Conférence de Yalta

Les accords de Yalta

1. Communiqué final
2. Protocole des travaux de la Conférence de Crimée
3. Accord concernant l'entrée en guerre de l'URSS contre le Japon
La conférence de Crimée, plus connue comme la conférence de Yalta, s'est tenue du 4 au 11 février 1945 entre les trois Grands : Roosevelt, Churchill et Staline. Depuis la Déclaration des Nations unies du 1er janvier 1942, les relations entre les alliés ont été scandées par des rencontres entre les trois grandes puissances, afin de coordonner les opérations militaires, puis de prévoir les conditions du retour à la paix : Téhéran (28 novembre au 1er décembre 1943), Yalta, puis Potsdam (17 juillet-2 août 1945), tandis que les conférences de Dumbarton Oaks (septembre-octobre 1944) et de San Francisco (25 avril-26 juin 1945) permettaient la mise au point de la charte de l'ONU.
A Yalta, le sort de l'Allemagne est fixé, ainsi que les conditions de reconstruction des pays de l'Europe libérée et les conditions de l'engagement de l'URSS dans la guerre contre le Japon. Mais les conclusions seront revues à Potsdam et Yalta reste dans l'histoire des relations internationales comme le moment du « partage du monde » entre les trois grandes puissances.

Source du document : À l'issue de la conférence, le 12 février 1945, un communiqué a été publié, mais il ne concerne qu'une partie des accords conclus entre les trois dirigeants : il s'agit des points 2, 7 et 8, et du point 13 du procès verbal intégral de la conférence. Le reste est tenu secret pour des raisons diplomatiques et stratégiques évidentes. Le protocole de la conférence qui a été établi et signé par les trois ministres des affaires étrangères a été publié plus tard par le département d'État, pour répondre aux critiques républicains de la politique de Roosevelt.

Lien avec le dossier de la Faculté de droit de Yale.


1. Communiqué final

I. Défaite de l'Allemagne

Nous avons discuté et fixé les plans militaires des trois puissances alliées pour la défaite définitive de l'ennemi commun. Durant la Conférence, les états-majors militaires des trois puissances alliées se sont réunis tous les jours. Ces réunions ont été à tous les points de vue très satisfaisantes et ont abouti à une coordination encore plus étroite de l'effort de guerre des trois alliés. Il a été procédé à un échange complet et réciproque de renseignements. La date, l'étendue et la coordination des coups nouveaux et encore plus violents que nos armées et nos forces aériennes, partant de l'Est, de l'Ouest, du Nord et du Sud, vont porter au coeur de l'Allemagne, ont été fixés en complet accord et ont fait l'objet de plans détaillés.

Les plans militaires ainsi combinés ne seront connus que lorsqu'ils seront mis à exécution. Mais nous sommes convaincus que l'étroite collaboration des trois états-majors qui s'est réalisée durant cette Conférence aura pour résultat d'abréger la guerre. Les trois états-majors continueront à se réunir à l'avenir chaque fois que la nécessité s'en fera sentir.

L'Allemagne nazie est condamnée à sa perte. Le peuple allemand ne peut qu'aggraver encore le coût de sa défaire en essayant de poursuivre une résistance sans espoir.

II. - Occupation et contrôle de l'Allemagne

Nous nous sommes mis d'accord sur la politique commune et les plans communs à adopter pour assurer l'exécution des termes de la capitulation inconditionnelle que nous imposerons à l'Allemagne nazie, après que la résistance armée allemande aura été définitivement écrasée. Ces conditions ne seront pas publiées avant que ne soit parachevée la défaite de l'Allemagne.

Les plans adoptés prévoient que chacune des trois puissances occupera avec ses forces armées une zone séparée en Allemagne.

Ils envisagent la coordination de l'administration du contrôle au moyen d'une Commission centrale de contrôle, composée des commandants en chef des trois puissances et ayant son siège à Berlin. Il a été, en outre, convenu que la France serait invitée par les trois puissances, si elle le désire, à occuper également une zone et à faire partie de la commission de contrôle comme quatrième membre de cette commission. Les limites de la zone française seront fixées d'accord entre les quatre gouvernements, par l'intermédiaire de leurs représentants à la Commission consultative européenne.

