Haïti
Convention de 1915 entre Haïti et les États-Unis.
Au début du XXe siècle, Haïti est l'enjeu d'une tentative
allemande pour s'implanter en Amérique et de la volonté des États-Unis
de s'assurer le contrôle de la région et de l'accès au canal de Panama,
après la guerre contre l'Espagne qui leur permet d'occuper Cuba et Porto-Rico, puis d'acheter les îles Vierges danoises (31 mars 1917).
La gabegie et l'instabilité politique chronique du pays
favorisent les projets d'intervention des États-Unis.
La chute du général Antoine Simon, renversé par une révolte
paysanne, le 2 août 1911, ouvre une période de troubles, durant
laquelle six présidents et trois comités révolutionnaires exercent
successivement le pouvoir, quelques semaines ou quelques mois chacun.
Le dernier d'entre eux, Guillaume-Sam, fait massacrer ses opposants
mulâtres, le 27 juillet 1915, et est lui-même lynché par la foule, le
lendemain. La marine des États-Unis, le même jour, occupe
Port-au-Prince. L'Occupation durera jusqu'au 21 août 1934.
Une Constitution est rédigée et approuvée lors d'une
consultation populaire le mercredi 12 juin 1918 : 98.294 oui contre 769 non (Bulletin des lois et actes,
p. 45). Cette Constitution est d'inspiration libérale, mais durant la
longue révolte paysanne contre l'Occupation, le seul article appliqué
fut l'article spécial qui garantit l'impunité aux forces de
l'Occupation et à leurs agents haïtiens. Le pays était alors co-dirigé
par le président haïtien et le général commandant les forces
d'Occupation.
Le traité du 16 septembre 1915
est l'instrument juridique de cette Occupation.
Il place les finances haïtiennes sous le contrôle d'un
conseiller
financier "proposé" par le président des
États-Unis. Les droits de douane sont perçus directement
par un Receveur général proposé par le
président des États-Unis, pour assurer
le remboursement de la dette d'Haïti à l'égard des
banques américaines et aussi pour financer la création
d'une gendarmerie haïtienne, encadrée par des officiers
américains, afin de maintenir l'ordre et notamment
réprimer les révoltes
suscitées par l'imposition de la corvée. C'est seulement
en 1934 que le président Sténio Vincent obtient de
Roosevelt la fin de l'Occupation.
Approbation par la Chambre haïtienne le 15 novembre 1915 ; par le
Sénat des États-Unis le 28 février 1916. Echange
des ratifications le 3 mai 1916.
La République d'Haïti et les États-Unis
d'Amérique, désirant raffermir et resserrer les liens
d'amitié qui existent entre eux par la coopération la
plus cordiale et par des mesures propres à leur assurer de
mutuels avantages ;
La République d'Haïti, désirant, en outre,
remédier à la situation actuelle de ses finances,
maintenir l'ordre et la tranquillité sur son territoire, mettre
à exécution des plans pour son développement
économique et la prospérité de la
République et du peuple haïtien ;
Et les États-Unis sympathisant avec ces vues et objets et désirant contribuer à leur réalisation ;
Ont résolu de conclure une Convention à cette fin ;
Et ont été nommés à cet effet comme Plénipotentiaires,
Par le Président de la République d'Haïti :
Monsieur Louis Borno, Secrétaire d'État des Relations Extérieures et de l'Instruction Publique.
Par le Président des États-Unis d'Amérique :
Monsieur Robert Beale Davis Jr., Chargé d'Affaires des États-Unis d'Amérique ;
Lesquels s'étant communiqués leur pleins pouvoirs
respectifs trouvés en bonne et due forme, ont convenu de ce qui
suit :
Article premier.
Le Gouvernement des États-Unis, par ses bons offices, aidera le
Gouvernement d'Haïti à développer efficacement ses
ressources agricoles, minières et commerciales et à
établir sur une base solide les finances haïtiennes.
Article 2.
