France

Politique de réunion à la France.

Rapport de Menou et décret du 14 septembre 1791.
Décret du 19 novembre 1792.
Rapport de l'abbé Grégoire et décret du 27 novembre 1792.
Rapport de Cambon, 15 décembre 1792.
Décret du 17 décembre 1792.
Rapport de Blanqui et Veillon, décrets du 31 janvier et du 4 février 1793.
Danton, 31 janvier 1793, les frontières naturelles.
Rapport de Carnot et décret du 14 février 1793.

    La question de la réunion à la France de certains territoires voisins a été d'abord posée à propos d'Avignon (décret du 14 septembre 1791) et minutieusement examinée sur le rapport de Menou. Mais, après Valmy, les succès remportés par les armées françaises conduisent la Convention et ses généraux à s'interroger sur la politique qui doit être suivie dans les territoires conquis.
    Les forces françaises entrent à Chambéry le 24 septembre ; prise de Nice le 29 septembre, de Bâle le 3 octobre. Custine avance le long du Rhin : Spire, le 25 septembre 1792 ; Worms le 5 octobre ; Mayence, le 21 octobre ; Francfort, le 23. Victoire de Dumouriez à Jemmapes le 6 novembre. Prise de Mons le 7 novembre, de Bruxelles, le 14 ; de Liège, le 28 ; d'Anvers, le 30 ; de Namur, le 2 décembre
    Le 19 novembre, la Convention déclare accorder « fraternité et secours » à tous les peuples épris de liberté. Et Chaumette, à l'Hotel de Ville, que toute l'Europe « jusqu'à Moscou sera bientôt francisée, municipalisée, jacobinisée ».
    Les demandes présentées par des délégués de Nice et de la Savoie incitent la Convention à élaborer une doctrine sur laquelle s'appuyer pour examiner les cas particuliers. L'abbé Grégoire, dans son rapport sur la Savoie, insiste sur les avantages concrets de la réunion. Mais les comités saisis doivent formuler des principes et des règles. C'est l'objet du rapport de Cambon, ci-dessous et du décret adopté le 17 décembre 1792. Cette  politique est appliquée à Nice, puis reformulée par Carnot, à propos de Monaco et, en même temps, de Créhange et du pays de Schambourg (diverses orthographes).
    En Belgique, Dumouriez est favorable à la création d'une république indépendante. Le 4 décembre, une délégation belge demande à la Convention de respecter la volonté d'indépendance des Belges. Elle est mal accueillie, puis dénoncée comme contre-révolutionnaire. Cambon puis Carnot prennent clairement position en faveur de la réunion à la France des territoires conquis. Et Danton reprend à son compte la théorie des frontières naturelles... que Napoléon n'hésitera pas à dépasser largement.

Sources : Décret du 19 novembre 1792, A. P., Tome LIII, p. 473-474. Rapport de Cambon, Tome LV, p. 70-76 ; décret, 17 décembre 1792, p. 100, modifié, 22 décembre, p. 355. Danton, Séance du 31 janvier 1793, tome LVIII, p. 101.

Voir : Alsace, Belgique, Avignon, Genève, Monaco, Mulhouse, Nice, Porrentruy, Rhénanie, Salm, Savoie.


Déclaration pour accorder fraternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté.
 (19 novembre 1792).

Accorderons-nous secours et garantie à tous les peuples qui nous les demanderont ?
Quels seront nos rapports politiques, et de quelle manière fraterniserons-nous avec nos voisins ?
Voilà les deux points que nous avons à décider.

Sur proposition de La Revellière-Liépeaux :

La Convention nationale déclare, au nom de la nation française, qu'elle accordera fraternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté, et charge le pouvoir exécutif de donner aux généraux les ordres nécessaires pour porter secours à ces peuples, et défendre les citoyens qui auraient été vexés, ou qui pourraient l'être pour la cause de la liberté.

La Convention nationale décrète que le pouvoir exécutif donnera ordre aux généraux de la République française de faire imprimer et proclamer le décret précédent, en diverses langues, dans toutes les contrées qu'ils parcourront avec les armées de la République.