Nous sommes inflexiblement résolus à anéantir le militarisme et le nazisme allemands et à faire en sorte que l'Allemagne ne puisse plus jamais troubler la paix mondiale. Nous sommes déterminés à désarmer et à licencier toutes les forces armées allemandes ; à dissoudre définitivement l'état-major général allemand qui, en plusieurs occasions, a réussi à faire revivre le militarisme allemand ; à enlever ou à détruire tout le matériel militaire allemand ; à supprimer ou à contrôler l'industrie allemande qui pourrait être utilisée pour les productions de guerre ; à infliger à tous les criminels de guerre une prompte et juste punition et à exiger l'exacte réparation en nature des destructions causées par les Allemands ; nous sommes résolus à faire disparaître le parti nazi, la législation nationale-socialiste, les organisations et institutions nationales-socialistes ; à soustraire les offices publics, la vie culturelle et économique du peuple allemand à toute influence nationale-socialiste et militariste, et à prendre en Allemagne, d'un commun accord, toutes les autres mesures qui pourraient être nécessaires pour assurer à l'avenir la paix et la sécurité du monde.

Il n'est pas dans notre intention d'anéantir le peuple allemand, mais les Allemands ne pourront espérer une existence convenable et une place dans le Conseil des Nations unies qu'après l'extirpation du national-socialisme et du militarisme.

III. - Réparations dues par l'Allemagne

Nous avons également examiné la question des dommages que l'Allemagne a causés dans cette guerre aux nations alliées e nous considérons comme équitable que ce pays soit contraint à réparer entièrement ces dommages dans la plus grande mesure possible. Une commission sera créée pour la réparation des dommages causés. Elle sera chargée de rechercher dans quelle mesure et par quels moyens la réparation s'effectuera. Cette commission aura son siège à Moscou.

IV. - Conférence des Nations unies

Nous sommes résolus à créer avec nos alliés, aussitôt que possible, une organisation internationale générale pour la sauvegarde de la paix et de la sécurité.

Nous croyons qu'une telle organisation est essentielle pour empêcher de nouvelles agressions et éliminer les causes politiques, économiques et sociales de guerre, au moyen d'une collaboration étroite et permanente de tous les peuples pacifiques.

Les fondements de cette organisation ont été jetés à Dumbarton Oaks. L'accord n'a pu se faire alors sur la question importante du système de vote. Mais la présente Conférence a pu résoudre cette difficulté.

Nous avons convenu de convoquer, le 25 avril 1945, à San Francisco, une Conférence des Nations unies, qui établira, sur la base des entretiens officieux de Dumbarton Oaks, la charte de l'organisation dont il s'agit. Le gouvernement de la Chine et le gouvernement provisoire de la France vont être immédiatement consultés et priés de s'associer, pour les invitations, aux gouvernements des États-Unis, de la Grande Bretagne, de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Dès que la Chine et la France auront été consultées, le texte des propositions relatives au système de vote sera publié.

V. - Déclaration sur l'Europe libérée

Nous avons rédigé et signé une déclaration sur l'Europe libérée. Cette déclaration prévoit que les trois puissances coordonneront leurs plans et prendront des mesures communes pour résoudre les problèmes politiques et économiques de l'Europe libérée conformément aux principes démocratiques. Elle a la teneur suivante :

« Le président du Conseil des Commissaires du Peuple de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, le Premier ministre du Royaume-Uni et le Président des États-Unis d'Amérique se sont consultés concernant les intérêts communs des peuples de leurs propres pays et de ceux de l'Europe libérée. Ils déclarent qu'ils sont d'accord pour coordonner, pendant la période temporaire d'instabilité politique en Europe libérée, la ligne de conduite adoptée par leurs trois gouvernements pour aider les peuples libérés de la domination de l'Allemagne nazie et les peuples des anciens satellites de l'Axe en Europe, à résoudre par des moyens démocratiques leurs difficultés politiques et économiques urgentes.

« Le rétablissement de l'ordre en Europe et la reconstruction de la vie économique nationale devront être réalisés par des méthodes qui permettront aux peuples libérés d'effacer les derniers vestiges du nazisme et du fascisme et de se donner des institutions démocratiques de leur propre choix. C'est un des principes de la Charte de l'Atlantique que tous les peuples ont le droit de choisir la forme de gouvernement sous laquelle ils entendent vivre et que les droits souverains et l'autonomie, dont ils ont été dépossédés de force par les pays agresseurs, doivent leur être restitués.