Le Président d'Haïti nommera, sur la proposition du
Président des États-Unis, un Receveur
général et tels aides et employés qui seront
jugés nécessaires pour recouvrer, recevoir et appliquer
tous les droits de douanes, tant à l'importation qu'à
l'exportation, provenant des diverses douanes et ports d'entrée
de la République d'Haïti.
Le Président d'Haïti nommera, en outre, sur la proposition
du Président des États-Unis, un Conseiller financier, qui
sera un fonctionnaire attaché au Ministère des Finances,
auquel le Secrétaire d'État prêtera une aide
efficace pour la réalisation de ses travaux. Le Conseiller
financier élaborera un système adéquat de
comptabilité publique, aidera à l'augmentation des
revenus et à leur ajustement aux dépenses,
enquêtera sur la validité des dettes de la
République, éclairera les deux Gouvernement relativement
à toutes dettes éventuelles, recommandera les
méthodes perfectionnées d'encaisser et d'appliquer les
revenus et fera au Secrétaire d'État des Finances telles
autres recommandations qui peuvent être jugées
nécessaires au bien-être et à la
prospérité d'Haïti.
Article 3.
Le Gouvernement de la République d'Haïti pourvoira, par une
loi ou par un décret approprié, à ce que le
paiement de tous les droits de douane soit fait au Receveur
général ; et il accordera au bureau de la recette et au
Conseiller financier toute aide et protection nécessaires
à l'exécution des pouvoirs qui leur sont
conférés et aux devoirs qui leur sont imposés par
les présentes, et les États-Unis, de leur
côté, accorderont la même aide et protection.
Article 4.
A la nomination du Conseiller financier, le Gouvernement de la
République d'Haïti, en coopération avec le
Conseiller financier, collationnera, classera, arrangera et fera un
relevé complet de toutes les dettes de la République, de
leur montant, caractère, échéance et conditions,
des intérêts y afférents, et de l'amortissement
nécessaire à leur complet paiement.
Article 5.
Toutes les valeurs recouvrées et encaissées par le Receveur général seront appliquées :
1° au paiement des appointements et allocations du Receveur
général, de ses auxiliaires et employés et des
dépenses du bureau de la recette qui comprendront les
appointements et les dépenses du Conseiller financier, les
salaires devant être déterminés suivant accord
préalable ;
2° à l'intérêt et l'amortissement de la dette publique de la République d'Haïti ;
3° à l'entretien de la police visée à
l'article 10 ; et le solde au Gouvernement haïtien pour les
dépenses courantes
En faisant ces applications, le Receveur général
procédera au paiement des appointements et allocations mensuels,
et des dépenses telles qu'elles se présentent ; et au
premier de chaque mois, il mettra à un compte spécial le
montant des recouvrements et recettes du mois précédent.
Article 6.
Les dépenses du bureau de la recette, y compris les allocations
et appointements du Receveur général, de ses auxiliaires
et employés et les dépenses et salaire du Conseiller
financier ne devront pas dépasser 5% (cinq pour cent) des
recouvrements et recettes provenant des droits de douane, à
moins d'une Convention entre les deux Gouvernements.
Article 7.
Le Receveur général fera un rapport mensuel aux
fonctionnaires haïtiens compétents et au Département
d'État des États-Unis sur tous les recouvrements, les
recettes et les dépenses ; ces rapports seront soumis en tout
temps à l'examen et à la vérification des
autorités compétentes de chacun des dits Gouvernements.
Article 8.
La République d'habit ne devra pas augmenter la dette publique
sauf accord préalable avec le Président des
États-Unis, ni contracter aucune obligation financière
à moins que, les dépenses du Gouvernement
défrayées, les revenus de la République,
disponibles à cette fin, soient suffisants pour payer les
intérêts et pourvoir à un amortissement pour
l'extinction complète d'une telle dette.
Article 9.
La République d'Haïti, à moins d'une entente
préalable avec le Président des États-Unis, ne
modifiera pas les droits de douane d'une façon qui en
réduirait les revenus ; et, afin que les revenus de la
République puissent être suffisants pour faire face
à la dette publique et aux dépenses du Gouvernement, pour
préserver la tranquillité et promouvoir la
prospérité matérielle, le Gouvernement
d'Haïti coopérera avec le Conseiller financier dans ses
recommandations relatives à l'amélioration des
méthodes de recouvrer et de dépenser les revenus et aux
sources nouvelles de revenus qui font besoin.
