées par l'arrêt attaqué, ou qu'elle est enserrée dans les limites de la requête initiale, le demandeur ne pouvant prétendre, à l'occasion des recours successifs qu'il exerce, faire juger des questions étrangères à l'unique objet de son appel ?

Il ne semble pas, toutefois, que l'Assemblée plénière puisse, en l'espèce, limiter son examen à la seule question de l'audition du Président de la République en qualité de témoin, ce qui l'amènerait à déclarer le moyen irrecevable en ce qu'il invoque l'absence d'immunité pénale du chef de l'Etat.

1.6. - Importance de la décision attendue de l'Assemblée plénière

La Cour de cassation devant se considérer comme saisie de l'ensemble du problème de la responsabilité pénale du Président de la République et de son audition par les magistrats, en quelque qualité que ce soit, la décision qu'elle prendra, outre l'impact médiatique qu'elle ne manquera pas d'avoir, est de nature à influer sur le sort de plusieurs autres affaires similaires actuellement en cours d'information :

- Le 15 avril 1999, M. Desmures, juge d'instruction à Nanterre, s'est déclaré incompétent pour instruire sur des faits relatifs à des emplois fictifs consentis par la ville de Paris à des cadres du RPR, susceptibles d'être imputés à M. Jacques Chirac, mais antérieurs à son élection à la présidence de la République (4) ; son ordonnance a été infirmée pour partie par un arrêt du 11 janvier 2000 de la chambre d'accusation de Versailles, selon lequel, si le Président de la République bénéficie, pendant la durée de son mandat, d'un privilège de juridiction applicable aux faits commis en dehors de l'exercice de ses fonctions ou avant son élection, il n'en résulte "aucune incompétence du juge d'instruction pour instruire sur de tels faits, une mise en examen demeurant éventuellement possible après l'exercice de ce mandat" (5) ;

- Le 25 avril 2001, M. Halphen, juge d'instruction à Créteil, après une vaine tentative de faire comparaître devant lui M. Jacques Chirac en qualité de témoin dans l'affaire des HLM de la ville de Paris, où il était en particulier mis en cause par les révélations posthumes contenues dans la fameuse "cassette Méry", s'est de même déclaré incompétent ; la procédure vient d'être partiellement annulée, notamment en ce qui concerne la convocation adressée au Président de la République, par un arrêt du 4 septembre 2001 de la chambre de l'instruction de Paris ;

- Le 17 juillet 2001, les juges d'instruction Riberolles, Brisset-Foucault et Van Ruymbeke, qui instruisent l'affaire des marchés publics des lycées de la région Ile de France, dans laquelle il serait apparu que de nombreux voyages concernant M. Jacques Chirac ont été payés en argent liquide, se sont déclarés incompétents pour interroger l'intéressé, et le procureur de la République de Paris a relevé appel de leur ordonnance (6)

Il faut encore signaler que l'Assemblée nationale a été saisie par le groupe socialiste d'une proposition de loi constitutionnelle portant modification de l'article 68 de la Constitution, dont le rapporteur est M. Bernard Roman, président de la commission des lois. L'objet de cette proposition est d'inscrire dans la Constitution le principe de la responsabilité pénale du Président de la République devant les juridictions de droit commun pour les actes commis en dehors de l'exercice de ses fonctions, mais de prévoir que les poursuites ne pourront être engagées contre lui que sur décision d'une commission des requêtes saisie par le procureur de la République ou la partie qui se prétend lésée (7)

II. - DISPOSITIONS CONCERNANT LE TÉMOIN, LE TÉMOIN ASSISTÉ ET LA PERSONNE MISE EN EXAMEN

2.1. - Évolution de la législation

Alors qu'au stade de l'instruction préalable, le Code de procédure pénale, dans sa rédaction initiale, ne connaissait, en dehors de la partie civile, que deux catégories de personnes, le témoin et l'inculpé, la loi du 30 décembre 1987, modifiant l'article 104, a permis à la personne nommément visée dans une plainte avec constitution de partie civile de bénéficier, pour chacune de ses auditions, de l'assistance d'un avocat.

Par ailleurs, l'article 105 interdit au juge d'instruction d'entendre comme témoin les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves et concordants de culpabilité (loi du 13 février 1960), ou d'avoir participé aux faits poursuivis (loi du 24 août 1993).

Si la substitution de la mise en examen à l'inculpation, par les lois du 4 janvier 1993 et du 24 août 1993, est une réforme plus formelle que substantielle, la loi du 15 juin 2000, entrée en vigueur le 1er janvier 2001 pour l'essentiel de ses dispositions, a modifié les dispositions concernant l'obligation de témoigner, donné une extension considérable au statut de témoin assisté et réduit la faculté jusqu'alors reconnue au juge d'instruction de prononcer la mise en examen de la personne soupçonnée d'avoir commis l'infraction.

2.2. - Dispositions applicables au simple témoin

La loi nouvelle a modifié les dispositions concernant l'obligation de comparaître incombant au témoin que se propose d'entendre le juge d'instruction : qu'il soit cité à comparaître devant le juge d'instruction ou simplement convoqué, le témoin doit être avisé que, s'il ne comparaît pas ou refuse de comparaître, il peut y être contraint par la force publique (art. 101), décision que le juge d'instruction prend sur les réquisitions du procureur de la République (art. 109).

La loi du 15 juin 2000, complétée par une loi du 30 décembre 2000 ayant abrogé les deux derniers alinéas de l'article 109, a supprimé la faculté, pour le juge d'instruction, de condamner lui-même à l'amende prévue pour les contravention de la 5e classe le témoin récalcitrant, qui encourt désormais une amende de 25 000 francs prononcée par le tribunal correctionnel (art. 434-15-1 nouveau du Code pénal).

Le témoin est tenu de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité (art. 103), et le témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction (y compris d'instruction, contrairement à ce que décidait l'ancien Code pénal) ou devant un officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire est puni de 5 ans d'emprisonnement et de 500 000 francs d'amende (art. 434-13 du Code pénal). En revanche, le refus de prêter serment devant le juge d'instruction n'est plus sanctionné.

Il résulte de l'ensemble de ces dispositions un statut du témoin, que Faustin-Hélie (8) et Garraud (9) vont jusqu'à considérer comme un auxiliaire de la justice, opinion que vient renforcer la distinction légale récente entre le simple témoin, extérieur aux faits sur lesquels il dépose, et le témoin assisté, qui y a participé. Un tel statut est-il compatible avec celui du chef de l'Etat ?

Les articles 652 à 655 du Code de procédure pénale spécifient que le Premier ministre et les autres membres du Gouvernement ne peuvent comparaître comme témoins qu'après autorisation du conseil des ministres, donnée par décret, et que, lorsque la comparution n'a pas été demandée ou n'a pas été autorisée, la déposition est reçue par écrit par le premier président de la cour d'appel ou le président du tribunal de grande instance de la résidence du témoin. Aucune disposition similaire n'existe en ce qui concerne le Président de la République, auquel les articles précités ne peuvent être étendus, dès lors, notamment, qu'il nomme lui-même les membres du Gouvernement.

Le Code d'instruction criminelle comportait, en ses articles 510 à 513, des dispositions analogues concernant les dépositions des ministres, des grands dignitaires de l'Etat et des princes ou princesses du sang royal, qui ne pouvaient être cités qu'avec l'autorisation du roi, donnée par ordonnance (10). Du fait que ces textes, tardivement abrogés par la loi du 20 février 1956, ne prévoyaient pas les formes de la déposition du souverain, il pouvait être déduit que ce dernier n'était pas astreint à témoigner.

Décider qu'aujourd'hui le Président de la République est soumis à cette obligation serait, certes, conforme aux principes démocratiques qui gouvernent la société actuelle, mais n'en constituerait pas moins une innovation. Le professeur Chagnollaud, invoquant le précédent du Président Poincaré ayant déposé en 1914 devant le premier président de la cour d'appel de Paris dans l'affaire de l'assassinat de Calmette, directeur du Figaro, par Mme Caillaux, estime possible l'audition du Président de la République, s'agissant d'actes antérieurs aux fonctions (11). M. Robert Badinter, ancien ministre de la Justice et ancien président du Conseil constitutionnel, considère qu'"il n'appartient pas au Président de la République de refuser de répondre à un juge d'instruction qui voudrait l'entendre, comme un simple témoin", ajoutant que "ce qui est obligation faite au citoyen ordinaire est, pour le Président, un devoir de sa charge" (12). En sens inverse, le professeur Carcassonne soutient que le Président de la République peut refuser d'obtempérer à une convocation comme témoin qui lui apparaîtrait comme une "tentative de déstabilisation de sa fonction ou de sa personne" (13)

2.3. - Dispositions applicables au témoin assisté

Selon les articles 113-1 et suivants du Code de procédure pénale issus de la loi du 15 juin 2000, la qualité de témoin assisté est attribuée obligatoirement ou facultativement à trois catégories de personnes :

- toute personne nommément visée par un réquisitoire introductif doit obligatoirement être entendue en cette qualité, si elle n'est pas mise en examen (art. 113-1) ;

- toute personne nommément visée par une plainte, avec ou sans constitution de partie civile, ou mise en cause par la victime, peut être entendue en qualité de témoin assisté et l'est obligatoirement si elle en fait la demande au juge d'instruction (art. 113-2, al. 1) ;

- toute personne mise en cause par un témoin ou contre laquelle il existe des indices rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi peut également être entendue comme témoin assisté (art. 113-2, al. 2).

Le témoin assisté, qui ne prête pas serment (art. 113-7), bénéficie, comme la personne mise en examen, du droit d'être assisté d'un avocat, qui est avisé préalablement des auditions et a accès au dossier de la procédure, et peut demander des confrontations (art. 113-3), mais ne peut ni être placé sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire, ni être renvoyé devant une juridiction de jugement sans être préalablement mis en examen, d'office ou sur sa demande (art. 113-6 et 113-8).

Il est avisé par le juge d'instruction lorsque celui-ci estime l'information terminée, mais ne peut ni invoquer la nullité de la procédure, ni demander au magistrat instructeur de procéder à des actes d'information complémentaires (art. 175, dernier alinéa).

Tout comme la personne mise en examen ou la partie civile, le témoin assisté peut demander au juge d'instruction de prononcer soit le renvoi devant la juridiction de jugement, soit le non-lieu, en procédant, le cas échéant, à une disjonction (art. 175-1). Si le juge d'instruction ne fait pas droit à sa demande, le témoin assisté peut saisir le président de la chambre de l'instruction, qui décide s'il y a lieu ou non de saisir cette chambre (art. 207-1).

Le témoin assisté doit recevoir notification des ordonnances de règlement (art. 183, al. 1), mais sans pouvoir exercer les voies de recours. Toutefois, en cas d'appel d'une ordonnance de non-lieu, il peut, par l'intermédiaire de son avocat, faire valoir ses observations devant la chambre de l'instruction, dont la date de l'audience lui est notifiée dans les mêmes formes qu'aux parties (art. 197-1).

Ainsi, même s'il comporte des droits analogues à ceux reconnus à la personne mise en examen, le statut du témoin assisté ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure, comme l'avait déjà décidé la jurisprudence antérieure à la loi du 15 juin 2000 (14). Si le témoin assisté ne peut faire l'objet d'un mandat d'amener, d'arrêt ou de dépôt, les mesures de contrainte prévues à l'égard du témoin ordinaire lui sont applicables (15), mais non les peines réprimant le faux témoignage, puisqu'il ne prête pas serment.

2.4. - Dispositions applicables à la personne mise en examen

Au lieu d'être, comme par le passé, librement décidée par le juge d'instruction, la mise en examen obéit désormais à des règles rigoureuses : à peine de nullité, le juge d'instruction ne peut mettre en examen que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves et concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi, et s'il estime ne pas pouvoir recourir à la procédure de témoin assisté ; il ne peut procéder à la mise en examen qu'après avoir entendu les observations de la personne concernée ou l'avoir mise en mesure de les faire, avec l'assistance de son avocat (art. 80-1).

Rappelons que le juge d'instruction peut décerner mandat d'amener ou mandat d'arrêt (art. 122) et qu'une fois la mise en examen prononcée, l'intéressé, qui peut être placé sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire (art. 137 et suiv.), ne peut être interrogé qu'en présence ou après convocation régulière de son avocat (art. 114).

Partie à la procédure, la personne mise en examen peut notamment en demander l'annulation (art. 173) et relever appel de la plupart des ordonnances du juge d'instruction (art. 186 et 186-1), prérogatives qui ne sont pas reconnues au témoin assisté.

III. - RESPONSABILITÉ DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

La discussion engagée tant devant la chambre de l'instruction que dans le mémoire ampliatif et la polémique consécutive à la décision du Conseil constitutionnel sur laquelle s'est fondé l'arrêt attaqué portent surtout sur la responsabilité pénale du Président de la République quant aux actes commis soit dans l'exercice de ses fonctions, soit en dehors de cet exercice et sur l'étendue de l'immunité et du privilège de juridiction que lui confère l'article 68 de la Constitution. Mais, pour avoir une vue complète de la question, il paraît nécessaire d'élever le débat et de s'interroger, d'une manière plus générale, sur le statut du Président de la République sous l'empire de la Constitution actuelle, à la lumière des précédents historiques et des opinions exprimées en doctrine, avant d'aborder la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 et de s'interroger sur sa portée.

3.1. - Statut constitutionnel du Président de la République

3.1.1. - Pouvoirs du Président de la République

On ne saurait oublier que le Président de la République est, à certains égards, l'héritier des pouvoirs des rois et empereurs qui ont régné sur la France, avec diverses interruptions et vicissitudes, jusqu'en 1870. À ce titre, il est, aujourd'hui encore, co-prince des Vallées d'Andorre en vertu de textes remontant au Moyen-Age, il accrédite les ambassadeurs (art. 14), il est le chef des armées (art. 15) et il exerce le droit de grâce, considéré traditionnellement comme un droit régalien (art. 17).

Mais le fondement de ses prérogatives n'est plus l'hérédité ou l'onction divine : la souveraineté qu'exerçait autrefois le monarque a été transférée au peuple, qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum (art. 3). Or - et c'est là que la Constitution du 4 octobre 1958, depuis sa modification, après référendum, par la loi du 6 novembre 1962, innove par rapport à celles des IIIe et IVe Républiques - le Président de la République est élu au suffrage universel direct, pour une durée de sept ans, ramenée pour l'avenir à cinq ans par la loi constitutionnelle du 2 octobre 2000 (art. 6). Loin de tenir, comme ses prédécesseurs, ses pouvoirs d'un collège d'élus du peuple, il est directement et personnellement mandaté par le peuple souverain pour exercer, avec le Gouvernement dont il nomme les membres, le pouvoir exécutif.

