France

« Décrets Crémieux », du 24 octobre 1870

Décret qui déclare citoyens français les Israélites indigènes d'Algérie.
Décret sur la naturalisation des Indigènes musulmans et des étrangers résidant en Algérie.
Décret du 7 octobre 1871, relatif aux Israélites indigènes de l’Algérie.
Décret du 16 janvier 1939. Formalités à remplir pour être inscrit sur les listes électorales en Algérie.

    Le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 avait accordé aux indigènes israélites et musulmans d'Algérie un statut de Français de seconde zone : bénéfice d'un statut personnel conforme aux règles de leur religion, accès limité aux emplois civils, pas de droits politiques. En revanche, ils pouvaient obtenir la citoyenneté française de plein exercice en renonçant à leur statut personnel. Les demandes sont rares.
    Les décrets Crémieux, dus au Gouvernement provisoire de défense nationale, distinguent entre les fidèles des deux religions. Pour les israélites, c'est l'assimilation. Ils sont déclarés citoyens français, le statut personnel est aboli. Cependant l'Assemblée nationale envisage quelques mois plus tard l'abrogation de ce décret, mais finalement le gouvernement Thiers en donne une application restrictive par le décret du 7 octobre 1871, modifié en 1939. Ainsi, les israélites des confins sahariens, conquis plus tard, n'en bénéficieront pas et devront attendre une loi de 1961.
    Pour les musulmans, le Gouvernement conserve le droit d'option. La plupart d'entre eux conserveront leur statut personnel et des droits politiques limités leur seront accordés. La loi Jonnart de 1919, au sortir de la Grande Guerre a pour objectif de permettre aux combattants algériens d'obtenir la citoyenneté, mais elle entraîne la renonciation au statut personnel fondé sur la loi coranique. C'est pourquoi l'Algérien qui demande la citoyenneté française est souvent considéré comme un renégat.
   L'ordonnance de 1944 accorde la citoyenneté de plein exercice à certaines catégories d'« évolués » à titre personnel mais sans perte du statut
. Malgré la loi Lamine Gueye de 1946, qui accorde à tous la nationalité française, les droits politiques des personnes ayant conservé leur statut personnel restent limités par le double collège. Notons d'ailleurs que la référence au statut personnel est toujours présente à l'article 75 de la Constitution de 1958.


Décret du 24 octobre 1870 
qui déclare citoyens français les Israélites indigènes d'Algérie

Le Gouvernement de la défense nationale,
Décrète :
Les israélites indigènes des départements de l'Algérie sont déclarés citoyens français ; en conséquence, leur statut réel et leur statut personnel seront, à compter de la promulgation du présent décret, réglés par la loi française, tous droits acquis jusqu'à ce jour restant inviolables.

Toute disposition législative, tout sénatus-consulte, décret, règlement ou ordonnances contraires, sont abolis.

Fait à Tours, le 24 octobre 1870.
Ad. Crémieux, L. Gambetta, Al. Glais-Bizoin, L. Fourichon.

Décret sur la naturalisation des Indigènes musulmans
et des étrangers résidant en Algérie

Le Gouvernement de la défense nationale,
Décrète :

Article premier.

La qualité de citoyen français, réclamée en conformité des articles 1er et 3 du sénatus-consulte du 14 juillet 1865, ne peut être obtenue qu'à l'âge de vingt et un ans accomplis.

Les indigènes musulmans et les étrangers résidant en Algérie qui réclament cette qualité doivent justifier de cette condition par un acte de naissance ; à défaut, par un acte de notoriété dressé, sur l'attestation de quatre témoins par le juge de paix ou le cadi du lieu de la résidence s'il s'agit d'un indigène, et par le juge de paix, s'il s'agit d'un étranger.

Article 2.

