La crise de juillet 1914.
Note du Gouvernement austro-hongrois à la Serbie, 23 juillet 1914.
Réponse du Gouvernement serbe à la Note austro-hongroise, 25 juillet 1914.Les populations chrétiennes des Balkans, désireuses de s'émanciper de la domination ottomane, et soutenues par la Russie, s'étaient heurtées, tout au long du XIXe siècle, à la volonté de la Grande-Bretagne, de l'Autriche et de la France de maintenir l'intégrité formelle de l'Empire Ottoman, pour empêcher la Russie d'accéder à la Méditerranée (voir notamment la guerre de Crimée et la crise de 1878). Mais au début du XXe siècle, le rapprochement entre la France et la Russie, puis l'entente cordiale (1904) ont bouleversé la configuration internationale. Les territoires ottomans sont alors l'enjeu de trois conflits :
– La crise balkanique de 1907-1908 : à la suite de la révolte en Macédoine en 1907, proclamation de l'indépendance de la Bulgarie et annexion de la Roumélie orientale (22 septembre/5 octobre 1908) ; annexion de la Bosnie et de l'Herzégovine par l'Autriche (5 octobre 1908) ; proclamation de l'union de la Crète à la Grèce ;
– La Guerre italo-turque de 1911-1912 permet à l'Italie de s'emparer de la Libye et du Dodécanèse ;
– La crise de 1912-1913 : à la suite de la révolte albanaise, les deux guerres balkaniques mettent pratiquement fin à la présence ottomane en Europe, désormais limitée à la région de Constantinople, au profit de la Serbie et de la Grèce.
L'Empire austro-hongrois est mécontent de cette redistribution des cartes, dont il pense ne pas avoir assez profité, et tout particulièrement de l'accroissement de la Serbie, alliée de la France et de la Russie et dont le roi Pierre Ier est un ancien officier français, engagé volontaire en 1870 ; mais il est alors retenu par l'absence de soutien allemand, dont il va bénéficier quelques mois plus tard après l'attentat de Sarajévo, le 15/28 juin 1914, contre l'archiduc François-Ferdinand, héritier de la couronne. C'est alors le casus belli qui conduit à la Grande Guerre.
Après d'intenses pourparlers diplomatiques tendant à limiter la crise à un conflit austro-serbe dans les Balkans, une note comminatoire est adressée par les autorités austro-hongroises à la Serbie le 23 juillet 1914. Le moment est particulièrement bien choisi : la note est communiquée à Belgrade alors que le président de la République française, Poincaré, et le président du Conseil, Viviani, également ministre des affaires étrangères, viennent de s'embarquer à Saint-Petersbourg pour regagner la France et ne peuvent être joints, ce qui rend le gouvernement français incapable de se concerter avec ses alliés ; le premier ministre serbe est également en déplacement et injoignable. Dans les quarante-huit heures, le Gouvernement serbe accepte les exigences autrichiennes, à l'exception de l'immixtion d'agents austro-hongrois dans l'enquête en territoire serbe (point 6). Se déclarant néanmoins insatisfait, le gouvernement de Vienne déclare immédiatement la guerre à la Serbie, le 28 juillet, et refuse toute conversation avec la Russie, tandis que l'Allemagne repousse la proposition anglaise d'une conférence des grandes puissances. Le 29 juillet, la marine austro-hongroise bombarde Belgrade. La Grande Guerre est commencée.
Sources : Le texte de la note autrichienne est celui qui a été communiqué en copie au ministre français des affaires étrangères par intérim, Bienvenu-Martin, le 24 juillet 1914, par l'ambassadeur d'Autriche-Hongrie à Paris. Documents diplomatiques, La guerre européenne, 1914, Imprimerie nationale.
Voir les principaux traités relatifs à la Grande Guerre :
- le traité de Versailles, signé le 28 juin 1919 entre les Puissances alliées et associées et l'Allemagne ;
- le traité de Saint-Germain-en-Laye, signé le 10 septembre 1919 entre les Puissances alliées et associées et l'Autriche ;
- le traité de Neuilly-sur-Seine, signé le 27 novembre 1919 entre les Puissances alliées et associées et la Bulgarie ;
- le traité de Trianon, signé le 4 juin 1920 entre les Puissances alliées et associées et la Hongrie ;
- le traité de Sèvres, signé le 10 août 1920 entre les Puissances alliées et associées et la Turquie, non ratifié et remplacé par le traité de Lausanne, signé le 24 juillet 1923.