Rapport de Cambon, 15 décembre 1792

Cambon, au nom des comités des finances, de la guerre et diplomatique réunis, fait un rapport (1) et présente un projet de décret (I) sur la conduite des généraux français dans les pays occupés par les armées de la République ; il s'exprime ainsi :

Vous avez chargé trois de vos comités de de plusieurs lettres des généraux des armées qui sont actuellement sur le territoire étranger ; elles portent plainte du dénuement en vivres, fourrages, habillement et numéraire, où se trouvent les armées qui sont sous leurs ordres ; ils vous demandent d'établir des principes pour régler la conduite politique qu'ils doivent tenir en pays étranger.

Déjà vos comités vous ont proposé divers moyen pour ramener l'abondance dans les armées, et pour pourvoir aux besoins imprévus qu'elles peuvent éprouver ; ils s'occupent, dans ce moment, de l'examen de la conduite des divers agents du pouvoir exécutif chargés de pourvoir aux approvisionnements des armées de la République, et après avoir découvert quels sont les coupables qui ont occasionné le dénuement où elles se trouvent, ils s'empresseront de vous les dénoncer.

Je viens au nom de vos trois comités vous proposer les mesures qu'ils croient convenables pour régler la conduite des généraux, et pour établir les principes que nous devons suivre dans la guerre qu'on nous a forcés d'entreprendre.

Avant d'établir les bases du travail de vos comités, je dois vous rendre compte de la conduite qu'ils ont tenue dans leurs délibérations. Ils se sont assemblés pendant quatre jours avec le conseil exécutif que vous leur aviez ordonné de s'adjoindre, avec les commissaires de la trésorerie, avec les directeurs des vivres et des habillements et ce n'est qu'avec le concours de toutes les instructions qu'il leur a été possible de recueillir, qu'ils ont dirigé le projet de décret que je suis chargé de vous soumettre.

Ils sont demandé d'abord quel est l'objet de la guerre que vous avez entreprise. C'est sans doute l'anéantissement de tous les privilèges. Guerre aux châteaux, paix aux chaumières. Voila les principes que vous avez posés en la déclarant : tout ce qui est privilégié, tout ce qui est tyran, doit donc être traité en ennemi dans les pays ou nous entrons. (Applaudissements) Telle est la conséquence naturelle de ces principes.

Quelle a été, au contraire, jusqu'ici notre conduite? Les généraux en entrant en pays ennemi, y ont trouvé les tyrans et leurs satellites ; le courage des Français libres fait fuir les uns et les autres ; ils sont entrés dans les villes en triomphateurs et en frères ; ils ont dit aux peuples vous êtes libres ; mais ils se sont bornés à des paroles. Nos généraux, embarrassés sur la conduite qu'ils avaient à tenir, nous ont demandé des régies et des principes pour les diriger. Montesquiou nous adressa, le premier, un mémoire à ce sujet. Deux rapports vous furent faits par le comité diplomatique, le 20 et le 24 octobre dernier. Ces rapports ont été imprimés ; mais les décisions qui étaient projetées vous ont peut-être paru insuffisantes, et vous n'en avez pas encore fait le sujet de vos délibérations ; les principes qu'ils contiennent vous sont suffisamment connus ; il est inutile que je les remette sous vos yeux.

Le général Custine, à peine entré en Allemagne, vous a demandé s'il devait supprimer les droits féodaux, les dîmes, les privilèges, en un mot tout ce qui tient a la servitude, et s'il devait établir des contributions sur les nobles, les prêtres et les riches en indemnités des secours qu'ils avaient accordés aux émigrés ; vous n'avez rien répondu à toutes ses demandes ; en attendant il a pensé ne devoir pas laisser péricliter les intérêts de la République. Il a exigé des contributions des nobles, des prêtres et des riches ; on a accusé sa conduite, quoiqu'il vous ait soumis les motifs de ces contributions diverses ; et ses ennemis ont voulu en tirer avantage contre lui, notamment à raison des 1,500,000 florins qu'il a imposés sur Francfort.

Depuis ce temps Francfort a été repris, et vous avez frémi au récit des nouvelles vêpres siciliennes qui ont ensanglanté cette ville.

Dumouriez, en entrant dans la Belgique, a annoncé de grands principes de philosophie ; mais il s'est borné à faire des adresses aux peuples. Il a jusqu'ici tout respecté, nobles, privilèges, corvées, féodalité, etc. ; tout est encore sur pied ; tous les préjugés gouvernent encore ces pays ; le peuple n'y est rien, c'est-à-dire que nous lui avons promis de le rendre heureux, de te délivrer de ses oppresseurs, mais que nous nous sommes bornés à des paroles. Le peuple, asservi à l'aristocratie sacerdotale et nobiliaire, n'a pas eu la force, seul, de rompre ses fers ; et nous n'avons rien fait pour l'aider à s'en dégager.