D'après l'article 5, le Président de la République veille au respect de la Constitution et assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, ainsi que la continuité de l'Etat. Il dispose, en cas d'urgence, de pouvoirs exceptionnels pour prendre toutes les mesures exigées par les circonstances (art. 16). S'il ne peut décider ces mesures qu'après diverses consultations, il les prend seul.

On ne saurait oublier que le Président de la République est le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, mission qu'il assume avec le concours du conseil supérieur de la magistrature dont il est de droit le président (art. 64 et 65). À ce titre, il nomme les magistrats du siège et du parquet, dans les conditions prévues par la loi organique portant statut de la magistrature (ord. du 22 décembre 1958, maintes fois modifiée).

Encore que cela ne figure pas dans la Constitution, il n'est pas inutile de signaler qu'aujourd'hui encore, et malgré diverses propositions d'abrogation, l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881 punit d'un an d'emprisonnement et de 300 000 francs d'amende l'offense au Président de la République commise par voie de presse, ce qui fait apparaître que, même si le texte cité n'a plus été appliqué depuis 1974, le Président de la République n'est pas tout-à-fait un citoyen comme les autres.

3.1.2. - Responsabilité du Président de la République

Avant la Révolution, le roi, en vertu de la maxime Le roi ne peut mal faire, était de plein droit irresponsable. La Constitution de 1791 a maintenu le principe de l'immunité pénale du roi, mais a prévu qu'il serait réputé avoir abdiqué, et redeviendrait ainsi un justiciable ordinaire, dans trois cas spécifiés de faute grave envers la Nation (16). Sous la Restauration et la Monarchie de juillet, la Charte déclarait sa personne "inviolable et sacrée", disposition dont on ne trouve pas l'équivalent dans les Constitutions républicaines.

Les dispositions actuelles concernant la responsabilité du Président de la République sont contenues dans le titre IX de la Constitution, intitulé La Haute Cour de justice et comportant deux articles : l'article 67 concernant l'institution de cette Cour, composée de membres élus, en nombre égal, par les deux assemblées parlementaires, et l'article 68 concernant sa compétence pour juger le Président de la République et, jusqu'à la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 instituant la Cour de justice de la République (art. 68-1), les membres du Gouvernement pour les actes commis dans l'exercice de leurs fonctions. Le libellé actuel de l'article 68 est le suivant :

Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice.

3.1.2.1. - Principe : immunité du Président de la République

Des conditions très restrictives de la responsabilité du Président de la République et de sa mise en accusation devant la Haute Cour, ainsi que de la construction négative des deux phrases de l'article 68, se déduit le principe général de l'immunité du Président de la République pour tous les actes commis dans l'exercice de ses fonctions. Cette immunité est triple :

a) Immunité politique : Si le Président de la République, comme tout élu, répond de ses actes devant les électeurs à l'expiration de son mandat, ses actes sont, pour la plupart, contresignés par le premier ministre et par les ministres responsables (art. 19). Ils ne peuvent donner lieu, de la part de l'Assemblée nationale, qu'à la censure du Gouvernement (art. 49 et 50). La pratique constitutionnelle de la IIIe République, qui a vu la Chambre des députés contraindre à la démission le Président Mac Mahon en 1879 en menaçant ses ministres de poursuites pour haute trahison, et le Président Millerand en 1924 en refusant toute relation avec le Gouvernement minoritaire qu'il avait constitué (17), paraît ne pas devoir revivre sous la Ve, l'Assemblée nationale ne pouvant aujourd'hui se débarrasser d'un Gouvernement qu'en votant contre lui la censure et en s'exposant ainsi à la dissolution.

b) Immunité pénale : Aucune poursuite pénale n'est possible contre le Président de la République devant une juridiction pénale de droit commun.

c) Immunité civile : Le Président de la République ne peut pas davantage être poursuivi personnellement devant les juridictions civiles ou administratives, mais ses actes peuvent engager la responsabilité de l'Etat, ce qui préserve les droits des personnes qui en auraient été victimes.

3.1.2.2. - Exception : Privilège de juridiction

La compétence exclusive de la Haute Cour de justice pour juger le Président de la République en cas de haute trahison est un héritage des Constitutions des IIIe et IVe Républiques, qui disposaient l'une et l'autre que le Président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison (L. 25 février 1875, art. 6 ; Constitution de 1946, art. 42), sans spécifier si cette responsabilité ne concernait que les actes commis dans l'exercice de ses fonctions.

Le sens du terme de haute trahison, qui semble s'appliquer à tout manquement grave du Président de la République aux devoirs de sa charge (18), n'a été défini par aucune des Constitutions successives. Dès lors, son contenu ne peut être déterminé que par les assemblées parlementaires, dans la résolution de mise en accusation, et par la Haute Cour elle-même, comme elle l'a fait notamment dans son arrêt du 6 août 1918 à l'occasion du procès engagé devant elle contre le ministre Malvy (19). Le seul exemple de saisine de la Haute Cour à l'égard d'un chef de l'Etat (le maréchal Pétain, en 1945, dans les circonstances particulières que l'on sait) n'est pas topique.

De même, la nature des sanctions susceptibles d'être prononcées par la Haute Cour ne résulte d'aucun texte, ce qui ne pose aucun problème s'il s'agit d'une sanction purement politique telle que la destitution ou un simple blâme, mais heurte le principe de légalité des délits et des peines consacré par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et par les traités internationaux ratifiés par la France (Pacte de New York, art. 15 ; Convention européenne des droits de l'homme, art. 7).

Le doyen Vedel propose de résoudre cette contradiction par la distinction suivante : "Alors que l'appréciation de la responsabilité politique est, une fois la haute trahison constatée, absolument discrétionnaire, l'appréciation de la responsabilité pénale se fait dans le cadre des qualifications et des sanctions prévues par les lois en vigueur" (20). Il appartiendrait donc aux assemblées, pour respecter le principe du procès équitable garanti par les mêmes conventions internationales, d'énoncer avec précision les faits poursuivis dans la résolution de mise en accusation, en mentionnant les textes qui leur sont applicables, exigence qui, en l'absence de dispositions spéciales en ce sens dans la Constitution, risque de rester un voeu pieux.

3.1.2.3. - Portée de l'immunité et du privilège de juridiction du Président de la République

Comme on l'a vu, la seconde phrase de l'article 68 dispose que le Président de la République ne peut être mis en accusation que par un vote des deux assemblées. La Constitution actuelle reprend ainsi, à peu de chose près, le texte de l'article 12 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, alors que l'article 42 de la Constitution de 1946, après avoir énoncé dans son alinéa premier que le Président de la République n'est responsable qu'en cas de haute trahison, ajoutait dans son alinéa 2 qu'il peut être mis en accusation par l'Assemblée nationale et renvoyé devant la Haute Cour de justice. Cette différence de rédaction, qui n'est pas due au hasard, signifie-t-elle que le Président de la République ne peut faire l'objet d'aucune poursuite, sinon devant la Haute Cour ?

Avant la décision du 22 janvier 1999, il était généralement admis en doctrine que l'irresponsabilité du Président de la République ne concerne que les actes de sa fonction. Telle était l'opinion exprimée sous la IIIe République par Barthélemy et Duez, qui citaient l'exemple d'un Président tuant un perdreau alors que seule était ouverte la chasse à la bécasse (21), sous l'empire de la Constitution de 1946 par M. Vedel (22) et sous l'empire de la Constitution actuelle par M. Foyer (23), M. Moreau (24), M. Badinter (25), M. Duhamel (26) et bien d'autres. Certains auteurs, tels que MM. Luchaire et Cannac, ne se posaient même pas la question, se bornant à insister sur la nature de juridiction politique de la Haute Cour (27), et Laferrière estimait la question "sans intérêt" (28)

En revanche, M. Carcassonne, rappelant qu'en fait la responsabilité du Président de la République n'a jamais été mise en cause sous la IIIe République et insistant sur la différence de rédaction des textes constitutionnels de 1946 et de 1958 et sur la difficulté de distinguer les actes antérieurs ou extérieurs aux fonctions de ceux commis dans leur exercice, professait que "la Constitution de la Ve République offre au chef de l'Etat une immunité à peu près absolue..., mais limitée à la durée de son mandat", grâce au privilège de juridiction résultant de la seconde phrase de l'article 68 (29). Cette opinion était approuvée par M. Favoreu (30)

On ne connaît qu'un exemple de poursuite d'un Président de la République, pour une infraction antérieure à son entrée en fonctions, devant la juridiction pénale de droit commun : à l'occasion de l'élection présidentielle de 1974, M. René Dumont, candidat malheureux, a fait citer le 3 mai 1974 devant le tribunal correctionnel de Paris M. Valéry Giscard d'Estaing pour un délit d'affichage illégal au cours de la campagne électorale. Le tribunal, par jugement du 3 décembre 1974, après avoir constaté l'amnistie en vertu de l'article 2 de la loi du 16 juillet 1974, a, sur l'action civile, débouté le demandeur de ses prétentions (31). Cet unique jugement, qui ne spécifie pas si la citation avait été délivrée avant l'entrée en fonctions de M. Giscard d'Estaing en qualité de Président de la République et se borne à constater qu'il n'a pas contesté la compétence de la juridiction de droit commun, ne suffit pas à faire une jurisprudence.

3.1.3. - Empêchement du Président de la République

L'analyse du statut du Président de la République serait incomplète si l'on ne mentionnait les dispositions de l'article 7 de la Constitution concernant la vacance de la présidence de la République ou l'empêchement du Président :

L'empêchement du Président de la République est constaté par le Conseil constitutionnel, saisi par le Gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres, et ses fonctions sont provisoirement exercées par le président du Sénat ou, si celui-ci en est à son tour empêché, par le Gouvernement. Lorsque l'empêchement est déclaré définitif par le Conseil constitutionnel, ou en cas de vacance, il est procédé à une nouvelle élection.

L'histoire nous offre plusieurs exemples de vacance, mais aucun exemple d'empêchement proprement dit : décès du Président Pompidou en 1974, à la suite d'une grave maladie ; démission du Président de Gaulle en 1969, après l'échec du référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat ; démission du Président Deschanel en 1920, pour cause d'aliénation mentale ; démission du Président Grévy en 1887, en raison du scandale des décorations dont son gendre était accusé d'avoir trafiqué.

Si la définition de la vacance, qui suppose le décès ou la démission du titulaire, ne pose aucun problème, il semble que l'empêchement ne peut résulter que d'un fait mettant le Président de la République dans l'impossibilité d'exercer normalement sa charge : maladie physique ou mentale, disparition, enlèvement, etc. L'indignité morale du Président, déduite de la commission d'un crime au cours de son mandat ou de la révélation de quelque grave forfait antérieur à son élection, ne pourrait-elle pas également caractériser une telle impossibilité ?

Cette interprétation extensive de la notion d'empêchement serait séduisante, puisqu'elle permettrait au Gouvernement de mettre fin au scandale et de rétablir le fonctionnement normal des institutions en saisissant le Conseil constitutionnel et qu'elle limiterait ainsi les inconvénients de l'irresponsabilité pénale du chef de l'Etat (32). Mais elle menacerait l'équilibre institutionnel en privant les assemblées parlementaires de leur pouvoir de mettre le Président en accusation devant la Haute Cour et en faisant dépendre le sort du Président de la République de la décision prise par un Gouvernement dont il a lui-même nommé les membres. On doit donc s'en tenir à une conception restrictive de l'empêchement prévu par l'article 7 de la Constitution française, qui ne saurait devenir l'équivalent de la procédure américaine d'impeachment, telle qu'elle a été exercée contre les Présidents Nixon et Clinton.

3.1.4. - Comparaison du statut du Président de la République avec ceux des membres du Gouvernement et du Parlement

La Constitution accorde un régime spécial à deux catégories de personnes : les membres du Gouvernement et ceux des assemblées parlementaires.

3.1.4.1. - Privilège de juridiction des membres du Gouvernement

Précédemment justiciables, comme le Président de la République, de la Haute Cour de justice (ancien art. 68, al. 2), les membres du Gouvernement sont, depuis l'entrée en vigueur de la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, jugés, pour les actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis, par la Cour de justice de la République, qui est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu'elles résultent de la loi (art. 68-1).

La Cour de justice de la République a ainsi jugé plusieurs ministres renvoyés devant elle pour homicide involontaire (affaire du sang contaminé) (33) et une ministre renvoyée devant elle pour diffamation (34)

La Cour de cassation a jugé que la compétence de la Cour de justice de la République à l'égard d'un ministre ne concerne que les actes ayant un lien direct avec la conduite des affaires de l'Etat dépendant de son ministère (35)

Tous les autres actes des membres du Gouvernement sont de la compétence des juridictions de droit commun. Si, comme on l'a vu, l'audition d'un ministre comme témoin ordinaire est soumise à des conditions particulières, son audition comme témoin assisté ou sa mise en examen n'est assortie par la loi d'aucune formalité. La pratique constitutionnelle récente veut que le membre du Gouvernement mis en examen renonce à ses fonctions ministérielles (cf. aff. Tapie, Carignon, Longuet, Strauss-Kahn, etc.).

3.1.4.2. - Immunité parlementaire

En vertu de l'article 26, alinéa premier, de la Constitution, aucun membre du Parlement ne peut faire l'objet de poursuites à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions. Il s'agit donc d'une irresponsabilité limitée aux actes de la fonction, mais ne comportant aucune exception, à la différence de l'irresponsabilité du Président de la République prévue par l'article 68.

Par ailleurs, le même article, alinéa 2, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle du 4 août 1995, dispose qu'aucun membre du Parlement ne peut faire l'objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d'une arrestation ou de toute mesure privative ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation du bureau de l'assemblée dont il fait partie, cette autorisation n'étant, cependant, pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive. En outre, selon l'alinéa 3, la détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d'un membre du Parlement sont suspendues pour la durée de la session si l'assemblée dont il fait partie le requiert. Les députés et sénateurs jouissent ainsi d'une inviolabilité limitée, qui n'empêche pas leur mise en examen par le juge d'instruction, ni leur citation ou leur renvoi devant la juridiction de jugement.

