Lorsque le président Lincoln prend ses fonctions le 4 mars 1861, la Caroline du Sud, qui a déclaré son indépendance dès le 20 décembre 1860, ainsi que le Mississipi, la Floride, l'Alabama, la Georgie et la Louisiane ont formé les États confédérés d'Amérique le 4 février 1861 et ont été rejoints par le Texas, mais la guerre n'a pas encore commencé. Bien que le Sud formule des griefs économiques sérieux, concernant notamment les taxes douanières, c'est la question de l'esclavage qui excite les passions politiques, et qui est généralement invoquée pour expliquer la sécession des États du Sud, alors que, si l'on s'en tient à la Constitution, l'esclavage ne pouvait être aboli, les États esclavagistes (15 sur 33) détenant largement la minorité de blocage pour s'opposer à toute révision. C'est pourquoi les autorités fédérales espèrent encore éviter le conflit.
Le 2 mars, le président Buchanan, achevant son mandat, a signé un projet d'amendement à la Constitution, approuvé par les deux chambres du Congrès quelques jours plus tôt : « Aucun amendement ne peut être fait à la Constitution, pour autoriser ou donner au Congrès le pouvoir d'abolir ou de porter atteinte, dans un État quelconque, aux institutions domestiques existantes, y compris celle par laquelle des personnes sont tenues à labeur ou service par les lois dudit État ». L'expression « domestic institutions » est utilisée pour désigner l'esclavage, et l'amendement, connu comme l'amendement Corwin, du nom du représentant de l'Ohio qui l'a présenté, vise clairement à garantir la pérennité de cette institution, ainsi que de l'engagement (indenture), c'est-à-dire de la servitude, en principe temporaire et volontaire, des immigrants blancs.
Le président Lincoln, pour sa part, condamne moralement l'esclavage et veut s'opposer à son extension dans les territoires et les nouveaux États. Son élection, uniquement due à la division des démocrates, a provoqué l'inquiétude dans le Sud. Dans son message d'inauguration, il rappelle qu'il ne veut ni ne peut intervenir contre l'esclavage là où il existe. Son programme électoral ne le prévoit pas, et, de toute manière, la Constitution le lui interdit. Il prend même position en faveur de la restitution à leurs maîtres des esclaves fugitifs. En revanche, il dit sa détermination à empêcher la rupture de l'Union.
Quelques jours plus tard, le 11 avril, les premiers coups de feu sont tirés contre le fort Sumter : la guerre de Sécession a commencé. Lincoln maintiendra la même position durant la première année de son mandat. La guerre a pour objectif le maintien de l'Union, non l'abolition de l'esclavage. Mais la poursuite de la guerre le conduit bientôt à présenter un programme d'émancipation. Dans le message du 6 mars 1862 et dans plusieurs messages ultérieurs, il se prononce en faveur d'une émancipation graduelle, assortie d'une indemnisation convenable et d'un programme de colonisation pour réinstaller les « Africains » libérés. L'échec de ses propositions le conduit rapidement à proclamer l'émancipation le 1er janvier 1863.
Le texte du message se trouve à la Bibliothèque du Congrès, dans la section consacrée à l'American Memory, Journal du Sénat, 4 mars 1861, p. 402 à 409. La traduction est empruntée au recueil d'Amyot, Archives diplomatiques, 1861, 4, p. 202.
Concitoyens des États-Unis,Conformément à une coutume aussi ancienne que le gouvernement lui-même, je me présente devant vous pour vous entretenir brièvement et prêter en votre présence le serment que la Constitution des États-Unis prescrit au Président avant son entrée en fonctions.
Je ne considère pas comme nécessaire en ce moment de discuter les matières administratives, qui n'excitent spécialement ni anxiété ni agitation.