« Afin de favoriser les conditions dans lesquelles les peuples libérés pourront exercer ces droits, les trois gouvernements prêteront conjointement leur aide aux peuples des États libérés d'Europe ou des anciens satellites de l'Axe, chaque fois qu'il sera nécessaire, en raison de la situation :

« 1° D'assurer la paix intérieure du pays ;
« 2° De prendre des mesures d'urgence pour soulager la détresse de la population ;
« 3° D'installer des gouvernements provisoires dans lesquels seront largement représentés tous les éléments démocratiques de la population qui devront, par voie d'élections libres, constituer aussi rapidement que possible des gouvernements répondant à la volonté populaire et enfin de faciliter, si besoin en est, de telles élections.

« Les trois gouvernements consulteront les autres Nations unies et les gouvernements provisoires ou autres en Europe lorsqu'il s'agira d'examiner des questions les intéressant directement.

« Lorsque, de l'avis de trois gouvernements, la situation dans un État européen libéré ou dans un ancien État satellite de l'Axe en Europe l'exigera, ils se consulteront immédiatement sur les mesures qu'ils devront prendre pour s'acquitter des responsabilités communes exposées dans la présente déclaration.

« Nous réaffirmons ici notre foi dans les principes de la Charte de l'Atlantique, nous confirmons les engagements pris par nous dans la déclaration des Nations unies et notre résolution d'édifier, en coopération avec les autres nations pacifiques, un ordre mondial régi par le droit et consacré aux intérêts de la paix, de la sécurité, de la liberté et de la prospérité commune. »

En publiant cette déclaration, les trois puissances expriment l'espoir que le Gouvernement provisoire de la République française pourra bientôt se joindre à elles dans l'exécution du programme ci-dessus exposé.

VI. - Pologne

Nous nous sommes rendus à la Conférence de Crimée avec la volonté de régler les questions sur lesquelles nos points de vue différaient en ce qui concerne la Pologne. Nous avons discuté largement tous les aspects de ce problème. Nous réaffirmons notre désir commun de voir s'édifier une Pologne forte, libre, indépendante et démocratique. En conclusion, nous sommes convenus des conditions dans lesquelles pourrait se constituer un nouveau Gouvernement polonais d'Unité nationale, susceptible d'être reconnu par les trois grandes puissances.

L'accord réalisé à ce sujet est le suivant :

« La libération totale de la Pologne par l'Armée Rouge a créé dans ce pays une situation nouvelle. Cette circonstance appelle la constitution d'un gouvernement polonais provisoire ayant des bases plus larges que ce n'était possible avant la libération récente de la Pologne occidentale. C'est pourquoi le gouvernement provisoire, qui fonctionne actuellement en Pologne, devrait être réorganisé sur une base démocratique plus large en y comprenant les chefs démocratiques de la Pologne elle-même et des Polonais de l'étranger. Ce nouveau gouvernement prendrait alors le nom de Gouvernement provisoire polonais d'Unité nationale.

« MM. Molotov, Harriman et Sir A. Clark Kerr sont chargés de se constituer en commission en vue de se consulter, en premier lieu, à Moscou, avec les membres du gouvernement provisoire actuel et d'autres chefs polonais démocratiques de Pologne, ou de l'étranger, aux fins de réorganiser le gouvernement actuel d'après les lignes susindiquées. Ce gouvernement provisoire polonais d'unité nationale sera tenu de procéder aussitôt que possible à des élections libres et sans contrainte sur la base du suffrage universel et du scrutin secret. Tous les partis démocratiques et antinationaux-socialistes auront le droit de participer à ces élections et d'y présenter des candidats.

« Lorsque le Gouvernement provisoire polonais d'Unité nationale aura été régulièrement constitué, conformément à ce qui précède, le gouvernement de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques qui entretient actuellement des relations diplomatiques avec le gouvernement provisoire polonais, et les gouvernements du Royaume-Uni et des États-Unis d'Amérique établiront des relations diplomatiques avec le nouveau gouvernement polonais d'Unité nationale et échangeront avec celui-ci des ambassadeurs dont les rapports tiendront chacun d'eux au courant de la situation en Pologne.