Le général a cru, d'après les instructions du conseil exécutif, devoir rendre hommage à la souveraineté et l'indépendance du peuple ; il n'a pas voulu avoir recours à des contributions extraordinaires, il tout respecté et lorsque nos convois passent à quelques barrières ou péages, ils payent les droits ordinaires. Ce général a pensé ne devoir pas même forcer les habitants a fournir des magasins et des approvisionnements à nos armées. Ces principes philosophiques sont tes nôtres mais nous ne voulons pas, nous ne devons pas respecter les usurpateurs : tous ceux qui jouissent d'immunités et de privilèges sont nos ennemis ; il faut les détruire, autrement, notre propre liberté serait en péril. Ce n'est pas aux rois seuls que nous avons à faire la guerre ; car s'ils étaient isolés, nous n'aurions que dix à douze têtes à faire tomber ; nous avons à combattre tous leurs complices, les castes privilégiées, qui sous le nom des rois, ruinent et oppriment te peuple depuis plusieurs siècles. Vos comités se sont donc dit : tout ce qui, dans les pays où les Français porteront les armes, existe en vertu de la tyrannie et du despotisme, ne doit être considère que comme une vraie usurpation, car les rois n'avaient pas le droit d'établir des privilèges en faveur du petit nombre et au détriment de la classe la plus industrieuse. La France elle-même, lorsqu'elle s'est levée le 17 juin 1789, a proclamé ces principes  : rien n'était légal, a-t-elle dit, sous le despotisme ; je détruis tout ce qui existe, par un seul acte de ma volonté. Ainsi, le 17 juin, lorsque les représentants du peuple se furent constitués en Assemblée nationale, ils s'empressèrent de supprimer tous les impôts existants dans la nuit du 4 août, ils s'empressèrent de détruire la noblesse, la féodalité et tout ce qui tenait a la féodalité qu'un reste de préjugé avait fait respecter. Voilà, n'en doutons pas quelle est la conduite que doit tenir le peuple qui veut être libre et faire une révolution ; s'il n'a pas les moyens de la faire par lui-même, il faut que son libérateur le supplée et agisse pour son intérêt, en exerçant momentanément le pouvoir révolutionnaire.

Les peuples chez lesquels les armées de la République ont porté la liberté n'ayant pas l'expérience nécessaire pour établir leurs droits, il faut que nous nous déclarions pouvoir révolutionnaire et que nous détruisions l'ancien régime qui les tenait asservis. (Applaudissements.) Nous n'irons point chercher de comité particulier ; nous ne devons pas nous couvrir du manteau des hommes ; nous n'avons pas besoin de ces petites ruses. Nous devons, au contraire, environner nos actions de tout l'éclat de la raison et de la toute puissance nationale. Il serait inutile de déguiser notre marche et nos principes. Déjà les tyrans les connaissent et vous venez d'entendre ce qu'écrit, à cet égard,le stathouder : lorsque nous entrons dans un pays, c'est à nous à sonner le tocsin. (Applaudissements.) Si nous ne le sonnons pas, si nous ne proclamons pas solennellement ta déchéance des tyrans et des privilèges, le peuple accoutumé à courber sa tête sous les chaines du despotisme, ne serait pas assez fort pour briser ses fers ; il n'oserait pas se lever, si nous ne lui donnions que des espérances, et si nous lui refusions une assistance effective.

Ainsi donc, si nous sommes pouvoir révolutionnaire, tout ce qui existe de contraire aux droits du peuple doit être abattu dès que nous entrons dans le pays (Applaudissements) ; en conséquence, il faut que nous proclamions nos principes, que nous détruisions toutes les tyrannies et que rien de ce qui existait ne résiste au pouvoir que nous exerçons.