Note du gouvernement austro-hongrois.
Vienne le 24 juillet 1914.
Le Gouvernement impérial et royal s'est vu obligé d'adresser jeudi 23 juillet courant, par l'entremise du Ministre impérial et royal à Belgrade, la note suivante au Gouvernement royal de Serbie :
«Le 31 mars 1909 le Ministre de Serbie à Vienne a fait, d'ordre de son Gouvernement au Gouvernement impérial et royal, la déclaration suivante :
« La Serbie reconnaît qu'elle n'a pas été atteinte dans ses droits par le fait accompli créé en Bosnie-Herzégovine et qu'elle se conformera par conséquent à telle décision que les Puissances prendront par rapport à l'article XXV du Traité de Berlin. Se rendant aux conseils des grandes puissances, la Serbie s'engage dès à présent à abandonner l'attitude de protestation et d'opposition qu'elle a observée à l'égard de l'annexion depuis l'automne dernier et elle s'engage, en outre, à changer le cours de sa politique actuelle envers l'Autriche-Hongrie pour vivre désormais avec cette dernière sur le pied d'un bon voisinage. »
Or, l'histoire des dernières années, et notamment les événements douloureux du 28 juin ont démontré l'existence en Serbie d'un mouvement subversif dont le but est de détacher de la Monarchie austro-hongroise certaines parties de ses territoires. Ce mouvement, qui a pris jour sous les yeux du Gouvernement serbe est arrivé à se manifester au delà du territoire du royaume par des actes de terrorisme, par une série d'attentats et par des meurtres.
Le Gouvernement royal serbe, loin de satisfaire aux engagements formels contenus dans la déclaration du 31 mars 1909, n'a rien fait pour supprimer ce mouvement. Il a toléré l'activité criminelle des différentes sociétés et affiliations dirigées contre la Monarchie, le langage effréné de la presse, la glorification des auteurs d'attentats, la participation d'officiers et de fonctionnaires dans des agissements subversifs, une propagande malsaine dans l'instruction publique, toléré enfin toutes les manifestations qui pouvaient induire la population serbe à la haine de la Monarchie et au mépris de ses institutions.
Cette tolérance coupable du Gouvernement royal de Serbie n'avait pas cessé au moment où les événements du 28 juin dernier en ont démontré au monde entier les conséquences funestes.
Il résulte des dépositions et aveux des auteurs criminels de l'attentat du 28 juin que le meurtre de Serajevo a été tramé à Belgrade, que les armes et explosifs dont les meurtriers se trouvaient être munis, leur ont été donnés par des officiers et fonctionnaires serbes faisant partie de la « Narodna Odbrana » et enfin que le passage en Bosnie des criminels et de leurs armes a été organisé et effectué par des chefs du service-frontière serbe.
Les résultats mentionnés dé l'instruction ne permettent pas au Gouvernement impérial et royal de poursuivre plus longtemps l'attitude de longanimité expectative qu'il avait observée pendant des années vis-à-vis des agissements concentrés à Belgrade et propagés de là sur les territoires de la Monarchie ; ces résultats lui imposent au contraire le devoir de mettre fin à des menées qui forment une menace perpétuelle pour la tranquillité de la Monarchie.
C'est pour atteindre ce but que le Gouvernement impérial et royal se voit obligé de demander au Gouvernement serbe renonciation officielle qu'il condamne la propagande dirigée contre la Monarchie austro-hongroise, c'est-à-dire l'ensemble des tendances qui aspirent en dernier lieu à détacher de la Monarchie des territoires qui en font partie, et qu'il s'engage à supprimer, par tous les moyens, cette propagande criminelle et terroriste.
