Rwanda


Déclaration du Front patriotique rwandais
relative à la mise en place des institutions.

  (17 juillet 1994)
    La Constitution du 10 juin 1991, approuvée par le référendum du 30 mai, instaure le multipartisme, alors que le Front patriotique rwandais (FPR), défendant les intérêts des Tutsi, a déclenché une insurrection à partir de ses bases situées en Ouganda.
    A la suite de la formation par le président Habyarimana d'un gouvernement de coalition à Kigali, le 3 avril 1992, des négociations sont entamées dès juillet 1992 entre le gouvernement et le FPR en vue d'un cessez-le feu. La signature des accords d'Arusha, le 4 août 1993, et le déploiement de la Mission des Nations unies créée par une résolution du conseil de sécurité du 5 octobre, ne mettent pas fin aux violences. L'avion du président Habyarimana et du président burundais Ntaryamira est abattu le 6 avril 1994, déclenchant des massacres d'une telle ampleur (800 000 morts) que l'on parle aussitôt de génocide.
    L'offensive déclenchée par le FPR lui permet de s'emparer du pouvoir à Kigali, tandis que des centaines de milliers de Hutu se réfugient dans une zone humanitaire mise en place par la France («opération Turquoise »), ou au Zaïre (on parle de 2 millions de réfugiés). Le 17 juillet 1994, le FPR met en place de nouvelles institutions à Kigali. Les nouvelles autorités approuvent une nouvelle loi fondamentale le 26 mai 1995.

Source : Les constitutions africaines, t. 2, Documentation française et Bruylant, 1998, p. 307.


Patiemment négocié en vue de mettre fin à la guerre et instaurer au Rwanda un État de droit qui implique la démocratie, le pluralisme, le respect des libertés et des droits fondamentaux de la personne, l'accord de paix d'Arusha constituait la base d'une paix durable recherchée par le peuple rwandais pour les générations présentes et futures. A cet effet, l'accord de paix prévoyait la formation d'une armée nationale de transition composée de forces gouvernementales et de celles du front patriotique rwandais (FPR) ainsi que l'instauration d'un partage du pouvoir dans le cadre d'un Gouvernement de transition à base élargie, pour une période de transition qui serait couronnée par des élections démocratiques libres et organisées dans les meilleures conditions de transparence.

Depuis la signature de cet accord de paix, le 4 août 1993, le régime de feu Président Juvénal Habyarimana avait multiplié des obstacles à la mise en oeuvre de l'accord, en même temps qu'il accélérait les préparatifs de génocide ethnique et des massacres qui continuent dans la partie du territoire national encore sous contrôle des anciennes forces gouvernementales actuellement en débandade totale. En acceptant de se mettre aux ordres d'une idéologie contraire aux principes universels et aux principes fondamentaux de l'accord de paix, ces forces armées ont failli à leur mission principale de protection des citoyens et de leurs biens. Pire encore, elles ont activement participé à la perpétration du génocide et des massacres.

Contraint de reprendre les hostilités pour arrêter le génocide et les massacres, le Front patriotique rwandais entend parachever son oeuvre de libération du peuple rwandais du joug de la clique politico-militaire fasciste déjà en déroute  et dont la défaite totale est inéluctable. Cette oeuvre exige à présent que la paix et la tranquillité, propices à la reconstruction du pays et la reprise des activités sur tous les plans, soient consolidées par l'installation d'un Gouvernement et d'une administration locale.

Dans ce cadre, le Front patriotique rwandais entend procéder comme suit :

1. Il déclare son attachement aux principes qui constituent la charpente de l'accord de paix d'Arusha, à savoir :
a) L'instauration d'un État de droit.
b) La formation d'une armée nationale ouverte aux Rwandais de tous les horizons et vouée à la défense des intérêts de tout le peuple.
c) L'instauration d'un partage du pouvoir dans le cadre d'un Gouvernement de transition à base élargie.

Le FPR reconnaît la Constitution du 10 juin 1991 et l'accord de paix comme constituant indissolublement la Loi fondamentale qui régit le pays, moyennant les modifications rendues nécessaires par la situation tragique du pays.

