Traité d'amitié et d'association.
Traité entre la France et le Siam, signé à Bangkok, le 3 octobre 1893, et les ratifications de cet acte ayant été échangées à Paris, le 3 février 1894.Alors que la France, déjà installée en Cochinchine (1862) et au Cambodge (1863), envisage d'étendre sa domination en Indochine, elle se heurte aux ambitions du Siam qui exerce son autorité sur certaines parties des pays Lao et du Cambodge. En 1866, le capitaine Ernest Doudart de Lagrée remonte le Mékong ; en 1886, l'explorateur et diplomate Auguste Pavie est envoyé à Luang Prabang, alors capitale d'une partie du Laos. Un bref conflit éclate en 1893 et permet à la France d'obtenir pour le Laos la restitution de la rive gauche du Mékong et d'établir son protectorat sur la région. Les Britanniques, installés en Birmanie, sont favorables au maintien de l'indépendance du Siam, qui constitue ainsi un espace neutre entre les deux empires coloniaux.
Le protectorat français sur le Cambodge et le Laos permet de fixer favorablement les frontières des deux pays avec le Siam : après le traité de 1893 qui fixe la frontière sur le Mékong, les autres parties de la frontière du Siam avec le Cambodge et le Laos sont déterminées par la convention du 13 février 1904, le traité du 23 mars 1907 et son protocole annexe. Les frontières ainsi établies furent remises en cause en 1940, lorsque le Siam, devenu la Thaïlande, profite de l'occupation de l'Indochine par le Japon pour annexer les territoires situés sur la rive droite du Mékong, mais doit les restituer après la Guerre mondiale, en application de la convention du 17 novembre 1946.
Pour mémoire, la Thaïlande, qui avait occupé en 1954, à la suite de la défaite française en Indochine, le temple de Préah Vihéar, à la frontière du Cambodge, a été condamnée à le restituer, par l'arrêt de la Cour internationale de justice du 15 juin 1962 (voir https://www.icj-cij.org/fr/affaire/45).
Source : JORF, 11 février 1894, p. 674.
Traité.
M. le Président de la République française et S. M. le roi de Siam, voulant mettre un terme aux contestations survenues, dans ces derniers temps, entre les deux Etats et consolider les relations d'amitié qui existent depuis des siècles entre la France et le Siam, ont nommé pour leurs plénipotentiaires :
M. le Président de la République française, M. Charles-Marie Le Myre de Vilers, grand officier de la Légion d'honneur et de l'Éléphant blanc, ministre plénipotentiaire de 1re classe, député,
S. M. le roi de Siam, S. A. R. le prince Devawongse Varoprakar, chevalier de l'ordre de Maha Chakrkri, grand officier de la Légion d'honneur, etc., ministre des affaires étrangères ;
Lesquels, après s'être communiqué leurs pleins pouvoirs et les avoir reconnus en due et bonne forme, sont convenus des articles suivants :
Article premier.
Le gouvernement siamois renonce à toute prétention sur l'ensemble des territoires de la rive gauche du Mékong et sur les îles du fleuve.
Article 2.
Le gouvernement siamois s'interdit d'entretenir ou de faire circuler des embarcations ou des bâtiments armés sur les eaux du Grand-Lac, du Mékong et de leurs affluents situés dans les limites visées à l'article suivant.
Article 3.
Le gouvernement siamois ne construira aucun poste fortifié ou établissement militaire dans les provinces de Battambang et de Siam-Reap et dans un rayon de 25 kilomètres sur la rive droite du Mékong.Article 4.
Dans les zones visées par l'article 3, la police sera exercée, selon l'usage, par les autorités locales avec les contingents strictement nécessaires. Il n'y sera entretenu aucune force armée régulière ou irrégulière.Article 5.
Le gouvernement siamois s'engage à ouvrir dans un délai de six mois des négociations avec le gouvernement français, en vue du règlement du régime douanier et commercial des territoires visés à l'article 3, et de la révision du traité de 1856. Jusqu'à la conclusion de cet accord, il ne sera pas établi de droits de douane dans la zone visée à l'article 3. La réciprocité continuera à être accordée par le gouvernement français aux produits de ladite zone.
Article 6.
Le développement de la navigation du Mékong pouvant rendre nécessaires sur la rive droite certains travaux ou l'établissement de relais de batellerie et de dépôts de bois et de charbon, le gouvernement siamois s'engage à donner, sur la demande du gouvernement français, toutes les facilités nécessaires à cet effet.Article 7.
Les citoyens, sujets ou ressortissants français pourront librement circuler et commercer dans les territoires visés à l'article 3, munis d'une passe délivrée par les autorités françaises. La réciprocité sera accordée aux habitants desdites zones.Article 8.
Le gouvernement français se réserve d'établir des consuls où il le jugera convenable dans l'intérêt de ses ressortissants, et notamment à Korat et à Muang Van.
Article 9.
En cas de difficultés d'interprétation, le texte français fera seul foi.
Article 10.
Le présent traité devra être ratifié dans un délai de quatre mois à partir du jour de la signature.
En foi de quoi les plénipotentiaires respectifs susnommés ont signé le présent traité en duplicata et y ont apposé leurs cachets.
Fait au palais de Vallabha, à Bangkok, le 3 octobre 1893.
Signé : LE MYRE DE VILERS.
Signé : DEVAWONGSE VAROPRAKAR.
ANNEXE
Les plénipotentiaires ont arrêté dans la présente convention les différentes mesures et les dispositions qu'entraîne l'exécution du traité de paix signé en ce jour et de l'ultimatum accepté le 5 août dernier.
Article premier.
Les derniers postes militaires siamois de la rive gauche du Mékong devront être évacués dans le délai maximum d'un mois à partir du 5 septembre.
Article 2.
Toutes les fortifications de la zone visée à l'article 3 du traité en date de ce jour devront être rasées.
Article 3.
Les auteurs des attentats de Tong-Xieng-Kam et de Kammoun seront jugés par les autorités siamoises ; un représentant de la France assistera au jugement et veillera à l'exécution des peines prononcées. Le gouvernement français se réserve le droit d'apprécier si les condamnations sont suffisantes, et, le cas échéant, de réclamer un nouveau jugement devant un tribunal mixte dont il fixera la composition.
Article 4.
Le gouvernement siamois devra remettre à la disposition du ministre de France à Bangkok ou aux autorités françaises de la frontière tous les sujets français, annamites, laotiens de la rive gauche et les Cambodgiens détenus à un titre quelconque. Il ne mettra aucun obstacle au retour sur la rive gauche des anciens habitants de cette région.
Article 5.
Le Bam Bien de Tong-Xieng-Kam et sa suite seront amenés par un délégué du ministre des affaires étrangères à la légation de France, ainsi que les armes et le pavillon français saisis par les autorités siamoises.
Article 6.
Le gouvernement français continuera à occuper Chantaboon jusqu'à l'exécution des stipulations de la présente convention, et notamment jusqu'à complète évacuation et pacification tant de la rive gauche que des zones visées à l'article 3 du traité en date de ce jour.
En foi de quoi, les plénipotentiaires respectifs ont signé la présente convention et y ont apposé leurs cachets.Fait double au palais de Vallabha, à Bangkok, le 3 octobre 1893.
Signé : LE MYRE DE VILERS.
Signé : DEVAWONGSE YAROPHAKAR.
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