L'article 10, paragraphe premier du titre III, l'article 11 et l'article 14, paragraphe 2 du titre IV du décret du 21 avril 1866, portant règlement d'administration publique, sont modifiés comme il suit :
« Titre III, article 10, paragraphe premier : L'indigène musulman, s'il réunit les conditions d'âge et d'aptitude déterminés par les règlements français spéciaux à chaque service, peut être appelé, en Algérie, aux fonctions et emplois de l'ordre civil désigné au tableau annexé au présent décret.
« Titre III, article 11 : L'indigène musulman qui veut être admis à jouir des droits de citoyen français doit se présenter en personne devant le chef du bureau arabe de la circonscription dans laquelle il réside, à l'effet de former sa demande et de déclarer qu'il entend être régi par les lois civiles et politiques de la France.
« Il est dressé procès-verbal de la demande et de la déclaration.
« Article 14, paragraphe 2 : Les pièces sont adressées par l'administration du territoire militaire du département au gouverneur général. »

Article 3.

Le gouverneur général civil prononce sur les demandes en naturalisation, sur l'avis du comité consultatif.

Article 4.

Il sera dressé un bulletin de chaque naturalisation en la forme des casiers judiciaires. Ce bulletin sera déposé à la préfecture du département où réside l'indigène ou l'étranger naturalisé, même si l'individu naturalisé réside sur le territoire dit Territoire militaire.

Article 5.

Sont abrogés les articles 2, 4 et 5 du sénatus-consulte du 14 juillet 1865, les articles 13, titre IV, et 19, titre VI, intitulé : Dispositions générales, du décret du 21 avril 1866. Les autres dispositions desdits sénatus-consulte et décret sont maintenus.
Fait à Tours, en Conseil de Gouvernement, le 24 octobre 1870.
Ad. Crémieux, L. Gambetta, Al. Glais-Bizoin, L. Fourichon.

Décret du 7 octobre 1871, relatif aux Israélites indigènes de l’Algérie.

Rapport au Président de la République française

Monsieur le Président,
L’Assemblée nationale s’est séparée avant de statuer sur le projet de loi qui avait été présenté en vue de l’abrogation du décret du 24 octobre 1870, qui a conféré aux Israélites indigènes de l’Algérie les droits de citoyens français. Ce décret reste donc provisoirement en vigueur et doit recevoir son application lors des élections qui auront lieu prochainement pour les conseils généraux et les conseils municipaux de la colonie. Mais il importe de prévenir le retour des difficultés auxquelles cette application a donné lieu jusqu’ici, en exigeant de ceux qui prétendront à l’exercice des droits électoraux la justification préalable de l’indigénat, d’après les principes du droit civil français. Si l’indigénat, dans notre législation, se conserve par le sang, il ne s’est acquis à l’origine que par la naissance sur la terre française ; il semble donc que les Israélites qui voudront obtenir ou faire maintenir leur inscription sur les listes électorales devront établir soit qu’ils sont nés en Algérie, avant la conquête, soit qu’ils sont nés, depuis la conquête, de parents établis en Algérie au moment où l’occupation militaire a fait de la terre d’Afrique un sol français. Pour cette justification, il paraît suffisant d’accorder un délai de vingt jours à partir de la promulgation du décret qui la rendra obligatoire. On exigerait en outre, des indigènes qui n’ont pas de noms de famille et de prénoms fixes, l’indication de ceux qu’ils entendent adopter à l’avenir, afin de donner à l’inscription sur les listes la certitude et la fixité indispensables. Tout Israélite qui aurait négligé de remplir ces formalités, serait, à l’expiration du délai de vingt jours, rayé des listes électorales et ne pourrait y être rétabli qu’à la suite d’une prochaine révision. Si ces propositions, monsieur le Président, vous paraissent susceptibles d’être adopté[e]s, je vous prie de vouloir bien revêtir de votre signature, le projet de décret ci-joint, qui organise, d’ailleurs, la procédure nécessitée par cette révision partielle des listes.
Veuillez agréer, monsieur le Président, l’hommage de mon respectueux dévouement,
Le ministre de l’intérieur, F. LAMBRECHT.

Le Président de la République française,
Sur la proposition du ministre de l’intérieur et du gouverneur général civil de l’Algérie,
Décrète :

Article premier.