« Les chefs des trois gouvernements estiment que la frontière orientale de la Pologne à l'Est devra suivre la ligne Curzon, avec des déviations au profit de la Pologne sur une profondeur de cinq à huit kilomètres en certains endroits. Ils reconnaissent que la Pologne devra obtenir des accroissements sensibles de territoires au nord et à l'ouest. Ils considèrent qu'il faudrait prendre en temps voulu l'avis du Gouvernement provisoire d'Unité nationale au sujet de l'étendue de ces gains de territoire, et que la détermination définitive des frontières occidentales de la Pologne devrait ensuite être renvoyée jusqu'à la Conférence de la Paix. »

VII. - Yougoslavie

Nous avons convenu de recommander au maréchal Tito et au docteur Subasitch de mettre immédiatement à exécution l'accord intervenu entre eux et de constituer un nouveau gouvernement sur les bases de cet accord.

Nous recommandons, en outre, que le nouveau gouvernement, dès qu'il aura été constitué, déclare :

1° Que le Conseil antifasciste du mouvement de libération nationale (AVNOJ) devra également comprendre des membres du dernier parlement yougoslave  (Skupshtina) qui ne se soient pas compromis en collaborant avec l'ennemi, et former ainsi une assemblée qui sera désignée sous le nom de Parlement provisoire ;

2° Que les textes législatifs du Conseil de la Libération nationale devront être soumis à  la ratification ultérieure de l'assemblée constituante.

Les autres questions balkaniques ont fait l'objet d'un examen général.

VIII. - Conférence des ministres des affaires étrangères

Outre les réunions quotidiennes des chefs de gouvernement et des ministres des affaires étrangères, ces derniers se sont réunis tous les jours séparément pendant toute la conférence, avec leurs conseillers, en séances particulières. Ces réunions ont été des plus utiles et la conférence a été unanime à reconnaître la nécessité de prévoir une organisation qui permette aux trois ministres des affaires étrangères de se consulter régulièrement. Les ministres des affaires étrangères se rencontreront donc à l'avenir aussi souvent que cela sera nécessaire, vraisemblablement tous les trois ou quatre mois. Ces entretiens se dérouleront à tour de rôle dans les trois capitales, en commençant par Londres, après la Conférence des Nations unies sur l'organisation du monde.

IX. - Unité dans la paix comme dans la guerre

La présente Conférence, tenue en Crimée, a confirmé notre résolution commune de maintenir et de renforcer dans la paix à venir l'unité de buts et d'action qui a rendu possible et certaine la victoire des Nations unies dans cette guerre. Nous croyons que c'est là une obligation sacrée que nos gouvernements ont contractée vis-à-vis de nos peuples et du monde entier.

Ce n'est qu'en poursuivant et en élargissant cette coopération et cette entente entre nos trois pays et toutes les nations pacifiques que l'on pourra réaliser la plus haute aspiration de l'humanité : une paix sûre et durable qui, selon les termes de la Charte de l'Atlantique, assure à tous les êtres humains de tous les pays la possibilité de vivre leur vie durant à l'abri de la crainte et du besoin.

La victoire dans cette guerre, et l'établissement de l'organisation internationale qu'on envisage, fourniront la meilleure occasion de toute l'Histoire de créer, pour les années à venir, les conditions essentielles d'une telle paix.

W. S. Churchill
F. D. Roosevelt
J. Staline.

2. Protocole des travaux de la conférence de Crimée

La Conférence de Crimée entre les chefs des gouvernements des États-Unis d'Amérique, du Royaume-Uni et de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, qui s'est tenue du 4 au 11 février, est arrivée aux conclusions suivantes :

I. - Organisation mondiale

Il a été décidé:

1° Qu'une Conférence des Nations unies sur l'organisation mondiale envisagée sera convoquée pour le mercredi 25 avril 1945, et se tiendra aux États-Unis d'Amérique.

2° Les nations invitées à cette Conférence seront :

a) Les Nations unies, telles qu'elles existaient au 8 février 1945, et
b) Les nations associées qui auraient déclaré la guerre à l'ennemi commun avant le 1er mars 1945. (A cet effet, le terme « nations associées » signifiait les huit nations déjà associées et la Turquie.) Quand se tiendra la Conférence sur l'organisation du monde, les délégués du Royaume-Uni et des États-Unis d'Amérique défendront une proposition tendant à admettre parmi les membres fondateurs deux Républiques socialistes soviétiques : l'Ukraine et la Russie Blanche.

3° Que le gouvernement des États-Unis, au nom des trois puissances, consultera le gouvernement de Chine et le gouvernement provisoire de la France, sur les décisions prises lors de la présente conférence concernant le projet d'organisation mondiale.