3.1.5. - Droit comparé

Dans tous les pays où le chef de l'Etat est un président élu, il bénéficie d'un statut pénal très protecteur. La plupart des Constitutions prévoient sa mise en accusation devant une juridiction spéciale pour des faits particulièrement graves commis dans l'exercice de ses fonctions (Allemagne, Italie). Certaines spécifient qu'il ne répond des actes étrangers à l'exercice de ses fonctions qu'après l'expiration de son mandat, devant les tribunaux ordinaires (Brésil, Grèce, Portugal). Cependant, aux Etats-Unis, si le Président peut être destitué de ses fonctions pour trahison, corruption ou autres crimes et délits, la poursuite étant décidée par la Chambre des représentants et exercée devant le Sénat (36), la Cour suprême a décidé qu'il peut être jugé par les juridictions civiles ordinaires, même pendant son mandat, pour des faits survenus avant sa prise de fonctions (37)

3.2. - Décision du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel

Alors que, comme on vient de le voir, les auteurs estimaient, pour la plupart, que le Président de la République est responsable conformément au droit commun des actes commis en dehors de l'exercice de ses fonctions, le Conseil constitutionnel s'est prononcé en sens inverse par une décision du 22 janvier 1999 qui, cependant, est loin d'avoir clos le débat, tant son bien-fondé est discuté et son autorité contestée.

3.2.1. - Analyse de la décision

3.2.1.1. - Dispositions examinées par le Conseil constitutionnel

Un traité signé à Rome le 18 juillet 1998 a institué une Cour pénale internationale, siégeant à La Haye, complémentaire des juridictions criminelles nationales et ayant compétence à l'égard des crimes les plus graves, commis par des personnes physiques, qui touchent l'ensemble de la communauté internationale, notamment le crime de génocide (art. 6), les crimes contre l'humanité (art. 7) et les crimes de guerre (art. 8), dont le traité donne la définition, et qui sont déclarés imprescriptibles (art. 29).

L'article 27 de ce texte spécifie :

1. - Le présent statut s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'Etat ou de Gouvernement, de membre d'un Gouvernement ou d'un Parlement, n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent statut, pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine.

2. - Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne.

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 24 décembre 1998 par le Président de la République et le Premier ministre, conformément à l'article 54 de la Constitution, de la question de savoir si, compte tenu des engagements souscrits par la France, l'autorisation de ratifier le traité portant statut de la Cour pénale internationale doit être précédée d'une révision de la Constitution.

3.2.1.2. - Sens de la décision du Conseil constitutionnel

Par sa décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999 (38), le Conseil constitutionnel a décidé que l'autorisation de ratifier ledit traité exige une révision de la Constitution, notamment en ce qui concerne la possibilité de poursuivre devant la Cour pénale internationale le Président de la République, les membres du Gouvernement et les membres du Parlement, et qu'il pourrait être porté atteinte à la souveraineté nationale par l'application du statut à des faits couverts, selon la loi française, par l'amnistie ou la prescription, ainsi que par le pouvoir reconnu au procureur de la Cour pénale internationale de procéder à certains actes d'enquête hors la présence des autorités de l'Etat requis et sur le territoire de ce dernier.

La Constitution a été modifiée conformément à cette décision par la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, qui a créé un article 53-2 disposant que la République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998. On pourrait être tenté de déduire de cette modification constitutionnelle que la décision du 22 janvier 1999 est devenue sans objet (39). Cependant elle subsiste, et il doit nécessairement en être tenu compte, ne serait-ce que comme jurisprudence relative à l'interprétation de l'article 68.

Seuls nous intéressent, bien entendu, les motifs de la décision relatifs au défaut de conformité de l'article 27 du statut.

3.2.1.3. - Motifs de la décision du Conseil constitutionnel

Après avoir rappelé les principes applicables, et notamment les dispositions des articles de la Constitution ayant trait à la souveraineté nationale (art. 3) et à la primauté des traités ou accords régulièrement ratifiés (art. 53 et 55), et avoir analysé les dispositions du statut de la Cour pénale internationale, le Conseil constitutionnel prononce par les motifs ci-après en ce qui concerne le Président de la République (il paraît inutile de reproduire ceux qui concernent les membres du Gouvernement et du Parlement) :

Considérant qu'il résulte de l'article 68 de la Constitution que le Président de la République, pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions et hors le cas de haute trahison, bénéficie d'une immunité ; qu'au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice, selon les modalités fixées par le même article ;

Considérant qu'il suit de là que l'article 27 du statut est contraire aux régimes particuliers de responsabilité institués par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution

Le Conseil constitutionnel, selon les commentateurs de sa décision, reconnaît donc au Président de la République une immunité quant aux actes commis dans l'exercice de ses fonctions, hors le cas de haute trahison, et un privilège temporaire de juridiction quant à ses autres actes.

Telle est, du reste, l'interprétation que le Conseil constitutionnel lui-même a cru devoir en donner, sans doute dans l'espoir de mettre un terme aux polémiques, dans un communiqué du 10 octobre 2000 où il rappelle les conditions de sa saisine, le caractère collégial et impartial de ses délibérations et ajoute :

Conforme au texte de l'article 68 de la Constitution, la décision du 22 janvier 1999 précise que le statut pénal du Président de la République, s'agissant d'actes antérieurs à ses fonctions ou détachables de celles-ci, réserve, pendant la durée de son mandat, la possibilité de poursuites devant la seule Haute Cour de justice.

Le statut pénal du Président de la République ne confère donc pas une "immunité pénale", mais un privilège de juridiction pendant la durée du mandat.

En outre, le secrétariat général du Conseil constitutionnel a publié sur son site Internet plusieurs documents non datés relatifs à la responsabilité pénale du chef de l'Etat, dans lesquels est explicitée la démarche qui aurait guidé les magistrats de la haute juridiction. Il ne paraît pas que l'on doive reconnaître la moindre autorité, sinon comme commentaires de doctrine, à ce communiqué et à ces documents, par lesquels le Conseil constitutionnel semble vouloir défendre une décision qui vaut par elle-même et par l'autorité que lui confère l'article 62 de la Constitution.

3.2.2. - Critiques et commentaires de la décision du 22 janvier 1999

La décision du Conseil constitutionnel a donné lieu à une polémique passionnée et parfois partisane, certains allant jusqu'à supposer une collusion, voire un "troc", entre le président d'alors du Conseil constitutionnel, M. Roland Dumas, lui-même mis en cause dans l'affaire Elf, et M. Jacques Chirac (40), et à un échange de points de vue opposés entre spécialistes du droit constitutionnel.

3.2.2.1. - Opinions favorables à la décision

M. Carcassonne approuve la décision du Conseil constitutionnel, qui, selon lui, ne pouvait éviter de se prononcer sur la responsabilité pénale du Président de la République, et estime raisonnable l'interprétation donnée de l'article 68, dès lors que, dans la personne du chef de l'Etat, aussi longtemps qu'il est à l'Elysée, l'homme disparaît derrière la fonction(41). Des commentaires favorables ont été également émis par M. Troper (42), M. Ardant (43) et M. Robbe, qui voit notamment dans cette décision un refus de la "judiciarisation" du politique (44)

M. Jacques Robert, ancien membre du Conseil constitutionnel, justifie la décision, d'une manière pragmatique, par la nécessité de "sauvegarder l'institution présidentielle en évitant que le chef de l'Etat puisse être inquiété par la justice pendant son mandat pour un oui ou un non", sans pour autant le faire bénéficier d'une totale impunité. Il se dit "intimement convaincu qu'il ne faut pas que le Président soit à la merci d'un juge d'instruction" (45). M. Vedel, lui aussi ancien membre du Conseil constitutionnel, estime que "la solution du Conseil est exacte sur le fond, mais n'a pas autorité absolue de chose jugée et ne s'impose donc pas au juge pénal" (46)

3.2.2.2. - Opinions opposées à la décision

Dans plusieurs publications, M. Chrestia soutient que la prise de position du Conseil constitutionnel est aussi inopportune que contestable. Selon lui, en se prononçant sur la responsabilité du Président de la République pour des actes étrangers à l'exercice de ses fonctions, le Conseil constitutionnel aurait statué ultra petita, et "cet obiter dictum, parce qu'il n'est ni le soutien, ni le fondement du dispositif, n'aura pas de réelle portée juridique". Le Conseil constitutionnel aurait, du reste, isolé à tort les deux phrases de l'article 68, alors qu'on ne voit pas "pourquoi, formant un seul article, (elles) seraient sémantiquement et grammaticalement indépendantes", ni "pourquoi le Président de la République bénéficierait d'une immunité absolue *et d'un privilège de juridiction pour des infractions de droit commun n'entrant pas dans l'exercice de ses fonctions" (47)

M. Olivier Duhamel affirme que le Conseil constitutionnel "n'avait pas à trancher le point de savoir si le Président peut, ou non, répondre devant les juges de droit commun des crimes et délits ordinaires, sans le moindre lien avec l'exercice de ses fonctions" et que "le point de vue exprimé par le Conseil constitutionnel n'a pas d'effet en droit", dès lors qu'il n'est qu'"un obiter dictum, une incidente qui n'est pas nécessaire pour résoudre le problème posé" (48). De nombreux auteurs se prononcent dans le même sens ; notamment M. Esplugas (49), M. Robert Badinter (50), M. Chagnollaud (51)

M. Genevois, conseiller d'Etat et ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, estime, à partir de son libellé et des conditions dans lesquelles il a été élaboré (sans véritables travaux préparatoires, puisque le texte a été soumis à référendum sans débats parlementaires), que l'interprétation donnée de l'article 68 de la Constitution par la décision du 22 janvier 1999 est erronée : pour le Président de la République comme pour les membres du Gouvernement (ancien alinéa 2 de l'article 68), les rédacteurs du texte entendaient limiter la compétence de la Haute Cour aux actes accomplis par eux dans l'exercice de leurs fonctions. En cas de poursuites contre le Président de la République pour des actes détachables de cet exercice, les procédures constitutionnelles destinées à pourvoir à un empêchement suffisent à assurer la continuité de l'Etat. Enfin, selon M. Genevois, "l'autorité qui s'attache à la décision du Conseil constitutionnel est juridiquement circonscrite au texte qui était soumis à son examen" (52)

M. Camy, critiquant aussi bien les méthodes d'interprétation des autres auteurs que celle du Conseil constitutionnel, énonce, par une "interprétation de l'article 68 de la Constitution à l'aide de la théologie sécularisée", que le chef de l'Etat, à l'instar du Christ, "est persona mixta, possédant un corps naturel et un corps politique inséparables". Il conclut comme suit : "L'irresponsabilité de l'article 68... ne concerne que le seul corps politique. Elle n'implique pas une immunité de fond ou de procédure au plan pénal du Président, sauf à confondre l'institution et le corps naturel. Dès lors, rien ne s'oppose, en l'absence de dispositions expresses, à ce que le Président soit traité comme un simple citoyen pour tout ce qui concerne les actes détachables de sa fonction" (53)

3.2.2.3. - Commentaires ne remettant pas en cause la décision

Plusieurs auteurs, notamment M. Schoettl, conseiller d'Etat (54), M. Dezeuze (55), M. Ligneul (56), ont publié des commentaires fortement documentés, mais ne prenant pas position pour ou contre la décision du Conseil constitutionnel.

M. Prélot, qui en analyse finement les conséquences, s'interroge sur la nature de l'irresponsabilité du Président de la République : inviolabilité, immunité fonctionnelle ou privilège de juridiction ? Si, comme l'indique le communiqué explicatif du 10 octobre 2000, la Haute Cour est compétente pour juger les faits extérieurs à sa fonction, il s'agit d'un privilège de juridiction. Or la Haute Cour "n'est absolument pas adaptée pour la répression des délits pénaux extrafonctionnels" commiss par le Président de la République et n'est pas tenue par les qualifications pénales, de sorte qu'on peut se demander si la prescription a toujours un sens. L'auteur observe, néanmoins, que la chambre d'accusation de Versailles, dans son arrêt du 11 janvier 2000, s'est déjà prononcée de manière implicite en faveur d'une suspension de la prescription pendant l'exercice du mandat (57)

IV. - AUTORITÉ DE LA DÉCISION DU 22 JANVIER 1999 DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Comme on l'a vu, de nombreux auteurs dénient toute autorité à la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a entendu résoudre la question de la responsabilité pénale du Président de la République pour les actes extérieurs ou antérieurs à l'exercice de ses fonctions. On s'interrogera sur le principe de l'autorité des décisions de cette haute juridiction, sur la manière dont cette autorité est respectée par les juridictions administratives et judiciaires et sur l'application qu'il convient de faire à l'espèce des principes ainsi dégagés.

4.1. - Principe de l'autorité des décisions du Conseil Constitutionnel

L'article 62, alinéa 2, de la Constitution, dispose que les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Malgré les termes énergiques employés dans ce texte, dont le Conseil constitutionnel a donné lui-même une interprétation, la portée de ce principe est loin d'être évidente.

4.1.1. - Interprétation du principe par le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel a lui-même rendu à plusieurs reprises des décisions précisant l'étendue de l'autorité affirmée par l'article 62 :

- Décision du 16 janvier 1962 : L'autorité des décisions visées par l'article 62, alinéa 2, de la Constitution s'attache non seulement à leur dispositif, mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même. ;

- Décision du 20 juillet 1988 : L'autorité de chose jugée attachée à une décision antérieure est limitée à la déclaration d'inconstitutionnalité visant certaines dispositions de la loi qui lui était alors soumise ;

- Décision du 8 juillet 1989 : Si l'autorité attachée à une décision du Conseil constitutionnel déclarant inconstitutionnelles des dispositions d'une loi ne peut en principe être utilement invoquée à l'encontre d'une autre loi conçue en termes distincts, il n'en va pas ainsi lorsque les dispositions de cette loi, bien que rédigées sous une forme différente, ont, en substance, un objet analogue à celui des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution.

Le principe indiscutable posé par la décision de 1962 est la conséquence du fait que le dispositif des décisions du Conseil constitutionnel se borne à constater la conformité ou l'absence de conformité à la Constitution des lois votées par le Parlement ou, comme dans le cas de la décision du 22 janvier 1999, des traités soumis à ratification.