Provisoirement, et jusqu’à ce qu’il ait été statué par l’Assemblée nationale sur le maintien ou l’abrogation du décret du 24 octobre 1870, seront considérés comme indigènes et, à ce titre, demeureront inscrits sur les listes électorales, s’ils remplissent d’ailleurs les autres conditions de capacité civile, les Israélites nés en Algérie avant l’occupation française ou nés depuis cette époque de parents établis en Algérie à l’époque où elle s’est produite.

Article 2.

En conséquence, tout Israélite qui voudra être inscrit ou maintenu sur les listes électorales sera, dans les vingt jours de la promulgation du présent décret, tenu de justifier qu’il est dans l’une des conditions déterminées par l’article 1er.

Article 3.

Cette justification se fera devant le juge de paix du domicile de l’Israélite. Elle aura lieu, soit par la production d’un acte de naissance, soit par la déclaration écrite ou le témoignage verbal de sept personnes demeurant en Algérie depuis dix ans au moins, soit par toute autre preuve que le juge de paix admettra comme concluante. La décision du juge de paix vaudra titre à l’Israélite ; il lui en sera immédiatement délivré une copie, sans frais. Au préalable, et comme condition de la délivrance de ce titre, l’Israélite, s’il n’a pas de nom de famille et de prénoms fixes, sera tenu d’en adopter et d’en faire déclaration devant le juge de paix. Pour chaque décision ainsi délivrée, il sera dressé, en la forme des casiers judiciaires, un bulletin qui sera remis à la mairie du domicile de l’indigène, pour servir, soit à la confection des listes électorales, soit à celle d’un registre de notoriété.

Article 4.

L’Israélite dont la réclamation ne sera pas admise par le juge de paix pourra, dans les trois jours qui suivront la prononciation de la décision, se pourvoir par simple requête adressée au président du tribunal de l’arrondissement, au pied de laquelle le président indiquera une audience à trois jours de date au plus. Le tribunal, après avoir entendu l’Israélite ou son défenseur et le ministère public, statuera en dernier ressort. Le pourvoi en cassation ne sera pas suspensif.

Article 5.

À défaut d’avoir rempli les formalités et satisfait aux conditions exigées par les articles qui précèdent, tout Israélite actuellement inscrit sur les listes électorales en sera rayé et ne pourra y être rétabli que lors d’une prochaine révision.

Article 6.

Tous actes judiciaires faits en vertu du présent décret et pour son exécution seront dispensés des droits de timbre et d’enregistrement.

Article 7.

La convocation des collèges électoraux n’aura lieu qu’un mois au moins après la promulgation du présent décret.

Article 8.

Les ministres de la justice et de l’intérieur et le gouverneur général civil de l’Algérie sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret.

Fait à Versailles, le 7 octobre 1871, signé A. THIERS.
Par le Président de la République :
Le Garde des sceaux, Ministre de la justice, signé J. DUFAURE.
Le Ministre de l’intérieur, signé F. LAMBRECHT.
(Source : Journal officiel de la République française, 3e année, n° 281 (9 octobre 1871), p. 3885-3886 et Bulletin des lois de la République française, 12e série, t. 3 (partie principale), bulletin n° 69, loi n° 605, p. 344-345).

Formalités à remplir pour être inscrit sur les listes électorales en Algérie.

Décret du 16 janvier 1939.

Article premier.

L’article 5 du décret du 7 octobre 1871 est complété ainsi qu’il suit :
« Est présumé remplir les conditions déterminées à l’article 1er et ne sera pas soumis aux justifications exigées à l’article 3 du présent décret celui dont le père ou l’un des ascendants en ligne paternelle a été inscrit sur une liste électorale de citoyens français antérieure à celle de l’année en cours ».

Article 2.

Le ministre de l’intérieur est chargé de l’exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française et inséré au Journal officiel de l’Algérie.

Fait à Paris, le 16 janvier 1939. 
Albert Lebrun.
Le ministre de l’intérieur, Albert Sarraut.
(Journal officiel de la République française. Lois et décrets, 71e année, n° 14 [16-17 janvier 1939], p. 870).