Vos comités ont donc pensé qu'après avoir expulsé les tyrans et leurs satellites, les généraux doivent, en entrant dans chaque commune, y publier une proclamation, pour faire voir aux peuples que nous leur apportons le bonheur ; ils doivent supprimer sur-le-champ et les dîmes et les droits féodaux, et tout espèce de servitude. (Applaudissements.) Vos comités ont encore pensé que vous n'auriez rien fait si vous vous borniez à ces seules suppressions. L'aristocratie gouverne partout ; il faut donc détruire toutes les autorités existantes. Aucune institution du régime ancien ne doit exister lorsque le pouvoir révolutionnaire se montre. Si nous avions, dès le commencement de la guerre, adopté ces principes, nous n'aurions peut-être pas à pleurer la mort de nos frères assassinés à Francfort. Les anciens magistrats existaient dans cette ville, et vous vouliez que ce peuple fût libre ! Il faut que le système populaire s'établisse, que toutes les autorités soient renouvelées, ou vous n'aurez que des ennemis la tête des affaires. Vous ne pouvez donner la liberté à un pays, vous ne pouvez rester en sûreté, si les anciens magistrats conservent leurs pouvoirs ; il faut, absolument que les sans-culottes participent à l'administration. (Vifs applaudissements dans l'Assemblée et dans les tribunes.) Déjà citoyens, les aristocrates des pays qu'occupent nos armées, abattus au moment de notre entrée, voyant que nous ne détruisions rien, ont conçu de nouvelles espérances ; ils ne dissimulent plus leur joie féroce ; ils croient à une Saint-Barthélemy ; et il ne serait pas difficile de prouver qu'il existe déjà dans la province de la Belgique, quatre ou cinq partis qui veulent dominer le peuple ; déjà les aristocrates versent de l'or pour conserver leur ancienne puissance. On y voit que les nobles, le clergé, les états ; et le peuple n'y est rien ; il reste abandonné à lui-même ; et vous voulez qu'il soit libre ! Non, il ne le sera jamais, si nous ne prononçons plus fortement nos principes.

Vous avez vu les représentants de ce peuple venir à votre barre, timides et faibles, ils n'ont pas osé vous avouer leurs principes, ils étaient tremblants ; ils vous ont dit : Nous abandonnerez-vous ? Vos armées nous quitteront-elles avant que notre liberté soit assurée ? Nous livrerez-vous à la merci de nos tyrans ? Nous ne sommes pas assez forts. Accordez-nous votre protection, vos forces. Mais, citoyens, vous ne les abandonnerez pas, vous étoufferez le germe de leurs divisions et des malheurs qui les menacent. (Applaudissements.) Votre conduite en Savoie doit vous servir d'exemple ; le peuple, encouragé par la présence de vos commissaires s'est prononcé plus fortement ; il a commencé par tout détruire pour tout exercer ; alors son voeu n'a plus été douteux; il s'est montré digne d'être libre, et vous a donné un exemple que vous devez porter chez les autres peuples. Suivons donc cette marche dans les pays où nous serons obligés de faire naître des révolutions ; mais en détruisant les abus, ne négligeons rien pour protéger les personnes et les propriétés. (Vifs applaudissements.)

Vos comités ont cru qu'en réclamant la destruction des abus des autorités existantes, il fallait que, de suite, les Peuples fussent convoqués en assemblées primaires, et qu'ils nommassent des administrateurs et des juges provisoires pour faire exécuter les lois relatives à la propriété et à la sûreté des personnes. Ils ont cru, en même temps, que ces administrations provisoires pouvaient nous être utiles sous plusieurs autres rapports. En rentrant dans un pays, quel doit être notre premier soin ? C'est de conserver au peuple souverain les biens que nous appelons nationaux, et qui, dans toute l'Europe, ont été usurpés par des privilégiés. Il faut donc mettre sous la sauvegarde de la nation les biens, meubles et immeubles appartenant au fisc, aux princes, à leurs fauteurs adhérents, participes, à leurs satellites volontaires, aux communautés laïques et ecclésiastiques, à tous les complices de la tyrannie (Applaudissements) ; et pour qu'on ne se méprenne pas sur les intentions pures  et franches de la République française, vos comités ne vous proposent pas de nommer des administrateurs particuliers pour l'administration et régie de ces biens, mais d'en confier le soin à ceux qui seront nommés par le peuple. Nous ne prenons rien, nous conservons tout pour les frais indispensables pour une révolution.

