France

Princes étrangers possessionnés en Alsace.


Conclusum pris par les députés au cercle du Haut-Rhin, assemblés à Francfort (11 février 1790).
Décret relatif aux droits féodaux, 15 mars 1790.
Décret concernant les propriétaires de fiefs en Alsace, 28 avril 1790.
Rapport de Merlin de Douai et décret du 28 octobre 1790.
Décrets du 4 avril 1791.
Décret sur les indemnités prétendues par les princes possessionnés en Alsace et dans d'autres parties du royaume, 19 juin 1791.
Note concernant les indemnités dues aux princes étrangers, possessionnés en France, 31 octobre 1791.
Décret relatif aux rassemblements des émigrés, 29 novembre 1791.
Lettre que l'empereur a écrite au roi au sujet des princes possessionnés qui réclament des indemnités, ou qui réclament pour mieux dire le rétablissement de leurs droits en Alsace et en Lorraine.
Décret contre les Français qui prendraient part à quelque congrès ou médiation tendant à modifier la constitution française, 14 janvier 1792.
Décret relatif aux dispositions hostiles de l'Autriche, 25 janvier 1792.
Rapport de Koch, 1er février 1792.
Déclaration de guerre, 20 avril 1792.
Décret du 16 Décembre 1792, concernant les princes étrangers possessionnés en Alsace.
Décret pour mettre sous séquestre les biens possédés en France par les princes ou puissances avec lesquels la République est en guerre, 9 mai 1793.
Décret ordonnant la mise sous séquestre des biens de ceux qui n'ont pas protesté contre la conclusion de la diète de Ratisbonne, 14 mai 1793.

    Lors de la fameuse Nuit du 4 août 1789, l'Assemblée nationale abolit le régime féodal, puis, le 2 novembre, place les biens ecclésiastiques à la disposition de la nation. L'application de ces décisions suscite la protestation des princes allemands possédant des fiefs et des biens en Alsace, en Lorraine ou en Franche-Comté.
   
Il convient de rappeler que l'application en Alsace de l'édit de juin 1787, relatif à la création d'assemblées provinciales et municipales, et portant ainsi atteinte aux droits de ces princes, avait, déjà, provoqué troubles et protestations. Merlin (de Douai), le 28 octobre 1790, et Koch, le 1er février 1792, rappelleront dans leurs rapports à l'Assemblée, que les princes allemands ont régulièrement mis en cause la souveraineté du roi en Alsace acquise par le traité de Munster. La souveraineté de la France y est-elle donc limitée par certaines dispositions des traités de Westphalie et de Ryswick, concernant les princes allemands bénéficiant de l'immédiateté impériale ?
    Ainsi, d
epuis la guerre de Trente Ans, dans le temps long d'un affrontement pluri-séculaire entre la France et l'Allemagne, l'Alsace est un enjeu majeur. Elle le restera d'ailleurs aux XIXe et XXe siècles, et aujourd'hui, toujours dotée (avec la Moselle) d'un régime juridique particulier, devenue « collectivité européenne » (depuis le 1er janvier 2021), elle a un statut toujours contesté et incertain.

    Il s'agit donc, d'abord, d'une querelle juridique, qui favorise l'énoncé par Merlin d'un principe politique appelé à bouleverser le droit interne et international : le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. La question, dont l'Assemblée délibère entre 1789 et 1793, constitue ainsi un casus belli avec le corps germanique, première étape dans la formation de la première des sept coalitions contre la France révolutionnaire et perturbatrice de l'ordre européen... jusqu'à Waterloo.
   
Ainsi, le premier des griefs énoncés dans le manifeste du duc de Brunswick, commandant les armées combinées de l'Empereur et du roi de Prusse, le 25 juillet 1792, est d'avoir « supprimé arbitrairement les droits et possessions des princes allemands en Alsace et en Lorraine ».

    L'Assemblée est saisie de la question, le 11 février 1790, après une réclamation du prince de Linange, relativement à l'exécution de plusieurs décrets de l'Assemblée sur ses terres
du comté de Dabo, mais surtout à la suite d'un Conclusum, adopté par les députés du cercle du Haut-Rhin (circonscription du Saint-Empire romain germanique qui ne doit pas être confondue avec le département français du même nom), réunis à Francfort, et demandant l'intervention de l'empereur Léopold II et de l'ensemble de l'Empire.
    Au même moment, le décret général sur les droits féodaux, dont l'Assemblée se saisit à partir du 8 février 1790, distingue les droits abolis sans indemnité et les droits rachetables. A ce titre, l'Assemblée se réserve, au 3° de l'article 39 du titre II, de statuer « sur les indemnités dont la nation pourrait être chargée envers les propriétaires de certains fiefs d'Alsace, d'après les traités qui ont réuni cette province à la France » (Archives parlementaires, tome XII, p. 172-177).
    Le 28 octobre 1790, l'Assemblée entend le rapport de Merlin qui s'appuie sur Heiss et surtout sur Obrecht, les spécialistes du droit public allemand, conseillers de Louis XIV.  Ainsi, selon les dispositions du traité de Munster (art. 73, 74 et 87 de la traduction Heiss, repris sous les numéros 74, 75, 76 et 92 dans le dictionnaire de Robinet), le roi de France jouit du
supremum dominii jus, que Heiss traduit par droit de suprême seigneurie, mais les princes qui disposent de l'immédiateté impériale, possèdent, selon le droit germanique, un droit de supériorité territoriale, permettant l'exercice de certaines prérogatives souveraines, de sorte que l'exercice de la souveraineté est divisé entre eux et l'Empereur. C'est d'ailleurs ce système que l'Allemagne est parvenue à imposer au sein de l'Union européenne, alors que selon la doctrine française depuis Bodin, la souveraineté ne se partage pas.
    Les princes immédiats soutiennent alors que le roi de France est tenu par les termes du traité de Munster, contrat de type synallagmatique que l'une des parties ne peut modifier unilatéralement, alors que, selon Obrecht, le domaine suprême ou souveraineté véritable est indépendant, et la supériorité territoriale lui est soumise dans l'exercice de tous les droits qu'elle renferme, de telle sorte que le véritable souverain peut toujours modifier ou reprendre ce qui a été concédé. Merlin peut ainsi conclure que, selon le droit, les traités ne limitent en rien la souveraineté de la nation.
    De tout manière, Merlin énonce ensuite le principe révolutionnaire selon lequel l'Alsace est française non par les traités, mais en vertu du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, puisque son peuple a envoyé ses représentants aux États généraux. Toutefois, souhaitant éviter un conflit, il propose d'indemniser les princes. Koch, le fameux professeur de Strasbourg, dans son rapport du 1er février 1792, examine soigneusement la question juridique et ses conclusions rejoignent celles de Merlin : les traités ont placé l'Alsace sous la pleine souveraineté française, mais il est opportun d'indemniser les princes étrangers pour les droits déclarés rachetables. Toutefois, dans la délibération qui se poursuit les 25 février et 1er mars, les girondins de l'Assemblée demandent la fixation d'un terme ; la proposition d'indemnisation serait retirée concernant les princes qui ne l'auraient pas acceptée avant le mois de juin 1792.

    Après le décès de l'empereur Léopold II, le 1er mars 1792, les relations s'enveniment rapidement avec son successeur désigné, François II, plus belliqueux. Louis XVI doit nommer des ministres girondins, partisans de la guerre, avec Dumouriez aux affaires étrangères, puis à la guerre, et Roland à l'intérieur (15 mars). La guerre est déclarée le
20 avril 1792. L'Assemblée devient de plus en plus radicale ; à l'intérieur, la tension culmine avec la journée révolutionnaire du 10 août 1792 et la proclamation de la République ; puis le procès et la mort du roi. Bientôt, après l'entrée en guerre de l'Empire, l'Assemblée se fait missionnaire de la Révolution et se rallie à la vieille idée des frontières naturelles de la France, dont le Rhin, tandis que les puissances coalisées envisagent (conférence d'Anvers, 8 avril 1793) de se partager la France, comme la Pologne.
    Le séquestre est alors prononcé sur les biens des princes possessionnés. La querelle juridique n'est plus à l'ordre du jour, elle est tranchée par le sabre de Bonaparte ! Le traité de Lunéville attribue la rive gauche du Rhin à la France ; le recès d'Empire du 25 février 1803 ordonne la sécularisation des principautés ecclésiastiques et la médiatisation d'un certain nombre d'États du Saint-Empire afin d'indemniser les princes définitivement dépouillés de leurs possessions ancestrales.

Note ; Selon Koch, les princes concernés sont les suivants : les électeurs de Trêves et de Cologne, et l'électeur Palatin ; les évêques de Spire et de Bâle, le grand-maître de l'Ordre Teutonique et le grand-prieur de l'Ordre de Saint-Jean ; le landgrave de Hesse-Darmstadt, le duc de Wurtemberg, le duc des Deux-Ponts et le prince Maximilien, son frère ; le margrave et les princes de Bade, les princes de Linange, de Salm, de Loewenstein, de Hohenlohe, de Wied-Runckel. Le cardinal de Rohan, prince-évêque de Strasbourg, prince d'Empire, mais français, constitue un cas particulier.
    Le Dictionnaire historique des institutions de l'Alsace du Moyen Âge à 1815, mentionne deux princes-électeurs, 16 princes d'Empire, parmi lesquels il distingue trois branches de Salm, et deux de Nassau, : Nassau-Sarrebruck et Nassau-Weilbourg ; ainsi que le comte de Sickingen ; et 4 non immatriculés ; comte de Helmstatt, baron de Gemmingen-Hornberg, baron de Reissenbach,  baron et comte Schenk de Waldenbourg, ignorés par Koch. En ligne à
https://dhialsace.bnu.fr/wiki/Fürsten_(Besitzungen_der_deutschen_Fürsten_im_Elsass)