Afin de donner un caractère solennel à cet engagement le Gouvernement royal de Serbie fera publier à la première page du Journal officiel en date du 13/26 juillet l'énonciation suivante :
« Le Gouvernement royal de Serbie condamne la propagande dirigée contre l'Autriche-Hongrie, c'est-à-dire l'ensemble des tolérances qui aspirent en dernier lieu à détacher de la Monarchie austro-hongroise des territoires qui en font partie, et il déplore sincèrement les conséquences funestes de ces agissements criminels.
Le Gouvernement royal regrette que des officiers et fonctionnaires serbes aient participé à la propagande susmentionnée et compromis par là les relations de bon voisinage auquel le Gouvernement royal s'était solennellement engagé par ses déclarations du 31 mars 1909.
Le Gouvernement royal qui désapprouve et répudie toute idée ou tentative d'immixtion dans les destinées des habitants de quelque partie de l'Autriche-Hongrie que ce soit, considère de son devoir d'avertir formellement les officiers, les fonctionnaires et toute la population du royaume que dorénavant il procédera avec la dernière rigueur contre les personnes qui se rendraient coupables de pareils agissements, agissements qu'il mettra tous ses efforts à prévenir et à réprimer. »
Cette énonciation sera portée simultanément à la connaissance de l'armée royale par un ordre du jour de Sa Majesté le Roi et sera publiée dans le Bulletin officiel de l'armée.
Le Gouvernement royal serbe s'engage en outre :
1° A supprimer toute publication qui excite à la haine et au mépris de la Monarchie, et dont la tendance générale est dirigée contre son intégrité territoriale.
2° A dissoudre immédiatement la société dite « Narodna Odbrana », à confisquer tous ses moyens de propagande, et à procéder de la même manière contre les autres sociétés et affiliations en Serbie qui s'adonnent à la propagande contre la Monarchie austro-hongroise, le Gouvernement royal prendra les mesures nécessaires pour que les sociétés dissoutes ne puissent pas continuer leur activité sous un autre nom et sous une autre forme.
3° A éliminer sans délai de l'instruction publique en Serbie, tant en ce qui concerne le corps enseignant que les moyens d'instruction, tout ce qui sert ou pourrait servir à fomenter la propagande contre l'Autriche-Hongrie.
4° A éloigner du service militaire et de l'administration en général tous les officiers et fonctionnaires coupables de la propagande contre la Monarchie austro-hongroise et dont le Gouvernement impérial et royal se réserve de communiquer les noms et les faits au Gouvernement royal.
5° A accepter la collaboration en Serbie des organes du Gouvernement impérial et royal dans la suppression du mouvement subversif dirigé contre l'intégrité territoriale de la Monarchie.
6° A ouvrir une enquête judiciaire contre les partisans du complot du 28 juin se trouvant sur territoire serbe ; des organes délégués par le Gouvernement impérial et royal prendront part aux recherches y relatives.
7° A procéder d'urgence à l'arrestation du commandant Voija Tankosic et du nommé Milan Ciganovic, employé de l'État serbe, compromis par les résultats de l'instruction de Serajevo.
8° A empêcher, par des mesures efficaces, le concours des autorités serbes dans le trafic illicite d'armes et d'explosifs à travers la frontière ;
A licencier et punir sévèrement les fonctionnaires du service-frontière de Schabatz et de Loznica coupables d'avoir aidé les auteurs du crime de Serajevo en leur facilitant le passage de la frontière.
9° A donner au Gouvernement impérial et royal des explications sur les propos injustifiables de hauts fonctionnaires serbes tant en Serbie qu'à l'étranger qui, malgré leur position officielle, n'ont pas hésité après l'attentat du 28 juin de s'exprimer dans des interviews d'une manière hostile envers la Monarchie austro-hongroise. Enfin,
10° D'avertir, sans retard, le Gouvernement impérial et royal de l'exécution dès mesures comprises dans les points précédents.
Le Gouvernement impérial et royal attend la réponse du Gouvernement royal au plus tard jusqu'au samedi 25 de ce mois à cinq heures du soir (1).
Un mémoire concernant les résultats de l'instruction de Serajevo à l'égard des fonctionnaires mentionnés aux points 7 et 8 est annexé à cette note.
