Bulle d'or de 1222.
La Bulle d'or du roi André II est un acte comparable à la Grande Charte anglaise, dont il est contemporain, mais son ambition est plus limitée car il ne concerne que les privilèges des nobles. Il constitue cependant la première pierre de l'antique Constitution hongroise, qui survécut à la défaite de Mohacs (1526), à la conquête de la majeure partie du territoire par les Ottomans, et à l'acquisition de la couronne de saint Étienne par les Habsbourg, jusqu'au compromis de 1867, ou même jusqu'à la défaite de 1918, la déposition des Habsbourg et la mise en place de la régence de l'amiral Horthy.
Source : la traduction utilisée a été publiée par Dareste dans son recueil de constitutions (1910, tome 1) qui l'a reprise d'un ouvrage antérieur.
Au nom de la Sainte-Trinité et Unité indivisible.
André, par la grâce de Dieu, roi à perpétuité (héréditaire) de Hongrie, Dalmatie, Croatie, Rama (Bosnie), Servie, Galicie et Lodomérie.
Comme la liberté, tant des nobles de notre royaume que d'autres aussi, instituée par le roi saint Étienne, a été diminuée sur plusieurs points par l'arbitraire de quelques rois, qui tantôt satisfaisaient leurs ressentiments personnels, tantôt écoutaient les conseils perfides d'hommes iniques et occupés seulement de leur profit particulier, nos nobles eux-mêmes ont bien des fois frappé les oreilles de notre sérénité et celles de leurs rois, nos prédécesseurs, par leurs prières et nombreuses instances au sujet de la réforme de notre royaume. C'est pourquoi, désirant satisfaire à leur réclamation en toutes choses, comme nous y sommes tenu, surtout à raison de ce qu'il est né trop souvent entre nous et vous, à cette occasion, de grandes amertumes, ce qu'il convient d'éviter, pour conserver plus pleinement la dignité royale (car c'est ce qui ne se peut mieux faire que par eux), nous accordons tant à eux qu'aux autres habitants de notre royaume la liberté concédée par le saint roi, et ordonnons, en ce qui concerne la réforme de l'état de notre royaume, les autres mesures salutaires suivantes :
Article premier.
Nous établissons que nous serons obligé de tenir une assemblée solennelle à Albe royale tous les ans, à la fête du saint roi, à moins d'en être empêché par quelque affaire urgente ou par maladie ; et si nous ne pouvons nous y rendre en personne, le palatin y sera sans aucun doute à notre place et entendra les causes en notre lieu, et tous les nobles qui le voudront s'y réuniront librement.Article 2.
Nous voulons aussi que ni nous ni nos successeurs, en aucun temps, n'arrêtions les nobles, ni ne les ruinions en faveur de quelque puissant, s'ils n'ont été d'abord cités et convaincus dans les formes judiciaires.Article 3.
En outre, nous ne lèverons aucun impôt ni aucune capitation sur les fonds des nobles, et nous ne prendrons gîte dans leurs maisons et dans leurs domaines que quand ils nous y inviteront. Nous ne lèverons non plus aucun impôt sur les gens d'église.Article 4.
Si quelque noble meurt sans fils, sa fille aura le quart de ses biens ; il disposera du reste comme il voudra, et, si la mort l'empêche de disposer ses biens, ils appartiendront à ses parents les plus proches ; et, s'il n'a absolument aucune postérité, ils appartiendront au roi.Article 5.
Les comtes (comites parochiani, föispánok) ne pourront rendre aucun jugement sur les biens des nobles, si ce n'est dans les causes qui concernent les monnaies et les dîmes. Les lieutenants des comtes (comites curiae parochiani) ne pourront juger personne, si ce n'est les gens de leur château. Les voleurs et brigands seront jugés par les juges (bilochi) royaux, mais aux pieds [sous la présidence] du comte en personne.Article 6.
En outre, il ne pourra plus dorénavant être procédé à la dénonciation des voleurs, selon la coutume, par le serment de la réunion des habitants.Article 7.
Si le roi se propose de conduire une armée hors du royaume, les nobles ne seront point tenus d'aller avec lui, si ce n'est à ses frais ; et, après son retour, il ne pourra les frapper pour ce fait d'aucune amende de ban militaire. Mais, si une armée ennemie menace le royaume, tous seront tenus de partir en masse. Item, si nous voulons conduire une armée hors du royaume, et si nous marchions en personne avec l'armée, tous ceux qui ont des comitats seront tenus de nous accompagner à nos frais .Article 8.
Le palatin jugera indifféremment tous les habitants de notre royaume; mais les causes des nobles qui entraîneront la perte de la vie ou la confiscation de leurs biens ne pourront être décidées sans l'assentiment du roi. Il ne pourra avoir de suppléants, pour rendre la justice, hormis un seul, à sa cour.Article 9.
Notre comte curial (curialis comes, országbiro), tant qu'il demeurera à la cour, pourra juger quiconque et terminer en tout lieu une cause commencée à la cour. Mais, quand il résidera dans ses domaines, il ne pourra ni donner commission à un huissier (pristaldus), ni faire citer les parties.Article 10.
Si quelque vassal [les non-nobles qui recevaient des terres à charge de service militaire], revêtu d'une charge, meurt à l'armée, son fils ou son frère sera gratifié d'une dignité semblable. Et si un noble meurt de la même manière, son fils sera gratifié comme il plaira au roi.Article 11.
Si des hommes de bien étrangers viennent dans le royaume, ils ne pourront être promus aux dignités sans l'avis de la Diète du royaume .Article 12.
Les épouses des morts, ou des condamnés à mort par jugement, ou de ceux qui périront en combat judiciaire, ne seront, ni pour aucune autre cause, privées de leur douaire.Article 13.