Sources : Les documents mentionnés ci-dessous proviennent essentiellement des Archives parlementaires, Première série, 1787 à 1799, imprimées à partir de 1862, à l'initiative du duc de Morny, et dont l'édition, préparée par l'Institut d'histoire de la Révolution française, se poursuit avec une sage lenteur, due au manque de moyens : six années d'archives publiées en plus de 150 ans ! le volume CIII, portant sur décembre 1794, vient d'être publié en 2022. La plupart des volumes sont disponibles en ligne sur le site Gallica de la BNF, ainsi que sur Google livres, et sur Internet archive. L'université de Stanford propose un outil très utile permettant la recherche et l'accès en mode texte.
Réclamation du prince de Linange, Archives parlementaires, séance du 28 décembre 1789, Tome XI, p. 31. Protestation des députés du Haut-Rhin, assemblés à Francfort, contre les décrets du 4 août et du 2 novembre 1789, menaçant des possessions de la noblesse et du clergé germaniques dans les provinces d'Alsace et de Lorraine, puis débat (11 février 1790, id., p. 547). Décret général sur les droits féodaux : Rapport par Merlin (de Douai) sur leur suppression et leur rachat, 8 février 1790, puis débat, (tome XI, p. 498 et suiv.) ; décret, 15 mars 1790 (tome XII, p.172 et s.). Projet de décret relatif aux princes-apanagistes (11 octobre 1790, t. XIX, p. 534) ; — adoption (id.). Rapport de Merlin et projet de décret, amendement de Mirabeau, au nom du comité diplomatique, séance du 28 octobre 1790, au soir, Archives parlementaires, tome XX, p. 75 à 87. L'Assemblée nationale adopte le projet dans la rédaction proposée par Mirabeau.
Rapport de Victor de Broglie, sur une lettre de la municipalité de Strasbourg, et relatif aux incidents provoqués par l'application de la constitution civile du clergé (décret du 12 juillet 1790), le cardinal de Rohan s'opposant à son application et à la prise de fonction de l'évêque élu au siège du Bas-Rhin (A. P., séance du 4 avril 1791, tome XXIV, p. 549 à 554). Rapport d'André et décret sur les réclamations des princes possessionnés en Alsace (19 juin 1791, tome XXVII, p. 337). Note concernant les indemnités qui leur sont dues, présentée par Montmorin, ministre des affaires étrangères (31 octobre 1791, t. XXXIV, p. 551 et suiv.). Projet de décret relatif à la prompte terminaison des négociations entamées avec eux, (29 novembre 1791, t. XXXV, p. 439) ; adoption (p. 443). Projet de décret sur les moyens d'empêcher leur coalition avec les émigrés et sur les moyens de régler leur indemnité, proposé par Ruhl (13 décembre 1791, t. XXXVI, p. 48 et suiv. ; observations de François de Neufchâteau et de Briche (p. 49) ; renvoi au comité diplomatique. Observations du ministre des affaires étrangères et lettre de l'empereur au roi (24 décembre, tome XXXVI, p. 352 et suiv.) ; renvoi au comité diplomatique (p. 356). Gensonné, rapport sur l'office de l'Empereur contenant des menaces contre la France (14 janvier 1792, tome XXXVII, p. 410 et suiv.) Koch demande la fixation au 1er février du rapport sur la lettre de l'empereur au roi en conséquence du conclusum de la diète de Ratisbonne (30 janvier 1792, t. XXXVIII, p. 13).
Rapport de Koch et projet de décret du comité diplomatique sur la lettre de t'empereur Léopold, écrite au roi en conséquence du conclusum de la Diète générale de l'Empire (séance du 1er février 1792, A. P., 1792, tome XXXVIII, p. 66 à 74). 2e lecture du projet de décret sur la lettre de l'Empereur au roi en conséquence des conclusions de la diète de Ratisbonne (25 février 1792, t. XXXIX, p. 89 et s.). Intervention de Mailhe et projet de décret, p. 90 et p. 98) ; puis séance du 1er mars, p. 234 ; projet de décret de Pastoret, p. 238 ; Lasource, projet p. 243, lecture de plusieurs pièces diplomatiques, p. 238 à 260.
M. Dumouriez, ministre des affaires étrangères, donne lecture du rapport qui conclut à ce que le roi, accompagné de ses ministres, se rende à l'Assemblée nationale pour lui proposer la guerre contre l'Autriche, séance du 20 avril 1792, tome XLII, p. 195 ; le roi propose à l'Assemblée nationale de déclarer la guerre au roi de Hongrie et de Bohême, id. p. 199. Discussion. Discours de Condorcet qui propose d'adresser au peuple français et aux nations étrangères une exposition des motifs qui ont déterminé le décret que l'Assemblée vient de rendre, p. 210-213 ; et décret sur la guerre, ibid. p. 217. Convention entre le roi et le prince de Salm-Salm concernant l'indemnité qui lui est accordée pour la suppression de ses droits féodaux et seigneuriaux, tome XLII, p. 659. Convention entre le roi et le prince de Lœwenstein-Wertheim concernant l'indemnité qui lui est accordée pour la suppression de ses droits féodaux et seigneuriaux, id.
Proposition d'appliquer aux princes étrangers le décret sur le séquestre des biens des émigrés (13 juillet 1792, t. XLVI, p. 439 et 15 juillet, p. 481). Proposition de confisquer les biens de ceux qui favorisent les ennemis de la France (15 septembre 1792, t. XLIX, p. 682). Motion de Lasource relative à la confiscation de leurs biens (13 octobre 1792, t. LII, p. 485). Décret rapportant tous les décrets qui accordent des indemnités aux princes possessionnés en France (16 décembre 1792, t. LV, p. 78). Proposition d'un rapport sur le mode de séquestre et de régie de leurs biens (29 janvier 1793, t. LVIII, p. 5). Compte rendu par le ministre des contributions publiques (31 janvier, p. 94). Les receveurs, préposés et agents des princes déposeront dans les caisses des receveurs d'enregistrement de leurs districts les sommes dont ils sont ou pourront être saisis (2 février 1793, t. LVIII, p. 169). Décret relatif à la mise sous séquestre des biens de ceux avec lesquels la République est en guerre (9 mai 1793, t. LXIV, p. 353). Décret ordonnant la mise sous séquestre des biens de ceux qui n'ont pas protesté contre la conclusion de la diète de Ratisbonne (14 mai, p, 662 et suiv.).

Voir aussi : Muret, Pierre. « L'affaire des princes possessionnés d'Alsace et les origines du conflit entre la Révolution et l'Empire », Revue d'histoire moderne et contemporaine, vol. 1, n° 5, p. 433-456 et n° 6, p. 566-592. JSTOR, https://www.jstor.org/stable/20523104 et https://www.jstor.org/stable/20523129.
« Jean Heiss, Ulric Obrecht, l’Alsace et la propagation des traités de Westphalie en France (de 1684 à 1739) » in La connaissance du Saint-Empire en France du baroque aux Lumières 1643-1756 ; https://doi.org/10.1524/9783486719376.479

Note : La déclaration de guerre est adressée à François Ier, roi de Hongrie et de Bohême, qui devient l'empereur François II lorsqu'il est élu roi des Romains le 5 juillet 1792, puis couronné empereur à Francfort le 14 juillet 1792, et qui deviendra ensuite François Ier, empereur d'Autriche, le 11 août 1804.


Conclusum pris par les députés au cercle du Haut-Rhin, assemblés à Francfort.

Traduction lue et délibérée en séance du 11 février 1790 de l'Assemblée nationale, Archives parlementaires, tome XI, p. 547.

    Il est notoire que l'Assemblée nationale du royaume de France, par les arrêtés du 4 août jusqu'au 11 août et du 2 novembre de l'année dernière a décrété indistinctement :
1° Que tous les droits et devoirs, prestations personnelles et réelles, et tous les cens provenant de la féodalité sont abolis sans indemnité ;
2° Que toutes les justices seigneuriales sont supprimées sans aucune indemnité ;
3° Que les dîmes de toute nature et redevances qui en tiennent lieu, possédées par les corps séculiers et réguliers, même par les bénéflciers, sont abolies ;
4° Que tous les privilèges particuliers des provinces, principautés, pays, cantons, villes et communautés d'habitants, soit pécuniaires, soit de toute autre nature, sont abolis sans retour ;
5° Que tous les revenus ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir aux frais du culte, à l'entretien de ses membres et au soulagement des pauvres.

Aussi grandes que seraient l'injustice et la violation des traités de paix subsistants entre l'Empire germanique et la couronne de France, si lesdits décrets pouvaient, ou par erreur ou à dessein, être étendus même sur les possessions que les États de l'Empire, ainsi que la noblesse et le clergé ont dans l'Alsace et la Lorraine ; aussi forts et manifestes paraissent être le devoir et l'intérêt des cercles de l'Empire de veiller soigneusement à la conservation de ses possessions et privilèges.

Par ce motif le cercle du Haut-Rhin s'occupa déjà sérieusement au commencement de ce siècle, en 1709, à l'occasion de la négociation d'alors, sur l'association des cercles, de faire valoir ses avis, afin que dans les articles de la paix dont il pourrait être question, on ne perde pas de vue la restitution des provinces de l'Empire, usurpées par la France contre l'évidence des traités antérieurs et qu'on fasse à cet effet des insinuations salutaires.

On s'estimerait, en conséquence, obligé, dans le cas présent, et fondé en droit à l'égard desdits arrêtés de l'Assemblée nationale de France :
1° De requérir très humblement, par une dénonciation expresse et par des remontrances tirées des considérations ci-dessus, Sa Majesté impériale qu'elle daigne accorder sa puissante protection et son assistance nécessaire, conjointement avec tout l'Empire, aux États inclusivement, la noblesse et le clergé, qui sont menacés de la perte sensible de leurs droits garantis par des traités solennels.
On trouverait de plus nécessaire :
2° De communiquer pour le même objet avec le cercle électoral et avec ceux de Franconie, de Souabe et de Westphalie, afin qu'ils s'unissent au cercle du Haut-Rhin, et qu'une résolution et des remontrances semblables de leur part fassent une impression plus forte auprès de l'Empereur et de l'Empire.
On croirait en même temps qu'il serait utile et favorable au but qu'on se propose :
3° Que les États et corps respectifs que les décrets de l'Assemblée nationale peuvent concerner, ne discontinuassent point, en attendant leur négociation près de la cour de France et ladite Assemblée, afin de détourner l'extension appréhendée des décrets, si contraire aux traités publics de paix, sur leurs possessions situées dans les deux provinces d'Alsace et de Lorraine ;
4° Qu'on priât, déjà de la part du cercle, Son Excellence le baron de Groschlag, ministre de France, d'insinuer provisoirement auprès de sa cour la forte attention que les arrêtés énoncés par Assemblée nationale doivent exciter près les cercles de l'Empire et près tous les corps germaniques.

[Extrait de la délibération.]

M, le comte de Mirabeau. La question peut être examinée sous les apports du droit naturel et sous ceux du droit public : j'aurais dit volontiers du droit public naturel et du droit public germanique. Vos principes ne sont pas d'accord avec le droit public germanique, mais bien avec la nature ; ainsi, sous ce premier rapport, la question serait bientôt décidée. Mais il faut l'examiner en droit public germanique ; il est nécessaire de connaître les faits et les actes, et personne, sans être préparé, ne pourrait répondre à l'érudit Conclusum des princes d'Allemagne. Comme le droit public germanique se trouve parmi les choses inutiles que j'ai apprises dans ma vie, je demande à prouver que, même d'après les principes germaniques, les réclamations ne sont pas fondées.
Je ne vois pas comment la nation pourrait être tenue d'une indemnité pour avoir agi suivant les principes du droit naturel, qui doivent être les principes de toutes les nations ; tout ce qu'on pourrait faire, par courtoisie pour l'auteur du
Conclusum, ce serait de lui envoyer la copie de nos décrets, car il les a mal lus.
Si la question doit être jugée en droit naturel, il n'y a pas lieu à délibérer ; si elle doit l'être en droit public germanique, il faut ajourner au plus prochain jour. [...]

(Renvoi au comité féodal.)


Décret relatif aux droits féodaux.

Séances du 8 février au 15 mars 1790. Le décret général est adopté le 15 mars.A. P., tome XII, p.172 et s.

Article 39.
Il est réservé de prononcer, s'il y a lieu :
« ...
3° sur les indemnités dont la nation pourrait être chargée envers les propriétaires de certains fiefs d'Alsace, d'après les traités qui ont réuni cette province à la France. »

Décret concernant les propriétaires de fiefs en Alsace.

Séance du 28 avril 1790, A.P., tome XV, p. 316.

Merlin de Douai :
« Par votre décret du 15 mars, vous avez renvoyé à votre comité féodal les réclamations de plusieurs propriétaires de fiefs en Alsace. Le comité a commencé son travail ; mais il aurait besoin de réunir beaucoup de renseignements ; le projet de décret suivant a pour objet de les lui procurer.

« L'Assemblée nationale, en conséquence de l'article 39 du titre II de son décret du 15 mars dernier, a décrété et décrète que le roi sera supplié de prendre des mesures pour qu'il soit remis à l'Assemblée un état détaillé et appuyé de pièces justificatives :
1. Des indemnités que les propriétaires de certains fiefs d'Alsace pourraient prétendre leur être dues par suite de l'abolition du régime féodal ;
2. Des différents droits pour raison desquels ils réclameraient ces indemnités ;
3. Des conditions de réversibilité ou autres sous lesquelles ils possèdent leurs fiefs. »

(Adopté.)