Les populations des États du Sud semblent appréhender que l'inauguration d'une administration républicaine ne mette en danger leurs propriétés, leur tranquillité et leurs sécurité personnelles. Il n'y a jamais eu aucune cause raisonnable à e telles appréhensions. La plus complète évidence du contraire a même toujours existé, comme chacun a été libre de s'en assurer. On la trouve dans presque tous les discours publics de celui qui vous parle en ce moment. Je ne fais que citer un de ces discours lorsque je déclare que « je n'ai dessein, ni directement ni indirectement, d'intervenir dans l'institution de l'esclavage dans les États où elle existe. » Je crois que je n'en ai pas le droit, et je ne m'en sens point le désir. Ceux qui m'ont nommé et qui m'ont élu l'ont fait avec la pleine connaissance que j'avais fait ces déclarations et beaucoup d'autres et que je ne les avais jamais rétractées. Plus encore, ils ont placé dans le programme présenté à mon acceptation, comme une loi pour eux et pour moi, la résolution claire et formelle que je vais lire :
« Le maintien intact des droit des États, et spécialement des droits de chaque État, à régler et contrôler exclusivement ses institutions domestiques suivant sa manière de voir, est essentiel à cet équilibre des pouvoirs d'où dépendent la perfection et la durée de notre équilibre politique ; et nous dénonçons l'invasion au mépris des lois du sol de tout État ou territoire, sous quelque prétexte que ce soit, comme le plus grand des crimes. »
Je réitère ici ces sentiments, et en le faisant, je signale seulement à l'attention publique, comme la preuve la plus concluante de ce que j'avance, que les propriétés, la paix et la sécurité d'aucune section ne sont en rien mises en danger par mon administration.
J'ajoute que toute la protection possible, en conformité avec la Constitution et les lois sera donnée avec empressement à tous les États qui la demanderont légalement, pour quelque cause que ce soit, et aussi bien à une section qu'à une autre.
Il existe une vive controverse relativement à l'extradition des fugitifs du service ou du travail. La clause que je vais lire est écrite dans la Constitution aussi clairement qu'aucune autre :
« Aucun individu tenu à service ou travail dans un État, en vertu des lois locales, et qui s'échappera dans un autre État, ne sera, en vertu d'aucune loi ou d'aucun règlement de ce dernier, déchargé dudit service ou travail ; mais il sera remis sur réclamation à la personne à qui le dit service ou travail pourra être dû. »
Il est à peine contesté que cette clause ait eu pour objet, de la part de ceux qui l'ont faite, la réclamation de ce que nous appelons les esclaves fugitifs, et l'intention du législateur est la loi.
Tous les membres du Congrès jurent de soutenir la Constitution tout entière, cette clause aussi bien que les autres. Leurs serments sont donc unanimes relativement à la proposition que les esclaves dont le cas rentre dans les termes de cette clause seront rendus. S'ils le tentaient dans un esprit de bienveillance, ne pourraient-ils pas avec une unanimité presque égale rédiger et passer une loi donnant les moyens de tenir ce serment unanime ?
Il existe quelque différence d'opinion pour décider si cette clause doit être exécutée par l'autorité nationale ou bien par les autorités d'État ; mais certainement cette différence n'est pas très importante. Si l'esclave doit être rendu, il importe assez peu à lui ou aux autres par quelle autorité cela a lieu. Et, en tout cas, qui pourrait vouloir manquer à son serment à propos d'une vaine controverse pour savoir de quelle manière il sera tenu ? D'autre part, dans toute loi sur ce sujet, ne faut-il pas introduire toutes les sauvegardes de liberté connues dans la jurisprudence civilisée et humaine, de façon à ce qu'un homme libre ne soit en aucun cas livré comme esclave ? Et ne serait-il pas bien en même temps de pourvoir par une loi à l'exécution qui garantit que « les citoyens de chaque État auront droit à tous les privilèges et immunités de citoyens dans chacun des autres États. »
Je prête aujourd'hui mon serment officiel, sans restrictions mentales et sans dessein d'interpréter la Constitution ou les lois d'après des règles hypercritiques. Et, tout en m'abstenant de spécifier actuellement les actes particuliers du Congrès auxquels il convient de donner force, je suggère qu'il est beaucoup plus sûr pour tous, aussi bien dans la vie publique que dans la vie privée, de se conformer à tous ceux de ces actes qui n'ont point été rappelés, et de les prendre pour règle plutôt que d'en violer aucun, en se fiant pour l'impunité à la chance de les faire déclarer inconstitutionnels.
Soixante-douze ans se sont écoulés depuis la première inauguration d'un Président, en vertu de notre Constitution nationale. Durant cette période, quinze citoyens différents et grandement distingués ont successivement administré la partie exécutive du gouvernement. Ils l'ont conduite à travers bien des périls, et généralement avec grands succès. Et pourtant, avec tous ces précédents, j'aborde aujourd'hui la même tâche pour le court terme constitutionnel de quatre années, sous le coup de difficultés graves et particulières.
[...]
Abraham Lincoln.
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