Cependant il ne semble pas que l'on puisse admettre que l'autorité attachée par l'article 62 aux décisions du Conseil constitutionnel s'étend à celles par lesquelles il prétend en définir lui-même les limites. Du reste, on ne doit pas exagérer la portée des décisions précitées de 1988 et 1989, qui ont pour objet de déterminer quels moyens développés devant le Conseil constitutionnel par les autorités ou parlementaires auteurs de sa saisine méritent une réponse de sa part et non de définir l'autorité de ses décisions à l'égard des juridictions.

L'autorité du dispositif et des motifs qui en sont le fondement s'étend aux réserves d'interprétation dont le Conseil constitutionnel assortit fréquemment la déclaration de conformité à la Constitution des lois qui lui sont soumises. Bien que parfois critiquées en leur principe, ces réserves, qui permettent au Conseil constitutionnel de sauver des textes imparfaits, orientent l'action des autorités administratives chargées de les appliquer et limitent les pouvoirs d'interprétation des juridictions (58)

Le mémoire ampliatif tente de démontrer que le Conseil constitutionnel ne respecterait pas lui-même l'autorité de ses propres décisions, qui, dès lors, ne s'imposeraient pas aux juridictions de l'ordre judiciaire. C'est ainsi que, par sa décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999 (prod. 19), il a déclaré non conformes à la Constitution certaines des dispositions des articles 195 et 217 de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, alors que, par sa décision n° 84-183 DC du 18 janvier 1985 (prod. 20), il avait constaté la conformité à la Constitution des dispositions identiques de la loi relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises (loi du 25 janvier 1985, aujourd'hui intégrée au Code de commerce).

Mais cette apparente discordance s'explique par le fait que le Conseil constitutionnel, qui doit statuer à très bref délai, n'examine en détail que les dispositions dont la contrariété à la Constitution est évidente ou lui est spécialement dénoncée, se bornant, pour le surplus, à un examen plus superficiel résumé par un "considérant-balai" figurant dans sa décision du 18 janvier 1985 : Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen. L'autorité de ses décisions n'est évidemment pas la même dans les deux cas, et le Conseil constitutionnel en est tellement conscient que, depuis sa décision précitée du 20 juillet 1988, il a abandonné l'ancien "considérant-balai" (59)

4.1.2. - Limites de l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel

La question de l'étendue de l'autorité conférée par l'article 62 de la Constitution aux décisions du Conseil constitutionnel est obscurcie par le fait - qui trompe la plupart des commentateurs - que les juges ordinaires s'y conforment le plus souvent, alors même que, juridiquement, ils seraient libres de s'en dispenser. Les juridictions, en effet, et surtout les juridictions administratives, qui motivent souvent leurs décisions en se référant à des principes plutôt qu'à une loi déterminée, recherchent l'unité d'interprétation et l'harmonie plutôt que le conflit avec le Conseil constitutionnel. Analysant la jurisprudence, les auteurs confondent l'autorité des décisions de celui-ci au regard du texte constitutionnel et de la théorie juridique et la manière dont elles sont effectivement respectées.

Il n'est plus sérieusement discuté que le Conseil constitutionnel est une juridiction et que ses décisions ont l'autorité de la chose jugée, expression dont il fait lui-même usage. Cependant, comme le constate M. Favoreu, il n'est pas possible d'appliquer strictement les règles habituelles en matière de chose jugée, notamment d'exiger l'identité des parties, de l'objet et de la cause, ne serait-ce que parce qu'il n'y a pas véritablement de parties au procès constitutionnel (60)

Il résulte logiquement de l'application des règles de la chose jugée que l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel est absolue en ce qui concerne les textes mêmes dont il a examiné la constitutionnalité, mais n'est que relative en ce qui concerne les autres textes (61)

Toutefois l'étendue de cette limitation de l'autorité de chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel reste floue, notamment en ce qui concerne la constitutionnalité des textes non soumis à son contrôle avant leur promulgation et l'interprétation des lois. Deux conceptions de l'autorité de ces décisions se font jour, l'une extensive, l'autre restrictive, qu'il y a lieu de passer en revue avant de tenter une synthèse.

4.1.2.1. - Conception extensive de l'autorité de chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel

Selon une première conception, qui est celle du Conseil lui-même, ses décisions auraient autorité toutes les fois que le Conseil s'est prononcé sur la conformité d'un texte à la Constitution, à quelque titre que ce soit, donc même à l'occasion de l'examen d'une loi nouvelle. Il aurait ainsi le pouvoir d'imposer son appréciation en dehors même du contrôle a priori de la constitutionnalité des lois qui lui est confié par l'article 61 de la Constitution et au mépris des bornes posées par sa propre décision du 20 juillet 1988, ce qui est pour le moins surprenant. Dès lors que la notion de chose jugée s'applique difficilement à l'interprétation incidente d'une loi ancienne à l'occasion de l'examen d'une loi nouvelle, les décisions du Conseil constitutionnel auraient, en pareil cas, l'autorité de la chose interprétée, laquelle s'exercerait conformément à l'article 62, comme l'autorité de la chose jugée.

M. Favoreu adhère avec prudence à cette conception, puisqu'il estime raisonnable "de considérer que les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux juges judiciaires et administratifs lorsque la loi que doivent appliquer ceux-ci a fait l'objet d'une interprétation par le Conseil constitutionnel". Selon lui, "cette interprétation, dès l'instant qu'elle est contenue dans des motifs soutiens du dispositif ou dans le dispositif lui-même, est obligatoire pour le juge judiciaire ou le juge administratif" (62)

Le secrétariat général du Conseil constitutionnel a explicité la position de ce dernier en publiant sur son site Internet, à propos de la décision du 15 mars 1999 relative à la loi organique sur la Nouvelle-Calédonie déjà évoquée ci-dessus (cf. § 4.1.1), un étonnant document intitulé Effets du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel sur la loi promulguée, dans lequel on lit notamment :

"Certes, la loi promulguée déclarée non conforme subsiste dans le droit positif... On peut cependant penser qu'après qu'elle ait été expressément déclarée contraire à la Constitution, une telle loi se trouvera désormais privée d'effets...

"Dès lors que le Conseil constitutionnel a, fût-ce de manière incidente, jugé qu'une disposition législative était contraire à la Constitution, on voit mal, compte tenu des termes de l'article 62, alinéa 2, de la Constitution, les autorités administratives et juridictionnelles continuer benoîtement à l'appliquer. Sans doute écarteront-elles la loi contraire à la Constitution comme elles écartent, en application des jurisprudences Nicolo et Jacques Vabre, et pour des motifs analogues, la loi contraire au traité. Il en va du respect de la hiérarchie des normes

"Seule en effet l'existence du Conseil constitutionnel est susceptible de faire obstacle à l'application de ce principe, le juge administratif ou judiciaire n'étant pas juge de la constitutionnalité. Mais dans le cas où le Conseil constitutionnel lui-même s'est expressément prononcé sur l'inconstitutionnalité d'une loi promulguée, l'écran législatif part en fumée, et le juge ordinaire est en droit d'écarter la loi contraire. Ce faisant, il ne se prononce pas sur la constitutionnalité de la loi mais se borne à tirer les conséquences de la décision du Conseil qui s'impose à lui".

À supposer (mais rien ne permet d'en douter) que ce document reflète bien les intentions du Conseil constitutionnel, celui-ci n'hésite pas à élargir son contrôle de constitutionnalité aux lois déjà promulguées et à instituer, sous couleur de hiérarchie des normes, une hiérarchie des juridictions, le juge ordinaire devant mettre en application les décisions d'inconstitutionnalité prises par le juge constitutionnel en dehors même du contrôle a priori qui lui est attribué par l'article 61 de la Constitution. Une telle extension de compétence ne laisse pas d'inquiéter, même si elle paraît, pour l'instant, limitée au contrôle de constitutionnalité, à l'exclusion de la simple interprétation.

Il convient, du reste, de rappeler que les articles 61 et 62 de la Constitution n'attribuent nullement au Conseil constitutionnel le pouvoir de définir lui-même les limites de l'autorité de ses propres décisions. Les principes qu'il pose, notamment dans ses décisions des 16 janvier 1982 et 20 juillet 1988, n'ont que l'autorité morale d'une jurisprudence, en l'occurrence universellement acceptée, à laquelle, en bonne logique, il devrait lui-même se conformer.

4.1.2.2. - Conception restrictive de l'autorité de chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel

L'autorité des décisions du Conseil constitutionnel, qui, selon l'article 62 de la Constitution, s'impose erga omnes, trouve ses limites dans la mission même qui lui est impartie par l'article 61. Or ce texte ne lui a donné aucune compétence pour apprécier la constitutionnalité des lois existantes, qu'il n'appartient qu'au législateur d'abroger, ni même pour les interpréter. Dès lors, les décisions du Conseil constitutionnel n'ont l'autorité absolue prévue par l'article 62 de la Constitution, comme il l'a proclamé lui-même dans sa décision du 16 janvier 1982, qu'en ce qui concerne les dispositions de la loi soumise à son examen avant sa promulgation. Pas plus que toute autre juridiction, le Conseil constitutionnel ne rend d'arrêts de règlement, de sorte que, selon l'expression de M. Vedel, "sa jurisprudence n'a qu'une valeur doctrinale" (63)

Comme l'écrit le même M. Vedel, fin connaisseur de l'institution, "le Conseil constitutionnel admet lui-même qu'il est un juge d'attribution, ayant reçu compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois, mais non sur leur interprétation. L'interprétation des lois et des règlements revient aux juridictions administratives ou judiciaires, qui ont à connaître de leur application. Sous peine de s'ériger en Cour suprême, ce qu'il n'est pas, le Conseil ne peut usurper la fonction d'interprétation" (64)

MM. Duhamel et Mény en déduisent que, s'il "est lié par les décisions du Conseil constitutionnel lorsqu'il a à appliquer une loi déjà contrôlée par ce dernier", en revanche "le juge ordinaire n'est pas juridiquement lié par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, c'est-à-dire par les prises de position que celui-ci a pu développer dans des motifs qui ne sont pas le soutien nécessaire du dispositif ou dans une décision concernant une loi autre que celle que le juge ordinaire a à appliquer, même si les problèmes juridiques soulevés par les deux lois sont les mêmes" (65)

Quant au principe de la hiérarchie des normes, auquel se réfère le texte précité du Conseil constitutionnel, sa portée ne doit pas être exagérée. La jurisprudence relative au fameux "bloc de constitutionnalité", auquel le Conseil se réfère pour décider qu'une loi est ou non conforme à la Constitution est seulement l'outil dont il s'est doté pour exercer sa mission. Elle ne s'impose nullement aux juridictions, qui ne sont pas tenues de faire prévaloir les principes constitutionnels dégagés par le Conseil constitutionnel sur les lois dont l'application leur est demandée, démarche qui, du reste, les induirait à exercer un contrôle de constitutionnalité étranger à leur mission.

Ainsi, lorsque l'Assemblée plénière a cassé, le 22 décembre 2000, plusieurs arrêts de la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail rendus sans que les parties aient pu discuter contradictoirement les éléments sur lesquels les juges s'étaient fondés, elle l'a fait au visa de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile, applicable à toutes les juridictions civiles, sans se référer au "principe du contradictoire" faisant partie, selon le Conseil constitutionnel, du bloc de constitutionnalité (66). Il a, du reste, fallu une loi, celle du 15 juin 2000 (art. 1er), pour rendre ce principe expressément applicable aux juridictions pénales (art. préliminaire du Code de procédure pénale, al. 1er).

4.1.2.3. - Essai de synthèse

Si la question théorique de l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel paraît si confuse, c'est sans doute parce que l'on tente d'appliquer une règle uniforme à des situations différentes, ou de dégager une règle générale de solutions partielles concernant des situations différentes, ce qui revient au même. On peut, en effet, distinguer, dans les décisions du Conseil constitutionnel, plusieurs cas de figure qui semblent ne pas devoir obéir tous au même régime :

- Tantôt le Conseil constitutionnel déclare contraire à la Constitution une disposition d'une loi avant sa promulgation : en ce cas, qui correspond exactement aux prévisions de l'article 62, il est incontestable que sa décision s'impose à tous.

- Tantôt, à l'occasion de l'examen d'une loi nouvelle qu'il ne déclare pas contraire à la Constitution, il émet des réserves d'interprétation   : la même solution est applicable, dès lors que ces réserves sont le soutien nécessaire de la décision de conformité globale de la loi à la Constitution.

- Tantôt le Conseil apprécie, à l'occasion de l'examen d'une loi nouvelle, la constitutionnalité d'une loi déjà promulguée : sa décision ne vaut alors que comme simple jurisprudence, dès lors que le Conseil n'a compétence que pour effectuer un contrôle a priori de la loi nouvelle par rapport à la Constitution, et non par rapport à la loi ancienne, et que les motifs concernant celle-ci ne peuvent être le soutien du dispositif. La mise en oeuvre de cette jurisprudence par les juridictions administratives et judiciaires est impossible, puisqu'elles ne sont pas juges de la constitutionnalité des lois.

- Tantôt, toujours à l'occasion de l'examen de la constitutionnalité d'une loi nouvelle, le Conseil constitutionnel interprète une loi déjà promulguée : là encore, même si cette interprétation est un des éléments de son raisonnement, elle n'est pas l'un des motifs essentiels du dispositif, lequel ne concerne que la conformité à la Constitution de la loi soumise à l'examen du Conseil et ne peut avoir qu'une autorité jurisprudentielle relative, les juridictions conservant leur pouvoir d'interprétation de la loi.

- Tantôt, et c'est le cas de la présente espèce, le Conseil constitutionnel interprète une disposition de la Constitution : le cas ne s'étant, semble-t-il, pas encore produit, on peut hésiter entre deux solutions.

a) Ou bien on considère que le Conseil constitutionnel n'a pas le monopole de l'interprétation de la Constitution et que, dès lors, les juridictions sont libres de se conformer à son interprétation, ce qu'elles feront le plus souvent possible, ou de s'en écarter. Ce système risque d'aboutir à la cacophonie, puisqu'en l'absence de recours préjudiciel analogue à celui que prévoit, en matière de droit communautaire, l'article 177, devenu 234, du Traité sur l'Union européenne, le Conseil constitutionnel ne dispose d'aucune possibilité constitutionnelle ou légale de faire prévaloir son interprétation.

b) Ou bien, mais il s'agit d'une solution prétorienne, on estime que le Conseil constitutionnel a le monopole de l'interprétation de la Constitution, qui ne peut être qu'uniforme, et qu'en conséquence les juridictions suprêmes de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire, qui assurent l'uniformité de l'interprétation de la loi ordinaire, sont tenues de se conformer à l'interprétation de la Constitution donnée par le Conseil.