Rapport de Merlin de Douai

Séance du 28 octobre 1790, A.P., tome XX, p. 76 à 84.

Messieurs, depuis plus d'un d'un an, une question plus importante que difficile, agite vivement les esprits et sert de prétexte aux ennemis de la Constitution française pour menacer notre repos, et afficher des espérances plus insensées que coupables.
Il s'agit de déterminer l'effet que doivent avoir en Alsace les décrets de l'Assemblée nationale sur les droits dont les ci-devant seigneurs territoriaux de cette province jouissaient au moment de la Révolution.
Ces droits peuvent-ils être et sont-ils supprimés en Alsace, comme le sont dans les autres parties du royaume, tous ceux de la même nature ; et en cas qu'ils le soient en effet, leur suppression doit-elle ou ne doit-elle pas dopper lieu à des indemnités représentatives de leur valeur ? — Telle est, Messieurs, la question sur laquelle vous avez à délibérer ; — et vous sentez déjà qu'elle pourrait être résolue d'un seul mot, si mettant à l'écart tous ces traités, toutes ces
conventions, fruits des erreurs des rois ou des ruses de leurs ministres, et reconnaissant qu'il n'y a entre nous et vos frères d'Alsace, d'autre titre légitime d'union que le pacte social formé l'année dernière entre tous les Français anciens
et modernes dans cette assemblée même, vous vous attachiez sévèrement à n'être ici que ce que vous devez être, les organes inaltérables de la vérité, les défenseurs intrépides de la justice, les proclamateurs Incorruptibles des droits sacrés et inaliénables des nations.
Mais ce n'est pas sous ce point de vue que la question a été agitée dans tous les écrits qu'elle a fait naître jusqu'à présent ; et je serai obligé, pour vous la présenter dans son état actuel de discussion, de vous parler d'abord un langage que vous aurez peut-être de la peine à entendre ; car il est antique... c'est celui qu'on aurait parlé au commencement de l'année dernière ; et il y a eu, comme vous le savez, un intervalle immense entre le commencement et la fin de l'année dernière.
Je vais donc, puisqu'il faut suivre, dans l'examen de cette question, la route qui se trouve tracée devant moi, je vais consulter les actes passés dans le dernier siècle, relativement à l'Alsace, entre le chef de la nation française et le corps germanique ; je vais y chercher, avec les yeux de l'ancien régime, quels sont sur l'Alsace, et les droits de la France, et les droits des états d'empire qui y ont jusqu'à présent possédé des fiefs autrefois appelés régaliens.
Mais auparavant, il paraît nécessaire de jeter un coup-d'oeil sur la constitution politique de l'Alsace, au moment ou elle fut réunie à la France.
Tout le monde sait qu'alors l'Alsace faisait partie de l'Allemagne, et qu'elle formait une des portions intégrantes de l'empire germanique.
Aussi est-il généralement reconnu que le corps germanique, présidé par l'empereur, y exerçait ce que nous verrons tout à l'heure appeler supremum dominii jus, la souveraineté.
Mais en même temps on sait que sous cette souveraineté, s'exerçait une espèce de seigneurie fort étendue, qu'on nommait supériorité territoriale, et dont jouissaient des princes, des prélats, des villes mêmes, comme en jouissent encore en Allemagne les princes, les prélats, les villes qu'on appelle États d'Empire.
Qu'est-ce donc que la supériorité territoriale ? Nous ne pouvons mieux la définir qu'en transcrivant ici ce qu'en a dit le célèbre publiciste Obrecht dans sa lettre à Louis XIV, du 5 mai 1699 :
« Généralement parlant, la supériorité territoriale comprend tous les droits appelés seigneuriaux en France, et en outre la plupart de ceux de souveraineté, à l'exception de quelques-uns qui sont réservés à l'empereur. — Le domaine suprême ou la véritable souveraineté s'étend sur ces mêmes droits, avec cette différence, que le domaine suprême ou la souveraineté est indépendante, et que la supériorité territoriale lui est soumise et subordonnée dans l'exercice de tous les droits qu'elle renferme.
« Il y a de plus un certain concours entre la souveraineté et la supériorité territoriale, qui fait que ce que les États de l'Empire peuvent faire dans leurs territoires en venu de ladite supériorité, l'empereur et l'Empire le peuvent dans ces mêmes territoires en vertu de la souveraineté. — Par exemple, un prince de l'Empire, en vertu de la supériorité territoriale, peut fortifier une place qui lui appartient, et y mettre garnison ; mais ce pouvoir n'est pas indépendant, parce que l'empereur et l'Empire peuvent lui faire défense de continuer ces fortifications, ou en ordonner même la démolition, en cas qu'elles donnent de la jalousie aux voisins, qu'elles soient préjudiciables au repos ou à la sûreté de l'Empire, ou qu'il y eût quelque autre raison d'État de ne le pas souf frir. — Ce même pouvoir n'est pas sans concours, parce que, si on le trouve utile à l'État, la même place peut être fortifiée et pourvue de garnison de l'autorité de l'empereur et de l'Empire, sans que le prince à qui elle appartient y puisse former aucune opposition.
« Il est sans difficulté que les princes et États de l'Empire ont droit de faire des impositions ; mais si ces impositions sont nouvelles et exorbitantes, elles peuvent être, ou modérées, ou prohibées entièrement par l'autorité de la Chambre impériale, qui est en droit de connaître des plaintes des sujets, aussi bien que du droit de leurs supérieurs, et de leur rendre justice aux uns et aux autres ; et les supérieurs sont tenus de se soumettre à sa décision sans distinction et de quelque qualité qu'ils soient, électeurs, princes, comtes ou magistrats des villes de l'Empire.
« Il n'est pas moins certain qu'il peut être fait des impositions par l'autorité de l'empereur et de l'Empire, non seulement sur tous les électeurs, princes et États de l'Empire; mais aussi sur leurs sujets ; et qu'il dépend du choix d'une diette générale de faire des impositions sur lesdits États, même en leur permettant de cotiser leurs sujets, comme il se pratique par la voie des impositions des mois romains, ou de la faire immédiatement sur lesdits sujets, comme il s'est pratiqué autrefois par la voie d'une taxe générale qui s'appelle suivant le dernier commun...
« La supériorité territoriale doit céder en tout à la souveraineté ou au domaine suprême...
« Les électeurs et princes de l'Empire ne jouissent d'aucun péage qu'en vertu d'une concession de l'empereur et de l'Empire; et d'abord qu'un péage leur est accordé, ils le prennent en fief, de même que tous leurs autres droits régaliens. L'empereur est en outre le juge naturel, lorsqu'il y a quelque contestation sur la perception d'un péage et sur les circonstances qui la peuvent accompagner. »
C'est par ces principes qu'était régie l'Alsace, au moment où elle repassa sous la domination française, dont elle avait été détachée en 916.
Il est seulement à remarquer qu'alors Ferdinand II étant à la fois archiduc d'Autriche et empereur d'Allemagne, la supériorité territoriale d'une très grande partie de l'Alsace se trouvait réunie dans la même main que l'exercice des droits annexés à la dignité de chef suprême de l'Empire ; car c'était à la maison d'Autriche qu'étaient attachés le Landgraviat d'Alsace et la préfecture d'Hagueneau, deux dignités qui lui donnaient sur presque toute cette province l'autorité, la prééminence et les droits de la supériorité territoriale.
Je dis sur presque toute cette province, parce qu'il y en avait quelques parties dans lesquelles la supériorité territoriale était exercée par d'autres princes, par des prélats, par des chapitres, par des monastères et enfin par des villes.
Ces princes, ces prélats, ces corps étaient, comme l'énonce l'article 87 du traité de Munster, immédiatement soumis à l'Empire.
A ce titre, ils jouissaient de plusieurs droits régaliens ; mais comment en jouissaient-ils ? Souverainement ? Non, puisque, pour nous servir des termes déjà cités du célèbre Obrecht, la supériorité territoriale est soumise à la souveraineté ou domaine suprême, dans l'exercice de tous les droits qu'elle renferme ; et Obrecht ne peut être ici suspect à personne, puisque ses propres principes, sur cette matière, sont invoqués dans un mémoire publié depuis peu sous le titre d'Eclaircissements importants pour les princes d'Allemagne qui possèdent des terres régaliennes en Alsace, pages 4 et 5.
Telle était donc la constitution politique de l'Alsace, lorsqu'elle fut réunie à la France.

[Merlin rappelle ensuite les négociations du traité du Munster et le texte des articles pertinents, 73, 74 et 87 dans la numérotation de la traduction de Heiss, ou 74, 75, 76 et 92 dans la version reprise par le dictionnaire de Robinet. Il étudie ensuite longuement la manière dont les textes ont été exécutés par le conseil supérieur d'Alsace. Avant de conclure.]

La souveraineté de la nation française embrasse toutes les parties, tous les cantons, tous les points de l'Alsace.
Donc la souveraineté de la nation française domine en Alsace les ci-devant fiefs régaliens comme les autres possessions.
Donc les ci-devant fiefs régaliens ne peuvent former en Alsace que des propriétés privées, ou si l'on veut, des propriétés soumises à la volonté générale qui est la véritable et unique souveraine.
Donc la volonté générale peut exercer sur les ci-devant fiefs régaliens d'Alsace, le pouvoir que l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme attribue à la loi sur toutes les propriétés privées, celui de les supprimer, de les anéantir lorsque la nécessité publique l'exige, nécessité qui se rencontre certainement ici, puisque les premiers besoins d'une nation, qui veut assurer son existence, est de se donner une Constitution.

[Merlin examine alors le titre auquel la France doit la souveraineté sur l'Alsace. Ce n'est pas un traité, c'est la manière dont s'est formé le contrat social. Et il proclame le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.]

Le peuple alsacien s'est uni au peuple français parce qu'il l'a bien voulu. C'est donc sa volonté seule qui a ou consommé ou légitimé l'union. [...]

Des traités faits sans le concours des habitants de l'Alsace, n'ont pas pu assurer une existence légale à des droits que les habitants de l'Alsace n'avaient pas consentis. Des traités faits sans le concours du peuple français, n'ont pas pu le soumettre à des indemnités pour raison desquelles il n'a pris aucun engagement. Et en deux mots, ce n'est point par les traités des princes, que se règlent les droits des nations.

Mais si tel est, dans la discussion qui nous occupe, le cri d'une raison sévèrement juste, tel n'est peut-être pas le conseil de cette équité douce et bienfaisante qui doit sur tout être prise pour guide dans les rapports d'une nation avec ses voisins.
[C'est pourquoi, s'appuyant sur les décrets des 15 mars et 28 avril 1790, Merlin conclut en proposant d'indemniser les princes possessionnés pour certains droits déclarés rachetables.]

Nous ne craindrons donc pas de contrarier vos vues, nous nous flattons même de les seconder, en vous proposant de ne pas refuser à ces princes une indemnité qui, si elle n'est pas rigoureusement commandée par la justice, n'en sera que plus propre à manifester, dans toute l'Europe, l'esprit d'équité, de paix et de fraternité qui vous anime envers les puissances étrangères.

[Merlin présente le projet de décret émanant du comité féodal, mais Mirabeau, au nom du comité diplomatique propose une rédaction différente à laquelle Merlin se rallie, et l'Assemblée nationale adopte le décret suivant. Tome XX, p. 84]

Décret du 28 octobre 1790.