Lorsque les vassaux suivront la cour ou iront en quelque lieu que ce soit, les pauvres ne seront par eux ni opprimés ni dépouillés.Article 14.
Item, si quelque comte ne se conduit pas honorablement, comme le réclament les devoirs de sa charge, ou s'il opprime les peuples de son comitat, il sera, après en avoir été convaincu, privé honteusement de sa dignité devant tout le royaume, et condamné à restituer ce qu'il aura enlevé.Article 15.
Nos écuyers, chefs de meute et fauconniers n'auront pas le droit de descendre dans les domaines des nobles.Article 16.
Nous ne conférerons ni des comitats entiers, ni aucune dignité, à titre héréditaire ou à titre de propriété privée.Article 17.
Nul ne pourra jamais être dépouillé des biens qu'il a acquis en retour de services réels.Article 18.
Item, les nobles pourront, avec notre congé, se rendre librement auprès de notre fils, comme du plus grand au moindre, et ils n'encourront pas pour ce fait la perte de leurs biens. Nous n'accueillerons aucun homme régulièrement condamné par notre fils, ni aucun procès commencé devant lui et qu'il n'aura pas terminé ; notre fils en fera de même de son côté.Article 19.
Les vassaux seront maintenus dans les privilèges institués par le roi saint Étienne ; il en sera de même des colons étrangers de toute nation, suivant les privilèges qui leur ont été accordés dès le principe.Article 20.
Les dîmes ne seront pas rachetées en argent, mais elles seront acquittées en produits de la terre, vin ou grains ; et si les évêques s'y opposent, nous ne les soutiendrons pas.Article 21.
Les évêques ne seront pas tenus de remettre pour nos chevaux les dîmes provenant des biens des nobles, ni leurs gens d'apporter leurs dîmes sur les terres royales.Article 22.
Item, nos porcs ne pourront paître dans les forêts et prairies des nobles sans leur consentement.Article 23.
Item, notre nouvelle monnaie aura cours pendant un an, de Pâques à Pâques ; et les deniers seront tels qu'ils étaient du temps du roi Béla.Article 24.
Les comtes de la Chambre des monnaies, les préposés aux salines et aux douanes seront des nobles de notre royaume ; ils ne pourront être pris parmi les ismaélites et les juifs .Article 25.
Item, le sel ne pourra être gardé dans l'intérieur du pays, mais seulement à Szabolcs, à Regécz, et sur les frontières.Article 26.
Item, aucun domaine ne pourra être conféré à des étrangers ; si quelques-uns ont été conférés ou vendus, ils devront être rendus au peuple du royaume pour les racheter.Article 27.
L'impôt des peaux de martres sera payé suivant la coutume établie par le roi Coloman.Article 28.
Si quelqu'un a été condamné régulièrement en justice, aucun puissant ne pourra le protéger.Article 29.
Les comtes ne jouiront que du revenu de leur comitat ; le roi percevra tous les autres revenus qui lui appartiennent, à savoir le vin, les douanes, les boeufs et les deux tiers des revenus des villes.Article 30.
Item, à l'exception des quatre vassaux : le palatin, le ban, les comtes curiaux du roi et de la reine, nul ne pourra revêtir deux dignités.Article 31.
Et afin que cette concession et ordonnance dure à perpétuité, de notre vivant et au temps de nos successeurs, nous l'avons fait consigner en sept exemplaires et revêtir de notre sceau d'or : pour que l'un soit envoyé au seigneur le Pape, et que celui-ci le fasse insérer en ses registres ; le second aux hospitaliers ; le troisième aux templiers ; le quatrième au roi ; le cinquième au chapitre d'Esztergom (Gran) ; le sixième à celui de Kalocsa ; le septième sera conservé par le palatin en fonctions, afin qu'ayant le texte même devant les yeux, il ne s'écarte d'aucune des prescriptions qui y sont contenues, ni ne souffre que le roi, les nobles ou autres s'en écartent, pour qu'eux-mêmes jouissent de leurs privilèges, et qu'ils nous demeurent, par suite, fidèles, ainsi qu'à nos successeurs, sans refuser la légitime obéissance à la couronne royale.Que si nous, ou quelqu'un de nos successeurs, voulons jamais nous soustraire à la présente ordonnance, les évêques et autres vassaux et nobles de notre royaume, tous ensemble ou séparément, présents et futurs, auront toujours, par la vertu même de cette ordonnance, et sans encourir la note d'infidélité, la libre faculté de résister et contredire à nous et à nos successeurs.
Donné par les mains de Clet, le chancelier de notre cour, prévôt de l'église d'Eger (Erlau), l'an de l'incarnation 1222 ;
le vénérable Jean étant archevêque d'Esztergom (Gran) ; le révérend Ugrin, de Kalócsa ; Désiré étant évêque de Csanád ; Robert, de Veszprém ; Thomas, d'Eger ; Étienne, de Zágráb (Agram) ; Barthélémy, de Pécs (Fünfkirchen) ; Côme de Györ (Raab) ; Bereck, de Vácz (Waitzen) ; Vincent, de Nyitra ; la dix-septième année de notre règne.
Note :
Albe royale (Alba Regia) : La ville constituée par Étienne devint le lieu de couronnement et de sépulture des rois de Hongrie jusqu'à l'acquisition de la couronne de saint Étienne par les Habsbourg. Elle perdit son importance à la conquête ottomane et fut connue ensuite sous le nom allemand de Stuhlweissenburg et sous le nom hongrois actuel de Székesfehérvár. En 1867, c'est Budapest, au moment du couronnement de François -Joseph qui devint le siège du gouvernement.
Comitat : comté médiéval,
Pour obtenir davantage d'informations sur le pays et sur le texte ci-dessus,
voir la fiche Hongrie.