Article 10.
Le Gouvernement haïtien, en vue de la préservation de la
paix intérieure, de la sécurité des droits
individuels et de la complète observance de ce traité
s'engage à créer sans délai une gendarmerie
efficace, rurale et urbaine, composée d'Haitiens. Cette
gendarmerie sera organisée par des officiers Américains
nommés par le Président d'Haïti sur la proposition
du Président des États-Unis. Le Gouvernement haïtien
les revêtira de l'autorité nécessaire et les
soutiendra dans l'exercice de leurs fonctions. Ils seront
remplacés par des Haïtiens, lorsque ceux-ci, après
examen effectué par un comité choisi par l'officier
chargé de l'organisation de la gendarmerie, en présence
d'un Délégué du Gouvernement haïtien, seront
jugés aptes à remplir convenablement leurs fonctions. La
gendarmerie ici prévue aura, sous la direction du Gouvernement
haïtien, la surveillance et le contrôle des armes et
munitions, des articles militaires et du commerce qui s'en fait dans
tout le pays. Les Hautes Parties Contractantes reconnaissent que les
stipulations de cet article sont nécessaires pour
prévenir les luttes des factions et les désordres.
Article 11.
Le Gouvernement d'Haïti convient de ne pas céder aucune
partie du territoire de la République d'Haïti par vente,
bail ou autrement, ni de conférer juridiction sur son territoire
à aucune puissance ou gouvernement étranger, ni de signer
avec aucune puissance aucun traité ni contrat qui diminuerait ou
tendrait à diminuer l'indépendance d'Haïti.
Article 12.
Le Gouvernement haïtien convient de signer avec les
États-Unis un protocole pour le règlement, par arbitrage
ou autrement, de toutes les réclamations pécuniaires
pendantes entre les corporations, compagnies, citoyens ou sujets
étrangers et Haïti.
Article 13.
La République d'Haïti, désirant pousser au
développement de ses ressources naturelles, convient
d'entreprendre et d'exécuter telles mesures qui, dans l'opinion
des deux Hautes Parties Contractantes, peuvent être
nécessaires au point de vue de l'hygiène et du
développement matériel de la République, sous la
surveillance et direction d'un ou de plusieurs ingénieurs qui
seront nommés par le Président d'Haïti sur la
proposition du Président des États-Unis, et
autorisés à cette fin par le Gouvernement d'Haïti.
Article 14.
Les deux Hautes Parties Contractantes auront autorité pour
assurer, par tous les moyens nécessaires, l'entière
exécution des clauses de la présente Convention et les
États-Unis, le cas échéant, prêteront leur
aide efficace pour la préservation de l'Indépendance
haïtienne et pour le maintien d'un Gouvernement capable de
protéger la vie, la propriété et la liberté
individuelle.
Article 15.
Le présent Traité sera approuvé et ratifié
par les Hautes Parties Contractantes conformément à leurs
lois respectives, et les ratifications seront échangées
dans la ville de Washington aussitôt que possible.
Article 16.
Le présent Traité restera en force et vigueur pendant une
durée de dix ans à partir du jour de l'échange de
ratifications, et en outre pour une autre période de dix ans si,
suivant des raisons précises formulées par l'une ou
l'autre des Hautes Parties Contractantes, les vues et objets de la
Convention ne sont pas accomplis.
En foi de quoi, les Plénipotentiaires respectifs ont
signés la présente Convention en double, en anglais et en
français, et y ont apposé leurs sceaux.
Fait à Port-au-Prince (Haïti) le 16 septembre, de l'année de notre Seigneur 1915.
Robert Beales Davis Jr.
Chargé d'Affaires des États-Unis d'Amérique
Louis Borno
Secrétaire d'État des Relations Extérieures et de l'instruction Publique.
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Jean-Pierre
Maury