J'ai l'honneur d'inviter votre Excellence de vouloir bien porter le contenu de cette Note à la connaissance du Gouvernement auprès duquel vous êtes accrédité en accompagnant cette communication du commentaire que voici :
Le 31 mars 1909 le Gouvernement royal serbe à adressé à l'Autriche-Hongrie la déclaration dont le texte est reproduit ci-dessus.
Le lendemain même de cette déclaration, la Serbie s'est engagée dans une politique tendant à inspirer des idées subversives aux ressortissants serbes de la Monarchie austro-hongroise et à préparer ainsi la séparation des territoires austro-hongrois, limitrophes à la Serbie.
La Serbie devint le foyer d'une agitation criminelle.
Des sociétés et affiliations ne tardèrent pas à se former qui, soit ouvertement, soit clandestinement, étaient destinées à créer des désordres sur le territoire austro-hongrois. Ces sociétés et affiliations comptent parmi leurs membres des généraux et des diplomates, des fonctionnaires d'État et des juges, bref, les sommités du monde officiel et inofficiel du royaume.
Le journalisme serbe est presque entièrement au service de cette propagande, dirigée contre l'Autriche-Hongrie, et pas un jour ne passe sans que les organes de la presse serbe n'excitent leurs lecteurs à la haine et au mépris de la Monarchie voisine ou à des attentats dirigés plus ou moins ouvertement contre sa sûreté et son intégrité.
Un grand nombre d'agents est appelé à soutenir par tous les moyens l'agitation contre l'Autriche-Hongrie et à corrompre dans les provinces limitrophes la jeunesse de ces pays.
L'esprit conspirateur des politiciens serbes, esprit dont les annales du royaume portent les sanglantes empreintes, a subi une recrudescence depuis la dernière crise balkanique ; des individus ayant fait partie des bandes jusque-là occupées en Macédoine, sont venus se mettre à la disposition de la propagande terroriste contre l'Autriche-Hongrie.
En présence de ces agissements auxquels l'Autriche-Hongrie est exposée depuis des années, le Gouvernement de la Serbie n'a pas cru devoir prendre la moindre mesure. C'est ainsi que le Gouvernement serbe a manqué au devoir que lui imposait la déclaration solennelle du 31 mars 1909, et c'est ainsi qu'il s'est mis en contradiction avec la volonté de l'Europe et avec l'engagement qu'il avait pris vis-à-vis de l'Autriche-Hongrie.
La longanimité du Gouvernement impérial et royal à l'égard de l'attitude provocatrice de la Serbie était inspirée du désintéressement territorial de la Monarchie austro-hongroise et de l'espoir que le Gouvernement serbe finirait tout de même par apprécier à sa juste valeur l'amitié de l'Autriche-Hongrie. En observant une attitude bienveillante pour les intérêts politiques de la Serbie, le Gouvernement impérial et royal espérait que le royaume se déciderait finalement à suivre de son côté une ligne de conduite analogue. L'Autriche-Hongrie s'attendait surtout à une pareille évolution dans les idées politiques en Serbie, lorsque, après les événements de l'année 1912, le Gouvernement impérial et royal rendit possible, par une attitude désintéressée et sans rancune, l'agrandissement si considérable de la Serbie.
Cette bienveillance manifestée par l'Autriche-Hongrie à l'égard de l'État voisin n'a cependant aucunement modifié les procédés du royaume, qui a continué à tolérer sur son territoire une propagande dont les funestes conséquences se sont manifestées au monde entier le 28 juin dernier, jour où l'héritier présomptif de la Monarchie et son illustre épouse devinrent les victimes d'un complot tramé à Belgrade.
En présence de cet état de choses, le Gouvernement impérial et royal a dû se décider à entreprendre de nouvelles et pressantes démarches à Belgrade afin d'amener le Gouvernement serbe à arrêter le mouvement incendiaire menaçant la sûreté et l'intégrité de la Monarchie austro-hongroise.
Le Gouvernement impérial et royal est persuadé qu'en entreprenant cette démarche, il se trouve en plein accord avec les sentiments de toutes les nations civilisées qui ne sauraient admettre que le régicide devînt une arme dont on puisse se servir impunément dans la lutte politique, et que la paix européenne fût continuellement troublée par les agissements partant de Belgrade.
