Haïti


Constitution royale du 28 mars 1811.

Titre premier. De la Première autorité.
Titre II.
Titre III. De la Régence.
Titre IV. Du Grand Conseil et du Conseil Privé.
Titre V. Des grand-officiers du royaume.
Titre VI. Des Ministres.
Titre VII. Des serments.
Titre VIII et dernier. De la Promulgation.

    L'indépendance d'Haïti est proclamée le 1er janvier 1804. Jean-Jacques Dessalines, ancien esclave, devenu chef des troupes insurgées après la capture de Toussaint Louverture, et qui avait vaincu les troupes françaises, commandées par Rochambeau, à Vertières, le 18 novembre 1803, est aussitôt proclamé gouverneur général à vie, avec les pleins pouvoirs. Dès le 15 février suivant, il demande le titre d'empereur, qui lui est décerné par les autres généraux de l'armée haïtienne. Une Constitution impériale est promulguée le 20 mai 1805. Le règne de Jacques 1er sera bref : Il est assassiné le 17 octobre 1806. L'Empire ne lui survit pas. Ses principaux lieutenants se disputent la succession, sur fond d'opposition entre Noirs et Mulâtres, les premiers reprochant aux seconds de s'être appropriés les biens de leurs parents blancs.
    Le 21 octobre, le général Christophe est proclamé chef du gouvernement provisoire. Il convoque aussitôt une assemblée constituante composée de 59 membres, mais 74 sont élus. La Constitution est approuvée, le 27 décembre, par 73 députés, mais 24 d'entre eux adressent aussitôt une protestation au général Christophe. La Constitution limite les pouvoirs du président de la République au profit du Sénat. Le 28 décembre, Christophe est élu président d'Haïti, mais refuse de voir ses pouvoirs limités et marche avec ses troupes sur la capitale. L'Assemblée charge le général Pétion de défendre la ville. Christophe est repoussé, mais il fait approuver par son Conseil d'État, le 17 février 1807, une Constitution de l'État d'Haïti qui le désigne comme président à vie. Le 26 mars 1811, il sera proclamé roi. La Constitution du 28 mars lui confie un pouvoir absolu et à la manière de Napoléon, il s'entoure d'une noblesse à laquelle il distribue titres et prébendes.
    Peu après l'indépendance, Haïti est ainsi divisé entre l'État d'Haïti dirigé par Christophe qui gouverne le Nord et l'Artibonite ; une République limitée aux départements du Sud et de l'Ouest, dirigée par Pétion, qui est élu Président le 9 mars 1807 ; mais, à la Grande-Anse, une révolte a éclaté le 6 janvier, qui ne sera réduite par le président Boyer qu'en 1819 ; et
le département du Sud fait même sécession le 3 novembre 1810, sous le commandement du général Rigaud et se constitue le 11 janvier 1811, jusqu'à ce que le général Borgella, en mars 1812 se rallie à Pétion ; enfin la partie Est, anciennement espagnole, reste gouvernée par les Français jusqu'à la prise de Saint-Domingue par les Espagnols le 7 juillet 1809.
    L'Etat d'Haïti ne survit pas à son fondateur. Devant le soulèvement de ses troupes, Christophe, se suicide le 8 octobre 1820, permettant ainsi au président Boyer, porté à la présidence de la République, à la mort de Pétion le 29 mars 1918, d'étendre son autorité sur la totalité de la partie occidentale de l'île, avant de récupérer, le 9 février 1822, la partie orientale, qui s'est soulevée contre les Espagnols.

Sources : Louis-Joseph Janvier, Les Constitutions d'Haïti, Paris, Marpon et Flammarion, 1886. Voir également Thomas Madiou, Histoire d'Haïti, Port-au-Prince, 1848, tome III.



Préambule.

Le Conseil d'État, extraordinairement assemblé à l'effet de délibérer sur les changements qu'il est nécessaire d'apporter à la Constitution de l'État d'Haïti et sur le meilleur ordre de gouvernement qui lui convient, considérant que, lorsque la Constitution du 17 février an IV fut promulguée, l'État se trouvait, à proprement parler, sans pacte social, et que les orages de la guerre civile grondaient avec une telle force qu'ils ne permettaient pas aux mandataires du peuple de fixer d'une manière irrévocable le seul mode de gouvernement qui nous convint réellement ;

Que cette Constitution, cependant, toute informe qu'elle parait être, et dont ces mêmes mandataires ne se dissimulaient pas l'imperfection, convenait alors aux crises dans lesquelles elle avait pris naissance et aux tempêtes qui environnaient son berceau ;

Que le petit nombre des principes sublimes qu'elle renferme suffisait néanmoins au bonheur du peuple, dont elle fixait tous les droits dans ces temps déplorables ;

Considérant qu'aujourd'hui, grâce au génie du suprême magistrat qui tient les rênes de l'État, et dont les hautes conceptions et la brillante valeur ont su ramener l'ordre, le bonheur et la prospérité, l'état florissant de la culture, du commerce et de la navigation, le rétablissement des mœurs, de la morale et de la religion, la haute discipline établie dans l'armée et la flotte, semblent promettre une éternelle durée à l'État ;