Vous sentez qu'en accordant cette confiance aux administrations provisoires, vous aurez alors le droit d'en exclure tous les ennemis de la République qui tenteraient de s'y introduire. Nous proposons donc que personne ne puisse être admis à voter pour l'organisation des administrations provisoires,si l'être élu ne prête serment à ta liberté et à l'égalité,et s'il ne renonce, par écrit, à tous les privilèges et prérogatives dont il pourrait avoir joui. (Vifs applaudissements.) Ces précautions prises, vos comités ont pensé qu'il ne fallait pas encore abandonner un peuple peu accoutumé à la liberté absolument à lui-même ; qu'il fallait l'aider de nos conseils, fraterniser avec lui : en conséquence, il a pensé que, dès que les administrations provisoires seraient nommées, la Convention devait leur envoyer des commissaires tirés de son sein, pour entretenir avec elles des rapports de fraternité. Cette mesure ne serait pas suffisante, les représentants du peuple sont inviolables, ils ne doivent jamais exécuter. Il faudra donc nommer aussi des exécutifs. Vos comités ont pensé que le conseil exécutif devait envoyer, de son coté, des commissaires nationaux qui se concerteront avec les administrations pour la défense du pays nouvellement affranchi, pour assurer les approvisionnements et les subsistances des armées et enfin, concerter sur les moyens qu'il y aura à prendre pour payer les dépenses que nous aurons faites on que nous ferons sur leur territoire.

Vous devez penser qu'au moyen de la suppression des contributions anciennes, lés peuples affranchis n'auront point de revenus ; ils auront recours à vous; et le comité des finances croit qu'il est nécessaire d'ouvrir le Trésor public à tous les peuples qui voudront être libres. Quels sont nos trésors ? Ce sont nos biens territoriaux que nous avons réalisés en assignats. Conséquemment, en entrant dans uni pays, en supprimant ses contributions, en offrant au peuple une partie de nos trésors pour l'aider à reconquérir sa liberté, nous lui offrirons notre monnaie révolutionnaire. (Applaudissements.) Cette monnaie deviendra la sienne ; noue n'aurons pas besoin alors d'acheter, à grande frais, du numéraire pour trouver dans le pays même des habillements et des vivres ; un même intérêt réunira les deux peuples pour combattre la tyrannie ; dès lors nous augmenterons notre propre puissance, puisque nous aurons un moyen d'écoulement pour diminuer la masse des assignats circulant en France, et l'hypothèque que fourniront les biens mis sous la garde de la République, augmentera le crédit de ces mêmes assignats.

Il sera possible qu'on ait recours à des contributions extraordinaires, mais alors la République française ne les fera pas établir par ses généraux ; ce mode militaire ne serait propre qu'à jeter dans l'esprit des contribuables une défaveur non méritée sur nos principes. Nous ne sommet point agents du fisc, nous ne voulons point vexer le peuple ; eh bien ! vos commissaires, en se concertant avec les administrations provisoires, trouveront des moyens plus doux. Les administrateurs provisoires pourront établir sur les riches les contributions extraordinaires qu'un besoin imprévu pourrait exiger ; et les commissaires nationaux, nommés par le pouvoir exécutif, veilleront à ce que les contributions ne soient pas supportées par la classe laborieuse et indigente. C'est par là que nous ferons aimer au peuple la liberté : il ne paiera plus rien, il administrera tout.

Mais vous n'aurez encore rien fait, si vous ne déclarez hautement la sévérité de vos principes contre quiconque voudrait une demi-liberté.

Vous voulez que les peuples chez qui vous portez vos armes, soient libres. S'ils se réconcilient avec tes castes privilégiées, vous ne devez pas souffrir cette transaction honteuse avec les tyrans. Il faut donc dire aux peuples qui voudraient conserver des castes privilégiées : vous êtes nos ennemis ; alors on les traitera comme tels, puisqu'ils ne voudront ni liberté, ni égalité. Si, au contraire, ils paraissent disposés à un régime libre et populaire, vous devez non seulement leur donner assistance, mais les assurer d'une protection durable. Déclarez donc que vous ne traiterez jamais avec les anciens tyrans, car les peuples pourraient craindre que vous ne les sacrifiassiez à l'intérêt de la paix. {Applaudissements.) Mais vous devez en même temps annoncer aux peuples que, dès qu'ils auront déclaré leur indépendance et organisé une forme de gouvernement libre et populaire, tous les pouvoirs de l'administration provisoire et de vos commissaires cesseront.

A la fin de la guerre vous aurez des comptes à régler ; vous compterez avec les représentants de chaque peuple, et des dépenses que vous aurez faites, et des approvisionnements qu'on vous aura fournis. Si l'on vous doit, vous prendrez des arrangements comme vous en avez pris avec les États-Unis de l'Amérique ; vous vous prêterez à tout ce qui pourra soutenir la liberté de vos voisins. Si, au contraire, vous êtes redevables, vous payerez comptant, car la République n'a pas besoin de crédit.