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités féodal et diplomatique, considérant qu'il ne peut y avoir dans l'étendue de l'Empire français, d'autre souveraineté que celle de la nation, déclare que tous ses décrets acceptés et sanctionnés par le roi, notamment ceux des 4, 6, 7, 8 et 11 août 1789, 15 mars 1790, et autres concernant les droits seigneuriaux et féodaux, doivent être exécutés dans les départements du Haut et du Bas-Rhin, comme dans toutes des autres parties du royaume.

« Et néanmoins, prenant en considération la bienveillance et l'amitié qui, depuis si longtemps unissent la nation française aux princes d'Allemagne, possesseurs de biens dans lesdits départements ;

« Décrète que le roi sera prié de faire négocier avec lesdits princes une détermination amiable des indemnités qui leur seront accordées pour raison des droits seigneuriaux et féodaux abolis par lesdits décrets, et même l'acquisition desdits biens, en comprenant dans leur évaluation les droits féodaux et seigneuriaux qui existaient à l'époque de la réunion de la ci-devant province d'Alsace au royaume de France ; pour être, sur le résultat de ces négociations, délibéré par l'Assemblée nationale dans la forme du décret constitutionnel du 22 mai dernier. »



Décrets du 4 avril 1791.

Premier décret.

L'Assemblée nationale, après avoir entendu ses comités des rapports militaire, ecclésiastique, diplomatique et des recherches, décrète ce qui suit :

Article premier.
Dans les départements où les ministres de la religion sont dans la nécessité d'employer plus d'un idiome pour donner aux peuples les secours spirituels, et même dans ceux des autres départements du royaume où, par des circonstances
particulières, il pourrait ne pas se trouver suffisamment de prêtres réunissant toutes les conditions requises par le décret du 7 janvier dernier, il suffira, pendant la présente année seulement, pour être éligible aux cures et appelé aux vicariats, d'être prêtre séculier ou régulier ; l'Assemblêe nationale dispensant à cet effet de la seule condition de temps de prêtrise exigé par l'article 2 du décret du 7 janvier dernier, et validant les élections et les choix déjà faits de semblables ecclésiastiques.

Article 2.
L'Assemblée nationale charge les municipalités et les corps administratifs de dénoncer, et les tribunaux de district de poursuivre diligemment toutes personnes ecclésiastiques ou laïques qui se trouveront dans les cas prévus par les articles 6, 7 et 8 du décret rendu le 27 novembre dernier, relativement à la prestation de serment des fonctionnaires publics ecclésiastique,et que les peines portées auxdits articles, et notamment la privation de leurs traitements, leur seront appliquées ; ordonne qu'après l'information et le décret, les tribunaux enverront à l'Assemblée nationale une copie de la procédure, pour être statué par elle sur les cas dont le jugement devra être attribué à la haute cour nationale établie à Orléans.
Charge son Président de porter le présent décret, dans le jour, à la sanction du roi.

Deuxième décret.

L'Assemblée nationale, après avoir entendu ses comités des rapports, des recherches, diplomatique, militaire et ecclésiastique, réunis, sur les troubles récemment survenus dans le département du Bas-Rhin, notamment dans la ville de Strasbourg, le 26 du mois dernier, et avoir pris connaissance des dénonciations, procès-verbaux, mandements, monitions canoniques, et autres pièces adressées, soit par les commissaires du roi près les départements du Rhin, soit par les corps administratifs, soit enfin par la municipalité de Strasbourg, décrète ce qui suit :

Article premier.
Qu'il y a lieu à accusation, tant contre le sieur Louis-René-Édouard, cardinal de Rohan, ci-devant évêque de Strasbourg, comme prévenu principalement d'avoir tenté, par diverses menées et pratiques, de soulever les peuples dans les départements du Haut et Bas-Rhin, et d'y exciter des révoltes contre les lois constitutionnelles de l'État, que contre les sieurs Joeglé, ci-devant curé de Saint-Laurent de Strasbourg ; Zipp, curé de Schierrieth, Ignace Zipp, son neveu, vicaire audit lieu ; Jean-Nicolas Wilhelm, homme de loi ; Étienne Durival, se disant ingénieur ; et la nommée Barbe Zimbert, femme du sieur Blaise Burkner, chantre à la cathédrale de Strasbourg, tous prévenus d'être les agents, complices, fauteurs et adhérents dudit sieur Louis-René- Édouard de Rohan qu'en conséquence, les mandements,
lettres pastorales, monitions canoniques, ensemble toutes les pièces qui y sont relatives, envoyées à l'Assemblée nationale, seront adressées à l'officier chargé des fonctions d'accusateur public près la haute cour nationale provisoire, séante à Orléans, pour, sur lesdites pièces et les faits résultant de la procédure, le procès être fait et parfait auxdits accusés, jusqu'à jugement définitif inclusivement.

Art. 2.
Qu'en exécution du présent décret, le roi sera prié de donner des ordres pour faire arrêter les personnes ci-dessus dénommées, et faire transférer, sous bonne et sûre garde, dans les prisons d'Or!léans, celles qui se trouvent déjà détenues.
Charge son président de porter, dans le jour, le présent décret à la sanction du roi.


Décret du 19 juin 1791, sur les indemnités prétendues par les princes possessionnés en Alsace et dans d'autres parties du royaume.

A. P., tome XXVII, p. 387.

M. d'André, au nom du comité diplomatique :

L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport du comité diplomatique, décrète que l'indemnité annoncée par le décret du 28 octobre 1790 en faveur des princes d'Allemagne, pour leurs possessions dans les départements du Haut et du Bas-Rhin, s'étendra également aux biens possédés dans les autres départements du royaume ; déclare, en outre, que son intention a été de comprendre dans ladite indemnité leur non-jouissance des droits supprimés sans indemnité, à partir de l'époque de leur suppression jusqu'à celle du remboursement effectif.
(Le projet est adopté.)


Note concernant les indemnités dues aux princes étrangers, possessionnés en France, présentée par M. de Montmorln, ministre des affaires étrangères.

Séance du 31 octobre 1791, tome XXXIV, p. 551-552.

Aussitôt que le décret du 28 décembre 1789 concernant l'indemnité à accorder aux princes étrangers possessionnés dans la ci-devant province d'Alsace, m'a été transmis, j'ai fait les démarches qui dépendaient de mon ministère pour en procurer l'exécution. J'ai, dans cette vue, invité toutes les parties intéressées à envoyer des fondés de pouvoirs à Paris. Mais le décret dont il s'agit laissait des doutes sur les deux points suivants. Il n'énonçait que les départements du Haut et du Bas-Rhin,tandis que plusieurs princes avaient des possessions dans d'autres départements ; d'un autre côté, il n'était fait aucune mention de l'indemnité due pour là non-perception, depuis le mois d'août 1789, des droits seigneuriaux et féodaux supprimés. Comme alors l'Assemblée nationale était constituante, et comme les différents pouvoirs étaient encore indéterminés, j'ai cru devoir demander au comité diplomatique la solution des deux doutes que je viens d'énoncer. Il me l'a donnée, eu m'observant que toutes les provinces étaient renfermées dans l'esprit du décret, et qu'il estimait que l'Assemblée étendrait les indemnités sur les revenus abolis et non perçus
C'est d'après ces bases que j'ai entamé des négociations avec les princes qui se sont montrés disposés à entrer en négociations ; savoir M. le duc de Deux-Ponts ;  M. le prince Maximilien, son frère ; M. le duc de Wurtemberg, et M. le prince de Lowenstein-Wertheim.
Les deux premiers ont demandé, comme une condition préliminaire, le remboursement des droits supprimés, non perçus depuis 1789 ; ils ont fourni des états à l'appui de cette demande ; ces états ont été communiqués au comité diplomatique pour avoir son avis.
Je lui ai communiqué également, et dans la même vue, le travail fait avec le plénipotentiaire de M. le duc de Wurtemberg, qui réclamait des indemnités pour les droits supprimés dans deux terres situées dans le département du Haut-Rhin et dans 8 situées dans le département du Doubs.
Ces communications ont été faites au commencement du mois d'avril de cette année ; mais le comité, avant de donner son avis au fond, juge devoir provoquer un décret de l'Assemblée nationale sur les 2 doutes que j'ai indiqués plus haut. Ce décret a été rendu le 19 juin de cette année. Ce n'est qu'à cette époque que les négociations suspendues, à la demande du comité, depuis le mois d'avril, ont pu être reprises, J'ai, en conséquence, pressé le comité de me donner son avis, tant sur la demande préliminaire de la maison de Deux-Ponts que sur le travail préparatoire concernant M. le duc de Wurtemberg. Je lui ai observé, de plus, qu'il serait convenable que j'eusse à ma disposition un million pour faire face aux Indemnités dues pour les revenus non perçus depuis le mois d'août 1789, sauf à rendre compte de l'emploi. Mes sollicitations sont demeurées sans effet ; au moyen de quoi la négociation avec les princes Palatins n'a point pu avoir de suite.
Quant à celle avec M le duc de Wurtemberg, elle a été suivie, malgré le silence du comité ; il a été ébauché un nouveau projet de convention. Ce projet a encore été communiqué au comité diplomatique ; il est également demeuré sans réponse de sa part, et la négociation n'a pu être terminée : elle va être reprise ; et j'ai lieu d'espérer que son résultat pourra incessamment être mis sous les yeux de l'Assemblée, M. le duc de Wurtemberg persistant dans l'intention de transiger.
Quant à M. le prince de Lowenstein-Werthelm, les points de l'indemnité qu'il a réclamée sont convenus et arrêtés, et ils seront incessamment portés à la connaissant de l'Assemblée nationale. Je les avais adresses à M. le président de la dernière Assemblée mais la multitude d'autres matières et la brièveté du temps ont été cause qu'ils n'ont pas été mis en délibération.
Le canton de Bâle a aussi réclamé des indemnités pour des dîmes et quelques droits utiles et honorifiques. Je suis tombé d'accord sur les bases avec le député que ce canton helvétique avait envoyé à Paris ; j'en ai adressé la note au comité diplomatique mais il ne me l'a point renvoyée ; ainsi, je me suis trouve dans l'impossibilité de terminer cet objet.  Le prince évêque de Bâle s'est aussi montré disposé à recevoir l'indemnité qui lui est due pour les dîmes qu'il possédait dans le département du Haut-Rhin mais les troubles survenus dans son pays l'ont empêché, jusqu'à présent, d'envoyer un fondé de pouvoirs.

Tous les autres princes possessionnés dans la ci-devant province d'Alsace ont décliné l'invitation du roi ; ils se sont adressés à l'empereur et à l'Empire, pour être réintégrés dans tous leurs droits tant utiles qu'honorifiques. La diète a accueilli leur demande ; elle a envoyé à la ratification de l'empereur le conclusum qu'elle a pris à cet égard. Cette ratification n'a pas encore été donnée ; mais il y a apparence qu'elle ne tardera pas à l'être ; et ce ne sera que par les démarches qui seront faites en conséquence, que nous pourrons connaître les vues et les intentions du corps germanique à l'égard de la France.

Décret relatif aux rassemblements des émigrés, à l'état actuel du corps diplomatique et aux indemnités dues aux princes de l'Empire possessionnés en France.

Rapport de Koch, au nom du comité diplomatique, séance du 29 novembre 1791, 29 novembre 1791, t. XXXV, p. 439 ; adoption, p. 443.