- Tantôt, enfin, le Conseil constitutionnel se prononce sur la constitutionnalité d'une loi analogue à celle que les juges ont à appliquer : sauf à renverser tous les principes existants, sa décision ne peut qu'être privée d'effet, puisque, comme on l'a vu, la décision du Conseil du 8 juillet 1989 ne s'impose pas aux juridictions, que les conditions de l'autorité de chose jugée sont exclues et que les juridictions administratives et judiciaires n'ont pas le pouvoir d'apprécier la constitutionnalité des lois.

Ces observations théoriques permettront peut-être de mieux comprendre comment et pourquoi, en pratique, les juridictions se conforment ou non aux décisions du Conseil constitutionnel.

4.2. - Autorité des décisions du Conseil constitutionnel à l'égard des juridictions de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire

L'autorité des décisions du Conseil constitutionnel à l'égard des deux ordres de juridiction a fait l'objet de nombreux débats (67) et d'importants ouvrages (68), dans lesquels un auteur va jusqu'à parler de leur exécution par les juges administratifs et judiciaires (69), terme nécessairement impropre, eu égard à la mission de ces juges et à leur indépendance à l'égard de toute autre autorité. Le Conseil constitutionnel a, d'ailleurs, constaté lui-même le caractère constitutionnel de l'indépendance de la juridiction judiciaire et de la juridiction administrative, que ni le législateur, ni le Gouvernement ne peuvent remettre en cause (70)

4.2.1. - Respect des décisions du Conseil constitutionnel par les juridictions administratives et judiciaires

Même si elles ont pu sembler le faire avec peu d'empressement, les juridictions administratives et judiciaires se sont le plus souvent conformées aux décisions du Conseil constitutionnel. Ainsi, le Conseil d'Etat a renversé sa jurisprudence concernant la nature fiscale ou non fiscale des redevances de pollution pour se conformer à une décision du 23 juin 1982 du Conseil constitutionnel (71). De même, le Conseil constitutionnel ayant décidé, le 15 janvier 1975, que le contrôle de conformité d'une loi à un traité n'est pas un contrôle de constitutionnalité (72), la Cour de cassation a exercé ce contrôle, comme cela lui était suggéré (73)

Dans deux arrêts Bogdan et Vuckovic du 25 avril 1985, la chambre criminelle a déclaré qu'il appartient aux juridictions de l'ordre judiciaire d'apprécier la régularité d'un contrôle d'identité exercé à l'égard d'un étranger, conformément aux dispositions combinées de l'article 136 du Code de procédure pénale et de l'article 66 de la Constitution, tel que l'avaient interprété plusieurs décisions antérieures du Conseil constitutionnel (74)

On s'est étonné de ce que la Cour de cassation se réfère rarement aux décisions du Conseil constitutionnel, même si elle s'y conforme. C'est ignorer, d'une part, le fait que ces décisions ne valent le plus souvent que comme jurisprudence et, d'autre part, les dispositions de l'article 5 du Code civil et l'obligation faite au juge de fonder sa décision sur l'application de la loi, et non d'une jurisprudence (pour le juge de cassation, cf. art. 1020 du nouveau Code de procédure civile et 591 du Code de procédure pénale). En appliquant directement la loi, les juridictions ne méconnaissent pas, pour autant, les principes constitutionnels.

Les réserves d'interprétation faites par le Conseil constitutionnel ont toujours été rigoureusement suivies par les juridictions. Le Conseil d'Etat, dans son arrêt SA La Cinq du 11 mars 1994, a jugé que le Conseil supérieur de l'audiovisuel n'avait pu légalement infliger à la société La Cinq une sanction sans la mise en demeure préalable nécessaire suivant une décision du 17 janvier 1989 du Conseil constitutionnel (75). La Cour de cassation, dans un arrêt Bechta rendu par la 2e chambre civile le 28 juin 1995, a fait siennes et a même cité les réserves d'interprétation concernant la loi du 10 août 1993 sur les contrôles d'identité, émises par le Conseil dans sa décision du 5 août 1993 (76). Elle s'y est encore conformée, sans les citer, dans un arrêt Benzitouni rendu par la chambre criminelle le 10 octobre 1996 (77)

4.2.2. - Résistance des juridictions administratives et judiciaires à l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel

Si, dans plusieurs cas, les juridictions ordinaires ne se sont pas conformées à des décisions du Conseil constitutionnel portant sur la question en litige, encore faut-il se demander s'il s'agit d'actes de rébellion ou de la simple application du principe de l'autorité relative de certaines de ces décisions.

Dans son arrêt dame Roy du 19 mai 1978, la Cour de cassation a paru méconnaître le principe de la liberté de conscience des maîtres affirmé par une décision du Conseil constitutionnel du 23 novembre 1977, parce qu'elle a estimé exclusivement soumis au contrat le litige entre l'enseignante et l'établissement privé qui l'avait licenciée (78), mais elle n'était pas obligée de s'y conformer, dès lors qu'elle n'a pas appliqué la loi sur la constitutionnalité de laquelle s'était prononcé le Conseil (79)

Plus intéressants sont les arrêts par lesquels le Conseil d'Etat et la Cour de cassation ont fait application de la "théorie de l'écran législatif" : les juridictions administratives et judiciaires n'ont pas à se conformer aux décisions du Conseil constitutionnel lorsqu'elles font application d'une loi qui, n'ayant pas été soumise au contrôle a priori prévu par l'article 61, n'a pas été déclarée contraire à la Constitution.

Alors qu'il était admis sans discussion que, selon l'article 34 de la Constitution, les contraventions sont du domaine réglementaire, et alors que les dispositions législatives des articles 464 et 465 du Code pénal en vigueur à l'époque prévoyaient qu'elles pouvaient être punies d'un emprisonnement d'un jour à deux mois, le Conseil constitutionnel a cru devoir, par sa décision n° 73-10 du 28 novembre 1973, énoncer incidemment que la détermination des contraventions et des peines qui leur sont applicables appartient au domaine réglementaire lorsque lesdites peines ne comportent pas de privation de liberté

Le Conseil d'Etat, par un arrêt CFDT et CGT du 3 février 1978 (80), et la Cour de cassation, par des arrêts Schiavon du 26 février 1974 et Vantalon du 25 janvier 1978 (81), n'ont tenu aucun compte de cette décision, au motif que les dispositions des articles 464 et 465 du Code pénal, ayant valeur législative, s'imposent aux juridictions, qui ne sont pas juges de leur constitutionnalité (82). Il a fallu une loi du 19 juillet 1993 pour abroger, avant même l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal, les textes prévoyant une peine d'emprisonnement en matière de police.

En refusant ainsi de s'incliner devant la décision du Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat et la Cour de cassation, qui auraient pu se borner à constater que cette décision, prononcée incidemment à l'occasion du contrôle de constitutionnalité d'une autre loi et n'étant pas le soutien nécessaire du dispositif, n'avait pas l'autorité de la chose jugée, ont tenu à affirmer qu'ils ne sont, ni l'un, ni l'autre, juges de la constitutionnalité des lois. En effet, la Constitution elle-même n'a prévu, en la matière, qu'un contrôle a priori, réservé à la compétence exclusive du Conseil constitutionnel. Mais ce dernier, comme le révèle le document précité diffusé sur son site Internet (cf. § 4.1.2.1), tient apparemment leur jurisprudence pour non avenue.

V. - ÉLÉMENTS EN VUE DU CHOIX D'UNE SOLUTION

Le moyen proposé par le demandeur place l'Assemblée plénière en face d'une série de choix successifs à faire, conduisant à plusieurs solutions possibles, soit quant à la suite à donner au pourvoi, soit quant à la motivation de la décision, compte tenu des implications de chacun de ces choix.

5.1. - Autorité ou défaut d'autorité de la décision du Conseil constitutionnel ?

La discussion sur l'autorité de la décision du Conseil constitutionnel, qui est l'objet de la première branche du moyen, porte, d'une part, sur le caractère incident (obiter dictum) ou non de son motif essentiel et, d'autre part, sur la nature de cette autorité.

5.1.1. - Obiter dictum ou fondement de la décision ?

On a vu que la plupart des auteurs hostiles à la décision du Conseil constitutionnel soutiennent qu'il n'était nullement tenu de se prononcer sur la possibilité de poursuites pénales contre le Président de la République pour des faits extérieurs ou antérieurs à l'exercice de ses fonctions.

Or la question posée au Conseil constitutionnel, s'agissant d'une demande d'avis sur la ratification d'un traité, l'obligeait à envisager toutes les éventualités d'immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, selon les termes de l'article 27 du traité de Rome, et toutes les implications de ce texte.

En notre époque où des guerres proprement dites ou des conflits idéologiques, religieux ou ethniques, accompagnés de massacres, déportations de populations civiles, viols collectifs, ont sévi et sévissent encore dans toutes les parties du monde, et où personnes, idées et marchandises ne cessent de circuler sans limitation de frontières, est-il déraisonnable d'envisager l'hypothèse d'un Président de la République ayant, avant son élection, participé à de tels actes comme coauteur ou complice par instructions données, par aide et assistance ou par fourniture de moyens ? Que l'on songe à la révélation tardive du passé hitlérien de M. Kurt Waldheim, successivement secrétaire général de l'ONU et Président de la République d'Autriche, au rôle parfois peu glorieux joué par certains de nos concitoyens dans la guerre d'Algérie, aux manipulations financières et trafics de toute sorte ayant pour but de soutenir l'une ou l'autre des parties aux conflits du Rwanda ou de la Bosnie, à l'assistance technique que certains se vantent d'avoir apportée aux tortionnaires argentins ou chiliens !

L'argument selon lequel le considérant du Conseil constitutionnel relatif à la responsabilité pénale du Président de la République pour des actes extérieurs à ses fonctions ne serait qu'une incidente sans portée juridique ne pourra entraîner la conviction de l'Assemblée plénière, ce qui ne l'empêchera nullement de s'interroger sur l'autorité juridique de la décision du 22 janvier 1999.

5.1.2. - Autorité absolue ou relative de la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 ?

Comme on l'a vu, la question théorique de l'autorité des décisions d'interprétation de la Constitution par le Conseil constitutionnel n'est pas résolue.

Deux thèses s'affrontent à ce sujet : ou bien la décision du Conseil constitutionnel a définitivement tranché, à l'égard de tous et de toutes les instances en cours ou susceptibles d'être engagées et avec l'autorité affirmée par l'article 62 de la Constitution, le problème de la responsabilité pénale du Président de la République, ou bien elle n'a que l'autorité morale d'une simple jurisprudence.

5.1.2.1. - Thèse de l'autorité absolue

Le principal argument susceptible d'être retenu pour soutenir la thèse de l'autorité absolue de la décision du 22 janvier 1999 est que le considérant discuté ne s'applique pas seulement à l'appréciation de la constitutionnalité du texte soumis à l'examen du Conseil constitutionnel, mais aussi à tout autre texte ayant un objet analogue, selon la formule de la décision du 8 juillet 1989 (cf. ci-dessus, § 4.1.1), et par conséquent, en l'espèce, aux dispositions du Code de procédure pénale permettant au juge d'instruction d'exercer ses pouvoirs d'investigation à l'égard de n'importe quelle personne. Or on a vu que la décision précitée n'a pas elle-même autorité à l'égard des juridictions.

Quant au support textuel de l'article 62 de la Constitution, il est bien fragile, puisque le Conseil constitutionnel a lui-même qualifié d'autorité de chose jugée la force obligatoire de ses décisions et qu'il faudrait, en l'espèce, fermer les yeux sur l'absence des conditions d'application d'une telle autorité.

Certes le communiqué du 10 octobre 2000 du Conseil constitutionnel et les différents textes accessibles sur son site Internet ne laissent aucun doute sur son intention de trancher une fois pour toutes la question posée, mais est-ce suffisant ? Le Conseil constitutionnel a-t-il, à la différence des juridictions de l'ordre judiciaire et nonobstant l'opinion de M. Vedel, le pouvoir de rendre des arrêts de règlement, qui auraient force de loi, voire de loi constitutionnelle ?

Sans aller jusque là, il n'est pas interdit de penser que l'indispensable unité d'interprétation de la Constitution ne peut être assurée que si l'on reconnaît au Conseil constitutionnel, sinon une compétence exclusive en la matière, puisque les juridictions ordinaires peuvent être saisies de questions impliquant cette interprétation, du moins le pouvoir de rendre des décisions ayant autorité erga omnes, conformément à l'article 62, sans qu'il soit nécessaire de constater que sont remplies les conditions de l'autorité de chose jugée. Cette interprétation téléologique des textes constituerait une innovation, mais aurait pour elle le mérite d'une certaine logique et d'une grande simplicité.

La thèse de l'autorité absolue, si elle était adoptée par l'Assemblée plénière, conduirait au REJET du pourvoi. En effet, le moyen devrait être déclaré mal fondé en sa première branche et inopérant en sa seconde branche, puisque le principe constitutionnel général de l'égalité de tous devant la loi ne saurait prévaloir sur une disposition spéciale de la Constitution, en l'espèce celle de l'article 68.

Une telle décision présenterait le risque d'être interprétée comme signifiant que la Cour de cassation se soumet à la suprématie du Conseil constitutionnel ; elle ouvrirait alors la voie à un contrôle de la constitutionnalité des lois déjà promulguées par les juges administratifs ou judiciaires, qui, à défaut de pouvoir en proclamer l'inconstitutionnalité, en constateraient la caducité, comme semble le souhaiter le Conseil, alors qu'un tel contrôle, empiétant sur le pouvoir législatif, n'est ni possible en l'état actuel des textes, ni souhaitable, même sous la forme d'un recours préjudiciel au Conseil constitutionnel, comme l'ont prévu plusieurs propositions de révision constitutionnelle jusqu'ici demeurées sans suite, dès lors qu'il introduirait un facteur d'insécurité juridique constante et aboutirait à la paralysie des juridictions administratives et judiciaires et du Conseil constitutionnel lui-même.