Le projet de décret que vos comités m'ont chargé de vous présenter est rédigé d'après ces principes ; il renferme quelques articles de détail, comme celui d'obliger les commissaires nommés par le pouvoir exécutif, de lui rendre leurs comptes qui seront soumis à la révision de l'Assemblée qui doit toujours être le centre de l'autorité.

Ce projet de décret est accompagné d'une proclamation qui doit être faite par les généraux pour annoncer au peuple nos principes ; et pour convoquer les habitants et les réunir en assemblées primaires ou communales pour organiser les administrations et justices provisoires. Ce projet n'a été arrêté que ce matin, je n'ai pas fait un rapport par écrit, parce qu'il était instant de vous le soumettre.

Décret.

Cambon, au nom des comités des finances, militaire et diplomatique réunis, fait lecture du décret adopté, sauf rédaction, dans la séance du 15 décembre et concernant la conduite à tenir par les généraux français dans les pays occupés par les années de la République. Il est ainsi conçu :

Décret qui détermine les règles à suivre par les généraux de la République, dans les pays où ils ont porté et porteront ses armes, suivi d'une proclamation.

La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités des finances, de la guerre et diplomatique réunis, fidèle aux principes de la souveraineté du peuple, qui ne lui permet pas de reconnaître aucune des institutions qui y portent atteinte, et voulant fixer les règles à suivre par les généraux des armées de la République dans les pays où ils porteront ses armes, décrète :

Article premier.

Dans les pays qui sont ou seront occupés par les armées de la République, les généraux proclameront sur-le-champ, au nom de la nation française,la souveraineté du peuple, la suppression de toutes les autorités établies, des impôts ou contributions existants, l'abolition de la dime, de la féodalité, des droits seigneuriaux, tant féodaux que censuels, fixes ou casuels, des banalités, de la servitude réelle et personnelle, des privilèges de chasse et de pêche, des corvées, de la noblesse,et généralement de tous les privilèges.

Article 2.

Ils annonceront au peuple qu'ils lui apportent paix, secours, fraternité, liberté et égalité, et ils le convoqueront de suite en assemblées primaires ou communales, pour créer ou organiser une administration et une justice provisoires ; ils veilleront à la sûreté des personnes et des propriétés ; ils feront imprimer en langue ou idiome du pays, afficher et exécuter sans délai dans chaque commune, le présent décret et la proclamation y annexée.

Article 3.

Tous les agents et officiers civils ou militaires de l'ancien gouvernement, ainsi que les individus ci-devant réputés nobles ou membres de quelque corporation ci-devant privilégiée, seront, pour cette fois seulement, inadmissibles à voter dans les assemblées primaires ou communales, et ne pourront être élus aux places d'administration ou du pouvoir judiciaire provisoire.

Cet article a été modifié lors de la séance du 22 décembre suivant (p. 355) :
Nul ne pourra être admis à voter dans les assemblées primaires et communales, et ne pourra être nommé administrateur ou juge provisoire, sans avoir prêté le serment à la liberté et à l'égalité, et sans avoir renoncé par écrit aux privilèges et prérogatives dont l'abolition est prononcée par ses décrets des 15 et 17, et dont il pourrait avoir joui.

Article  4.

Les généraux mettront de suite sous la sauvegarde et la protection de la République française tous les biens, meubles et immeubles appartenant au fisc, au prince, à ses fauteurs, adhérents et satellites volontaires, aux établissements publics, aux corps et communautés laïques et ecclésiastiques ; ils en feront dresser sans un délai état détaillé, qu'ils enverront au conseil exécutif, et ils prendront toutes les mesures qui seront en leur pouvoir, afin que ces propriétés soient respectées ;

Article 5.

L'administration provisoire, nommée par le peuple, sera chargée de la surveillance et régie des objets mis sous la sauvegarde et la protection de la République française. Elle veillera à la sûreté des personnes et des propriétés. Elle fera exécuter les lois en vigueur, relatives aux jugements des procès civils et criminels, à la police et à la sûreté publique. Elle sera chargée de régler et faire payer les dépenses locales, et celles qui seront nécessaires pour la défense commune. Elle pourra établir des contributions, pourvu toutefois qu'elles ne soient pas supportées par la partie indigente et laborieuse du peuple.

Article  6.