Je vous lirai donc, Messieurs, le projet de M. Daverhoult, tel qu'il vous est présenté par le comité diplomatique :

« L'Assemblée nationale, ayant entendu le rapport de son comité diplomatique, décrète qu'une députation de 24 de ses membres se rendra près du roi pour lui communiquer, au nom de l'Assemblée, sa sollicitude sur les dangers dont menacent la patrie les combinaisons perfides des Français, armés et attroupés au dehors du royaume, et de ceux qui trament des complots au dedans, ou excitent les citoyens à la révolte contre la loi, et pour déclarer au roi que l'Assemblée nationale regarde comme essentiellement convenable aux intérêts et à la dignité de la nation, toutes les mesures que le roi pourra prendre afin de requérir les électeurs de Trêves, Mayence, et autres princes de l'Empire qui accueillent des Français fugitifs, de mettre fin aux attroupements et aux enrôlements qu'ils tolèrent sur la frontière, et d'accorder réparation à tous les citoyens français, et notamment à ceux de Strasbourg, des outrages qui leur ont été faits dans leurs territoires respectifs ; que ce sera avec la même confiance dans la sagesse de ces mesures, que les représentants de la nation verront rassembler les forces nécessaires pour contraindre, par la voie des armes, ces princes à respecter le droit des gens, au cas qu'ils persistent à protéger ces attroupements et a refuser la justice qu'on réclame.

« Et enfin, que l'Assemblée nationale a cru devoir faire cette déclaration solennelle, pour que le roi fût à même de prouver, tant à la cour impériale qu'à la diète de Ratisbonne, et à toutes les cours de l'Europe, que ses intentions et celles de la nation française ne font qu'une.

« Décrète, en outre, que la même députation exprimera au roi que l'Assemblée nationale regarde comme une des mesures les plus propres a concilier ce qu'exige la dignité de la nation, et ce que commande sa justice, la prompte terminaison des négociations d'indemnités entamées avec les princes allemands possessionnés en France, en vertu de décrets de l'Assemblée nationale constituante ; et que les représentants de la nation, convaincus que les retards apportés aux négociations qui doivent assurer le repos de l'empire, pouvaient être attribués en grande partie aux intentions douteuses d'agents peu disposés à seconder les intentions loyales du roi, lui dénoncent le besoin urgent de faire dans le corps diplomatique les changements propres à assurer l'exécution fidèle et prompte de ses ordres.  »
(adopté)


Lettre que l'empereur a écrite au roi au sujet des princes possessionnés qui réclament des indemnités, ou qui réclament pour mieux dire le rétablissement de leurs droits en Alsace et en Lorraine.

Lettre datée du 3 décembre 1791, communiquée à l'Assemblée législative par M. Delessart, le ministre des affaires étrangères. Séance du 24 décembre 1791, A.P., tome XXXVI, p. 352 et s.

Léopold Il, empereur et roi des Romains, etc.
 Conformément à nos lois constitutionnelles, nous n'avons pas manqué de communiquer aux électeurs, princes et États de l'Empire d'une part, les plaintes des vassaux de notre Empire, que, d'après le voeu de noue collège électoral, nous avons porté amicalement à votre connaissance le 14 décembre dernier, et l'autre part la réponse que Votre Majesté y a faite. Plus nous nous étions appliqué à prendre en considération ce qui était relatif à cet égard, et plus nous devons regretter que cette réponse de Votre Majesté n'ait pas rempli notre juste attente. En effet, outre qu'elle était  rédigée dans un idiome qui n'est pas usité dans les affaires qui surviennent entre l'Empire et votre royaume, nous avons aussi remarqué que l'on y mettait s'il pouvait être permis aux vassaux de l'Empire d'implorer une intervention auprès de la diète à l'effet de leur assurer, vis-à-vis de votre Couronne, la continuation de cette même protection de l'empereur et de l'Empire qui avait protégé leurs intérêts lors des pacifications publiques.
 A en juger par le contenu de sa réponse, Votre Majesté, supposait sans doute que les possessions de nos vassaux sur lesquelles il y a contestation, ont été soumises à la suprématie de votre Couronne ; de manière qu'il lui est libre d'en disposer selon que l'utilité publique semble le désirer, pourvu qu'il soit accordé une juste indemnité aux lésés. Mais pour peu que Votre Majesté veuille bien examiner plus attentivement les pacification publiques dont il s'agit, ainsi que tous les autres traités qui ont été conclus entre l'Empire et la France depuis 1648, il n'échappera sûrement point à sa perspicacité que cette supposition ne saurait avoir lieu.
 L'on y voit en effet, très clairement, d'une part, quelles sont les terres qui, jusqu'à présent, ont été transportées sous la suprématie de votre Couronne, en vertu du consentement des empereurs et des ordres de l'Empire, et de l'autre part que les possessions de nos vassaux, situées en Alsace, en Lorraine et ailleurs, qui n'ont pas été transportées à votre couronne par l'effet d'un pareil consentement doivent demeurer dans leurs anciens rapports avec notre Empire et ne peuvent, par conséquent, être soumises à aucune des lois de votre royaume. Mais à l'égard même des districts, dont la cession est le plus expressément stipulée dans les traités, la France ne peut ignorer que ces traités ont mis l'exercice de votre suprématie, à l'égard des vassaux de l'Empire, différentes restrictions soit au spirituel, soit au civil, lorsqu'elles ne peuvent en aucune façon être renversées arbitrairement par l'effet de nouveaux décrets de votre nation.
Nous avons donc toute raison de nous plaindre des dérogations qu'à partir, du commencement du mois d'août 1789, on a fait souffrir auxdits traités, et les lésions qui s'en sont suivies au préjudice de nos droits, de ceux de l'Empire et de nos vassaux. Et nous reconnaissons, en conséquence, que nous sommes obligé, non seulement d'interposer en leur faveur la protestation la plus solennelle, tant en notre nom qu'en celui de l'Empire, mais aussi à porter aux lésés tous les secours que la dignité de la couronne impériale et le maintien de la Constitution actuelle de l'Empire exigent.
Telle est la résolution dont nous sommes convenus avec les États de notre Empire, et nous nous empresserions de l'exécuter de la manière la plus efficace, si les sentiments de justice et d'équité de Votre Majesté, qui nous sont parfaitement connus, ne nous laissaient pas, l'espoir d'obtenir par une négociation amiable, en faveur des vassaux de notre Empire, une réintégration plénière et conforme aux dispositions de ces traités.
La prudence de Votre Majesté apercevra facilement les atteintes que porterait au titre en vertu duquel différentes contrées de l'Alsace et de la Lorraine lui ont été successivement transportées, la violation des promesses synallagmatiques faites réciproquement à notre Empire par votre Couronne, et garanties par cette dernière elle-même. Elle découvrira facilement les suites incalculables que produirait, tant en Europe que dans les autres parties du monde où il existe des nations qui ont traité avec la vôtre, une preuve aussi manifeste que la France, sans avoir aucun égard à la sainteté des promesse publiques, se croit permis de les violer dès que son propre intérêt le lui fait juger convenable.
 Le désir que vous avez de faire observer la justice entre les nations et de maintenir les rapports de bonne amitié qui subsistent entre votre royaume et notre Empire, l'emportera sans doute sur cette prétendue dignité qui ne pourrait être obtenue qu'au détriment des traités et ne nous permet point de dissimuler que les instances que nous vous renouvelons aujourd'hui, tant en notre nom qu'en celui de l'Empire, ont pour objet que Votre Majesté effectue la cessation de toutes les innovations qui ont été entreprises depuis le commencement du mois d'août 1789, en tant qu'elles touchent les États et vassaux de notre Empire, qu'elle opère le rétablissement de ces derniers dans la jouissance de tous les revenus qui leur ont été enlevés, et enfin qu'il en résulte le retour de toutes choses sur le pied que les traités ont déterminés.
 Nous prions Votre Majesté de nous faire savoir si telle est son intention efficace. Plus sa réponse sera prompte et conforme aux usages reçus, et moins nous aurons de doute sur la sincérité de son désir et de celui de sa nation à
cultiver avec l'Empire les rapports de paix et de bonne amitié. Nous lui souhaitons tout ce qui peut contribuer à son bonheur.

Donné à Vienne, le 3 décembre 1791.

Décret contre les Français qui prendraient part à quelque congrès ou médiation tendant à modifier la constitution française.

Séance du 14 janvier 1792, tome XXXVII, p. 415-416.

L'Assemblée nationale, considérant que, dans un moment où la liberté du peuple français est menacée de toutes parts, il importe que les représentans du peuple écartent, par tous les moyens qui sont en leur pouvoir, les efforts dirigés contre la constitution française, décrète qu'il y a urgence.
L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit :
L' Assemblée nationale déclare infâme, traitre à la patrie, et coupable du crime de lèse-nation, tout agent du pouvoir
exécutif, tout Français qui pourrait prendre part directement ou indirectement, soit à un congrès dont l'objet serait d'obtenir la modification de la constitution française, soit à une médiation entre la nation française et les rebelles conjurés contre elle, soit enfin à une composition avec les puissances possessionnées dans la ci-devant province d'Alsace, qui tendrait à leur rendre, sur notre territoire, quelqu'un des droits supprimés par l'Assemblée nationale constituante, sauf une indemnité conforme aux principes de la constitution.
L'Assemblée nationale décrète que cette déclaration sera portée au Roi par une députation, et qu'il sera invité à la
faire connaître aux puissances de l'Europe, en leur annonçant, au nom de la nation française, que, résolue à maintenir sa constitution tout entière, ou à périr tout entière avec elle, elle regardera comme ennemi, tout prince qui
voudrait y porter atteinte.

Décret relatif aux dispositions hostiles de l'Autriche.

Sur la proposition de Hérault de Séchelles, amendée par Brissot.
Séance du 25 janvier 1792, tome XXXVII, p. 657.


L'Assemblée nationale, considérant que l'empereur, par sa circulaire du 25 novembre 1791, par la conclusion d'un
nouveau traité arrêté entre lui et le roi de Prusse, le 25 juillet 1791, et notifié à la diète de Ratisbonne le 6 décembre ;
par sa réponse au roi des Français, sur la notification à lui faite de l'acceptation de l'acte constitutionnel, et par l'office
de son chancelier de cour et d'État, en date du 21 décembre 1791, a enfreint le traité du 1er mai 1756, et cherché à exciter entre diverses puissances un concert attentatoire à la souveraineté et à la sûreté de la nation ;
Considérant que la nation française, après avoir manifesté sa résolution de ne s'immiscer dans le gouvernement d'aucune nation étrangère, a le droit d'attendre pour elle-même une juste réciprocité, à laquelle elle ne souffrira jamais qu'il soit porté la moindre atteinte ;
Applaudissant à la fermeté avec laquelle le roi des Français a répondu à l'office de l'empereur ;
Après avoir entendu le rapport de son comité diplomatique, décrète ce qui suit :
Art. premier. Le Roi sera invité, par une députation, à déclarer à l'empereur qu'il ne peut traiter avec aucune puissance, qu'au nom de la nation française, et en vertu des pouvoirs qui lui sont délégués par la Constitution.
2. Le Roi sera invité à demander à l'empereur, si, comme chef de la maison d'Autriche, il entend vivre en paix et
bonne intelligence avec la nation française, et s'il renonce à tous traités et conventions dirigés contre la souveraineté,
l'indépendance et la sûreté de la nation.
3. Le Roi sera invité à déclarer à l'empereur qu'à défaut par lui de donner à la nation, avant le 1er mars prochain, pleine et entière satisfaction sur tous les points ci-dessus rapportés, son silence, ainsi que toutes réponses évasives ou dilatoires seront regardés comme une déclaration de guerre.
4. Le Roi sera invité à continuer de prendre les mesures les plus promptes pour que les troupes françaises soient en état d'entrer en campagne au premier ordre qui leur en sera donné.

Rapport de M. Koch.

Séances du 1er février, tome XXXVIII, p. 66 et s. ; suite de la discussion, le 25 février (voir t. XXXIX, p. 89 et s. ; puis le 1er mars, t. XXXIX. p. 234.