4° Que le texte de l'invitation à adresser à toutes les nations qui participeront à la conférence des Nations unies sera le suivant :

Invitation

Le Gouvernement des États-Unis d'Amérique, en son nom propre et au nom des Gouvernements du Royaume-Uni, de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, de la République de Chine et du Gouvernement provisoire de la République française, invite le Gouvernement de... à envoyer des représentants à une conférence des Nations unies qui se tiendra le 25 avril 1945, ou aussitôt après cette date, à San Francisco, aux États-Unis d'Amérique, pour préparer une organisation générale internationale en vue du maintien de la paix et de la sécurité.

Les gouvernements susnommés proposent que la conférence considère comme constituant une base pour une telle charte, les propositions d'établissement d'une organisation générale internationale rendues publiques en octobre dernier, à la suite de la conférence de Dumbarton Oaks, et complétées dès à présent par les dispositions suivantes de la section C du chapitre VI.

Mécanisme de vote

1° Chaque membre du Conseil de sécurité aura une voix ;

2° Les décisions du Conseil de sécurité sur les questions de procédure devront être prises après un vote affirmatif de sept membres.

3° Les décisions du Conseil de sécurité sur toutes les questions doivent être prises après un vote affirmatif de sept membres, y compris les voix de tous les membres permanents, étant entendu que, dans les décisions prévues par le chapitre VIII, section A, et par la seconde phrase du paragraphe 1 du chapitre VIII, section C, une partie à un différend s'abstient de voter.

Les autres informations relatives aux arrangements conclus seront communiquées ultérieurement.

Au cas où le gouvernement de ... désirerait, avant la conférence, présenter des vues ou des commentaires concernant ces propositions, le gouvernement des États-Unis d'Amérique sera heureux de transmettre ces vues et ces commentaires aux autres gouvernements participants.

Territoires sous tutelle

Il a été convenu que les cinq nations ayant des sièges permanents au Conseil de sécurité se consulteraient, avant la conférence des Nations unies, sur la question du régime de tutelle internationale.

L'acceptation de cette recommandation est soumise à la condition que le régime de tutelle internationale s'appliquera seulement :
a) aux mandats actuels de la Société des Nations ;
b) aux territoires repris à l'ennemi par suite de la guerre actuelle ;
c) à tout autre territoire qui pourrait volontairement se placer sous trusteeship ;
d) aucune discussion sur les territoires eux-mêmes n'est prévue pour la prochaine conférence des Nations unies ou les consultations préliminaires ; on se mettra d'accord ultérieurement sur les territoires compris dans les catégories ci-dessus qui devront être placées sous trusteeship.

II. - Déclaration sur l'Europe libérée

La déclaration suivante a été approuvée :

« Le premier de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, le Premier ministre du Royaume-Uni et le Président des États-Unis d'Amérique se sont consultés concernant dans l'intérêt commun des peuples de leurs pays respectifs et de ceux de l'Europe libérée. Ils affirment conjointement leur accord en vue d'arrêter une politique commune de leurs trois gouvernements pendant la période temporaire d'instabilité de l'Europe libérée, et cela afin d'aider les peuples d'Europe libérés de la domination de l'Allemagne nazie, et les peuples des anciens satellites de l'Axe, à résoudre par des moyens démocratiques leurs problèmes politiques et économiques les plus pressants.

« L'établissement de l'ordre en Europe et la reconstruction des économies nationales doivent être réalisés par des procédés qui permettent aux peuples libérés de détruire les derniers vestiges du nazisme et du fascisme, et d'établir des institutions démocratiques de leur choix. Ce sont là les principes de la Charte de l'Atlantique - droit de tous les peuples à choisir la forme du gouvernement sous lequel ils veulent vivre - restauration des droits souverains et d'auto-gouvernement, au profit des peuples qui en ont été privés par les puissances d'agression.

« Afin de créer les conditions dans lesquelles les peuples libérés pourront exercer ces droits, les trois gouvernements assisteront conjointement les peuples de tout État libéré de l'Europe ou tout État européen, ancien satellite de l'Axe, chaque fois qu'ils estiment que la situation l'exige:

« a) à créer les conditions de la paix intérieure ;
« b) à prendre les mesures d'urgence destinées à secourir les peuples en détresse ;
« c) à constituer des autorités gouvernementales provisoires largement représentatives de tous les éléments démocratiques de ces populations, et qui s'engageront à établir, dès que possible, par de libres élections, des gouvernements qui soient l'expression de la volonté des peuples, et
« d) à faciliter partout où cela sera nécessaire de telles élections.