Qu'il convient aujourd'hui plus que jamais d'établir un ordre de choses stable, le mode de gouvernement qui doit à jamais régir le pays qui nous a vu naître ;

Considérant qu'il est instant de revêtir l'autorité souveraine d'une qualification auguste, grande, qui rende l'idée de la majesté du pouvoir ;

Que l'érection d'un trône héréditaire est la conséquence de cette puissante considération ;

Que l'hérédité du pouvoir aux seuls enfants mâles et légitimes (à l'exclusion des femmes), dans une famille illustre constamment dévouée à la gloire et au bonheur de la patrie qui lui doit son existence politique, est autant un devoir qu'une marque éclatante de la reconnaissance nationale ;

Que la nation qui fait en ce moment, par nos organes, l'usage de sa volonté et de sa souveraineté ; en les confiant à celui qui l'a relevée de l'abîme et des précipices où ses plus acharnés ennemis voulaient l'anéantir, à celui qui la gouverne maintenant avec tant de gloire que cette nation n'a pas à craindre pour sa liberté, son Indépendence et son bonheur ;

Qu'il convient aussi d'établir des grandes dignités, autant pour relever la splendeur du trône, que pour récompenser de signalés services rendus à la patrie par des officiers qui se dévouent pour le bonheur, la gloire et la prospérité de l'État ;

Le conseil d'État rend en conséquence la loi organique suivante :

Titre premier. De la Première autorité.

Article premier.

Le président Henri Christophe est déclaré roi d'Haïti sous le nom de Henri [ou Henry]. Ce titre, ses prérogatives et immunités seront héréditaires dans sa famille, pour les descendant mâles et légitimes en ligne directe, par droit d'aînesse, à l'exclusion des femmes.

Article 2.

Tous les actes du royaume seront publiés et promulgués au nom du roi, et scellés du sceau royal.

Article 3.

A  défaut d'enfants mâles en ligne directe, l'hérédité passera dans la famille du prince le plus proche parent du souverain, ou le plus ancien en dignité.

Article 4.

Cependant il sera loisible au roi d'adopter les enfants de tel prince du royaume qu'il jugera à propos, à défaut d'héritier.

Article 5.

S'il lui survient, après l'adoption, des enfants mâles, leurs droits à l'hérédité prévaudront sur ceux des enfants adoptés.

Article 6.

Au décès du roi, et jusqu'à ce que son successeur soit reconnu, les affaires du royaume seront gouvernées par les ministres et le Conseil du roi qui se formeront en Conseil général, et qui délibéreront à la majorité des voix. Le secrétaire d'État tient le registre des délibérations.

Titre II.

Article 7.

L'épouse du roi est déclarée reine d'Haïti.

Article 8.

Les membres de la famille royale porteront le titre de princes et princesses ; on les qualifiera d'Altesses Sérénissimes. L'héritier présomptif de la couronne sera déclaré prince royal.

Article 9.

Ces princes sont membres du conseil d'État sitôt qu'ils ont atteint leur majorité.

Article 10.

Les princes et princesses du sang royal ne peuvent se marier sans l'autorisation du roi.

Article 11.

Le roi fait lui-même l'organisation de son palais d'une manière conforme à la dignité du trône.

Article 12.

Il sera établi, d'après les ordres du roi, des palais et châteaux dans les parties du royaume qu'il jugera convenables à cet effet.

Titre III. De la Régence.

Article 13.

Le roi est mineur jusqu'à l'âge de 15 ans accomplis ; pendant sa minorité il sera nommé un régent du royaume.

Article 14.

Le régent aura au moins vingt-cinq ans accomplis. On le choisira parmi les princes les plus proches parents du roi (à l'exclusion des femmes) et, à leur défaut, parmi les grands dignitaires du royaume.

Article 15.

A défaut de désignation du régent, de la part du roi, le grand Conseil en désignera un de la manière prescrite dans l'article précédent.

Article 16.

Le régent exerce jusqu'à la majorité du roi toutes les attributions de la dignité royale.

Article 17.

Le régent ne peut conclure aucun traité de paix, d'alliance et de commerce, ni faire aucune déclaration de guerre qu'après une mûre délibération et de l'avis du grand Conseil ; l'opinion sera émise à la majorité des voix ; en cas d'égalité de suffrages, celles qui s'accorderont avec le sentiment du régent emporteront la balance.

Article 18.

Le Régent ne peut nommer les grands dignitaires du royaume, ni les officiers généraux des forces de terre et de mer.

Article 19.

Tous les actes du régent sont faits au nom du roi mineur.

Article 20.

La garde du roi mineur est confiée à sa mère et, à défaut, au prince désigné par le feu roi. Ne peuvent être élus pour la garde du roi mineur, ni le régent, ni ses descendants.

Titre IV. Du Grand Conseil et du Conseil Privé.