M. Koch, au nom du comité diplomatique, fait un rapport et présente un projet de décret sur la lettre de l'empereur Léopold, écrite au roi en conséquence du conclusum de la Diète générale de l'Empire. Il s'exprime ainsi :
Messieurs, vous avez chargé votre comité diplomatique de vous rendre compte de la lettre de l'empereur Léopold, écrite au roi en conséquence du conclusum de la Diète, relatif aux changements que notre Révolution a entraînés en Alsace et en Lorraine.
Si votre comité a séparé cet objet de l'office de l'empereur, concernant les émigrés et l'électeur de Trêves, et s'il en fait, aujourd'hui, la matière d'un rapport particulier, c'est qu'il a pensé que ces deux objets, n'ayant rien de commun entre eux, exigeaient, par leur importance et par leur étendue, d'être traités séparément ; qu'en les confondant, on ne ferait que servir la cause des émigrés, des ennemis de la Constitution, qui ont toujours fondé leurs espérances sur nos différends avec les princes étrangers possessionnés en France, ainsi que sur la protection que le corps germanique pourrait leur accorder.
Enfin, votre comité, en vous proposant de prier le roi de demander à l'empereur des explications précises qui puissent promptement rassurer la nation sur les intentions pacifiques de ce principe, n'a pas cru devoir y comprendre un objet qu'il n'est pas permis à l'empereur de traiter sans la Diète et qui, dès lors, ne peut pas manquer d'être assujetti à toutes les lenteurs des formes germaniques.
Avant d'entrer dans l'examen de la lettre de l'empereur, et du conclusum de la Diète de Ratisbonne, il est nécessaire, Messieurs, de rappeler ici les faits qui ont précédé, qui ont amené le différend qui existe aujourd'hui entre nous et le corps germanique.
L'Alsace et la Lorraine sont des provinces démembrées de l'empire d'Allemagne. Avant la Révolution, elles renfermaient dans leur sein de nombreux seigneurs, tant ecclésiastiques que séculiers, des villes et une noblesse, ci-devant immédiates de l'Empire, qui jouissaient, sous la souveraineté française, de grands droits régaliens et seigneuriaux dans lesquels ils ont été maintenus par les traités et par des lettres patentes que plusieurs parmi eux ont obtenues de la munificence de nos rois.
Les uns, dont le siège était fixé en France, et où leurs principales possessions étaient situées, reconnaissaient, quant à leurs personnes, la souveraineté du royaume ; les autres, tels que les électeurs de Trêves et de Cologne, l'électeur palatin [co-seigneur du comté de la Petite-Pierre], le landgrave de Hesse-Darmstadt, le duc de Wirtemberg, le duc des Deux-Ponts et le prince Maximilien, son frère, le margrave et les princes de Bade, les  princes de Linange, de Salm de Lewenstein, de Hohenlohe, de Wied-Runckel, les évêques de Spire et de Bâle, le prince grand-maître de l'Ordre Teutonique, le grand-prieur de l'Ordre de Saint-Jean, prince d'Empire, tous membres intégrants du corps germanique ne relevaient de la souveraineté française que relativement a une partie de leurs possessions, situées en Alsace, en Lorraine et en Franche-Comté.
Lors de l'ouverture des États généraux en 1789, les premiers y ont comparu, soit en personne, soit par leurs représentants, et ont concouru à la formation de ces États en Assemblée nationale constituante, les autres n'ont pris aucune part aux délibérations qui ont régénéré notre gouvernement.
L'abolition du régime féodal, incompatible avec les bases de la nouvelle Constitution, ayant dû nécessairement étendre ses effets sur toutes les parties de l'Empire français, les décrets des 4, 6, 7, 8, 11 août 1789, et du 15 mars 1790, ont trouvé leur exécution dans les ci-devant provinces d'Alsace et de Lorraine, comme dans tout le reste du royaume, et le décret du 12 juillet 1790 relatif à la constitution civile du clergé, en consacrant le principe qu'aucun évêque étranger ne peut continuer d'exercer sur des citoyens français une autorité qui ne prend point sa source dans la souveraineté nationale, a fait perdre, par son application nécessaire à toutes les parties du royaume, aux archevêques de Mayence et de Trèves, aux évêques de Spire et de Bâle, la juridiction métropolitaine et diocésaine dont ils jouissaient ci-devant en France et qui leur était pareillement conservée par les traités.
Il n'est pas surprenant Messieurs, que ces différents changements dans l'ordre civil et ecclésiastique, suites naturelles et indispensables de notre Révolution, aient excité les réclamations des États de l'Empire qui se sont trouvés lésés dans leurs droits ; il n'est pas surprenant que ces États aient porté leurs plaintes tant à l'assemblée du cercle du Haut Rhin, dont la plupart d'entre eux sont membres qu'à la Diète générale de l'Empire. Mais ce qui, sans doute, pourrait vous étonner, Messieurs, si, après les victoires honorables, que notre Révolution à remportées sur les préjugés, vous ne deviez vous attendre à tous les écarts du fanatisme et de l'aristocratie, c'est de voir paraître au nombre des États qui ont adressé leurs mémoires et leurs griefs à la Diète de Ratisbonne le cardinal évêque de Strasbourg, membre de l'Assemblée nationale constituante ; d'y voir le grand chapitre de Strasbourg, tout le clergé de la Basse-Alsace, les abbés de Nurbach et de Munster, l'abbesse d'Andlau, la noblesse de la Haute et de la Basse-Alsace, qui ne tenaient plus par aucun lien au corps germanique [...].

Projet de décret, id. p. 80.
Répété en séance du 25 février 1792, tome XXXIX, p. 89.


« L'Assemblée nationale, considérant que la souveraineté de la nation française est indivisible et indépendante dans toute l'étendue du territoire français ; qu'elle est reconnue et assurée à l'égard des ci-devant provinces de Lorraine et d'Alsace, par les traités faits avec l'empereur et l'Empire, et que les droits réservés à quelques princes de l'Empire, par ces traités, n'en peuvent ni limiter ni contrarier le plein et entier exercice.
Qu'il serait contre la dignité de la nation française de souffrir que son droit de souveraineté sur ces provinces fût remis en question, et, à bien plus forte raison, de céder à des prétentions incompatibles avec cette souveraineté, et dont le but, est visiblement de la compromettre ;
« Après avoir entendu le rapport de son comité diplomatique, délibérant sur le conclusum de la diète et la lettre de l'empereur au roi ;
« Déclare, en conformité des décrets rendus par l'Assemblée constituante les 28 octobre 1790 et 19 juin 1791, et de son propre décret du 14 de ce mois, que les lois concernant l'abolition des droits seigneuriaux et féodaux dans toute l'étendue de l'Empire français doivent recevoir leur pleine et entière exécution à l'égard des princes et des États de l'Empire comme de tous autres possesseurs.
« En conséquence, décrète que le roi sera prié de faire suivre les négociations entamées avec les princes possessionnés en Alsace et en Lorraine, de manière qu'il soit incessamment pourvu à l'indemnité qui leur a été accordée par les précédents décrets, par tous les moyens compatibles avec les principes de la justice et de la Constitution française. »

Séance du 25 février 1792, tome XXXIX, p. 89 à 98.
[M. Mailhe discute longuement des articles du traité de Munster et propose le décret suivant : ]


« Art. 1er. Il sera rédigé une déclaration historique et raisonnée, contenant les dispositions des traités, et les divers principes qui ont irrévocablement assuré à la nation française sa souveraineté sur toutes les parties de l'Alsace et de
la Lorraine.
« Art. 2. Le roi sera invité à communiquer cette déclaration aux divers États de l'Empire.
« Art. 3. Il sera invité aussi à presser les négociations avec les princes allemands qui se sont présentés, ou qui se présenteront pour faire régler les indemnités pécuniaires qui leur ont été offertes pour raison de leurs possessions en Alsace et en Lorraine, par les décrets des 28 octobre 1790 et 19 juin 1791.
« Art. 4. Ceux desdits princes qui, d'ici au 1er juin prochain, n'auront pas fait entamer la négociation avec le roi, seront censés avoir renoncé auxdites indemnités, qui ne doivent être considérées que comme un témoignage de la bienveillance et de l'amitié qui unissaient depuis longtemps la France aux princes d'Allemagne possessionnés en Alsace. »

Déclaration de guerre.

Séance du 20 avril 1792, t. XLII, p. 195-199.

Un huissier, à l'entrée de la salle, du côté droit : « Messieurs, voilà le roi. »

Tous les membres de l'Assemblée se lèvent et se découvrent.

(Le Roi entre accompagné des vingt-quatre commissaires de l'Assemblée et suivi de ses ministres. Un profond silence règne dans toutes les parties de la salle. Le roi monte au bureau et se place au fauteuil qui lui est préparé à côté et à la gauche du président. Le roi et le président s'asseoient. Tous les membres de l'Assemblée, qui étaient demeurés debout, reprennent leurs places. Les ministres restent debout autour du roi.)

Le Roi : Je viens, Messieurs, au milieu de l'Assemblée nationale pour un des objets les plus importants qui doivent occuper l'attention des représentants de la nation. Mon ministre des affaires étrangères va vous lire le rapport qu'il a fait dans mon conseil, sur notre situation politique.

M. Dumouriez, ministre des affaires étrangères, placé debout à la gauche du roi et un peu au-dessous, donne lecture du rapport fait au conseil, le 18 avril 1792, l'an IVe de la liberté, il est conçu en ces termes :

« Lorsque vous avez juré de maintenir la Constitution qui a assuré votre couronne, lorsque votre cœur s'est sincèrement réuni à la volonté d'une grande nation libre et souveraine, vous êtes devenu l'objet de la haine des ennemis de la liberté.

« L'orgueil et la tyrannie ont agité toutes les cours ; aucun lien naturel, aucun traité n'a pu arrêter leur injustice ; vos anciens alliés vous ont effacé du rang des despotes, mais les Français vous ont élevé à la dignité glorieuse et solide de chef suprême d'une nation régénérée.

« Vos devoirs sont tracés par la loi que vous avez acceptée, et vous les remplirez tous. La nation française est calomniée ; sa souveraineté est méconnue ; des émigrés rebelles trouvent un asile chez nos voisins, ils s'assemblent sur nos frontières, ils menacent ouvertement de pénétrer dans leur patrie, d'y porter le fer et la flamme. Leur rage serait impuissante, ou peut-être aurait déjà fait place au repentir, s'ils n'avaient pas trouvé l'appui d'une puissance qui a brisé tous ses liens avec nous, dès qu'elle a vu que notre régénération changerait la forme de notre alliance avec elle, et la rendrait nécessairement plus égale.

« Depuis 1756, l'Autriche avait abusé d'un traité d'alliance que la France avait toujours trop respecté. Ce traité avait épuisé, depuis cette époque, notre sang et nos trésors dans des guerres injustes que l'ambition suscitait, et qui se terminaient par des traités dictés par une politique tortueuse et mensongère, qui laissait toujours subsister des moyens d'exciter de nouvelles guerres.

« Depuis cette fatale époque de 1756, la France s'avilissait au point de jouer un rôle subalterne dans les sanglantes tragédies du despotisme ; elle était asservie à l'ambition toujours inquiète, toujours agissante, de la maison d'Autriche, à qui elle avait sacrifié ses alliances naturelles.