C'est à l'appui de ce qui précède que le Gouvernement impérial et royal tient à la disposition du Gouvernement de la République française un dossier élucidant les menées serbes et les rapports existant entre ces menées et le meurtre du 28 juin.
Une communication identique est adressée aux représentants impériaux et royaux auprès des autres Puissances signataires.
Vous êtes autorisé de laisser une copie de cette dépêche entre les mains de M. le Ministre des Affaires étrangères.
ANNEXE.
L'instruction criminelle ouverte par le tribunal de Serajevo contre Gravillo Princip et consorts du chef d'assassinat et de complicité y relative, crime commis par eux le 28 juin dernier, a jusqu'ici abouti aux constatations suivantes :
1° Le complot ayant pour but d'assassiner, lors de son séjour à Serajevo, l'archiduc François-Ferdinand fut formé à Belgrade par Gravillo Princip, Nedeljko Cabrinovic, le nommé Milan Ciganovic et Trifko Grabez avec le concours du commandant Voija Tankosic.
2° Les six bombes et les quatre pistolets Browning avec munitions, moyennant lesquels les malfaiteurs ont commis l'attentat, furent livrés à Belgrade à Princip, Cabrinovic et Grabez par le nommé Milan Ciganovic et le commandant Voija Tankosic.
3° Les bombes sont des grenades à main provenant du dépôt d'armes de l'armée serbe à Kragujevaks.
4° Pour assurer la réussite de l'attentat, Ciganovic enseigna à Princip, Cabrinovic et Grabez la manière de se servir des grenades et donna, dans une forêt près du champ de tir à Topschider, des leçons de tir avec pistolets Browning à Princip et à Grabez.
5° Pour rendre possible à Princip, Cabrinovic et Grabez de passer la frontière de Bosnie-Herzégovine et d'y introduire clandestinement leur contrebande d'armes, un système de transport secret fut organisé par Ciganovic.
D'après cette organisation, l'introduction en Bosnie-Herzégovine des malfaiteurs et de leurs armes fut opérée par les capitaines-frontières de Sabac (Popovic) et de Loznica, ainsi que par le douanier Rudivoj Grbic de Loznica, avec le concours de divers particuliers.
(1) L'Ambassadeur d'Autriche-Hongrie a adressé au Ministre des Affaires étrangères, par lettre particulière, la rectification suivante, dans la journée du 24 juillet : « Dans la copie de la dépêche que j'ai eu l'honneur de remettre ce matin à Votre Excellence, il était dit que mon Gouvernement attendait la réponse du Cabinet de Belgrade au plus tard jusqu'au samedi 25 de ce mois à cinq heures du soir. Notre Ministre à Belgrade n'ayant remis sa note hier qu'à six heures du soir, le délai pour la réponse se trouve prorogé de ce fait jusqu'à demain samedi six heures du soir.
« J'ai cru de mon devoir d'informer Votre Excellence de cette légère modification dans l'expiration du délai fixé pour la réponse du Gouvernement serbe. »
Réponse du Gouvernement serbe à la Note austro-hongroise.
(25 juillet 1914)
Le Gouvernement royal serbe a reçu la communication du Gouvernement impérial et royal du 10/23 de ce mois et il est persuadé que sa réponse éloignera tout malentendu qui menace de compromettre les bons rapports de voisinage entre la Monarchie austro-hongroise et le Royaume de Serbie.
Le Gouvernement royal a conscience que les protestations qui ont apparu tant à la tribune de la Skoupchtina nationale que dans les déclarations et les actes des représentants responsables de l'État, protestations auxquelles coupa court la déclaration du Gouvernement serbe faite le 18/31 mars 1909, ne se sont plus renouvelées vis-à-vis de la grande Monarchie voisine en aucune occasion, et que depuis ce temps, autant de la part des Gouvernements royaux qui se sont succédé que de la part de leurs organes, aucune tentative n'a été faite dans le but de changer l'état de choses politique et juridique créé en Bosnie-Herzégovine.
Le Gouvernement royal constate que sous ce rapport le Gouvernement impérial et royal n'a fait aucune représentation, sauf en ce qui concerne un livre scolaire, représentation au sujet de laquelle le Gouvernement impérial et royal a reçu une explication entièrement satisfaisante.