« Les trois gouvernements consulteront les autres Nations unies et les autorités provisoires ou autres gouvernements en Europe, lorsque seront examinés des problèmes qui les intéressent directement.

« Quand les trois gouvernements estimeront que les conditions dans un État libre d'Europe ou dans un pays anciennement satellite de l'Axe rendent une telle action nécessaire, ils se consulteront immédiatement sur les mesures à prendre pour assumer leurs responsabilités communes définies dans la présente déclaration.

« Par cette déclaration nous réaffirmons ici notre foi dans les principes de la Charte de l'Atlantique, notre fidélité à la déclaration des Nations unies et notre détermination de construire en coopération avec les autres nations pacifiques, un ordre mondial s'inspirant des lois de la paix, de la sécurité, de la liberté et du bien-être général de l'humanité toute entière. »

« En publiant cette déclaration, les trois puissances expriment l'espoir que le Gouvernement provisoire de la République française voudra bien s'associer à elles pour la procédure suggérée. »

III. - Démembrement de l'Allemagne


Il a été convenu que l'article 12 (a) des conditions de reddition pour l'Allemagne serait modifié comme suit :

« Le Royaume-Uni, les États-Unis d'Amérique et l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques détiendront l'autorité suprême en ce qui concerne l'Allemagne. Dans l'exercice de cette autorité ils prendront telles mesures qu'ils estimeront requises pour la paix future et la sécurité, y compris le désarmement complet, la démilitarisation et le démembrement de l'Allemagne. »

L'étude de la procédure de démembrement de l'Allemagne a été confiée à un comité comprenant M. Anthony Eden, ministre des Affaires étrangères (président), M. John Winant (États-Unis), et M. Fédor T. Gustev?????. Cet organisme étudiera l'opportunité de s'adjoindre un représentant français.

IV. - Zone d'occupation française et conseil de contrôle pour l'Allemagne

Il a été convenu qu'une zone d'Allemagne, qu'occuperont les forces françaises, serait attribuée à la France. Cette zone sera prise dans les zones anglaise et américaine, et son étendue sera fixé par les Anglais et les Américains après consultation avec le Gouvernement provisoire français.

Il a aussi été convenu que le Gouvernement provisoire français sera invité à devenir membre du Conseil de contrôle allié pour l'Allemagne.

V. - Réparations

Le protocole suivant a été approuvé :

Protocole

Conversations entre les chefs des trois gouvernements à la Conférence de Crimée sur les réparations allemandes en nature :

1° L'Allemagne devra rembourser en nature les pertes subies de son fait par les pays alliés au cours de la guerre. Les réparations devront être perçues, par priorité, par les nations qui ont porté le principal fardeau de la guerre, qui ont subi les pertes les plus lourdes et qui ont contribué à la victoire sur l'ennemi.

2° Les réparations en nature seront exigées de l'Allemagne sous les trois formes suivantes :

a) Transfert dans les deux ans qui suivront la reddition de l'Allemagne ou la cessation de toute résistance organisée, des biens allemands situés sur le territoire même de l'Allemagne comme en dehors de ce territoire (équipement, machines-outils, bateaux, matériel roulant, avoirs allemands à l'étranger, actions dans les industries, les transports et toutes autres entreprises en Allemagne, etc.), ces transferts étant effectués surtout dans l'intention de détruire le potentiel de guerre de l'Allemagne ;
b) Livraisons annuelles de marchandises de production courante pour une période à fixer ;
c) Utilisation de la main-d'oeuvre allemande.

3° Pour la mise en oeuvre, d'après les principes ci-dessus, d'un plan détaillé de prélèvement des réparations dues par l'Allemagne, une Commission alliée des réparations se réunira à Moscou. Elle se composera de trois représentants : un pour l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, un pour le Royaume-Uni et un pour les États-Unis d'Amérique.

4° En ce qui concerne la détermination du montant total des réparations, comme de leur répartition entre les pays qui ont souffert de l'agression allemande, les délégations soviétique et américaine ont convenu de ce qui suit :

« La Commission des réparations de Moscou prendra comme base de discussion dans ses études initiales, la proposition du gouvernement soviétique, selon laquelle la somme totale des réparations, en accord avec les points (a) et (b) du paragraphe 2 sera de 20 milliards de dollars, et que 50 % de cette somme devra aller à l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques. »

La délégation britannique a été d'avis de ne mentionner aucun chiffre touchant les réparations pendant l'étude de la question des réparations par la commission de Moscou.