« Dès que la maison d'Autriche a vu, dans notre Constitution, que la France ne pourrait plus être le servile instrument de son ambition, elle a juré la destruction de cette œuvre de la raison ; elle a oublié tous les services que la France lui avait rendus ; enfin, ne pouvant plus dominer la nation française, elle est devenue son ennemie implacable,

« La mort de Joseph II semblait présager plus de tranquillité de la part de son successeur Léopold, qui, ayant appelé la philosophie dans son gouvernement de Toscane, paraissait ne devoir s'occuper que de réparer les calamités que l'ambition démesurée de son prédécesseur avait attirées sur ses États. Léopold n'a fait que paraître sur le trône impérial, et cependant c'est lui qui a cherché sans cesse à exciter contre nous toutes les puissances de l'Europe.

« C'est lui qui a tracé dans les conférences de Padoue, de Reichenback, de la Haye et de Pilnitz, les projets les plus funestes contre nous, projets qu'il a couverts, Sire, du prétexte avilissant d'une fausse compassion pour Votre Majesté, pendant que vous déclariez à tout l'univers que vous étiez libre, pendant que vous déclariez que vous aviez accepté franchement et que vous soutiendriez de tout vôtre pouvoir la Constitution. C'est alors que calomniant la nation dont vous êtes le représentant héréditaire, et vous faisant l'outrage de feindre de ne pas croire à votre liberté et à la pureté de vos intentions, ce prince employait tous les ressorts d'une politique sombre et astucieuse pour grossir le nombre des ennemis de la France, sous les prétextés les moins faits pour autoriser une ligue aussi menaçante.

« C'est Léopold qui, lié depuis longtemps avec la Russie pour partager les dépouilles de la Pologne et de la Turquie, a détaché de notre alliance ce roi du Nord, dont l'inquiète activité n'a pu être arrêtée que par la mort, au moment où il allait devenir l'instrument de la fureur de la maison d'Autriche.

« C'est Léopold qui a animé contre la France ce successeur de l'immortel Frédéric, contre lequel, par une fidélité à des traités imprudents, nous avions, depuis près de quarante ans, défendu la maison d'Autriche.

« C'est Léopold qui s'est déclaré le chef d'une ligue qui tend au renversement de notre Constitution ; c'est lui qui, dans des pièces officielles que l'Europe jugera, invite une partie de la nation française à s'armer contre l'autre, cherchant à réunir sur la France les horreurs de la guerre civile aux calamités de la guerre extérieure.

« Tels sont les attentats de l'empereur Léopold contre une nation généreuse, qui, même depuis sa régénération, respectait ses traités, quelque désavantageux et quelque funestes qu'ils lui fussent.

Il est nécessaire de rapporter à Votre Majesté une note officielle du 18 février, du prince de Kaunitz, parce que cette note est la dernière pièce de négociation entre l'empereur Léopold et Votre Majesté.

« C'est dans cette note officielle du 18 février, surtout, que ses projets hostiles sont à découvert ; cette note, qui est une, véritable déclaration de guerre, mérite un examen réfléchi.

« Le prince de Kaunitz, qui est l'organe de son maître, commence par dire, que jamais intention impartiale et pacifique n'a été plus clairement énoncée et constatée que celle de Sa Majesté impériale dans l'affaire des rassemblements au pays de Trêves.

« A la vérité, la cour de Vienne avait alors fait sortir des Pays-Bas les émigrés armés, de peur que le ressentiment des Français ne les portât à entrer dans les provinces belges, où s'étaient faits les premiers rassemblements ; où les rebelles tiennent encore un état-major d'officiers généraux en uniforme et avec la cocarde blanche, à la cour même de Bruxelles ; où, contre les capitulations et cartels, on recevait et on reçoit encore journellement des bandes nombreuses, et même des corps entiers, avec armes, bagages, officiers, drapeaux et caisses militaires ; donnant ainsi une injuste protection à la désertion la plus criminelle, accompagnée de vols et de trahisons.

« Dans le même temps, la cour de Vienne, sur la demande irrégulière de l'évêque de Bâle, établissait une garnison dans le pays de Rentrouvrit, pour s'ouvrir une entrée facile dans le département du Doubs ; violant, par l'établissement de cette garnison, le territoire du canton de Bâle ; violant les traités qui mettent le pays de Porrentruy sous la garantie de ce canton et de la France.

« Dans le même temps, la cour de Vienne augmentait considérablement ses garnisons dans le Brisgaw.

« Dans le même temps, la cour de Vienne donnait des ordres au maréchal de Bender de se porter avec ses troupes dans l'électorat de Trèves, au cas où les Français s'y porteraient pour dissiper les rassemblements de leurs rebelles émigrés. A la vérité, la cour de Vienne semblait prescrire à l'électeur de Trêves, de ne plus tolérer ces rassemblements. A la vérité, aussi, ce prince ecclésiastique semblait, pour un moment, être dans l'intention de dissiper ces attroupements. Mais tout cela n'était qu'illusoire ; on cherchait à abuser votre ministre à Trêves par des mensonges, et à l'intimider par des outrages. Les attroupements ont recommencé à Coblentz en plus grand nombre ; leurs magasins sont restés dans le même état, et la France n'a vu dans cette affaire qu'un jeu perfide, des menaces et de la violence.

« M. de Kaunitz ajoute que la nature et le but légitime des propositions de concert, faites par l'empereur au mois de juillet 1791, aussi bien que la modération et l'intention amicale de celle qu'il fit au mois de novembre suivant, n'ont pu échapper à la connaissance du gouvernement français.

« Cet aveu du prince de Kaunitz confirme les desseins hostiles de la cour de Vienne ; il prouve qu'au mépris de son alliance, elle provoquait les autres puissances de l'Europe à former contre la France une ligue offensive, qui n'est que suspendue par la lettre circulaire du prince de Kaunitz du 12 novembre.

« M. de Kaunitz dit ensuite « que toute l'Europe est convaincue, avec l'empereur, que ces gens notés par la dénomination du parti jacobin, voulant exciter la nation, d'abord à des armements, et puis à sa rupture avec l'empereur, après avoir fait servir des rassemblements dans les états de Trêves, de prétexte aux premiers, cherchent maintenant d'amener des prétextes de guerre par les explications qu'ils ont provoquées, avec Sa Majesté impériale, d'une manière et accompagnées de circonstances calculées visiblement à rendre difficile à ce prince de concilier dans ses réponses les intentions pacifiques et amicales qui l'animent, avec le sentiment de sa dignité blessée, et de son repos compromis par les fruits de leurs manœuvres. »

« Cette phrase obscure contient une fausseté et une injure. Ce que M. de Kaunitz désigne par des gens, c'est l'Assemblée nationale, c'est la nation entière, exprimant son vœu par ses représentants. Ce n'est point un club qui a demandé des explications catégoriques ; et on voit, dans la distinction que fait le ministre autrichien, le projet perfide de représenter la France comme en proie à des factions qui ôtent tous moyens de négocier avec elle. Le reste de cette noté est une explosion de son humeur contre ce qu'il nomme le parti des Jacobins, qu'il qualifie de secte pernicieuse.

« La mort de l'empereur Léopold aurait dû amener d'autres principes de négociation ; mais le système profondément ambitieux de la maison d'Autriche est toujours le môme, et le changement des princes qui gouvernent n'y apporte aucune variation.

« Le roi de Bohême et de Hongrie, sollicité de répondre catégoriquement, pour faire cesser les inquiétudes des deux nations, et pour opérer la tranquillité de l'Europe, a fait connaître ses dernières résolutions à Votre Majesté, par une dernière note du prince de Kaunitz, datée du 18 mars.

« Comme cette note est l'ultimatum de la cour de Vienne, comme elle est encore plus provocante que toutes les autres pièces de cette négociation, elle mérite aussi un examen réfléchi.

« Le premier mot de cette note est une injure artificieuse ; le gouvernement français ayant demandé des éclaircissements catégoriques, etc., etc.

« Sire, il n'est donc plus question du roi des Français ! M. de Kaunitz vous sépare de la nation, pour faire croire que vous n'êtes pas libre, que vous n'êtes pour rien dans les négociations, que vous n'y prenez aucun intérêt. L'honneur de Votre Majesté est engagé à démentir cette perfide insinuation.

« M. de Kaunitz dit ensuite : mais à plus forte raison convenait-il à la dignité de grandes puissances de réfuter avec franchise, et de ne point traiter d'insinuations confidentielles qui puissent être dissimulées dans la réponse des imputations et des interprétations auxquelles se trouvaient mêlés les mots de paix ou guerre, et accompagnés de provocations de tous genres.

« Certainement le ministre des affaires étrangères doit regretter d'avoir placé dans une telle négociation des insinuations confidentielles ; mais il ne pouvait pas imaginer que le prince de Kaunitz aurait la perfidie de les tronquer et de les dénaturer pour en abuser. Et si la négociation reprenait une tournure pacifique, la première démarche de Votre Majesté serait de demander au roi des Bohême et de Hongrie la punition d'un premier ministre infidèle, qui, par ses abus de confiance, s'est efforcé d'aliéner le cœur de ce jeune monarque, et de rendre irréconciliables deux nations faites pour s'estimer.

« Le prince de Kaunitz parle ensuite de la justice des motifs sur lesquels se fondent les explications données par ordre de feu l'empereur ; et il ajoute que le roi de Hongrie adopte complètement sur ce point les sentiment de son père. Il dit ensuite qu'on ne connaît point d'armement et de mesure, dans les États autrichiens, qui puissent être qualifiés de préparatifs de guerre. Le contraire est prouvé : le concert des puissances est connu ; les armées autrichiennes s'assemblent ; des places fortes s'élèvent ; les camps sont tracés; les généraux et les armées sont désignés, et le prince de Kaunitz oppose à tant de faits une dénégation dénuée de toute vraisemblance. C'est à nous qu'il dit que les troubles des Pays-Bas sont suscités par les exemples de la France et par les coupables menées des Jacobins : comme si les troubles des Pays-Bas n'avaient pas précédé la Révolution française I comme s'il avait pu oublier que l'Assemblée constituante avait refusé de prendre aucune part à ces troubles !

« M. de Kaunitz ajoute : quant au concert dans lequel feue Sa Majesté impériale s'est engagée avec les plus respectables puissances de l'Europe, le roi de Hongrie et de Bohême ne saurait anticiper sur leurs opinions et sur leur détermination commune ; mais toutefois il ne croit point qu'elles jugeront convenable ou possible de faire cesser ce concert avant que la France ne fasse cesser les motifs graves et légitimes qui en ont ou provoqué ou nécessité l'ouverture.

« Voilà donc le roi de Bohême et de Hongrie accédant à la ligue formée par son père contre la France, déclarant que cette ligue doit durer jusqu'à ce que nous ayons soumis notre Constitution à son jugement, à sa révision ! le voilà donc avouant un traité qui rompt formellement celui de 1756 !

« M. de Kaunitz dit ensuite : Mais dussent leurs desseins et leurs artifices prévaloir, Sa Majesté se flatte que du moins la partie saine et principale de la nation envisagera alors comme une perspective consolante d'appui, l'existence d'un concert dont les vues sont dignes de sa confiance, et de la crise la plus importante qui ait jamais affecté les intérêts communs de l'Europe.

« On ne dissimule pas même, dans ces perfides expressions, le projet d'armer les citoyens contre les citoyens. C'est ainsi que ce ministre octogénaire lance au milieu de nous, d'une main débile, le tison de la guerre civile.

« Non, Sire, les Français ne se désuniront pas : lorsque la France sera en danger, beaucoup d'émigrés quitteront les étendards criminels qu'ils ont suivis, rougiront de leurs erreurs, et viendront les expier en combattant pour la patrie. Votre Majesté donnera l'exemple du civisme en ressentant les injures qui sont faites à la nation.