2. Il annonce la mise en place le mardi 19 juillet 1994 d'un Gouvernement d'unité nationale largement représentatif. Ce Gouvernement sera dirigé par un premier ministre et comprendra le nombre de portefeuilles ministériels prévu par l'accord de paix. Toutefois, il est créé un poste de vice-président de la République devant être tenu concurremment avec un poste ministériel. Cependant étant donné que les partis politiques ont été fortement ébranlés suite à la liquidation systématique de leurs adhérents par les auteurs du génocide et des massacres, le poids politique ne serait être par conséquent celui qui prévalait au moment de la conclusion du protocole d'accord sur le partage du pouvoir. Le Gouvernement comprendra donc les personnalités choisies par le premier ministre en consultation et avec l'approbation du président de la République en fonction de leurs compétences et de leur représentativité des forces politiques considérées avant le déclenchement du génocide et des massacres.

3. Sont exclus de toute participation aux institutions les partis MNRD, CDR et tous les autres partis ou tendances qui ont été dans une alliance politique avec ces partis ou qui ont manifesté un quelconque soutien au Gouvernement autoproclamé le 9/04/1994. Le poste de président de la République, les portefeuilles ministériels et les sièges à l'Assemblée législative dévolus par l'accord de paix d'Arusha aux familles politiques exclues de la participation au partage du pouvoir reviennent au Front patriotique rwandais auquel sa mission et son rôle particulier dans la lutte contre le fascisme confèrent la responsabilité historique de s'assurer que le processus de pacification, de réconciliation nationale et de reconstruction ne soit entravé par le biais de manoeuvres politiciennes.

4. L'Assemblée législative, dont le nombre de sièges est celui prévu par l'accord de paix d'Arusha, sera mise en place dans un délai d'un mois, à compter de la mise en place du Gouvernement. Dans l'entre-temps, les textes à caractère législatif seront pris par décrets-lois adoptés en Conseil de Gouvernement. Les députés à l'Assemblée législative seront proposés par les formations politiques prévues à cet effet par l'accord de paix et soumis à une évaluation de leur tendance et attitudes politiques avant et après le 6 avril 1994, afin d'écarter tout élément ayant manifesté son adhésion ou sa sympathie envers l'idéologie fasciste et sectaire.

Le principe de la représentation des forces de l'ordre dans les institutions, de l'Assemblée législative en particulier, est d'ores et déjà retenu.

5. La durée de la période de transition sera de cinq ans.

6. Le président de la République aura la faculté d'initier des remaniements du Gouvernement et de révoquer le premier ministre après avis conforme de l'Assemblée législative. Dans ce cas, un nouveau premier ministre sera nommé après consultation avec les familles politiques participant aux institutions. Les aménagements légaux de cette disposition seront introduits dans la loi fondamentale du pays après l'instauration de l'Assemblée législative.

7. Le pouvoir exécutif est exercé collectivement à travers les décisions prises en Conseil des ministres, par le président de la République et le Gouvernement. Si après épuisement de la procédure de la prise de décision prévue à l'article 21 du protocole sur le partage du pouvoir, le Conseil des ministres est incapable de prendre une décision, le président de la République décide souverainement.

8. Conformément à l'accord de paix d'Arusha, une armée véritablement nationale sera formée pour des missions prévues par l'accord de paix. Cependant, étant donné que les anciennes forces armées rwandaises ont continué à se mettre au service du fascisme malgré les nombreux appels du commandement de l'armée patriotique rwandaise, l'intégration des éléments des anciennes forces armées rwandaises se fera par triage des individus sains et qui ne seraient pas personnellement compromis par des actes répréhensibles. Les accommodements de ce principe seront apportés par les modifications appropriées dans la mise en oeuvre du protocole d'accord sur l'intégration des forces armées. Les officiers et les hommes de troupe ainsi retenus après triage seront affectés à des postes et à des occupations correspondant à leurs rangs avant le 6 avril 1994.

Les dispositions de l'accord de paix relatives au désengagement , au cantonnement et au rôle de la MINUAR dans le processus de formation de l'armée nationale seront modifiées par des procédures ad hoc.

9. Les forces politiques appelées à participer aux institutions ont agréé le contenu de cette déclaration. Par consensus du bureau politique du FPR, Monsieur Pasteur Bizimungu accède aux fonctions de président de la République.

10. Monsieur Faustin Twagiramungu conduira l'action du Gouvernement de l'unité nationale comme premier ministre.


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