La réponse qui vient d'être suggérée laisserait subsister une difficulté de taille, celle de la nature du privilège dont bénéficie le Président de la République. On verra en effet (cf. ci-dessous, § 5.3) les inconvénients de la notion de privilège de juridiction qui semble s'évincer de la décision du 22 janvier 1999, mais qui résulte plutôt des commentaires et du communiqué du 10 octobre 2000 du Conseil. En se considérant comme liée par l'interprétation de la Constitution faite par le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation peut-elle s'attribuer compétence pour l'interprétation de la décision du Conseil constitutionnel ?

Si l'on relit le considérant concernant la responsabilité pénale du Président de la République, on constate qu'il exclut, certes, la possibilité de la mettre en cause autrement que devant la Haute Cour pendant la durée du mandat présidentiel, selon les modalités fixées par l'article 68, c'est-à-dire pour haute trahison et par un vote identique des deux assemblées, mais qu'il ne spécifie pas que les infractions commises en dehors de l'exercice des fonctions ou avant l'élection peuvent être soumises à la Haute Cour. Tout ce qu'il précise, c'est que l'immunité s'applique aux seuls faits commis dans l'exercice des fonctions, ce qui signifie que, pour les autres faits, le régime est différent.

Par conséquent, contrairement à ce qui a été écrit par la quasi-totalité des auteurs, le Conseil constitutionnel ne s'est pas ouvertement prononcé pour le privilège de juridiction, ce qui laisse à l'Assemblée plénière la faculté de tirer elle-même les conséquences de sa décision.

5.1.2.2. - Thèse de l'autorité relative

Si l'on se réfère aux opinions d'auteurs aussi éminents que M. Vedel et M. Favoreu (cf. ci-dessus, § 4.1.2 et suiv.), les conditions de l'autorité de chose jugée ne sont pas remplies en l'espèce, puisque la décision du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel ne s'impose aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et judiciaires, dans les conditions prévues par l'article 62 de la Constitution, qu'en ce qui concerne la possibilité de déférer le Président de la République à la Cour pénale internationale pour y répondre des crimes de la compétence de cette Cour, non en ce qui concerne l'éventualité de poursuites pénales devant les juridictions de droit commun pour d'autres infractions.

Dès lors, cette décision, dépourvue de toute force obligatoire dans la présente espèce, n'a que la valeur morale d'une jurisprudence, ce qui ouvre la porte à deux solutions :

a) Absence de base légale de l'arrêt attaqué : Dès lors qu'il s'est fondé à tort sur l'autorité de la décision du Conseil constitutionnel, et non sur l'application de la loi constitutionnelle ou de la loi ordinaire, l'arrêt de la chambre de l'instruction est privé de base légale (art. 593 du Code de procédure pénale). En effet, il appartenait à la chambre de l'instruction de rechercher elle-même si le Président de la République, justiciable de la Haute Cour pour les seuls actes de ses fonctions qualifiés de haute trahison, peut être poursuivi devant les juridictions de droit commun pour y répondre de toute infraction commise en dehors de l'exercice de ses fonctions. On peut encore lui faire le reproche de n'avoir pas prononcé sur la possibilité de l'audition de M. Jacques Chirac en qualité de témoin, voire de témoin assisté, telle que demandée initialement par la partie civile.

La CASSATION de l'arrêt est donc encourue de ce chef sur la première branche du moyen. Mais cette cassation minimale pour défaut de base légale n'est même pas demandée par M. Breisacher, puisque son mémoire articule dans la seconde branche un grief de violation de la loi qui suppose l'examen du problème de fond posé par le pourvoi.

b) Examen du problème de fond par la Cour de cassation : Dès lors qu'elle aura écarté l'autorité de chose jugée de la décision du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel, l'Assemblée plénière est entièrement libre de sa propre décision.

5.2. - Adhésion à la jurisprudence du Conseil constitutionnel ou divergence ?

Si la Cour de cassation décide de ne pas reconnaître l'autorité de la décision du 22 janvier 1999, une nouvelle option s'ouvre à elle : s'en écarter entièrement ou s'y conformer d'une manière plus ou moins complète en donnant ses propres motifs, la première éventualité conduisant évidemment à la cassation de l'arrêt attaqué.

5.2.1. - Rejet de la jurisprudence du Conseil constitutionnel

Comme l'ont écrit les nombreux auteurs hostiles à la décision du Conseil constitutionnel, l'article 68 ne prévoit aucune disposition spéciale en ce qui concerne la responsabilité pénale du Président de la République pour les actes commis en dehors de l'exercice de ses fonctions ou antérieurs à son élection, ce dont il se déduit qu'il doit en répondre devant les juridictions de droit commun, dans les mêmes conditions que n'importe quel autre justiciable.

Si l'Assemblée plénière se rallie à cette thèse, elle devra prononcer la CASSATION pour violation des articles 62 de la Constitution relatif à l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel, 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, qui proclame l'égalité de tous les citoyens devant la loi et auquel renvoie le préambule de la Constitution, 81, alinéa premier, du Code de procédure pénale, selon lequel le juge d'instruction a le pouvoir de procéder à tous les actes d'information utiles à la manifestation de la vérité, et 82-1 du même Code, qui permet aux parties de lui demander de procéder à divers actes d'information, et notamment à des auditions de témoin.

Dans cette hypothèse de cassation, il n'apparaît pas utile d'entrer dans la distinction entre la possibilité de poursuivre le Président de la République devant les juridictions de droit commun et celle de l'entendre en qualité de témoin, puisque le principe d'égalité s'applique aux deux éventualités.

Une telle décision aurait un retentissement considérable et pourrait même provoquer une crise politique majeure : dès lors que la coutume constitutionnelle veut qu'un ministre mis en examen présente sa démission, comment la même règle ne s'appliquerait-elle pas aussi au Président de la République ? Mais le risque serait alors que le Président démissionnaire sollicite à nouveau le suffrage des électeurs, ce qui, en l'absence de condamnation définitive à une peine le rendant inéligible, serait possible. Or sa réélection amènerait un conflit inextricable entre le Président réélu, fort de l'onction populaire, et l'autorité judiciaire compétente pour le juger et éventuellement le condamner, conflit que seule pourrait résoudre une révision constitutionnelle.

On observera encore qu'il serait paradoxal de voir le Président de la République astreint à comparaître pour le moindre délit devant les juges de son pays, alors qu'en droit international, même pour des crimes graves, tant que le traité de Rome instituant la Cour pénale internationale n'est pas entré en vigueur, la coutume reconnaît une immunité aux chefs d'Etat étrangers, comme la chambre criminelle l'a récemment constaté en ce qui concerne le Président libyen Kadhafi (83), et que même la possibilité de poursuivre en justice un ancien chef d'Etat, tel le général Pinochet, a été controversée.

5.2.2. - Adhésion à la jurisprudence du Conseil constitutionnel

Si l'Assemblée plénière entend consacrer l'impossibilité de poursuivre le Président de la République devant les juridictions pénales de droit commun pendant la durée de son mandat, doit-elle pour autant se rallier à la motivation donnée par le Conseil constitutionnel, ou est-il préférable qu'elle s'en écarte pour asseoir la solution sur des bases plus solides ?

5.2.2.1. - Adoption des motifs de la décision du Conseil constitutionnel

On se rappelle que, pour dire (ou plutôt laisser entendre : cf. ci-dessus, § 5.1.2.1.) que, pendant la durée de son mandat, le Président de la République ne peut être poursuivi que devant la Haute Cour de justice, même pour des actes étrangers à ses fonctions, le Conseil constitutionnel a fait, selon les commentateurs, une lecture de l'article 68 de la Constitution consistant à considérer la seconde phrase de ce texte comme autonome par rapport à la première, qui ne prévoyait que le cas des actes commis dans l'exercice des fonctions, couverts par une immunité totale, hors le cas de haute trahison.

Il serait peut-être plus pertinent de dire qu'il en a fait une interprétation globale a contrario, en estimant que, dès lors que l'article 68 ne mentionne aucune autre possibilité de poursuite, le Président de la République ne peut être poursuivi que devant la Haute Cour, sans que celle-ci soit nécessairement compétente pour juger des actes autres que ceux commis dans l'exercice des fonctions et susceptibles d'être qualifiés de haute trahison.

Cette manière de comprendre la décision du 22 janvier 1999, contraire à l'interprétation de la plupart des commentateurs et au communiqué du 10 octobre 2000 du Conseil constitutionnel, serait préférable, parce qu'elle éviterait d'étendre démesurément et hors des prévisions de la première phrase de l'article 68 la compétence de la Haute Cour. Elle paraît possible, si l'on considère que le libellé de la décision elle-même est assez flou pour laisser à la Cour de cassation le soin d'en définir les conséquences.

5.2.2.2. - Justification de la décision par des motifs autres que ceux du Conseil constitutionnel

Comme l'ont écrit des commentateurs avisés tels que MM. Carcassonne, Robert et Vedel (cf. ci-dessus, § 3.2.2.1), il est raisonnable que le Président de la République soit à l'abri de poursuites intempestives qui empêcheraient l'exercice normal de son mandat, et notamment des pouvoirs que lui confère l'article 5 de la Constitution, sans parler même de l'article 16. Il semble même permis d'affirmer que c'est indispensable : imaginerait-on que, dans une situation de crise grave, le chef de l'Etat doive se soumettre à un mandat d'amener décerné par un juge d'instruction ?

Mais en dehors de cette considération d'opportunité, qui ne suffirait pas à justifier une interprétation assez éloignée de la lecture littérale de l'article 68, on doit se rappeler que le Président de la République est élu directement par le peuple (art. 6), lui-même titulaire de la souveraineté (art. 3), qu'il assure la continuité de l'Etat (art. 5), qu'il est le chef des armées (art. 15), qu'il nomme aux emplois civils et militaires de l'Etat (art. 13) et nomme en particulier les magistrats, même s'il ne les choisit pas. L'ensemble de ces dispositions permet d'écarter l'application du principe d'égalité de tous devant la loi édicté par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, invoqué par la seconde branche du moyen, et peut ainsi fournir une assise solide à une décision de rejet qui s'écarterait de la motivation contestée de la décision du Conseil constitutionnel.

En se fondant sur ces seules considérations, l'Assemblée plénière affirmerait son indépendance à l'égard du Conseil constitutionnel, tout en calquant d'une manière plus ou moins fidèle sa décision sur la sienne. Mais la motivation ainsi suggérée prêterait le flanc à la critique si elle n'intégrait pas la référence à l'article 68 de la Constitution.

La sagesse commande donc que la Cour de cassation, si elle adopte une solution identique ou analogue à celle du Conseil constitutionnel en ce qui concerne la responsabilité pénale du Président de la République pour les actes extérieurs à l'exercice de ses fonctions, la fonde sur le rapprochement de l'article 68 et des articles 3, 5 et 6 de la Constitution, dont l'analyse conduit à une appréciation plus pertinente du sort particulier réservé au Président de la République que celle du seul article 68, lequel présente une lacune évidente.

Contrairement à l'argumentation de la seconde branche du moyen, le Président de la République n'est pas tout-à-fait un citoyen comme les autres, et il est bien difficile de séparer en lui ce qui appartient à la fonction et ce qui appartient à l'homme privé. Remettre judiciairement en question la fonction en raison des fautes imputées à l'homme privé présente un caractère tellement disproportionné que, sous la IIIe République, Barthélémy et Duez n'ont trouvé, pour illustrer le problème de la responsabilité pénale du Président de la République, que l'exemple dérisoire du "perdreau mort" et que Laferrière a estimé la question sans intérêt.

Même en l'absence de travaux préparatoires parlementaires, il ne fait aucun doute que les rédacteurs du projet de Constitution de 1958, le Gouvernement du général de Gaulle qui l'a soumis au référendum et les électeurs qui l'ont approuvé ont entendu réagir contre l'effacement excessif du Président de la République sous les IIIe et IVe Républiques et lui fournir les moyens de jouer un rôle politique important dans la direction des affaires de l'Etat, de sorte que doit être écarté tout ce qui entraverait sans nécessité sa liberté d'action. Interpréter d'une manière globale les dispositions constitutionnelles qui le concernent, et en déduire qu'il doit être tenu à l'abri de poursuites judiciaires intempestives, n'a rien de conjectural et procède d'une méthode d'exégèse classique, la partie n'ayant de sens que par rapport au tout (84)

L'argument supplémentaire d'une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, invoqué par un communiqué de l'Elysée du 28 mars 2001, ne semble pas devoir être évoqué dans la décision à prendre, la notion de séparation des pouvoirs étant fort complexe et ressortissant à l'un de ces principes constitutionnels dont le Conseil constitutionnel fait couramment application, mais dont les juridictions de l'ordre judiciaire, obligées de motiver leurs décisions par référence directe aux textes, n'usent qu'avec précaution. En l'occurrence, une motivation qui exclurait toute intervention des autorités judiciaires de droit commun à l'égard du Président de la République en raison des dispositions des articles 5 et 6 de la Constitution dispenserait de toute mention expresse de la séparation des pouvoirs.

5.3. - Immunité, privilège de juridiction ou inviolabilité ?

Si l'Assemblée plénière décide, comme le Conseil constitutionnel, que le Président de la République, pendant la durée de son mandat, n'a pas à répondre devant les juridictions pénales de droit commun de ses actes extérieurs à ses fonctions ou antérieurs à son élection, il est indispensable qu'elle se prononce sur la nature du privilège qui lui est ainsi reconnu. En effet les conséquences très différentes qui s'en évincent commandent la suite de la procédure (85)

5.3.1. - Immunité de procédure

Tout comme les membres du Parlement au bénéfice du premier alinéa de l'article 26 de la Constitution pour les opinions ou votes émis dans l'exercice de leurs fonctions, le Président de la République, en vertu de l'article 68, n'est pas responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions, hors le cas de haute trahison. Il s'agit dans les deux cas d'une immunité de fond, qui a pour conséquence une absence totale de poursuite

Selon l'analyse de M. Genevois, ce même Président de la République bénéficierait, pendant la durée de son mandat, en ce qui concerne les actes extérieurs ou antérieurs à l'exercice de ses fonctions, d'une immunité de procédure, caractérisée par la compétence exclusive de la Haute Cour et par les règles spéciales de procédure applicables devant elle (86). L'expression est séduisante, mais n'a guère de sens, puisque la prétendue immunité de procédure s'identifie à un privilège de juridiction.

Pour la clarté du débat le terme d'immunité est donc à éviter, bien que le langage courant confonde sous l'expression d'immunité parlementaire les deux privilèges très dissemblables reconnus aux membres des deux assemblées par les deux alinéas de l'article 26 de la Constitution. On observera, du reste, que la décision du 22 janvier 1999 n'emploie le terme d'immunité que pour les actes accomplis dans l'exercice des fonctions, hors le cas de haute trahison.