« Lorsque vous m'avez chargé du ministère des affaires étrangères, j'ai dû remplir la confiance de la nation et la votre, en employant en votre nom le langage énergique de la raison et de la vérité. Le ministre de Vienne se voyant trop pressé par une négociation pleine de franchise, s'est renfermé en lui-même, et s'est référé à cette note du 18 mars, dont je viens de vous présenter l'analyse. Cette note est une véritable déclaration de guerre ; les hostilités n'en sont que la conséquence : car l'état de guerre ne consiste pas seulement dans les coups de canon, mais dans les provocations, les préparatifs et les insultes.

« Sire,

« De cet exposé il résulte :

« 1° Que le traité de 1756 est rompu par le fait de la maison d'Autriche;

« 2° Que le concert entre les puissances, provoqué par l'empereur Léopold au mois de juillet 1791, confirmé par le roi de Hongrie et de Bohême, d'après la note du prince de Kaunitz du 18 mars 1792, qui est l'ultimatum des négociations, étant dirigé contre la France, est un acte d'hostilité formelle ;

« 3° Qu'ayant mandé, par ordre de Votre Majesté, qu'elle se regarderait décidément comme en état de guerre, si le retour du courrier n'apportait pas une déclaration prompte et franche en réponse aux deux dépêches des 19 et 27 mars, cet ultimatum, qui n'y répond point, équivaut formellement à une déclaration de guerre ;

« 4° Que dès ce moment il faut ordonnera M. de Noailles de revenir en France sans prendre congé, et cesser toute correspondance avec la cour de Vienne :

« Après toutes les réflexions qu'entraîne une détermination aussi importante, dans laquelle il s'agit de peser dans la balance de l'équité la plus rigoureuse, d'un côté, le danger de ne pas soutenir et venger la souveraineté méconnue de la nation française ; de l'autre, les calamités que peut entraîner la guerre ;

« Considérant que les circonstances impérieuses où nous nous trouvons, et qui deviennent de jour en jour plus instantes par l'approche des différents corps de troupes autrichiennes qui s'assemblent de toutes parts sur nos frontières, nous ont amenés au point de prendre un parti décisif ;

« Considérant que le roi a suivi le vœu de la nation, exprimé par ses représentants, dans l'adresse du 29 novembre, en exigeant de la cour de Vienne une réponse catégorique et en fixant un terme pour la cessation de l'état de guerre ; que cette démarche a été repoussée par un silence outrageant ; que le vœu de la nation, exprimé plus d'une fois dans la tribune, soutenu par les adresses de tous les départements, s'est converti, le 14 janvier, en un serment solennel, de déclarer infâmes et traîtres à la patrie, coupables du crime de lèse-nation, tout Français qui pourrait prendre part directement ou indirectement à un projet dont le but serait une modification de la Constitution, une médiation avec les rebelles, ou qui tiendrait à rendre aux princes possessionnés en Alsace et en Lorraine, quelqu'un des droits supprimés pur les décrets de l'Assemblée constituante : serment qui a retenti dans toute la France et que je rappelle à Votre Majesté, pour l'opposer aux trois propositions que le ministre Cobentzel a avancées dans sa conférence du 5 avril avec M. de Noailles ;

« Considérant que l'honneur du roi des Français et sa bonne foi sont perfidement attaqués par l'affectation marquée de le séparer de la nation, dans la note officielle du 18 mars, qui répond au gouvernement français, au lieu de répondre au roi des Français ;

« Considérant que depuis l'époque de sa régénération, la nation française est provoquée par la cour de Vienne et ses agents, de la manière la plus intolérable ; qu'elle a continuellement essuyé des outrages dans la personne de M. Duveyrier, envoyé par le roi, et retenu indignement en état d'arrestation ; dans celles d'un grand nombre de citoyens français outragés ou emprisonnés dans les différentes provinces de la domination autrichienne, par haine pour notre Constitution, pour notre uniforme national et pour les couleurs distinctives de notre liberté ;

« Considérant que dans toute la Constitution il ne se trouve aucun article qui autorise le roi à déclarer que la nation est en état de guerre ; qu'au contraire, dans l'article 2, section Ire du chapitre III de l'exercice du pouvoir législatif, il est dit ce qui suit : La guerre ne peut être décidée que par un décret du Corps législatif, rendu sur la proposition formelle et nécessaire du roi, et sanctionné par lui ;

« Qu'ainsi ce n'est pas un conseil que le roi peut demander, mais une proposition formelle qu'il doit nécessairement faire à l'Assemblée nationale ;

« Considérant, enfin, que le vœu prononcé de la nation française est de ne souffrir aucun outrage ni aucune altération dans la Constitution qu'elle s'est donnée ; que le roi, par le serment qu'il a fait de maintenir cette Constitution, est devenu dépositaire de la dignité et de la sûreté de la nation française ;

« Je. conclus à ce que, forte de la justice de ses motifs et de l'énergie du peuple français et de ses représentants, Sa Majesté, accompagnée de ses ministres, se rende à l'Assemblée nationale pour lui proposer la guerre contre l'Autriche. »

Le roi, avec quelque altération dans sa voix :

« Vous venez, Messieurs, d'entendre le résultat des négociations que j'ai suivies avec la cour de de Vienne. Les conclusions du rapport ont été l'avis unanime des membres de mon conseil. Je les ai adoptées moi-même : elles sont conformes au vœu que m'a manifesté plusieurs fois l'Assemblée nationale, et aux sentiments que m'ont témoignés un grand nombre de citoyens des différentes parties du royaume. Tous préfèrent la guerre à voir plus longtemps la dignité du peuple français outragée, et la sûreté nationale menacée.

« J'avais dû, préalablement, épuiser tous les moyens de maintenir la paix ; je viens aujourd'hui, aux termes de la Constitution, proposer a l'Assemblée nationale la guerre contre le roi de Hongrie et de Bohême. »

M. le Président, répondant au roi. Sire, l'Assemblée nationale prendra, dans la plus grande considération, la proposition formelle que vous lui faites. Votre Majesté sera instruite, par un message, du résultat de sa délibération.

(Le Roi se retire accompagné des 24 commissaires de l'Assemblée et suivi de ses ministres. [...]

Le décret suivant est rendu, sauf rédaction :
« L'Assemblée nationale, délibérant sur la proposition formelle du roi, décrète, au nom de la nation française, la guerre contre le roi de Bohême et de Hongrie. »

20 avril 1792, tome XLII, p. 217-218.

Sur rapport de M. Gensonné, au nom du comité diplomatique :

Suit la teneur de ce décret, tel qu'il a été présenté à la sanction :

« L'Assemblée nationale, délibérant sur la proposition formelle du roi ; considérant que la cour de Vienne, au mépris des traités, n'a cessé d'accorder une protection ouverte aux Français rebelles ; qu'elle a provoqué et formé un concert avec plusieurs puissances de l'Europe contre l'indépendance et la sûreté de la nation française ;

« Que François Ier, roi de Hongrie et de Bohême, a, par ses notes des 18 mars et 7 avril dernier, refusé de renoncer à ce concert ;

« Que malgré la proposition qui lui a été faite par la note du 11 mars 1792, de réduire de part et d'autre à l'état de paix les troupes sur les frontières, il a continué et augmenté des préparatifs hostiles ;

« Qu'il a formellement attenté à la souveraineté de la nation française, en déclarant vouloir soutenir les prétentions des princes allemands possessionnés en France, auxquels la nation française n'a cessé d'offrir des indemnités;

« Qu'il a cherché à diviser les citoyens français, et à les armer les uns contre les autres, en offrant aux mécontents un appui dans le concert des puissances ;

« Considérant enfin que le refus de répondre aux dernières dépêches du roi des Français, ne laisse plus d'espoir d'obtenir, par la voie d'une négociation amicale, le redressement de ces différents griefs, et équivaut à une déclaration de guerre ;

« Décrète qu'il y a urgence.

« L'Assemblée nationale déclare que la nation française, fidèle aux principes consacrés par la Constitution, de n'entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes, et de n'employer jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple, ne prend les armes que pour le maintien de sa liberté et de son indépendance ; que la guerre qu'elle est forcée de soutenir n'est point une guerre de nation à nation, mais la juste défense d'un peuple libre contre l'injuste agression d'un roi ;

« Que les Français ne confondront jamais leurs frères avec leurs véritables ennemis ; qu'ils ne négligeront rien pour adoucir le fléau de la guerre, pour ménager et conserver les propriétés, et pour faire retomber sur ceux-là seuls qui se ligueront contre sa liberté, tous les malheurs inséparables de la guerre ;

« Qu'elle adopte d'avance tous les étrangers, qui, abjurant la cause de ses ennemis, viendront se ranger sous ses drapeaux, et consacrer leurs efforts à la défense de sa liberté ; qu'elle favorisera même, par tous les moyens qui sont en son pouvoir, leur établissement en France ;

« Délibérant sur la proposition formelle du roi, et après avoir décrété l'urgence, décrète la guerre contre le roi de Hongrie et de Bohême. »
(La séance est levée à dix heures et demie.)


Décret du 16 Décembre 1792, concernant les princes étrangers possessionnés en Alsace.

Séance du 16 décembre 1792, A. P., Tome LV,  p. 78.

Sur proposition de Thuriet, la Convention adopte le décret suivant :
La Convention nationale décrète le rapport de tous décrets qui accordent des indemnités aux princes étrangers possessionnés en Alsace, ou qui ordonnent des opérations préparatoires pour parvenir à les fixer.
(Le projet est adopté.)


Décret pour mettre sous séquestre les biens possédés en France par les princes ou puissances avec lesquels la République est en guerre.

Séance du 9 mai 1793, tome LXIV, p. 353-354.

La Convention nationale, après avoir entendu son comité des domaines, décrète :
Art. premier.
Dans les départements où il existe des biens possédés par les princes ou puissances avec lesquels la République est en guerre, ces biens seront séquestrés (si ce n'est fait) par les corps administratifs de ces départements dans la forme prescrite pour le séquestre des biens des émigrés, et ce, immédiatement après la réception du présent décret.
Art. 2.
Aussitôt après le séquestre, il en sera donné avis aux administrateurs de la régie des domaines nationaux, qui les feront régir par des préposés, en prenant sous leur responsabilité tous les moyens pour assurer la sûreté de cette administration.
Art. 3.
Les sommes provenant des revenus de ces biens seront versées dans les caisses des receveurs des districts respectifs, et par ceux-ci à la Trésorerie nationale. Ces différents comptables tiendront de ces revenus une comptabilité
particulière et distincte des autres revenus nationaux, en observant un ordre de subdivision de ce qui proviendra de chaque différent possesseur, et de chacun des différents objets de revenu.
Art. 4.
L'administrateur des domaines nationaux exercera sur le séquestre et la régie des biens mentionnés en la présente loi la surveillance qui lui est attribuée sur les biens des émigrés conformément à la loi.
(La Convention adopte ce projet de décret.)

Décret ordonnant la mise sous séquestre des biens de ceux qui n'ont pas protesté contre la conclusion de la diète de Ratisbonne.

Séance du 14 mai 1793, tome LXIV, p. 662-663.

Rühl demande que tous les princes qui ont pris part à la diète de Ratisbonne soient déclarés ennemis de la patrie et que leurs biens soient séquestrés au profit de la République.

La Convention rend le décret suivant :

« La Convention nationale décrète que les terres des princes possessionnés en France, et qui n'ont pas protesté contre le conclusum de la diète de Ratisbonne, qui déclare l'Empire en guerre avec la France, seront séquestrées au profit de la République, quand bien même ces princes n'auraient pas fait marcher des troupes contre elle.
« Elle ordonne, en outre, que les receveurs de l'enregistrement seront tenus de rendre compte, dans le plus bref délai, des diligences qu'ils auront faites pour que ces terres soient séquestrées sans aucune exception. »


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