Article- 21.

Le grand Conseil se compose de princes du sang, des princes, ducs et comtes nommés, et au choix de S. M. qui doit aussi fixer leur nombre.

Article- 22.

Le Conseil est présidé par le roi, et quand il ne le préside pas lui-même, il désigne un des dignitaires du royaume pour remplir cette fonction.

Article 23.

Le Conseil privé est choisi par le roi parmi les grands dignitaires du royaume.

Titre V. Des grand-officiers du royaume.

Article 24.

Les grands officiers du royaume sont les grands maréchaux d'Haïti ; il sont choisis parmi les généraux de tous les grades et selon leur mérite.

Article 25.

Leur nombre n'est pas limité ; le roi le déterminera à chaque promotion.

Article 26.

Les places des grands officiers du royaume sont inamovibles.

Article 27.

Quand, par ordre du roi, ou par cause d'invalidité, un des grands officiers du royaume viendrait à cesser ses fonctions, il conservera toujours ses titres, son rang et la moitié de son traitement.

Titre VI. Des Ministres.

Article 28.

Il y aura quatre ministres, au choix et à la nomination du roi :
    Le ministre de la guerre et de la marine ;
    Le ministre des finances et de l'intérieur ;
    Le ministre des affaires étrangères ;
    Et celui de la justice.

Article 29.

Les ministres sont membres du Conseil, et ont voix délibérative.

Article 30.

Les ministres rendent compte directement à S. M., et prennent ses ordres.

Titre VII. Des serments.

Article 31.

A son avènement ou à sa majorité, le roi prête serment sur l'Évangile, en présence des grands autorités du royaume.

Article 32.

Le régent, avant de commencer l'exercice de ses fonctions, prête serment, accompagné des mêmes autorités.

Article 33.

Les titulaires des grandes charges, les grands officiers, les ministres et le secrétaire d'État prêtent aussi leur serment entre les mains du roi.

Titre VIII et dernier. De la Promulgation.

Article 34.

La promulgation de tous les actes du royaume est ainsi conçue :

Nous, par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l'État, roi d'Haïti, à tous présents et à venir, salut.

Ces actes se terminent ainsi qu'il suit :

Mandons et ordonnons que les présentes, revêtues de notre sceau, soient adressées à toutes les cours, tribunaux et autorités administratives pour qu'ils les transcrivent dans leurs registres, les observent et les fassent observer dans tout le royaume ; et le ministre de la justice est chargé de la promulgation.

Article 35.

Les expéditions exécutoires des jugements des cours de justice et des tribunaux sont rédigées ainsi qu'il suit :

Nous, par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l'État, roi d'Haïti, à tous présents et à venir, salut.

(Suit la copie de l'arrêt ou jugement).

Mandons et ordonnons à tous huissiers sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution ; à nos procureurs près les tribunaux d'y tenir la main ; à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.

En foi de quoi le présent jugement a été signé par le président de la Cour et le greffier.

Fait par le conseil d'État d'Haïti.

Au Cap-Henri, le 28 mars 1811, an VIII de l'Indépendance.

Signé :

Paul Romain, doyen ; André Vernet, Toussaint Brave, Jean-Philippe Daux, Martial Besse, Jean-Pierre Richard, Jean Fleury, Jean-Baptiste Juge, Etienne Magny, secrétaire.

Nous, préfet apostolique et officiers généraux de terre et de mer, administrateurs des finances et officiers de justice, sous-signés, tant en notre nom personnel qu'en ceux de l'armée et du peuple, dont nous sommes ici les organes, nous nous joignons de cœur et d'esprit, au conseil d'Etat, pour la proclamation de S. M. Henri Christophe, roi d'Haiti, notre vœu et celui du peuple et de l'armée étant tels depuis longtemps.

C. Brelle, préfet apostolique ;
N. Joachim, Jean-Philippe Baux, Rouanez, lieutenants généraux ;
Pierre Toussaint, Raphaël, Louis Achille, Charles Charlot, Cottereau, Jasmin, Prévost, Dupont, Charles Pierre, Guerrier, Simon, Placide Lebrun, maréchaux de camp ;
Bastien Jean-Baptiste, Pierre Saint-Jean, contre-amiraux ;
Almanjor fils, Henri Proix, Chevalier, Papalier, Raimond, Sicard, Ferrier, Dossou, Caze, brigadiers des armées ; Bastien Fabien, Cadet Antoine, Bernardine Sprew, chefs de division de la marine ;
Stanislas Latortue, Joseph Latortue, intendants ;
Delon, contrôleur ; Jean-Baptiste Petit, trésorier ; P. -A. Charrier, directeur des domaines ;
L. Raphaël, directeur des douanes ; Boyer, garde-magasin central ;
Juste Hugonin, commissaire-général du gouvernement près les tribunaux ; Isaac, juge de paix ;
Lagroue, Juste Chanlatte, notaires ;
Dupuy, interprète du gouvernement.


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Jean-Pierre Maury