5.3.2. - Privilège de juridiction

Comme on l'a vu, la décision du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel est habituellement interprétée comme conférant au Président de la République un privilège de juridiction au profit du Président de la République, tant pour les actes commis dans l'exercice des fonctions que pour les actes détachables des fonctions, qui ne pourraient être poursuivis, pendant la durée du mandat, que sous la qualification de haute trahison. Ce privilège serait définitif pour la première catégorie d'actes, temporaire pour la seconde, et il en serait de même en ce qui concerne la compétence exclusive de la Haute Cour

La complexité de ce système le rend quasiment impraticable, notamment en ce qui concerne l'application de la qualification de haute trahison aux actes étrangers à l'exercice des fonctions. On ne voit pas quel sort pourrait être réservé aux procédures engagées devant les juridictions de droit commun avant l'élection présidentielle ou devant la Haute Cour avant l'expiration du mandat présidentiel et n'ayant alors fait l'objet d'aucune décision passée en force de chose jugée : ces procédures devraient-elles être transférées à la juridiction devenue ou redevenue compétente ou être continuées devant la juridiction saisie ? Quel serait le régime de la prescription ?

Par ailleurs, une extension excessive de la compétence de la Haute Cour, dont les conditions de saisine sont fort restrictives, aboutirait à une impunité de fait des infractions étrangères à l'exercice des fonctions : l'amalgame que paraît faire le Conseil constitutionnel entre les infractions commises dans l'exercice et hors l'exercice des fonctions n'entraînerait donc pas seulement des conséquences quant à la compétence et à la procédure, mais aussi quant au fond, alors même que le constituant de 1958 a voulu pour les premières seulement une immunité totale, sauf le cas de haute trahison, conformément aux Constitutions précédentes.

En outre, cette extension, en ouvrant la voie à des poursuites devant la Haute Cour en dehors du cas de haute trahison expressément prévu par l'article 68 de la Constitution, encouragerait des initiatives parlementaires tendant à la destitution du Président de la République, telles que la proposition de résolution de mise en accusation de M. Montebourg, dont la presse s'est fait l'écho. Si cette proposition est fondée sur les scandales financiers faisant l'objet des informations en cours, la qualification de haute trahison paraît difficilement applicable, sauf à considérer que le refus de s'expliquer devant les juges de M. Jacques Chirac constitue un manquement grave aux devoirs de sa charge, ce qui est discutable.

5.3.3. - Inviolabilité

Si l'on interprète la Constitution comme ayant entendu mettre le Président de la République à l'abri de poursuites pénales pour des faits extérieurs ou antérieurs à ses fonctions, sans pour autant lui assurer, au mépris du principe d'égalité, une totale impunité, il ne peut s'agir que d'une inviolabilité, privilège temporaire analogue à celui dont bénéficient les députés en vertu du second alinéa de l'article 26 de la Constitution.

Selon cette interprétation, le Président de la République reste responsable des faits pénalement punissables qu'il a commis soit avant son élection, soit pendant son mandat, mais en dehors de l'exercice de ses fonctions. La poursuite de ces infractions redevient possible, dans les conditions du droit commun, dès l'expiration du mandat. Mais cette solution relativement simple oblige à poser le problème de la prescription.

5.4. - Régime de la poursuite : possibilité d'interruption ou de suspension de la prescription ?

Alors que la Haute Cour de justice, si elle est compétente, ne peut être saisie qu'à l'initiative des parlementaires et par un vote des deux assemblées, la juridiction de droit commun peut être saisie soit par le procureur de la République, soit par la partie civile, qui dispose du droit de se constituer partie civile devant le juge d'instruction ou devant la juridiction de jugement. Il en résulte un régime de poursuite et de prescription totalement différent. D'où l'importance des choix qui incombent à l'Assemblée plénière.

5.4.1. - Régime de la poursuite et prescription en cas de privilège de juridiction

L'existence d'un privilège de juridiction au profit d'une personne implique que celle-ci ne peut valablement être poursuivie que devant la juridiction compétente, et, par conséquent, que les actes de poursuite de cette personne devant une autre juridiction sont nuls (87) et n'ont aucun effet interruptif (88), comme l'a jugé à maintes reprises la chambre criminelle sous l'empire des anciens articles 679 à 688 du Code de procédure pénale, abrogés par la loi du 4 janvier 1993, qui instauraient au profit des magistrats, de divers élus tels que les maires et de certains fonctionnaires un privilège de juridiction, la poursuite ne pouvant avoir lieu qu'après désignation, par la chambre criminelle, de la chambre d'accusation compétente pour instruire. Même la requête adressée à cette fin par le procureur de la République à la chambre criminelle n'avait pas d'effet interruptif (89). Les actes de poursuite ou d'instruction accomplis avant que le bénéficiaire du privilège de juridiction fût identifié comme pouvant être l'auteur de l'infraction restaient seuls valables.

S'agissant de la Haute Cour de justice, il a été jugé, à l'époque où elle était compétente à l'égard des membres du Gouvernement pour les actes commis dans l'exercice de leurs fonctions, que les dispositions de l'article 68 de la Constitution excluent pour le ministère public et les particuliers la possibilité de mettre en mouvement l'action publique et d'en saisir les juridictions de droit commun (90). Il en résulte l'impossibilité de toute poursuite à l'initiative de la victime, puisque la constitution de partie civile n'est pas recevable devant la Haute Cour.

La commission d'instruction de la Haute Cour, qui avait été saisie d'une résolution de mise en accusation de trois anciens ministres pour abstention d'empêcher un crime ou un délit ou de porter assistance à une personne en péril, a, par un arrêt du 5 février 1993, constaté l'extinction de l'action publique par la prescription, aux motifs que l'action publique exercée par les assemblées législatives devant la Haute Cour, juridiction pénale de nature constitutionnelle obéissant à des règles de saisine, de compétence et de fonctionnement exorbitantes du droit commun, n'est pas celle qui est prévue par l'article 1er du Code de procédure pénale et que, dès lors, les actes de poursuite ou d'instruction accomplis devant d'autres juridictions, notamment à l'égard d'autres personnes, n'avaient pu interrompre la prescription (91)

La Cour de justice de la République, ultérieurement créée par la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 pour juger les ministres pour les actes commis dans l'exercice de leurs fonctions (art. 68-1 à 68-3 de la Constitution), a rencontré des difficultés nées de l'irrecevabilité des constitutions de partie civile devant elle. L'Assemblée plénière a jugé que cette irrecevabilité ne contrevient pas à l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors que la loi réserve aux victimes la possibilité de porter leur action civile devant les juridictions de droit commun (92)

Elle a également jugé que la prescription est de droit suspendue à l'égard des parties poursuivantes dès lors que celles-ci ont manifesté expressément leur volonté d'agir et qu'elles se sont heurtées à un obstacle résultant de la loi elle-même, tel que l'impossibilité, pour les victimes, d'agir après avoir adressé leurs plaintes à la commission des requêtes (93)

Si des poursuites devaient être engagées devant la Haute Cour contre le Président de la République, devraient-elles être soumises aux règles énoncées par la commission d'instruction de cette juridiction, ou à celles résultant de la jurisprudence de l'Assemblée plénière concernant la Cour de justice de la République ? Dès lors que cette question n'est pas posée aujourd'hui à la Cour de cassation, il ne lui appartient pas d'y répondre. Mais ne conviendrait-il pas, pour prévenir le grief d'absence de recours effectif à une juridiction, de mentionner dans l'arrêt à rendre la faculté, pour la victime, de saisir de son action civile la juridiction de droit commun ?

5.4.2. - Régime de la poursuite et prescription en cas d'inviolabilité

Si l'on considère que le Président de la République, pour les actes commis en dehors de l'exercice de ses fonctions, reste justiciable des juridictions de droit commun, mais ne peut être poursuivi devant elles pendant la durée de son mandat, il en résulte les conséquences suivantes : toute poursuite engagée contre lui avant son entrée en fonctions est suspendue jusqu'à l'expiration de ce mandat ; toute nouvelle poursuite, que ce soit pour des faits antérieurs à l'élection présidentielle ou pour des faits postérieurs, mais étrangers à l'exercice des fonctions, est irrecevable ; le magistrat saisi d'une information contre d'autres personnes doit surseoir à tout acte de poursuite à l'égard du Président de la République, sans pour autant que la validité des actes concernant les autres personnes mises en cause en soit affectée.

Dès lors, les actes de poursuite ou d'information contre d'autres ou contre personne non dénommée interrompent la prescription à l'égard de tous jusqu'à la "mise en cause pénale" du Président de la République ; à partir de cette date, la prescription est suspendue à son égard, comme elle l'est également en ce qui concerne toute poursuite le concernant, soit à compter de son entrée en fonctions si la poursuite a déjà été exercée auparavant, soit à compter de la date où il est apparu, dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, que sa responsabilité pénale est engagée, et ce jusqu'à l'expiration du mandat.

L'Assemblée plénière appréciera s'il convient qu'elle se prononce expressément sur la suspension de la prescription, pour éviter toute mauvaise interprétation de son arrêt. Il semble, du reste, que la chambre d'accusation de Versailles, dans son arrêt du 11 janvier 2000, aurait implicitement opté pour une telle suspension.

5.5. - Possibilité ou impossibilité d'entendre le Président de la République en qualité de témoin ?

5.5.1. - Audition du Président de la République à l'initiative du juge d'instruction

Si le Président de la République ne peut être pénalement poursuivi devant les juridictions de droit commun pendant la durée de son mandat, il en résulte nécessairement qu'il n'est pas astreint à l'obligation de témoigner prévue par l'article 101 du Code de procédure pénale, puisque la violation de cette obligation est sanctionnée par une amende de police jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000, correctionnelle depuis cette date.

En outre, le pouvoir, conféré au juge d'instruction par l'article 109 du Code de procédure pénale, de contraindre à comparaître par la force publique le témoin récalcitrant est incompatible avec le libre exercice des fonctions du Président de la République et avec ses prérogatives de chef des armées (et donc de la gendarmerie nationale) et d'autorité de nomination des magistrats et hauts fonctionnaires.

Pour vider entièrement sa saisine, il appartiendra à l'Assemblée plénière, si elle écarte le moyen, de spécifier que le juge d'instruction ne pouvait déférer à la demande d'audition de témoin qui lui était présentée par la partie civile. En effet, s'il avait accueilli cette demande, il se serait ainsi engagé à exercer tous les pouvoirs que lui attribue le Code de procédure pénale pour parvenir à l'audition sollicitée.

5.5.2. - Déposition spontanée du Président de la République

Aucune disposition constitutionnelle ou légale n'implique qu'il soit interdit au Président de la République d'apporter spontanément ou volontairement son témoignage à la justice, comme l'a fait le Président Poincaré en 1914, et ce dans les formes du droit commun puisque les articles 652 à 655 du Code de procédure pénale ne sont applicables qu'aux membres du Gouvernement. Ainsi, le juge d'instruction instruisant un crime ou délit auquel le Président de la République a assisté sans y avoir participé n'est pas entièrement démuni, puisqu'il a la faculté de demander au chef de l'Etat s'il consent à être entendu, ce que l'intéressé est libre de refuser.

Il serait donc souhaitable que la Cour de cassation mentionne dans son arrêt cette faculté offerte au Président de la République de témoigner spontanément, faisant ainsi clairement ressortir qu'il n'est soustrait aux règles applicables aux autres citoyens que dans la mesure où elles comportent à son égard une contrainte ou menace de contrainte, voire une sanction pénale ou menace de sanction pénale, incompatibles avec les devoirs de sa charge.

5.6. - Incompétence ou défaut de pouvoir du juge d'instruction ?

Un des aspects les plus troublants de l'ordonnance des juges d'instruction et de l'arrêt de la chambre de l'instruction est qu'ils retiennent l'incompétence du juge d'instruction pour accomplir l'acte d'information demandé par la partie civile.

Or cette formulation comporte une erreur de droit manifeste : la compétence du juge d'instruction concerne l'information en général, non un acte d'information en particulier. Saisis d'une requête en vue d'accomplir un acte déterminé, les magistrats instructeurs ne pouvaient prononcer sur la compétence, sauf à communiquer la procédure au procureur de la République pour obtenir de sa part des réquisitions à ce sujet et à prononcer, le cas échéant, une disjonction en ce qui concerne les faits pour l'instruction desquels ils se seraient déclarés incompétents.

Ils pouvaient, en revanche, se borner à rejeter la demande comme inopportune, ce qui n'aurait donné lieu à aucun débat devant l'Assemblée plénière, les juridictions d'instruction appréciant souverainement l'opportunité des investigations complémentaires sollicitées.

Mais, dès lors qu'ils constataient que la requête impliquait en fait, par sa motivation, la mise en cause pénale du Président de la République, ils devaient la déclarer irrecevable, les juges d'instruction n'ayant pas le pouvoir de procéder à l'audition du chef de l'Etat, que ce soit en qualité de témoin ordinaire, en qualité de témoin assisté ou de personne mise en examen.

Il n'est évidemment pas question de relever un moyen d'office pour censurer l'erreur de la chambre de l'instruction, puisqu'en tout état de cause la requête de M. Breisacher ne pouvait être accueillie, mais il paraît nécessaire qu'en cas de rejet du pourvoi l'Assemblée plénière spécifie que les juges d'instruction n'étaient pas incompétents pour procéder à l'acte d'information demandé, mais seulement qu'ils ne pouvaient légalement y procéder en raison de la limitation de leurs pouvoirs à l'égard de la personne du Président de la République déduite des articles 3, 5, 6 et 68 de la Constitution.
 

Notes :

1. Cf. CE, 3 février 1984, Le Corre, ayant déclaré irrecevable l'appel d'un jugement sur le fond relevé par le contribuable sans nouvelle autorisation du tribunal administratif.

2. Cf. CE, 30 avril 1997, Ville de Paris c/Quémar, concernant un contribuable ayant obtenu une nouvelle autorisation du tribunal administratif pour relever appel de l'ordonnance de non-lieu rendue sur sa constitution de partie civile par le juge d'instruction.