Dès que l'administration provisoire sera organisée, la Convention nationale nommera des commissaires pris dans son sein, pour aller fraterniser avec elle.

Article 7.

Le conseil exécutif nommera aussi des commissaires nationaux, qui se rendront de suite sur les lieux pour se concerter avec les généraux et l'administration provisoire nommée par le peuple, sur les mesures à prendre pour la défense commune, et sur les moyens à employer pour se procurer les habillements et subsistances nécessaires aux armées, et pour acquitter les dépenses qu'elles ont faites et feront pendant leur séjour sur son territoire.

Article  8.

Le commissaires nationaux nommés par le conseil exécutif, lui rendront compte tous les quinze jours de leurs opérations. Le conseil exécutif les approuvera, modifiera ou rejettera, et il en rendra compte de suite à la Convention.

Article  9.

L'administration provisoire nommée par le peuple, et les fonctions des commissaires nationaux cesseront aussitôt que les habitants, après avoir déclaré la souveraineté et l'indépendance du peuple, la liberté et l'égalité, auront organisé une forme de gouvernement libre et populaire.

Article 10.

Il sera fait état des dépenses que la République française aura faites pour la défense commune, et des somme» qu'elle pourra avoir reçues, et la nation française prendra avec le gouvernement qui sera établi, les arrangements pour ce qui pourra être dû ; et au cas où l'intérêt commun exigerait que tes troupes de la République restassent encore à cette époque sur le territoire étranger, elle prendra les mesures convenables pour les faire subsister.

Article 11.

La nation française déclare qu'elle traitera comme ennemi le peuple qui, refusant la liberté et l'égalité, ou y renonçant, voudrait conserver, rappeler ou traiter avec le prince et les castes privilégiées ; elle promet et s'engage à ne souscrire aucun traité, et de ne poser les armes qu'après l'affermissement de la souveraineté et de l'indépendance du peuple sur le territoire duquel les troupes de la République seront entrées, qui aura adopté les principes de l'égalité, et établi un gouvernement libre et populaire.

Article 12.

Le conseil exécutif enverra le présent décret, par des courriers extraordinaires, à tous les généraux, et prendra les mesures nécessaires pour en assurer l'exécution.

Proclamation.

LE PEUPLE FRANÇAIS AU PEUPLE.....

FRERES ET AMIS,

Nous, avons conquis la liberté, et nous la maintiendrons. Nous offrons de vous faire jouir de ce bien inestimable qui vous a toujours appartenu, et que vos oppresseurs n'ont pu vous ravir sans crime.

Nous avons chassé vos tyrans. Montrez-vous hommes libres, et nous vous garantirons de leur vengeance, de leurs projets et de leur retour.

Dès ce moment, la nation française proclame la souveraineté du peuple, la suppression de toutes les autorités civiles et militaires qui vous ont gouverné jusqu'à ce jour, et de tous les impôts que vous supportez, sous quelque forme qu'ils existent, l'abolition de la dîme, de la féodalité, des droits seigneuriaux, tant féodaux que casuels, des banalités, de la servitude réelle et personnelle, des privilèges de chasse et de pêche, des corvées, de la gabelle, des péages, des octrois, et généralement de toutes espèces de contributions dont vous avez été chargés par des usurpateurs ; elle proclame aussi l'abolition parmi vous de toute corporation nobiliaire, sacerdotale et autres, de toutes les prérogatives et privilèges contraires à l'égalité. Vous êtes, dès ce moment, frères et amis, tous citoyens, tous égaux en droits, et tous appelés également à gouverner, à servir et à défendre votre patrie.

Formez-vous sur-le-champ en assemblées primaires ou de communes ; hâtez-vous d'établir vos administrations et justices provisoires, en vous conformant aux dépositions de l'article 3 du décret ci-dessus. Les agents de la République française se concerteront avec vous pour assurer votre bonheur et la fraternité qui doit exister désormais entre nous.

(La Convention adopte la rédaction présentée par Cambon.)


Les frontières naturelles.

Séance du 31 janvier 1793, tome LVIII, p. 101.

Danton.

« Je dis que c'est en vain qu'on veut faire craindre de donner trop d'étendue à la République. Ses limites sont marquées par la nature. Nous les atteindrons toutes des quatre points de l'horizon; du côté du Rhin,.du côté de l'Océan, du côté des Alpes. Là doivent finir les bornes de notre République, et nulle puissance humaine ne pourra nous empêcher de les étendre. »


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