La Serbie a, à de nombreuses reprises, donné des preuves de sa politique pacifique et modérée pendant la durée de la crise balkanique, et c'est grâce à la Serbie et aux sacrifices qu'elle a faits dans l'intérêt exclusif de la paix européenne, que cette paix a été préservée.
Le Gouvernement royal ne peut pas être rendu responsable des manifestations d'un caractère privé telles que les articles des journaux et les agissements des sociétés, manifestations qui se produisent dans presque tous les pays comme une chose ordinaire et qui échappent en règle générale au contrôle officiel, d'autant moins que le Gouvernement royal, lors de la solution de toute une série de questions qui se sont présentées entre la Serbie et l'Autriche-Hongrie, a montré une grande prévenance et a réussi, de cette façon, à en régler le plus grand nombre au profit du progrès des deux pays voisins.
C'est pourquoi le Gouvernement royal a été péniblement surpris par les affirmations d'après lesquelles des personnes du royaume de Serbie auraient participé à la préparation de l'attentat commis à Sarajevo. Il s'attendait à être invité à collaborer à la recherche de tout ce qui se rapporte à ce crime et il était prêt, pour prouver par des actes son entière correction, à agir contre toutes les personnes à l'égard desquelles des communications lui seraient faites.
Se rendant donc au désir du Gouvernement impérial et royal, le Gouvernement royal est disposé à remettre aux tribunaux tout sujet serbe, sans égard à sa situation et à son rang, pour la complicité duquel, dans le crime de Sarajevo, des preuves lui seraient fournies.
Il s'engage spécialement à faire publier à la première page du Journal officiel en date du 13/26 juillet l'énonciation suivante :
« Le Gouvernement royal de Serbie condamne toute propagande qui serait dirigée contre l'Autriche-Hongrie, c'est-à-dire l'ensemble des tendances qui aspirent en dernier lieu à détacher de la Monarchie austro-hongroise des territoires qui en font partie, et il déplore sincèrement les conséquences funestes de ces agissements criminels.
« Le Gouvernement royal regrette que certains officiers et fonctionnaires serbes aient participé, d'après la communication du Gouvernement impérial et royal, à la propagande susmentionnée et compromis par là les relations de bon voisinage auxquelles le Gouvernement royal s'était solennellement engagé par la déclaration du 18/31 mars 1909.
Le Gouvernement, qui désapprouve et répudie toute idée ou tentative d'une immixtion dans les destinées des habitants de quelque partie de l'Autriche-Hongrie que ce soit, considère qu'il est de son devoir d'avertir formellement les officiers, les fonctionnaires et toute la population du royaume que dorénavant il procédera avec la dernière rigueur contre les personnes qui se rendraient coupables de pareils agissements, qu'il mettra tous ses efforts à prévenir et à réprimer. »
Cette énonciation sera portée à la connaissance de l'armée royale par un ordre du jour, au nom de Sa Majesté le roi par S. A. R. le prince héritier Alexandre, et sera publiée dans le prochain Bulletin officiel de l'armée.
Le Gouvernement royal s'engage en outre :
1° A introduire dans la première convocation régulière de la Skoupchtina une disposition dans la loi de la presse par laquelle sera punie de la manière la plus sévère la provocation à la haine et au mépris de la Monarchie austro-hongroise, ainsi que contre toute publication dont la tendance générale serait dirigée contre l'intégrité territoriale de l'Autriche-Hongrie.
Il se charge, lors de la révision de la Constitution, qui est prochaine, de faire introduire dans l'article 22 de la Constitution un amendement de telle sorte que les publications ci-dessus puissent être confisquées, ce qui, actuellement, aux termes catégoriques de l'article 22 de la Constitution, est impossible.
2° Le gouvernement ne possède aucune preuve et la Note du gouvernement impérial et royal ne lui en fournit non plus aucune que la Société Norodna Obrana et les autres sociétés similaires aient commis jusqu'à ce jour quelque acte criminel de ce genre par le fait d'un de leurs membres. Néanmoins le gouvernement royal acceptera la demande du gouvernement impérial et royal et dissoudra la Société Norodna Obrana et toute autre société qui agirait contre l'Autriche-Hongrie.