3. Cf. Crim., 25 mars 1997, Bull. crim., n° 118, et l'arrêt cité

4. Le Monde, 22 mars et 17 avril 1999.

5. Le Monde, 14 janvier 2000 ; D. 2000, IR 45. ; D. 2001, chron., p. 135 (publication de la lettre du procureur général près la Cour de cassation au procureur général de Versailles quant à l'opportunité d'un pourvoi dans l'intérêt de la loi) ; cf. M. Fatin-Rouse, Annuaire international de justice constitutionnelle, 1999, chron., p. 627.

6. Le Monde, 19 juillet et 25 juillet 2001 ; Libération, 18 juillet 2001 ; cf. rapport du 2 juillet 2001 du procureur de la République de Paris, M. Dintilhac, site Internet du Midi libre, 4 juillet 2001.

7. J.O. des débats de l'Assemblée nationale, 13 juin 2001, notamment p. 4062 (l'homonymie du rapporteur de la commission des lois et du rapporteur de la présente affaire, de qui il est inconnu, est une pure coïncidence).

8. Faustin-Hélie, Traité de l'instruction criminelle, 2e éd., 1866, t. IV, n° 1835, p. 442.

9. R. Garraud, Traité théorique et pratique d'instruction criminelle, 1909, t. II, n° 379, p. 24.

10.  Ibid., note 5 sous le n° 387, p. 45.

11. D. Chagnollaud, "Le Président Poincaré, premier témoin", dans Le Monde.

12. R. Badinter, "Président ET témoin", Le Monde, 17 décembre 2000.

13. G. Carcassonne, "L'immunité du Président", Le Point, 23 mai 1998.

14.  Crim., 30 octobre 1990, Bull. crim., n° 362 ; D. 1991, somm. 213, obs. Pradel - 25 janvier 1993, Bull. crim., n° 38 - 20 mars 1995, Bull. crim., n°  112.

15. Circulaire Crim-00-16/F1 du 20 décembre 2000, § 1.1.2.2.1, a, p. 24.

16. Cf. R. Badinter, "La responsabilité pénale du Président de la République sous la Ve République", Mélanges, Patrice Gélard, 1999, p. 152.

17. A. Moreau, La haute trahison du Président de la République, Revue de droit public, 1987, p. 1586 et 1593.

18. M. Duverger, La Ve République, 1963, p. 141.

19. DP, 1923.2.25, note Sarrut

20. G. Vedel, "La compétence de la Haute Cour", Mélanges Magnol, 1948, p. 418.

21. Barthélemy et Duez, Traité de droit constitutionnel, 1933, p. 620.

22. G. Vedel, Manuel de droit constitutionnel, p. 430 ; Droit constitutionnel et institutions politiques, Les cours de droit, 1960-1961, p. 825

23. J. Foyer, "Haute Cour de Justice", Répertoire Dalloz de droit pénal, 1968, n° 44

24. A. Moreau, op. cit., p. 1569-1570

25. R. Badinter, "Pouvoir et justice : le roi est nu", Le Nouvel observateur, 28 mai 1998.

26.  O. Duhamel, Le pouvoir politique en France, 1993, p. 171.

27. F. Luchaire et G. Cannac, La Constitution de la République française, 2e éd., 1987.

28. Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, 1947, p. 102.

29. G. Carcassonne, "L'immunité présidentielle", Le Point, 29 août 1998 ; "Le Président de la République française et le juge pénal", Mélanges Ardant, 1999

30. L. Favoreu, "Egalité devant la justice et séparation des pouvoirs", Le Figaro, 16 juin 1998.

31. TC Paris, 17e ch., 3 décembre 1974, JCP 1975, n° 17969, obs. R. Lindon.

32.  En ce sens, cf. Debbasch, Bourdon, Pontier et Ricci, Droit constitutionnel et institutions politiques, Economica, 2e éd., 1986, p. 582 ; B. Genevois, Le Conseil constitutionnel et le droit pénal international, Rev. française de droit adm., 1999, p.298.

33. 9 mars 1999, cf. Ass. plén., 21 juin 1999, Bull. crim., n° 139.

34. 16 mai 2000 ; cf. Ass. plén., 12 juillet 2000, Bull. civ., n° 6

35. Crim., 26 juin 1995, Carignon, Bull. crim., n° 235 - 6 février 1997, Noir, Bull. crim., n° 48 - 13 déc. 2000, Toubon, Bull. crim., n° 375.

36. Fabien Ganivet, "Les chefs d'Etat bénéficient généralement d'un statut pénal très protecteur", Le Monde, 31 mai 2001 ; B. Genevois, "Le Conseil constitutionnel et le droit pénal international", Rev. française de droit adm., 1999, p. 298.

37. 27 mai 1997, Clinton v. Jones

38. D. 1999, 285, note Ph. Chrestia ; D. 2000, somm., p. 197, obs. Sciortino-Bayart.

39. cf. G. Courtois, "Le Conseil constitutionnel ne veut pas voir contester sa décision sur le statut pénal du chef de l'Etat", Le Monde, 22 et 23 juillet 2001.

40. Article de E. Emptaz, "Au secours de Chirac, le Conseil constitutionnel en fait troc" et article de L.-M. Hoareau, "Les Sages et l'irresponsable", Le Canard enchaîné, 27 janvier 1999 ; cf. dessin de Pancho, "Et merci encore", paru dans Le Monde et reproduit dans Le Nouvel observateur du 28 janvier 1999.

41. G. Carcassonne, "L'arrêt du Conseil constitutionnel", Le Point, 30 janvier 1999 ; "Il faut modifier la Constitution", ibid., 13 octobre 2000 ; "La responsabilité pénale du Président français", in La responsabilité des gouvernants, 2000.

42. M. Troper, "Comment décident les juges constitutionnels", Le Monde, 13 février 1999.

43. Ph. Ardant, "La responsabilité pénale du Président français", in La responsabilité des gouvernants, 2000.

44.  F. Robbe, "L'incompétence du juge pénal pour statuer sur la responsabilité du Président de la République", Gaz. Pal., 12 au 16 novembre 1999, doctrine, p. 4.

45. J. Robert, "La responsabilité pénale de Jacques Chirac est à la fois juridique et politique", Revue politique et parlementaire, septembre-octobre 2000, p. 37.

46. G. Vedel, "La responsabilité pénale du Président français", in La responsabilité des gouvernants, 2000.

47. Ph. Chrestia, note sous la décision du 22 janvier 1999, D. 1999, 285 ; "La Constitution saisie par la politique", D. 2000, Point de vue, * ; "Responsabilité politique et responsabilité pénale entre fléau de la balance et fléau de société, Rev. de droit public, 2000, p. 739

48. O. Duhamel, "Le point de vue du Conseil constitutionnel n'a pas d'effet en droit", Le Monde, 26 janvier 1999 ; Droit constitutionnel, Le pouvoir politique en France, 4e éd., 1999, p. 161.

49. P. Esplugas, "Le Conseil constitutionnel et la responsabilité pénale du chef de l'Etat", Petites Affiches, 5 juillet 1999 ; "Conseil constitutionnel et responsabilité pénale du chef de l'Etat en France", Revue belge de droit constitutionnel, n° 2000/1, p. 165.

50. R. Badinter, "La responsabilité pénale du Président de la République sous la Ve République", Mélanges Patrice Gélard, 1999, p. 151.

51. D. Chagnollaud, "La responsabilité pénale du Président français", in La responsabilité des gouvernants, 2000.

52. B. Genevois, "Le Conseil constitutionnel et le droit pénal international", Rev. française de droit adm., 1999, p. 293 ; "Le Conseil constitutionnel et le droit pénal international, observations complémentaires", ibid., p. 717.

53. O. Camy, La controverse de l'article 68. Aspects théologiques, Rev. du droit public, 2001, p. 811.

54. J.-E. Schoettl, "La responsabilité pénale du chef de l'Etat", Rev. du droit public, 1999, p. 1037.

55. E. Dezeuze, "Un éclairage nouveau sur le statut pénal du Président de la République", Rev. de sc. crim. et de droit pénal comparé, 1999, p. 497.

56. N. Ligneul, "Le statut des personnes titulaires de qualités officielles en droit constitutionnel français et l'article 27 de la Convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale", Rev. int. de droit pénal, 1999, p. 1003.

57. P.-H. Prélot, "Le perdreau mort. L'irresponsabilité du Président de la République : inviolabilité personnelle, immunité fonctionnelle, privilège de juridiction ?", D. 2001, chron., p. 949.

58. La Constitution, introduite et commentée par G. Carcassonne, 4e éd., 2000, p. 277 à 279 ; G. Vedel, "Réflexions sur la singularité de la procédure devant le Conseil constitutionnel", Mélanges R. Perrot, 1995, p. 553 s.

59. Cf. Intervention de B. Poullain dans "L'autorité de chose jugée des décisions des juridictions constitutionnelles, Table ronde", Actes du colloque "La Cour de cassation et la Constitution de la République" des 9 et 10 décembre 1994, 1995, p. 279.

60. Note Favoreu sous CE, 20 décembre 1985, D. 1986.283.

61. L. Favoreu, La Cour de cassation, le Conseil constitutionnel et l'article 66 de la Constitution, D. 1986, chron., p. 169 ; G. Drago, L'exécution des décisions du Conseil constitutionnel. L'effectivité du contrôle de constitutionnalité des lois, p. 294 et 313.

62. L. Favoreu, op. cit., D. 1986, chron., p. 169.

63.  G. Vedel, "Réflexions sur la singularité de la procédure devant le Conseil constitutionnel", Mélanges R. Perrot, 1995, p. 551.

64. G. Vedel, op. cit., p. 552 ; cf. décision n° 78-96, DC du 27 juillet 1978, faisant état de la compétence d'attribution, "limitée à l'examen des lois avant leur promulgation", que l'article 61 de la Constitution confère au Conseil constitutionnel.

65. O. Duhamel et Y. Mény, Dictionnaire constitutionnel, p. 62.

66. Ass. plén., 22 décembre 2000, Bull. civ., n° 12 (pourvois n° 98-15.567 et 98-21.238).

67. Cf. La Cour de cassation et la Constitution de la République, Actes du colloque des 9 et 10 décembre 1994, 1995 ; communications de L. Favoreu et H. Donthenwille aux Journées de la société de la législation comparée, 1987, p. 463 et 481 ; Rapport de notre collèque M. Dorly à l'Assemblée plénière du 8 mars 1996, Rev. Française de droit constitutionnel, 1995, p. 154.

68. Cf., notamment : A. Derrien, Les juges français de la constitutionnalité, étude sur la construction d'un système contentieux, Thèse Bordeaux, 2000, p. 232 s.

69. G. Drago, L'exécution des décisions du Conseil constitutionnel. L'effectivité du contrôle de constitutionnalité des lois, spéc. p. 275 à 324 s.

70. Déc. du 22 juillet 1980,citée par L. Favoreu, L'effet des décisions du Conseil constitutionnel à l'égard du juge administratif français, Journées de la Société de la législation comparée, 1987, p. 466.

71. CE, ass., 20 décembre 1985, Société des Ets Outters, cité par L. Favoreu et L. Philip, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 10e éd., p. 177.

72. D. 1975, p. 529.

73. Ch. Mixte, 25 mai 1975, Société Jacques Vabre, concl. Touffait, Rev. de droit pénal, 1975, p. 2193.

74. Crim., 25 avril 1985, Bull. crim., n° 159 ; D. 1985, p. 329, concl. Dontenwille ; cf. chron. Favoreu, D. 1986, p. 169.

75. Cf. L. Favoreu et L. Philip, Les grands arrêts du Conseil constitutionnel, 10e éd., p. 178.

76. Cass. 2e civ., 28 juin 1995, JCP 1995, II, 22504, concl. Sainte-Rose ; cf. L. Favoreu et L. Philip, ibid., p. 180.

77. Crim., 10 octobre 1996, Bull. crim., n° 356.

78. Ass. plén., 19 mai 1978, D. 1978.541, concl. Schmelck, note Ardant ; JCP 1978, II, 19009, rapp. Sauvageot, cité par A. Derrien , op. cit., p. 248.

79. Cf. Intervention de B. Poullain dans "L'autorité de chose jugée des décisions des juridictions constitutionnelles, Table ronde", Actes du colloque "La Cour de cassation et la Constitution de la République" des 9 et 10 décembre 1994, 1995, p. 281.

80. CE, 3 février 1978, CFDT et CGT, Rec., p. 47, cité par A. Derrien, op. cit., p. 258 ; cf. G. Drago, L'exécution des décisions du Conseil constitutionnel. L'effectivité du contrôle de constitutionnalité des lois, p. 302.

81. Crim., 26 février 1974, Bull. crim., n° 82 ; D. 1974, p. 273, concl. Touffait et note Vouin - 25 janvier 1978, Bull. crim., n° 31.

82. Cf. A. Derrien, op. cit., p. 258 s.

83. Crim., 13 mars 2001, Bull. crim., n° 64.

84. Voir cependant l'opinion contraire d'O. Camy, La controverse de l'article 68. Aspects théologiques, Rev. du droit public, 2001, p. 816 s., qui s'élève contre la conception de M. Troper selon laquelle la Constitution forme un tout cohérent et complet, dont les dispositions s'éclairent les unes par les autres.

85. Cf. le texte d'une communication de B. Genevois destinée à un colloque international, "Immunités constitutionnelles et privilèges de juridiction", dont votre rapporteur a pu avoir connaissance.

86. B. Genevois, "Le Conseil constitutionnel et le droit pénal international", Rev. française de droit adm., 1999, p. 297.

87.Ass. Plén., 31 mai 1990, Bull. crim., n° 221 - Crim., 12 février 1991, Bull. crim., n° 68 - 16 avril 1991, Bull. crim., n° 181 - 25 mai 1993, Bull. crim., n° 189 - 13 octobre 1993, Bull. crim., n° 292 - 11 juillet 1994, Bull. crim., n° 272, etc.

88. Crim., 24 avril 1979, Bull. crim., n° 142 - 16 décembre 1986, Bull. crim., n° 372 - 7 mai 1991, Bull. crim., n° 195

89. Crim., 4 novembre 1986, Bull. crim., n° 321

90. Crim., 17 octobre 1991, Bull. crim., n° 354.

91. Commission d'instr. de la Haute Cour de justice, 5 février 1993 : Dr. Pénal, mars 1993, comm., n° 75.

92. Ass. plén., 21 juin 1999, Bull. crim., n° 139.

93. Ass. plén., 23 décembre 1999, Bull. crim., n° 312.


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Jean-Pierre Maury