La proposition soviéto-américaine ci-dessus a été présentée à la commission des réparations de Moscou comme une des propositions à examiner.

VI. - Grands criminels de guerre

La conférence a décidé que la question des grands criminels de guerre fera l'objet d'une enquête des trois ministres des affaires étrangères, qui présenteront un rapport en temps opportun, après la fin de la conférence.

VII. - Pologne

La déclaration suivante sur la Pologne a été approuvée par la conférence :

« Une nouvelle situation a été créée en Pologne à la suite de la libération totale de ce pays par l'Armée Rouge. Cela rend nécessaire la création d'un gouvernement provisoire polonais ayant une base plus large qu'il n'était possible avant la récente libération des régions occidentales de la Pologne. Le gouvernement provisoire qui fonctionne actuellement en Pologne devra par conséquent être réorganisé sur une base démocratique plus large, de façon à inclure les chefs démocratiques résidant en Pologne même et ceux qui se trouvent à l'étranger. Ce nouveau gouvernement devra donc s'appeler le Gouvernement polonais provisoire d'Unité nationale.

« M. Molotov, M. Harriman et Sir A. Clark Kerr sont autorisés à former une commission pour consulter d'abord, à Moscou, des membres du gouvernement provisoire polonais actuel, et d'autres chefs démocratiques polonais, de Pologne ou de l'étranger, en vue de la réorganisation du gouvernement actuel selon les principes énoncés ci-dessus. Le gouvernement provisoire polonais d'unité nationale devra s'engager à procéder à des élections libres et sans contrainte, dès que cela sera possible, sur la base du suffrage universel et du scrutin secret. Tous les partis démocratiques et anti-nazis auront le droit de prendre part à ces élections et d'y présenter des candidats.

« Quand un Gouvernement provisoire polonais d'Unité nationale aura été constitué selon les principes ci-dessus, le gouvernement de l'URSS, qui entretient présentement des relations diplomatiques avec le gouvernement provisoire actuel de la Pologne, le gouvernements du Royaume-Uni et le gouvernement des États-Unis d'Amérique établiront des relations diplomatiques avec le nouveau gouvernement provisoire polonais d'Unité nationale, et échangeront avec lui des ambassadeurs, dont les rapports permettront à leurs gouvernements respectifs de se tenir au courant de la situation en Pologne.

« Les trois chefs de gouvernement considèrent que la frontière orientale de la Pologne doit suivre la ligne Curzon avec, dans certaines régions, quelques rectifications allant de cinq à huit kilomètres en faveur de la Pologne. Ils reconnaissent que la Pologne devra bénéficier d'un substantiel accroissement de territoire au Nord et à l'Ouest. Ils estiment que le nouveau Gouvernement provisoire polonais d'Unité nationale devra être consulté par la suite sur l'étendue de cet accroissement territorial et que le tracé final de la frontière occidentale de la Pologne ne pourra, en conséquence, être fixé qu'à la Conférence de la Paix. »

VIII. - Yougoslavie

Il a été convenu de recommander au maréchal Tito et au Dr Nan Subasitch :

a) Que l'accord Tito-Subasitch soit immédiatement mis à exécution et qu'un nouveau gouvernement soit formé sur les bases de l'accord ;
b) Qu'aussitôt le nouveau gouvernement formé, il déclare :

I. Que l'Assemblée anti-fasciste de la Libération nationale (AVNOJ) doit être élargie afin de comprendre les membres de la dernière Skoupchtina yougoslave qui ne se sont pas compromis avec l'ennemi, pour former ainsi une assemblée que l'on pourra appeler le Parlement temporaire et
II. Que les décisions législatives prises par l'Assemblée anti-fasciste de la Libération nationale (AVNOJ) seront soumises ultérieurement à la ratification d'une assemblée constituante, et que cette décision sera publiée dans le communiqué de la conférence.

IX. - Frontière yougoslave, frontière italo-autrichienne

La délégation britannique a présenté des notes sur ces questions et les délégations américaine et soviétique ont été d'avis de les examiner et de faire connaître plus tard leur point de vue.