3° Le gouvernement royal serbe s'engage à éliminer sans délai de l'instruction publique en Serbie tout ce qui sert ou pourrait servir à fomenter la propagande contre l'Autriche-Hongrie, quand le gouvernement impérial et royal lui fournira des faits et des preuves de cette propagande.
4° Le gouvernement royal accepte du moins d'éloigner du service militaire ceux dont l'enquête judiciaire aura prouvé qu'ils sont coupables d'actes dirigés contre l'intégrité du territoire de la monarchie austro-hongroise ; il attend que le gouvernement impérial et royal lui communique ultérieurement les noms et les faits de ces officiers et fonctionnaires aux fins de la procédure qui doit s'ensuivre.
5° Le gouvernement royal doit avouer qu'il ne se rend pas clairement compte du sens et de la portée de la demande du gouvernement impérial et royal tendant à ce que la Serbie s'engage à accepter sur son territoire la collaboration des organes du gouvernement impérial et royal.
Mais il déclare qu'il admettra toute collaboration qui répondrait aux principes du droit international et à la procédure criminelle, ainsi qu'aux bons rapports de voisinage.
6° Le gouvernement royal, cela va de soi, considère de son devoir d'ouvrir une enquête contre tous ceux qui sont ou qui, éventuellement, auraient été mêlés au complot du 15/28 juin et qui se trouveraient sur le territoire du royaume. Quant à la participation à cette enquête des agents des autorités austro-hongroises qui seraient délégués à cet effet par le gouvernement impérial et royal, le gouvernement royal ne peut pas l'accepter, car ce serait une violation de la Constitution et de la loi sur la procédure criminelle. Cependant, dans des cas concrets, des communications sur les résultats de l'instruction en question pourraient être données aux organes austro-hongrois.
7° Le gouvernement royal a fait procéder dès le soir même de la remise de la note à l'arrestation du commandant Voija Tankositch. Quant à Milan Ciganovitch, qui est sujet de la Monarchie austro-hongroise et qui jusqu'au 15/28 juin était employé (comme aspirant) à la direction des chemins de fer, il n'a pas pu encore être joint.
Le gouvernement impérial et royal est prié de vouloir bien, dans la forme accoutumée, faire connaître le plus tôt possible les présomptions de culpabilité, ainsi que les preuves éventuelles de culpabilité qui ont été recueillies jusqu'à ce jour par l'enquête à Sarajevo, aux fins d'enquêtes ultérieures.
8° Le gouvernement serbe renforcera et étendra les mesures prises pour empêcher le trafic illicite d'armes et d'explosifs à travers la frontière. Il va de soi qu'il ordonnera tout de suite une enquête et punira sévèrement les fonctionnaires des frontières sur la ligne Schabac-Loznica, qui ont manqué à leur devoir et laissé passer les auteurs du crime de Sarajevo.
9° Le gouvernement royal donnera volontiers des explications sur les propos que ces fonctionnaires, tant en Serbie qu'à l'étranger, ont tenus après l'attentat dans des interviews et qui, d'après l'affirmation du gouvernement impérial et royal, ont été hostiles à la Monarchie, dès que le gouvernement impérial et royal lui aura communiqué les passages en question de ces propos, et dès qu'il aura démontré que les propos employés ont en effet été tenus par lesdits fonctionnaires, propos au sujet desquels le gouvernement royal lui-même aura soin de recueillir des preuves et convictions.
10° Le gouvernement royal informe le gouvernement impérial et royal de l'exécution des mesures comprises dans les points précédents en tant que cela n'a pas été déjà fait par la présente note. Aussitôt que chaque mesure aura été ordonnée et exécutée, dans le cas où le gouvernement impérial et royal ne serait pas satisfait de cette réponse, le gouvernement royal serbe, considérant qu'il est de l'intérêt commun de ne pas précipiter la solution de cette question, est prêt, comme toujours, à accepter une entente pacifique, en remettant cette question soit à la décision du Tribunal international de La Haye, soit aux grandes Puissances qui ont pris part à l'élaboration de la déclaration que le gouvernement serbe a faite le 18/31 mars 1909.
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