X. - Relations bulgaro-yougoslaves

Il y a eu un échange de vues entre les ministres des affaires étrangères sur la question de l'opportunité d'un pacte d'alliance bulgaro-yougoslave. Il s'agissait de savoir si un État sous le régime d'un armistice pouvait être autorisé à conclure un traité avec un autre État. M. Eden a proposé d'informer les gouvernements bulgare et yougoslave que cela ne pouvait être autorisé. M. Stettinius a proposé que les ambassadeurs de Grande-Bretagne et d'Amérique discutent de la question plus tard, à Moscou, avec M. Molotov. M. Molotov a accepté la proposition de M. Stettinius.

XI. - L'Europe du Sud-Est

La délégation britannique a soumis à l'examen de ses collègues des notes sur les sujets suivants :

a) La commission de contrôle en Bulgarie ;
b) Les revendications de la Grèce vis-à-vis de la Bulgarie, en particulier en ce qui concerne les réparations ;
c) Les installations pétrolières en Roumanie.

XII. - Iran

M. Eden, M. Stettinius et M. Molotov ont échangé leurs vues sur la situation en Iran. Il a été convenu que ces questions feront l'objet d'échanges diplomatiques.

XIII. - Rencontre des trois ministres des affaires étrangères

La conférence a décidé qu'un mécanisme permanent sera institué pour permettre des consultations entre les trois ministres des affaires étrangères ; ils se rencontreront aussi souvent que cela sera nécessaire, vraisemblablement tous les trois ou quatre mois environ. Ces rencontres auront lieu à tour de rôle dans les trois capitales, la première se tiendra à Londres.

XIV. - La convention de Montreux et les détroits

Il a été convenu que, lors de la prochaine rencontre des trois ministres des affaires étrangères, qui se tiendra à Londres, ces derniers examineront les propositions du gouvernement soviétique au sujet de la convention de Montreux, et feront ensuite un rapport à leurs gouvernements. Le gouvernement turc sera informé en temps opportun.

Ce protocole a été approuvé et signé par les trois ministres des affaires étrangères à la Conférence de Crimée, le 11 février 1945.

E. R. Stettinius Jr.
M. Molotov.
Anthony Eden.

3. Accord concernant l'entrée en guerre de l'URSS contre le Japon

(11 février 1945)

Les chefs des Trois Grandes Puissances - l'Union soviétique, les États-Unis d'Amérique et la Grande Bretagne - ont convenu que dans les deux ou trois mois qui suivront la capitulation de l'Allemagne, et la fin de la guerre en Europe, l'Union Soviétique entrera en guerre contre le Japon aux côtés des Alliés, à la condition que :

1° Le statu quo soit maintenu en Mongolie extérieure (République populaire de Mongolie) ;

2° Les droits de la Russie, violés par l'agression perfide du Japon en 1904, soient rétablis, à savoir :

a) Retour à l'Union Soviétique de la partie méridionale de Sakhaline ainsi que toutes les îles avoisinantes ;

b) Internationalisation du port commercial de Dairen, les intérêts prioritaires de l'Union Soviétique étant garantis, et rétablissement du bail de Port-Arthur en tant que base navale de l'URSS ;

c) Exploitation en commun du chemin de fer de l'Est chinois et du chemin de fer du Sud  mandchourien, qui ouvre un débouché vers Dairen, par l'établissement d'une compagnie soviéto-chinoise, restant entendu que les intérêts prioritaires de l'Union soviétique seront garantis et que la Chine conservera sa pleine souveraineté en Mandchourie ;

3° Les îles Kouriles soient remises à l'Union soviétique.

Il est entendu que l'accord concernant la Mongolie extérieure, les ports et les chemins de fer susmentionnés exigera l'assentiment du généralissime Tchang Kaï-Chek. Le Président des États-Unis prendra les mesures destinées à l'obtention de cet assentiment, suivant le conseil du maréchal Staline.

Les chefs des des trois grandes Puissances ont convenu que ces revendications de l'Union soviétique recevront une satisfaction inconditionnelle après la défaite du Japon.

De son côté, l'Union Soviétique se déclare prête à conclure avec le gouvernement national chinois, un pacte d'amitié et d'alliance entre l'URSS et la Chine, en vue d'apporter à la Chine l'appui des forces armées soviétiques dans la libération de la Chine du joug japonais.

Joseph V. Staline.
Franklin D. Roosevelt.
Winston S. Churchill.
© - 2007 - Pour toute information complémentaire, pour signaler une erreur ou correspondre avec nous,
adressez-nous un message électronique


[ Haut de la page ]
Jean-Pierre Maury